Vie de Guillaume Farel

2. Comment Dieu prépara la Réforme

Revenons au petit Guillaume, qui, j'aime à le constater, ne passait pas tout son temps à apprendre les légendes des saints. C'était un enfant courageux, entreprenant, parfois même téméraire et emporté. Le développement de son corps fut plus rapide que celui de son âme, car de bonne heure il apprit à escalader les rochers et à traverser les rivières à la nage. Il était fort et robuste, Dieu lui avait donné une grande énergie physique, laquelle devait un jour lui être précieuse. Guillaume grimpait avec ses frères dans les endroits les plus périlleux, il ne craignait ni les hommes ni les bêtes, ni les précipices, ni les torrents impétueux. Son père, lui, le destinait à la carrière des armes, disait qu'il ferait un excellent soldat. Mais, en grandissant, Guillaume manifesta de tout autres désirs. Il demanda à consacrer tout son temps à l'étude afin de devenir un savant.

À cette époque les études commençaient à être à là mode, non seulement parmi les fils de famines nobles, mais dans toutes les classes de la société. Il y avait un grand désir d'apprendre ; en France et ailleurs, le peuple sentait son ignorance et soupirait après la lumière. Je crois pouvoir signaler trois faits qui contribuaient surtout à cet état des esprits.

Premièrement, il était arrivé en Italie beaucoup de savants de Constantinople, d'où les Turcs les avaient chassés une trentaine d'années avant la naissance de Farel. Les Grecs, qui possédaient Constantinople avant l'invasion des Turcs, étaient des chrétiens de nom, aussi éloignés de Christ que leurs frères d'occident, bien que supérieurs aux Français et aux Italiens quant à l'instruction. Lorsque les Turcs arrivèrent en Europe, les savants grecs se réfugièrent en Italie, emportant avec eux les livres de la bibliothèque de Constantinople. Malheureusement la plupart de ces écrits étaient ceux d'anciens philosophes et poètes païens de la Grèce qui ne pouvaient être d'aucun profit pour le bien des âmes, mais Dieu fait servir toutes choses à ses desseins bénis. Le désir de pouvoir lire les livres des savants fugitifs poussa beaucoup de personnes à apprendre le grec ; des écoles où l'on enseignait cette langue s'ouvrirent à Paris et attirèrent une foule d'étudiants. On pouvait voir, pendant les nuits d'hiver, des vieillards, des jeunes gens, même de jeunes garçons, traverser les rues en tenant un chandelier d'une main et un gros cahier de notes dans l'autre. C'est ainsi que se préparaient les voies par lesquelles le Nouveau Testament dans l'original grec devait se répandre rapidement avant d'être traduit dans toutes les langues de l'Europe.

Cette remarquable soif d'instruction fut encore excitée par un second fait. Peu avant l'époque dont nous parlons, les Maures, qui possédaient depuis des siècles une partie de l'Espagne, en furent expulsés par les soi-disant chrétiens espagnols. Ces Maures étaient des Mahométans comme les Turcs ; les sciences étaient en grand honneur parmi eux ; ils semblent les avoir reçues surtout des Juifs qu'ils encourageaient à vivre dans leurs états. Les Juifs avaient d'anciens livres appelés la Cabale qui contenaient des choses fort curieuses ; ils avaient aussi l'Ancien Testament en hébreu et en avaient fait de nombreuses copies ; de sorte que tandis que les chrétiens étaient privés de la Bible, les Juifs en avaient une partie et la connaissaient très bien. Du moins ils en avaient la connaissance qui vient de l'intelligence naturelle, mais non celle que donne l'Esprit de Dieu, qui est la seule efficace.

Quand les chrétiens s'emparèrent du territoire des Maures, ils commencèrent une persécution terrible contre les Juifs qui s'y trouvaient. Beaucoup d'entre eux furent mis à la torture, brûlés vifs et massacrés de diverses manières. En 1492, 800.000 Juifs furent bannis de l'Espagne et dispersés dans toute l'Europe, emportant avec eux leurs livres cabalistiques et leurs copies de l'Ancien Testament. Les moines dominicains se signalèrent parmi leurs plus acharnés persécuteurs Un million de volumes juifs et maures furent brûlés à Grenade. Quatre-vingt mille manuscrits juifs furent aussi brûlés par les ordres du cardinal Ximénès. Mais il arriva le contraire de ce que voulaient le clergé et les moines ; la curiosité s'éveilla, et chacun voulut savoir ce que contenaient les livres défendus. Les Juifs seuls, écrivait en 1494 Reuchlin, un savant allemand qui avait étudié leurs livres, les Juifs seuls ont conservé quelque connaissance du nom de Dieu.

En vain les prêtres avertissaient le peuple que quiconque apprenait l'hébreu se trouvait immédiatement transformé en Juif, et que le grec était une langue d'invention nouvelle dont tout chrétien devait se méfier. Ils ne réussissaient pas à arrêter le mouvement et beaucoup de personnes se mirent à apprendre l'hébreu aussi bien que le grec. Si vous lisez la biographie de Thomas Platter, vous verrez comment ce jeune homme, qui vivait du temps de Farel et qui avait gardé les chèvres dans les montagnes, copia toute une grammaire hébraïque et donna jusqu'à son dernier sou pour acheter un Nouveau Testament. Dieu préparait donc les voies pour l'Ancien aussi bien que pour le Nouveau Testament, mais jusqu'alors on ne savait que copier les livres à la main et ils n'auraient jamais pu se répandre facilement, si Dieu dans sa Providence n'y avait pourvu.

Ceci m'amène à vous parler du troisième fait qui contribua puissamment à mettre les études à la mode, comme dit Thomas Platter. Vers le milieu du quinzième siècle, l'art de l'imprimerie fut découvert ; avant l'an 1500, quatre millions de volumes furent imprimés, et dix-sept millions dans les trente-six années qui suivirent. C'étaient les premiers rayons de lumière qui commençaient à éclairer les hommes ; Satan excita en vain les ennemis de Dieu, ils ne réussirent pas à les éteindre et cependant de 1480 à 1488 les persécutions furent continuelles en Espagne. Les Juifs furent cruellement éprouvés, mais les persécuteurs tournèrent aussi leur fureur contre les personnes qui avaient commencé à lire la Parole de Dieu. En 1481, à Séville seulement, deux mille hommes et femmes furent brûlés par les dominicains. Pour sauver les âmes et remettre en lumière l'Évangile de Dieu, il ne suffisait pas d'avoir retrouvé la Bible, ni de savoir le grec et l'hébreu car les Juifs qui lisaient si diligemment l'Ancien Testament demeuraient aussi aveuglés que jamais. La Bible seule, sans l'enseignement de Dieu le St-Esprit, est un livre scellé. Or le St-Esprit n'habite que dans des temples vivants, dans le cœur des croyants, et s'il n'y avait point de vrais croyants, le monde serait plongé dans les ténèbres, lors même qu'il serait rempli de Bibles. C'est pourquoi Dieu ne préparait pas seulement les moyens de répandre sa Parole, mais aussi des hommes qui la comprissent et qui, étant remplis du St-Esprit, prêchassent la bonne nouvelle. Cependant les premières lueurs du jour avaient seules commencé à poindre ; des imprimeurs travaillaient sans relâche ; malheureusement ils ne publiaient que des Bibles ou des psautiers en latin, des livres de messe ou des classiques païens. Aussi Guillaume Farel et les autres hommes choisis du Maître étaient-ils encore dans l'aveuglement. Dieu seul pouvait dire : « Que la lumière soit » et quand vint le temps, la lumière parut. Mais le temps n'était pas encore venu, les Turcs et les Juifs incrédules avaient été employés de Dieu à leur insu ; plus tard le Maître enverra des ouvriers qui travailleront par amour pour Lui et dans la puissance du St-Esprit.

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