Vie de Guillaume Farel

13. Pas un lieu où reposer sa tête

Revenons à Guillaume Farel. La nouvelle du changement opéré en lui était parvenue jusque dans son village, où sa famille apprit avec effroi qu'il se disposait à rentrer. Bientôt il arriva en effet. Mais pour lui tout est changé. Il ne voit plus dans sa bien-aimée patrie que les âmes périssant dans les ténèbres loin du Sauveur. Guillaume se mit tout de suite à proclamer le message béni qu'il apportait de la part de Dieu. Ce qu'il avait prêché à Paris et à Meaux, il l'annonçait maintenant aux Farelles, à Gap et dans tous les villages environnants. Il prêchait dans les rues et dans les champs, dans les moulins et dans les fermes, sur les rochers du bord de la rivière et sur les pentes des montagnes. Partout où il pouvait réunir deux ou trois personnes, on le trouvait la Bible à la main, enseignant et annonçant Jésus-Christ.

Au bout de peu de temps, ses frères Daniel, Jean-Jacques, Gauthier et Claude crurent à l'Évangile. Les prêtres étaient furieux. Quoi ! un jeune homme, un laïque, prêcher ainsi et répandre l'hérésie dans tous les lieux ! « Il n'est ni prêtre ni moine ! » s'écriait l'évêque de Gap. Bientôt Farel fut cité à comparaître devant les magistrats et devant ce même évoque ; il fut banni. Mais on ne peut bannir la Parole de Dieu. Farel l'avait proclamée et beaucoup de personnes, outre les frères de Guillaume, se convertirent à cette époque. Du nombre était probablement un jeune garçon nommé Antoine Boyve, natif du Dauphiné.

Il y avait aussi des âmes qui avaient reçu la bonne nouvelle avant l'arrivée de Farel, et voici par quel moyen. Non loin du manoir des Farelles s'élevait celui du Chastelard, qu'habitait une famille du nom de Coct. Le vieux seigneur du Chastelard avait plusieurs fils, le second s'appelait le chevalier Anémond. Ce jeune homme avait beaucoup voyagé ; il paraît avoir rencontré Farel ; ils s'étaient sans doute connus dans leur enfance comme voisins, et retrouvés plus tard à Paris. Farel avait appris au chevalier Anémond à connaître Jésus-Christ. De retour dans ses montagnes, le jeune chevalier avait annoncé l'Évangile autour de lui ; parmi ceux qui crurent à sa parole se trouva un prêtre de Grenoble, nommé Pierre Sebville. Ce prêtre annonçait déjà la bonne nouvelle avec une grande puissance lorsque Guillaume arriva en Dauphiné. On nous dit que c'était un prédicateur très éloquent, d'un cœur honnête et bon, ne prenant conseil ni du sang ni de la chair.

Le chevalier Anémond était absent lorsque Farel arriva ; au moment où ce dernier quittait Meaux, le jeune chevalier partait pour Wittemberg afin de faire la connaissance de Luther. De là, il s'était rendu à Zurich, pour voir Zwingli.

Zwingli était prédicateur de la cathédrale de Zurich depuis 1518. Étudiant la Bible assidûment, la lumière se fit dans son esprit, et il se sentit pressés de combattre hardiment quelques-unes des erreurs du papisme. Il est probable que Zwingli n'attaqua tout d'abord l'Église de Rome que parce qu'il trouvait ses superstitions opposées à la raison et au bon sens, mais je doute qu'il fût déjà passé de la mort à la vie, bien qu'on l'accusât de pencher vers la Réforme. Hélas ! il est facile d'être protestant, de voir en quoi le papisme est absurde, sans avoir la foi en Christ ni l'amour de Dieu. Il y avait alors beaucoup de gens (il y en a encore de nos jours) qui savaient discourir contre les erreurs du papisme, mais dont les cœurs étaient aussi éloignés de Dieu et aussi inimitié contre Lui que ceux des papes et des moines.

En 1519, Zwingli fut amené au Sauveur par une grave maladie, et, au moment où Farel quittait Meaux il faisait enlever les images et les reliques des églises de Zurich et des villages environnants. C'était un grand pas, mais il gardait encore la messe et quelques autres formes romaines, non qu'il y tint lui-même, mais parce qu'il craignait les prêtres.

Le réformateur de Zurich possédait un haut degré de sagesse et de modération. Farel aurait pu dire de lui que c'était la prudence de la chair ; mais si Zwingli a trop cédé à la prudence charnelle, Farel n'a pas toujours su se garder du zèle et de l'énergie de la chair. Sous ce rapport, l'enfant des Alpes dauphinoises et celui des montagnes du Toggenbourg sont aux deux extrêmes.

Zwingli jouissait d'une grande popularité ; habile à éviter ce qui pouvait irriter les hommes, il agissait toujours prudemment. Farel aurait pu avoir plus de la patience et de la douceur du Christ. Cependant la bénédiction promise dans Luc VI, 22 : « Vous êtes bienheureux quand les hommes vous haïssent à cause du Fils de l'homme », était souvent le partage de Farel. Il n'y a eu qu'un seul Serviteur de Dieu qui ait été parfaitement doux et parfaitement courageux, aussi exempt de la prudence de la chair que de sa vivacité ; nous en chercherions en vain un second.

Farel continua à prêcher avec zèle pendant quelques mois dans les villages du Dauphiné ; il connaissait chaque rocher et chaque caverne. Exercé dès son enfance à escalader les montagnes, il lui était donc facile de trouver des lieux de refuge. « On m'avait bien averti, dit-il, que les épreuves, les persécutions et les ruses de Satan ne manqueraient pas de m'assaillir, mais je n'aurais pu les supporter par ma propre force et sans Dieu qui est mon Père. Il m'a fourni et me fournira toujours la force dont j'ai besoin. »

Pendant que Farel était dans la joie à la vue des multitudes de pécheurs qui se convertissaient, Dédier et Duprat n'avaient point oublié ce « brandon de discorde » qui leur avait échappé. Ils envoyèrent des ordres à l'évêque de Gap afin qu'on se mit à la recherche du prédicant hérétique. Mais Farel fut introuvable ; se dirigeant à l'ouest, il avait traversé les Cévennes et s'était rendu dans la Guyenne. Là il prêcha quelque temps, mais les prêtres et les moines eurent bien vite l'éveil ; Farel, de nouveau poursuivi par une nuée d'ennemis, s'échappa encore de leurs mains. Son ami Anémond de Chastelard le supplia de venir le rejoindre en Suisse. Farel se mit en route à travers mille dangers, se cachant dans les bois et les fentes des rochers ; enfin grâce à la protection de Dieu, il arriva sain et sauf à Bâle, en décembre 1523.

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