Histoire des dogmes de l’Église chrétienne

IV. Histoire et littérature de la science

L’histoire des dogmes est une science toute moderne, — et on peut ajouter, une science toute protestante. Le principe catholique de l’infaillibilité de l’Église et de l’immutabilité absolue du dogme rend impossible, nous l’avons vu, une histoire des dogmes vraiment scientifique. Or ce principe s’est formulé d’assez bonne heure.

I. — Dans l’ancienne Église déjà, au ive et au ve siècles, on considérait le dogme comme une vérité immuable, toujours identique à elle-même, et qui, par conséquent, n’a pas d’histoire. L’hérésie seule, pensait-on, parce qu’elle est mobile et changeante comme l’erreur, peut avoir une histoire. Aussi les premiers écrits historiques portant sur la doctrine, ont-ils été des histoires des hérésies, et non des histoires des dogmes. Tels sont, par exemple, l’ouvrage célèbre d’Irénée (Adversus hæreses), et les écrits de Tertullien (De præscriptione hæreticorum ; Adversus Marcionem, etc.), d’Epiphane et de Théodoret.

Les hérétiques ne se faisaient pas du dogme ecclésiastique la même idée que les docteurs orthodoxes ; ils avaient d’ailleurs un intérêt évident à en signaler les fluctuations et les contradictions successives. Ils se trouvaient donc mieux placés pour en raconter l’histoire. C’est parmi eux qu’il faut chercher les premiers essais en ce genre. Ainsi le monophysite Stephanus Gobarus, dans un livre malheureusement perdu, mais que nous trouvons cité dans la Bibliothèque de Photius (cod. 332). s’attachait à mettre en opposition les opinions des Pères sur les points principaux de la doctrine ecclésiastique.

Plusieurs siècles plus tard, en plein moyen âge, Abélard, l’esprit le plus indépendant et le plus hardi de son temps, faisait une œuvre analogue dans son Sic et non, où il rapprochait les opinions contraires des Pères et des docteurs de l’Église sur les articles principaux de la foi. — Du reste, les docteurs orthodoxes du moyen âge ne se faisaient point faute, dans leurs controverses ou dans leurs disputes publiques, de citer, sur les questions débattues, les opinions en sens contraire des Pères et des théologiens réputés orthodoxes. C’est ainsi que, dans leurs tournois théologiques, ils plaidaient alternativement le pour et le contre. Mais ils n’en maintenaient pas moins l’immutabilité fondamentale du dogme, garantie par l’autorité infaillible de l’Église.

Jusqu’à l’époque de la Réformation, nous ne rencontrons que des recueils des canons dogmatiques des conciles, mais point d’histoire des dogmes proprement dite.

II. — La situation change à la Réformation. Les réformateurs s’élevèrent contre la doctrine de l’infaillibilité de l’Église. A l’autorité de l’Église, ils opposèrent l’autorité de la Parole de Dieu, à la lumière de laquelle ils prétendaient juger toutes les doctrines et toutes les traditions ecclésiastiques. Dès lors, une ère nouvelle s’ouvrait pour l’histoire des dogmes. Elle devenait possible et pouvait être impartiale. L’histoire des dogmes fournissait, d’ailleurs, aux réformateurs et à leurs disciples, dans la polémique qu’ils durent engager avec l’ancien ne Église, des armes excellentes à la fois pour l’attaque et pour la défense.

a) — Pour l’attaque d’abord : l’église catholique se prétendait infaillible ; elle disait avoir pour elle la continuité une tradition ininterrompue ; elle affirmait l’immutabilité de son dogme et sa vérité absolue. Or, il était facile de montrer, par l’histoire, que l’Église avait souvent varié, et que son enseignement actuel était loin de s’accorder avec celui de l’Église des premiers siècles et avec celui des apôtres ;

b) Pour la défense ensuite. L’Église catholique accusait les réformateurs d’avoir innové, — d’avoir rompu avec la tradition, et d’avoir introduit des nouveautés fausses, dangereuses, contraires à la foi constante de l’Église orthodoxe. Or, il était facile de montrer par l’histoire que les protestants étaient revenus, au contraire, aux enseignements primitifs et aux plus anciennes traditions de l’Église, au Christianisme évangélique, tel qu’il avait été prêché par les apôtres, cru et pratiqué par les premiers fidèles. Il était facile de prouver que c’était l’Église catholique qui avait innové, en altérant la doctrine évangélique, et en professant des dogmes absolument inconnus aux premiers âges de l’Église.

Les théologiens et les controversistes protestants n’eurent garde de se priver d’arguments aussi décisifs, et ce fut dans un intérêt polémique et apologétique qu’ils firent l’histoire des dogmes. Les centuriateurs de Magdebourg, par exemple, ne manquaient pas de consacrer, dans chacune de leurs centuries, un chapitre spécial à la doctrine, tant chez les Pères que chez les hérétiques. Et, au siècle suivant le théologien écossais Joannes Forbesius publiait, en réponse à l’ouvrage de Bellarmin, ses Instructiones historico-theologicæ de doctrina christiana (1645), ouvrage destiné à établir l’accord de la doctrine protestante avec celle des plus anciens Pères. — Citons encore les ouvrages de Gerhard (Loci theologici) et de Quenstedt (Theologica didacto-polemica,), publiés dans le courant : du xviie siècle et qui sont conçus dans le même but et écrits dans le même esprit.

Mais de telles préoccupations polémiques avaient quelquefois pour résultat d’altérer l’impartialité des historiens protestants. Ils étaient conduits à méconnaître certains faits, à en exagérer d’autres ; à voir par exemple, des protestants dans les Pères de l’Église et aussi dans certains hérétiques du moyen âge ; à reconstruire enfin d’une façon un peu arbitraire, une chaîne ininterrompue de témoins de la vérité — comme l’on disait alors — qui formait la tradition évangélique et protestante au sens de l’Église catholique devenue infidèle. C’était le point de vue auquel s’était déjà placé Flacius, en 1556, dans son Catalogus testium peritatis. — D’ailleurs, les théologiens protestants du xvie et du xviie siècle manquaient à peu près complètement de sens critique et historique, et ne se faisaient idée d’un développement organique, d’une évolution logique du dogme.

Chose étrange, c’est un catholique, un jésuite français, Denys Pétau (Pétavius) qui écrivit le meilleur ouvrage d’histoire des dogmes de cette époque. Son livre, intitulé De theologicis dogmatibus (4.vol. Paris, 1677-1650 ; réédité en 1857) n’est pas, comme les ouvrages antérieurs, une compilation savante, un simple recueil de textes ; c’est une véritable histoire, dans laquelle l’auteur s’attache à montrer le développement organique et continu du dogme. Mais il est contraint, par le point de vue catholique qui est le sien à justifier, comme vrais de la même vérité absolue, tous les éléments du dogme ecclésiastique. En revanche, il ne tient aucun compte du protestantisme, qui n’est à ses yeux qu’un ensemble d’erreurs déjà réfutées et condamnées.

Le véritable esprit scientifique manquait alors également chez les protestants et chez les catholiques. Les sciences critiques étaient encore dans l’enfance.

III. La réaction qui se produisit en Allemagne, au commencement du xviiie siècle, contre la scolastique protestante, ouvrit des voies nouvelles à l’histoire des dogmes. L’esprit critique s’éveilla, et les sciences historiques reçurent une impulsion féconde.

Le premier ouvrage où l’on surprend les signes avant-coureurs du souffle nouveau, est un livre de Gottefried Arnold, intitulé : Unparteiische Kirchen-und Ketzer-Historiæ (1714). Le titre est significatif, et trahit l’esprit d’indépendance qui anime l’auteur. Toutefois, par une réaction exagérée, et d’ailleurs assez naturelle, contre l’autorité et la tradition ecclésiastiques, Arnold est infidèle au programme d’impartialité qu’il s’est tracé, et prend trop volontiers parti pour l’hérésie contre l’Église.

