Vie de Guillaume Farel

10. Jours heureux à Meaux

Guillaume Farel prêchait à Meaux, faisant retentir « sa voix de tonnerre » partout, dans les rues, sur les marchés, dans les salles qu'on lui prêtait. Le peuple se rassemblait en foule pour entendre ses paroles, si nouvelles et si bénies. Il apprenait avec étonnement qu'au lieu de donner son argent aux prêtres et aux moines, il n'avait qu'à recevoir les richesses insondables de Dieu. « Si nous considérons la mort de Jésus-Christ, disait-il, nous verrons qu'en elle tous les trésors de la bonté et de la miséricorde du Père sont manifestés.

Tous les pauvres pécheurs doivent être incités et invités à venir à ce bon Père tant charitable qui a tant aimé le monde qu'Il n'a point épargné son Fils, mais l'a donné pour sauver le monde. N'y voyons-nous pas aussi la preuve que tous doivent être incités très ardemment à venir au lis duquel la charité est si grande qu'Il donne sa vie, son corps, son sang en sacrifice parfait pour la rançon de tous ceux qui croiront en Lui ! Car c'est lui qui appelle tous ceux qui sont travaillés et chargés, promettant qu'Il les soulagera. C'est Lui qui exauça si charitablement le misérable brigand, lui répondant : « Je te dis » en vérité, qu'aujourd'hui tu seras avec moi en paradis » C'est Lui enfin qui, ayant pitié et compassion de ses ennemis mortels, prie pour eux Dieu son Père, disant. « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font... » Pendant qu'Il endurait cette passion si douloureuse, Il travailla dans le cœur de ce malheureux brigand pour l'inciter a se retourner vers Jésus-Christ ; c'est alors aussi qu'Il a contraint ces méchants soudards italiens et leur capitaine à se frapper la poitrine, confessant que Jesus-Christ était le Fils de Dieu.

Finalement, si nous consacrons attentivement cette mort et passion de Jésus-Christ, nous verrons bien clairement que par elle le voile du temple s'est déchiré du haut en bas, afin que tout ce qui était caché en des lieux où personne n osait entrer, soit révélé par la mort de Christ et que les fidèles y eussent accès et entrée en pleine harmonie de foi, venant au trône de la grâce pour obtenir pleine miséricorde. Car Jésus-Christ, Lui le vrai Fils de Dieu, s'est tellement humilié et abaissé, qu'II est mort pour nous, Lui le Juste pour les injustes et les iniques, offrant son corps et son sang pour la purification de nos âmes. Et le Père veut que, par le précieux don de son sang, nous soyons certains de notre salut et de notre entière justification. Or le Père, pour l'amour de Lui-même et non pas pour l'amour de nous ni de nos œuvres, mérites et justices (qui ne sont que des abominations), nous sauve, nous vivifie, faisant de nous ses fils, entiers avec Christ. Notre bon Père donc, pour l'amour de Lui-même et afin que son conseil subsiste, a voulu sauver et vivifier ceux qu'II a appelés à la vie, sans avoir égard à celui auquel il a fait grâce, à ses œuvres ni à son point de départ, mais Il lui pardonne toutes ses fautes et tous ses péchés, le délivrant par son très cher Fils qu'II a donné pour de misérables prisonniers du Diable.

Le péché, la rébellion contre la loi de Dieu habite en eux et a domination sur eux. Mais le bon Dieu et Père de miséricorde prend le pécheur pour son enfant adoptif, pour son héritier, cohéritier avec Jésus-Christ, le renouvelle par la foi et lui donne les arrhes de l'Esprit qui le fait membre du corps de Christ, un avec Lui. Quiconque connaît et comprend ceci par une foi vivante et vraie, possède la vie éternelle. Le Saint-Esprit unit les croyants à Christ et les fait membres de son corps, selon qu'ils ont été élus pour la vie dès la fondation du monde.

Par la puissance divine, nous sommes remis en plus noble état que jamais ne fûmes avant le péché d'Adam au paradis, car nous avons le paradis céleste et la vie, non pas une vie corporelle et corruptible qu'on peut perdre, mais spirituelle et sans corruption qu'on ne perdra jamais. Celui qui croit en Dieu a la vie éternelle, et il ne regarde plus aux choses visibles ; mais connaissant le Père par le Fils, il comprend la grande bonté de Dieu et sa miséricorde infinie. Ne craignons donc point d'exposer nos corps pour la gloire de notre Père, de mettre cette vie corruptible au service de son Évangile. Car II nous donnera en échange une vie tellement plus excellente qu'on ne saurait en faire l'estimation... O jour d'allégresse, de triomphe, de tout bien et de toute consolation, bonheur et joie, quand ce grand Sauveur reviendra !... Lui qui en son corps a tant souffert, les coups, les crachats, les flagellations, tellement cruellement maltraité que son visage en était tout défait !... Il appellera les siens qui sont participants de son Saint-Esprit, et dans lesquels Il habite par l'Esprit ; Il les introduira dans la gloire, leur apparaissant dans son corps glorieux et faisant que leurs corps qu'ils ont laissés en partant de ce monde soient ressuscités en vraie vie immortelle et gloire éternelle, faits semblables a Jésus pour régner éternellement avec Lui en tout bien et toute joie inexprimable... La pleine révélation de la gloire des élus... après laquelle toute créature soupire, sera en l'avènement triomphant de notre Sauveur, quand tous ses ennemis seront mis sous ses pieds et toutes choses lui seront assujetties : alors les élus iront au devant de notre Seigneur en l'air, et là sera manifestée la très grande puissance de notre Seigneur, qui sera admiré dans tous les saints... et comme dans le corps de sa gloire il n'y a ni mort, ni faiblesse, de même ses membres dans leurs corps glorifiés se présenteront sans ombre devant le Père, étant parfaits en Christ. »

