Vie de Guillaume Farel

7. Comment les ténèbres augmentèrent

Farel continue ensuite en nous montrant que la protection de l'empereur Constantin fut fatale à l'Église « Car, dit-il, les chrétiens, qui se virent loués et approuvés, perdirent l'habitude de sonder diligemment les Écritures, de sorte que les hérétiques ont plus servi et profité à plusieurs grands et bons personnages que ceux qui les ont favorisés, en tant que les hérétiques furent cause qu'on étudia les Écritures afin de pouvoir les réfuter. » Plus Guillaume lisait les Pères, plus ceux-ci baissaient dans son estime. « Ambroise, dit-il, nous raconte les propos d'Hélène, à laquelle, si elle a parlé ainsi, on aurait pu dire à bon droit de se taire et de ne pas parler comme une sotte... hélas ! nous voyons en lisant les Pères qu'on s'est égaré non pas seulement en ces derniers temps, où l'ignorance, l'idolâtrie et la révolte contre Jésus-Christ sont parvenues à leur comble, et où nous avons pu voir les aveugles conduits par d'autres aveugles... mais déjà dans les premiers temps après les apôtres. Les Églises s'étaient fort multipliées et il y avait des hommes de grand savoir et de grande piété qu'on admirait fort pour leur sainte conduite. Mais cela n' empêche pas qu'ils ont lourdement failli en mettant en avant des choses que la Parole de Dieu n'ordonne point...

Ceci doit nous servir d'avertissement, afin que nous ne souffrions ni ne permettions aucune chose que Dieu n'a pas commandée. Car nous ne pouvons avoir des règlements plus convenables que ceux qui nous ont été donnés par Jésus-Christ lui-même... et nous ne pouvons suivre personne de plus sage que Lui. Si toutes les ordonnances de Moïse ont dû céder la place à Jésus-Christ, combien plus n'ôterons-nous pas les choses qui ont été inventées après Jésus-Christ. Qu'il nous soit suffisant de n'avoir que les pasteurs que Lui-même envoie, la doctrine telle qu'Il l'a donnée, que les lieux de culte soient propres et convenables, que ceux qui sont reçus à la Cène du Seigneur soient dans les conditions requises par l'Évangile et que tout soit fait selon la pureté évangélique. Si Jésus-Christ et ses ordonnances ne suffisent pas à maintenir le respect et le bon ordre dans les assemblées, qui pourra s'en charger ?... Tout ira bien quand Jésus-Christ seul et ses saints commanderont et régneront dans l'Église. »

Les prêtres essayaient de répondre aux raisonnements de Farel ; les uns défendaient le signe de la croix, déclarant que c'est un fait avéré qu'il chasse Satan.

« Et où, je vous le demande, répondait Farel, où le diable est-il plus présent que dans la personne du pape qui porte cependant trois croix sur la tête et qui en est couvert jusque sur ses pantoufles ? Où le diable est-il plus présent que dans l'office de la messe dans lequel on voit plus de croix qu'à tous les autres services ? »

D'autres prêtres faisaient observer que les Pères n'avaient point dit qu'il fallût adorer la croix elle même, mais seulement qu'elle représentait Christ.

« Il ne sert à rien, répondait Guillaume, d'essayer d'excuser et de colorer leurs paroles ; il vaut bien mieux convenir qu'ils ne parlaient point selon les Écritures. Les figures et les types de l'Ancien Testament se sont évanouis quand Jésus-Christ a paru, parce qu'Il était la réalité dont ces figures n'étaient que l'ombre. De même, puisque l'Évangile nous parle en termes si clairs et si simples, devons-nous appeler les choses par leur nom et ne point faire comme les Pères, car il n'y aurait pas eu autant d'erreurs et d'égarements s'ils n'avaient fait si grand usage de la manière de parler de l'Ancien Testament ; tels sont, par exemple, ces mots d'autels, sacrifices, immolations et tant d'autres qu'ils emploient si souvent. Je vous prie de considérer quelle convenance il y a à dire que la croix est l'espérance des chrétiens, si c'est de la croix et non de Christ que nous voulons parler. C'est un blasphème. Et comment pourrait-il s'agir de Christ lorsque nous voyons la croix mêlée à des diadèmes, des ornements et autres choses semblables. Car Jésus Christ n'a rien à faire avec les accoutrements et les parures mondaines. »

« Si nous sommes des chrétiens rassemblés en son nom, il faut que nous ne soyons plus du monde, mais de nouvelles créatures. Car Christ n'est pas de ce monde, Il a laissé le monde et Il s'en est allé au Père Mais ces théologiens, pour soutenir leur fausse doctrine, mettent la croix à la place de Celui qui est mort, à la place du sang précieux qui peut seul laver nos péchés. Celui qui croit en Lui a la vie éternelle. Puissions-nous tous croire et recevoir ce bon Sauveur Jésus pour notre Rédempteur et notre Libérateur par la foi Remercions donc ce bon Père qui nous donne un si excellent Sauveur dans lequel nous mettons toute notre confiance, n'ayant que faire du bois de la croix, pas plus que d'Hérode, de Pilate ou des autres bourreaux du Seigneur... car le Saint Esprit enseigne aux chrétiens qu'ils sont morts au péché, vivants à Christ, ressuscités en vie nouvelle, et qu'étant ainsi ressuscités, ils doivent chercher les choses qui sont en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu, et penser aux choses du ciel et non point à celles qui sont sur la terre. »