Les remarquables travaux de Walch, de Mosheim et de Semler favorisèrent l’essor des sciences critiques et historiques.

a) Le livre publié par Walch, en 1742 (Historie der Ketzereien, Spaltungen und Religionsstreitigkeiten, bis auf die Zeiten der Reformation), se recommande par une connaissance approfondie des sources. Mais l’auteur ne sait pas toujours s’affranchir des préjugés de l’orthodoxie luthérienne, et son exposition, trop extérieure, manque de mouvement et de vie.

b) Mosheim, au contraire, possède à un haut degré le don de saisir le mouvement intérieur de l’histoire, et d’en exprimer l’organique et vivante unité. Ses études sur les Gnostiques et les Manichéens, et son ouvrage intitulé Commentarii de rebus Christianorum ante Constantimun Magnum (Helmstedt, 1753), sont fort remarquables à cet égard.

c) Quant à Semler, il est complètement affranchi de tout préjugé dogmatique ou confessionnel. C’est un esprit essentiellement critique. Son point de vue est précisément le contraire du point de vue catholique. Le dogme, bien loin de lui apparaître comme immuable, est à ses yeux l’inconstance et la fluidité même ; c’est le produit incohérent des opinions individuelles et contraires. L’élément fixe et permanent des dogmes lui échappe, et il ne sait pas apercevoir les lois générales qui président à son développement. Il ne voit partout que le caprice de l’arbitraire. En même temps, sa critique dissolvante, devant laquelle bien peu de documents trouvent grâce, ne laisse presque plus rien subsister du terrain solide de l’histoire.

Semler fut le père de l’ancien rationalisme. Parmi les représentants de cette école, il faut citer Roesler, qui publia, de 1776 à 1781, une Bibliothèque des Pères de l’Église ; Gruner, Seiler, Doederlein, auteurs de diverses monographies sur l’histoire des dogmes. — Le plus célèbre de tous, celui qui personnifie l’esprit et les procédés de l’école, est Planer, auteur d’une Histoire de la Dogmatique protestante, depuis la Réforme jusqu’à la formule de Concorde, (Geschichte des protestantischen Lehrbegriffs von Anfang der Reform. bis zur Einführung der Concordienformel, 6 vol., 1781-1800), continuée plus tard (1831) depuis la formule de Concorde jusqu’au milieu du xviiie siècle. La première partie de cet ouvrage, qui est l’œuvre capitale de Planck, a une réelle valeur historique. Les controverses dogmatiques du temps de la Réformation y sont racontées avec une scrupuleuse exactitude. Mais l’auteur, s’en fermant dans ce pragmatisme superficiel que nous avons déjà caractérisé, méconnaît les grands côtés de l’histoire qu’il raconte, et l’élément divin des dogmes, dont il explique les variations par les influences les plus extérieures et les plus accidentelles.

Le rationalisme issu de l’école de Kant, et qui régna à la fin du xviiie siècle et au commencement du xixe, eut aussi ses historiens des dogmes : Stæudlin (Lehrbuch der Dogmatik und Dogmen-Geschichte, 1801) ; Wegscheider (Institutiones theologico-dogmaticæ, 1815) ; Münscher, surtout, qui publia en 1775 un manuel d’histoire des dogmes (Handbuch der christl. Dogmen-Geschichte), réédité plusieurs fois jusqu’en 1809. Cet ouvrage, qui ne conduit l’histoire des dogmes que jusqu’à la fin du quatrième siècle, est remarquable par l’ordre et la clarté de l’exposition. Münscher publia, de 1812 à 1819, un nouvel ouvrage, Lehrbuch der Dogmen-Geschichte, qui a été réédité plusieurs fois (en 1832 par Dan. de Cœlln ; en 1834 par Hupfeld et par Neudecker en 1838). — Mentionnons encore, comme appartenant à la même école, l’ouvrage d’Augusti : Lehrbuch der christl. Dogmen-Geschichte (1805), qui, de 1805 à 1835, a eu quatre éditions.

IV. — Hegel et Schleiermacher ont ouvert, chacun à sa manière, des voies nouvelles à l’histoire des dogmes.

A. — Hegel prétendait retrouver partout, dans l’histoire comme dans la nature, l’application des principes de sa philosophie. Il donna naissance à deux écoles théologiques, qui appliquèrent, en sens divers, les formules de l’hégélianisme à l’histoire des dogmes.

a) Ce fut d’abord l’orthodoxie hégélienne, appelée aussi droite hégélienne, avec Daub, Marheineke, Rosenkranz pour principaux représentants. Les théologiens de cette école justifiaient la doctrine ecclésiastique et tous ses développements successifs, au nom des axiomes de la dialectique hégélienne dont cette doctrine était, à leurs yeux, la confirmation éclatante.

b) Ce fut ensuite la gauche hégélienne — ou rationalisme hégélien — représentée par l’école de Tubingue, dont le célèbre docteur Baur fut le chef. Plus hardis et plus conséquents avec les principes du maître, les hégéliens de la gauche effaçaient tout élément objectif et divin dans le dogme et n’y voyaient qu’un produit spontané de l’esprit humain, évoluant selon les lois infaillibles de la dialectique éternelle. — Baur a consacré à l’histoire des dogmes plusieurs ouvrages considérables :

1° D’importantes monographies sur la doctrine de la Rédemption et celle de la Trinité (Die christl. Lehre von der Versœhnung, 1 vol., Tub., 1838 ; Die christl. Lehre von der Dreieinigkeit und Menschwerdung Hottes, 3 vol., Tub., 1842), — sans parler de l’étude sur la gnose chrétienne, Die christl. Gnosis, 1835 ;

2° Un court manuel, intitulé Lehrbuch der christl, Dogm.-Geschichte (1817) ;

3° Enfin, une histoire détaillée et complète, en 4 vol., publiée après sa mort par son fils, Ferd.-Frédéric Baux, en 1865, d’après les cours professés à Tubingue par le docteur Baur. — Ce dernier ouvrage est une œuvre vraiment magistrale, qui se recommande à la fois par la richesse des matériaux recueillis, par la clarté de l’exposition et par les vues originales qu’on y rencontre à chaque page. Mais le point de vue général auquel se place l’auteur est insoutenable, ce qui fait qu’on ne peut accepter ses conclusions sans réserves.

B. — L’impulsion féconde donnée par Schleiermacher à la théologie, ne pouvait manquer de se faire sentir aussi dans le domaine de l’histoire des dogmes. Parmi les disciples de Schleiermacher, les uns se rapprochent davantage de l’orthodoxie, les autres tendent plutôt la main au rationalisme.

A l’impulsion donnée par le maître se rattache aussi, quoique d’une manière indirecte, la formation de la nouvelle école orthodoxe luthérienne, et de l’école de la conciliation (Vermittlungs Theologie). L’une et l’autre ont produit de nombreux ouvrages d’histoire des dogmes, tous inspirés par un véritable esprit scientifique, et recommandables à des titres divers. Nous nous contenterons de citer les plus remarquables.

Il faut nommer, en première ligne, la grande Histoire de l’Église, de Neander, dont l’apparition a été un véritable événement dans le monde théologique, et dans laquelle l’esprit religieux et chrétien s’unit de la manière la plus heureuse à l’esprit scientifique. Une place très considérable y est faite à l’histoire des dogmes. — Nous possédons également un cours sur l’Histoire des dogmes, professé par Neander, et publié après sa mort par les soins de Jacobi (1857).

Il faut aussi faire une place à part à l’importante monographie de Dorner sur l’Histoire du dogme de la personne de Jésus-Christ (Entwicklungsgeschichte der Lehre von der Person Christl. Stuttg. 1830, 3 vol. ; 2e édit. plus complète, 1815-57, en 5 vol.).

Citons ensuite :

L’ouvrage de Giesler a été traduit en français par MM. Flobert et Bruch (1863) ; mais il ne va pas au delà de la période de la Réformation. — On a aussi, en français, une Histoire des Dogmes, de MM. Eug. et Emile Haag (2 vol., Paris, 1862), que je n’ose recommander, tant elle me paraît insuffisante.

Quant aux catholiques, ils se sont assez peu occupés de l’histoire des dogmes, ce qui n’a pas lieu de surprendre. Le goût des études historiques s’est cependant réveillé, depuis 1830, dans l’Allemagne catholique, et nous pouvons citer deux ouvrages qui ne sont pas sans valeur : celui de Schwane (Dogmen-Geschichte der patristischen Zeit) et celui de Klee (Lehrbuch der Dogm.-Gesch., 2 vol., 1837). — Le mouvement vieux catholique qui a à sa tête le Dr Dœllinger doit avoir, semble-t-il, pour résultat de ramener les esprits vers l’étude de l’histoire des dogmes.

Avant de terminer cette introduction, nous tenons à mettre en lumière l’intérêt et l’utilité qu’offre l’étude de l’histoire des dogmes.

1° L’histoire des dogmes est d’abord un des chapitres les plus intéressants et les plus importants de l’histoire de l’esprit humain ; et, à ce titre, elle mérite d’attirer l’attention de tous les hommes cultivés,

2° Mais cette histoire a, pour le théologien et pour le chrétien, un intérêt plus direct et plus particulier. Nous avons déjà constaté l’importance de l’histoire des dogmes en marquant sa place dans l’organisme des sciences théologiques. Nous avons vu comment elle est le complément nécessaire de l’histoire de l’Église, dont elle nous révèle la signification la plus profonde et nous donne la clef, — et l’introduction indispensable de la dogmatique, dont elle prépare la tâche et facilite l’accès ;

3° A coté de cette importance scientifique et théologique, l’étude de l’histoire des dogmes offre un attrait pratique et religieux que je tiens à relever :

a) Elle a tout d’abord, comme l’histoire de l’Église elle-même, une véritable valeur, une sérieuse portée apologétique. C’est une vivante et puissante démonstration de la vérité et de la divinité de la doctrine chrétienne, de son excellence et de sa puissance, qui l’ont rendue capable de surmonter tant de vicissitudes. Elle nous montre la Providence de Dieu attentive à préserver et à conserver la vérité qui sauve, à travers tous les périls ;

b) L’étude de l’histoire des dogmes est d’ailleurs féconde en enseignements et en leçons :

1. Elle élargit l’horizon de nos idées et fait tomber bien des préjugés, bien des opinions toutes faites. Elle nous montre que l’ancienneté n’est pas toujours une marque de vérité, ni la nouveauté un signe d’erreur. Elle nous habitue à examiner toutes choses à la lumière de la Parole de Dieu, pour retenir ce qui est bon.

2. Elle nous apprend à distinguer, dans la doctrine chrétienne, ce qui est fondamental et ce qui est secondaire, — ce qu’il importe de maintenir énergiquement comme nécessaire, parce que c’est à cela que s’attache la foi qui sanctifie et qui sauve, et ce qui peut, sans péril pour la foi et pour la vie religieuse, être laissé dans l’ombre ou donner lieu à des interprétations diverses.

3. Elle nous apprend aussi à distinguer la vérité révélée, le contenu essentiel et divin de la doctrine ecclésiastique, — et la formule théologique dont cette vérité a été revêtue.

4. A coté des divergences dogmatiques qui séparent les diverses Églises, et derrière les variations de la théologie, elle nous apprend à retrouver le patrimoine commun de la foi chrétienne, les grands faits et les grandes doctrines confessés par les chrétiens de tous les pays et de tous les siècles. A côté de ce qui divise, elle montre ce qui unit, elle nous fait contempler la catholicité vraiment universelle et nous apprend à en désirer et à en préparer la réalisation future.