J'ai cru utile de rapporter autant que possible les propres paroles de Farel, afin de faire connaître quel Évangile il prêchait. Quatre siècles se sont écoulés depuis lors et la Bible a été répandue partout. Mais pouvons-nous dire qu'il y ait beaucoup de personnes à présent qui soient aussi bien enseignées du Saint-Esprit que Guillaume Farel l'était, qui sachent comment le pécheur est sauvé et pourquoi il l'est ? Ne trouvons-nous pas souvent des âmes qui sont passées de la mort à la vie, mais qui n osent pas se croire assurées de leur salut ? Permettez-moi de vous demander si vous connaissez la portée de ces paroles de Farel : « Le Père pour l'amour de Lui-même et non pour l'amour de nous nous sauve et nous donne la vie éternelle. » Si vous ne comprenez pas encore ces paroles bénies, laissez-moi vous supplier de relire le chapitre XV de Luc, en demandant à Dieu qu'II vous révèle les trésors d'amour cachés, ou plutôt manifestés dans les enseignements du Christ, révélés par le grand amour de Dieu, mais cachés à la multitude par le voile d'incrédulité qui l'aveugle. Paul nous parle (2 Cor. IV) d'un évangile caché, mais il n'est voilé qu'aux yeux de ceux qui périssent, parce que Satan les a aveuglés, comme il s'efforce sans cesse de le faire, et quand il n'y réussit pas tout à fait, il cherche tout au moins à obscurcir et affaiblir la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu. Il nous voile cette merveilleuse vérité que c'est pour l'amour de Lui-même que Dieu nous a sauvés et nous a donné une place dans la gloire. C'était avec un étonnement mêlé de joie que les habitants de Meaux entendaient parler de « l'amour qui surpasse toute connaissance ».

Les ouvriers cardeurs de laine dans les manufactures, les commerçants, les paysans, remplissaient les salles et les églises où l'on enseignait la vérité. L'évêque lui-même prêchait assidûment, il disait au peuple que ces doctrines, soi-disant nouvelles, étaient celles qu'avaient prêchées Christ et les apôtres. Il suppliait ses auditeurs de croire ces vérités et de les retenir. « Oui, disait-il, si quelqu'un s'oppose à vous, même si moi votre évêque, j'allais renier Christ et abandonner la doctrine que je prêche maintenant, ne me suivez pas ! La Parole de Dieu ne peut changer, soyez fidèles jusqu'à la mort, s'il le faut. »

Sans négliger la prédication, Faber avait trouvé le temps d'achever la traduction française des quatre Évangiles ; ce fut alors qu'il les publia L'évêque de Meaux n'épargna ni l'or ni l'argent pour répandre partout cette portion de la Bible, toute la ville se mit à la lire ; le dimanche et les jours de fête, les gens se réunissaient pour en faire la lecture et en parler ensemble. Les paysans l'emportaient dans leurs champs, les artisans interrompaient le mouvement de leurs machines pour la lire. Briçonnet la fit distribuer parmi les faneurs et les moissonneurs qui venaient des autres provinces au moment des travaux agricoles. Ainsi l'Évangile se répandit au loin dans les villes et les villages où la bonne semence leva et porta du fruit. À Meaux, d'heureux résultats ne tardèrent pas à se manifester ; les jurements, dit-on, les querelles, l'ivrognerie devinrent presque inconnus dans la ville, en revanche on y entendait les louanges de Dieu et de pieuses conversations. L'évêque ne se contenta pas de répandre la Parole de Dieu dans son propre diocèse, il envoya les épîtres de Paul en français a la princesse Marguerite, qui se trouvait bien isolée après le départ de ses amis pieux. Briçonnet la supplia de montrer les épîtres à son frère et à sa mère ; il est probable que la princesse le fit, mais hélas ! sans autre résultat que d'aggraver leur condamnation !

Pendant ce temps, ceux qui avaient reçu le salut à Meaux, commencèrent à exhorter leur entourage ; quatre de ces nouveaux croyants se distinguèrent surtout comme témoins de Christ. C'était d'abord Jacques Pavannes, un jeune étudiant que l'évêque avait invité à venir en séjour à Meaux. On nous le décrit comme doué de la plus grande témérité et de la plus grande droiture. Puis il y avait Pierre et Jean Leclerc, deux jeunes cardeurs de laine, dont le père était un papiste bigot ; mais leur mère avait cru à l'Évangile. Enfin, il y avait un pauvre homme dont le nom n'est point parvenu jusqu'à nous, il est désigné comme « l'ermite de Livry ». Il avait cherché à sauver son âme par de bonnes œuvres, en allant s'établir en ermite dans la forêt de Livry, non loin de Paris. Cet homme pourvoyait à sa subsistance en mendiant de porte en porte. Mais un jour, il rencontra des habitants de Meaux qui lui offrirent quelque chose de meilleur que « la viande qui périt ». Ce jour-là l'ermite s'en retourna riche dans sa retraite ; il continua à y demeurer, mais s'il parcourut encore les campagnes, ce fut pour donner et non pour recevoir. Il allait de maison en maison, faisant part gratuitement de ce qu'il avait reçu « sans argent et sans aucun prix », c'est-à-dire parlant à tous du Seigneur Jésus-Christ et du pardon complet que Dieu accorde à tous ceux qui croient en Lui, pardon que Christ a acheté au prix de Son sang. Avec le temps, la cabane de l'ermite devint le rendez-vous de tous ceux qui étaient oppressés par le poids de leurs péchés et qui allaient demander à l'ambassadeur de Christ ce qu'il fallait faire pour être sauvé.

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