Vie de Guillaume Farel

53. Le bras de l'Éternel et le bras de la chair

Une année s'était écoulée depuis que Farel avait été chassé de Genève. Les Eidguenots avaient bien progressé depuis lors. Beaucoup d'entre eux s'étaient réellement tournés vers Dieu ; la lumière avait augmenté, la foi s'était développée. Cependant les chrétiens genevois comptaient encore trop sur la force et la puissance humaines.

Ils avaient confiance en Dieu, mais aussi et peut-être autant dans la protection de Berne. N'est-ce pas aussi notre tendance à tous et en condamnant les Eidguenots, ne nous condamnons-nous pas nous-mêmes ! Ce ne sera pas sans utilité pour nous de lire ce que Farel écrivait quelque temps auparavant aux évangéliques de Genève :

« Grâce, paix et miséricorde vous soient de la part de Dieu notre Père et par notre Seigneur Jésus-Christ, lequel est mort pour nous et maintenant règne en puissance à la droite de Dieu son Père, devant lequel tout genou se ploiera. Très chers frères, lesquels j'aime en notre Seigneur de tout mon cœur... Je prie le Seigneur d'accroître votre foi et de vous donner un cœur entier et parfait qui ne regarde pas aux choses d'ici-bas mais à celles d'en haut, non seulement à ce que l'œil charnel voit présentement et contemple, mais à ce que l'esprit et la foi connaissent et savent avoir été fait et promis par notre Seigneur. Il Lui a plu de vous laisser demander l'aide du bras de la chair pour venir plus facilement et sans trouble à l'avancement de l'Évangile. Cela ne déplaît point à Dieu, si tout en ne s'appuyant que sur Lui, on emploie ses bonnes créatures (hommes de bien) qu'il a établies pour punir les mauvais et défendre les bons. Mais autant que je puis le comprendre, le Seigneur voulant faire une très grande œuvre, veut Lui seul en avoir la gloire et l'honneur. Il veut faire en vous comme en ce bon et fidèle Abraham, lequel contre espérance a cru à espérance, sans douter en rien des saintes promesses de Dieu. Imitez-le, je vous prie, mes très chers frères, et vous verrez la gloire et la puissance de Dieu...

Je sais bien que tous les ennemis vous assiègent et vous environnent comme autrefois le bon prophète Élisée, tellement que son serviteur qui ne voyait pas l'aide qui assistait le prophète, tout épouvanté et comme à demi-mort, s'écriait de frayeur. Mais pour l'honneur de Dieu, mes très chers frères, ne soyez pas comme ce serviteur perdant courage. Dites plutôt : Le Seigneur est notre aide, de qui aurons-nous peur ? Si toutes les armées viennent contre nous, nous ne craindrons point, car notre Seigneur est avec nous. Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Ne regardez point à l'armée des Syriens, mais à celle de Dieu... Si les hommes n'ont point voulu ouïr notre ambassade (probablement quelque tentative d'alliance avec Berne ou avec d'autres voisins) pensez à ce que ce serait si le très puissant Roi du ciel ne nous voulait ouïr, ainsi qu'Il l'a dit : Qui aura honte de moi devant les hommes, j'aurai honte de lui devant mon Père. Que ce sera terrible de s'entendre dire : Allez, maudits, au feu éternel. Qui pourrait dépeindre l'angoisse, l'effroi, le désespoir de ceux auxquels Il redemandera la grosse somme que toutes les créatures ensemble ne pourraient payer. Le Sauveur seul pouvait acquitter cette dette et c'est ce qu'Il a fait !

Si donc, mes très chers frères, vous craignez tant les hommes, craignez plus encore Dieu et gardez-vous de lui déplaire... regardez au très bon Père pour faire sa volonté... et puisque sans la foi on ne peut plaire à Dieu et que la foi est de ce qu'on entend par la parole de Dieu, écoutez Sa sainte voix, Sa sainte parole, comme de vraies brebis de Jésus, quelque défense que les hommes vous en fassent. Car mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes et plus est à craindre notre Seigneur que l'homme... l'alliance que Dieu a faite avec les fidèles ne peut être rompue ni ébranlée... car notre Seigneur a dit que quiconque touche à ceux qui croient en lui, touche à la prunelle de Son œil... que personne donc n'ait honte de l'Évangile ; faites-le progresser, écoutez-le, parlez-en sans avoir égard à personne et n'écoutant que Dieu seul. Et faites-le en toute modestie, sans injures ni contention... mais recevez les faibles en toute douceur d'esprit, afin que Dieu soit honoré en vous et que votre prochain soit édifié. Sa grâce et la bénédiction de Jésus notre Sauveur soit avec vous tous, amen ! »

Cette lettre était ce que la Bible appelle « une parole dite à propos », car peu de mois avant que Farel l'eût écrite, Zwingli tombait l'épée à la main sur le champ de bataille de Cappel. Il ne s'était pas contenté des armées qu'Élisée voyait sur la montagne et il put se rappeler, mais trop tard, que « celui qui prend l'épée périra par l'épée. » Dieu avait enseigné Guillaume Farel d'une manière bien différente.

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