5. Elle nous enseigne enfin à être réservés dans nos jugements et à procéder avec prudence dans nos essais de définition et de systématisation des vérités de la foi. Un esprit de largeur et de bienveillance à l’égard des autres, un esprit de défiance à l’égard de nous-mêmes, voila ce que nous inspire ce genre d’études. Or, n’est-ce pas là, précisément, le véritable esprit chrétien ?

J’ajoute que l’étude de l’histoire des dogmes a aujourd’hui une importance toute spéciale. Et cela, pour deux raisons :

1° L’une est l’abus même qu’on en a fait dans certains milieux idéologiques. L’école critique a prétendu expliquer d’une manière naturelle, c’est-à-dire par le jeu régulier des seules lois de l’histoire et de l’esprit humain, l’apparition du christianisme et de l’Église chrétienne. Elle prétend expliquer de la même manière l’apparition des dogmes chrétiens, qui ne sont pour elle que l’un des produits de l’évolution spontanée de l’esprit humain. Elle croit avoir découvert la formule, la loi logique et nécessaire d’après laquelle les dogmes naissent, vieillissent et meurent. Après avoir montré comment le dogme chrétien a commencé, elle croit pouvoir dire à l’avance comment il finira et annoncer cette fin comme prochaine.

Il importe de faire justice de ces prétentions ; et il suffit pour cela d’étudier sans parti-pris l’Histoire des dogmes. Cette étude démontre deux faits, qui sont la contradiction formelle des deux affirmations de l’école critique.

a) Le premier, c’est que le dogme chrétien n’a pas été le produit des spéculations antérieures, de l’hellénisme ou de l’orientalisme juif ou païen, mais qu’il a eu pour point de départ un fait historique, divin, absolument nouveau et original, l’apparition de Jésus, le Fils de Dieu dans le monde. Que les spéculations antérieures, que les philosophies païennes et la théologie juive aient influé sur la forme scientifique du dogme, cela est incontestable ; mais le contenu distinctif et essentiel vient d’ailleurs.

b) Le second, c’est que le dogme chrétien n’a pas vieilli et n’est pas mort. Sans doute, il est des théories et des formules dogmatiques qui ont vieilli et qui sont mortes, comme vieillit et meurt tout ce qui est humain. Ces formules sont, en effet, humaines, toujours insuffisantes à exprimer une vérité qui les dépasse de toutes parts. Elles varient et se transforment. Elles s’élaborent lentement, pour décliner ensuite et être remplacées par d’autres, qui correspondent mieux aux nécessités et aux préoccupations nouvelles. — Mais, à côté et au-dessous de ces enveloppes changeantes, il y a le fond qui ne change pas, la vérité divine et permanente que les formules cherchent à exprimer en l’altérant quelquefois. Or, malgré les erreurs et les défections, la vérité qui sauve s’est conservée dans l’Église, à l’état de lettre morte quelquefois, mais toujours efficace pour régénérer et sauver ceux qui allaient jusqu’à elle.

Ainsi se vérifie l’affirmation de Jésus-Christ : « Mes paroles ne passeront point, » — et les expressions de saint Paul : « L’Église bâtie sur le fondement des apôtres et des prophètes — Jésus-Christ étant la principale pierre de l’angle — … est la colonne et l’appui de la vérité. »

2° Ajoutons que l’étude de l’histoire des dogmes nous aidera à comprendre la crise théologique que nous traversons. Nous apprendrons à apprécier les diverses tendances qui se trouvent en présence, en les voyant à l’œuvre dans le passé. Nous saurons mieux alors discerner l’erreur et la vérité, apercevoir le péril pour l’éviter et la voie du salut pour la suivre, — et préparer ainsi un meilleur avenir.

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