Les docteurs de Paris furent indignés que Farel osât prétendre que les Pères étaient tombés dans l'erreur « Ne craignons pas de contredire qui que ce soit, disait Farel, si leurs paroles ne peuvent être prouvées par les Écritures, mais plutôt disons : Toi, Seigneur, Tu es le seul qui ne se trompe point. Il n'y a rien en ta Parole que vérité et droiture ; tes commandements sont bons, purs, parfaits, rien ne peut être bon sinon ce qui est fait selon ta Sainte Parole... Et que par cette Parole on condamne même les plus saints et les plus sages dans ce en quoi ils ont failli. Qui ne condamnerait pas l'idolâtrie de Salomon ? Sa sagesse ne doit point nous empêcher de détester son péché. Qui voudrait excuser les péchés de David ? Sa grande piété et bonté ne peuvent nous empêcher de dire qu'il a failli. Prenons donc garde à nous-mêmes et fussions-nous comme des anges de Dieu, ne lâchons jamais la bride à nos actions, nos paroles et nos pensées, mais jugeons-les toujours d'après la Parole de Dieu. »

Mais les docteurs de Paris n'étaient nullement disposés à admettre la pleine suffisance de la Bible.

« Au contraire, dit Farel, ils préfèrent les livres des Pères qui sont souvent aussi contraires à la Bible que la chair l'est à l'Esprit. Au lieu de se contenter de la Bible, ils y ajoutent autre chose, comme si l'on essayait d'orner de l'or et des pierres précieuses avec de la fange et du fumier. Au lieu de s'occuper à enseigner par la Parole de Dieu, ils se sont égarés à la poursuite des rêveries humaines, des Hélène, des morceaux de bois, avançant des choses qui ne sont point dans la Sainte Écriture... Ainsi est venue la ruine dans l'Église et il faut être bien aveugle pour ne pas voir cette ruine, ou bien lâche et méchant pour ne pas s'efforcer d'en retirer les âmes. Ceux qui veulent soutenir la méchanceté actuelle, s'arment de l'excuse que ces coutumes sont anciennes et viennent de forts, grands et bons personnages... et le plus souvent ceux-là mêmes qui désirent le plus que Dieu soit servi en pureté n'osent rien dire contre les Pères. Si les Églises n'avaient jamais rien accepté qui ne fût contenu dans la Sainte Écriture, nous ne serions pas maintenant dans des abîmes d'erreurs et de superstitions qui surpassent tout ce qu'on a jamais vu auparavant. »

Quelques-uns des docteurs les plus éclairés de Paris convinrent qu'on devrait expliquer au peuple que l'adoration ne s'adresse pas aux images et aux croix. Il est facile, dirent-ils, d'expliquer qu'on ne doit adorer que Dieu seul. C'est la faute du peuple et non des croix s'il est idolâtre, pourquoi donc supprimer les croix et les images ? Défendons seulement qu'on les adore. « Le bon roi Ézéchias vous condamne en ceci, répondait Farel, car lorsqu'il a vu que le peuple rendait honneur et service divin au serpent d'airain, il ne s'est point fait de scrupule de l'abattre ; il ne s'est pas contenté de défendre au peuple de l'adorer. Cependant ce serpent avait été fait par Moïse comme signe de la plus grande œuvre que Dieu ait faite, à savoir la rémission de nos péchés. Néanmoins, Ézéchias le mit en pièces et lui donna un nom de mépris qui veut dire : ce morceau d'airain. Les serviteurs de Dieu sont à bien plus forte raison tenus de s'élever contre tout ce qui a été introduit et inventé de contraire au pur Évangile, car celui-ci est bien plus excellent que la Loi, et l'adoration en esprit et en vérité doit être plus pure que celle qui se faisait sur la montagne. »

Farel ne comprit pas en même temps toutes les vérités que nous venons d'exposer ; il lui fallut des mois et des années pour apprendre et désapprendre tant de choses. Toutefois, lorsqu'il eut saisi que tout ce que l'homme ajoute à la Parole de Dieu est mauvais, ses erreurs papistes disparurent une à une. J'ai cru devoir insister sur ce sujet pour un motif qui devrait nous remplir de honte et de tristesse.

Il s'est écoulé plus de quatre cents ans depuis que Farel enseigna la nécessité de n'avoir d'autre fondement que la Parole de Dieu ; mais, hélas ! ses enseignements sont oubliés, et si l'on y revenait, combien de choses ne faudrait-il pas abolir, non seulement dans les contrées papistes, mais aussi chez les réformés !

Les efforts de Farel ne réussirent qu'auprès d'une faible minorité, et de nos jours il ne trouverait pas beaucoup plus d'auditeurs disposés à retourner aux Écritures et à délaisser tout ce qui n'y est pas contenu. Le cœur de l'homme est le même à présent qu'en 1520, et le monde n'est pas moins « inimitié contre Dieu », ni Satan moins actif.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant