Vie de Guillaume Farel

58. Lumière et ténèbres

Quand les choses nous semblent désespérées, dit Guillaume Farel, c'est alors que par la vraie foi nous devons nous fortifier et avoir assurance, malgré tout ce que l'homme peut en penser. Car voyez ce qu'il est advenu au fidèle Abraham. Quand a-t-il reçu l'accomplissement de la promesse ? N'est-ce pas lorsque tout espoir, soit en lui, soit en sa femme, avait défailli ? Et quand la dite promesse lui a-t-elle été confirmée, sinon quand le dit Abraham avait levé le couteau pour tuer son fils Isaac ?

Et lorsque vous et moi nous voyons arriver tout le contraire de ce que nous attendions, et que Satan se relève plus puissant que jamais, il faut alors persévérer en notre requête et ne cesser nullement, mais toujours en priant croire que Dieu nous l'accorde et qu'Il nous exaucera pour glorifier son saint Nom... Certes, s'il y a quelqu'un qui doive craindre, c'est moi, car si d'un côté Dieu me promet une bouche et une sagesse à laquelle les adversaires ne pourront résister, de l'autre je suis averti que je serai persécuté et même que ceux qui me mettront à mort penseront rendre service à Dieu... Il est bien vrai qu'un cheveu de ma tête ne tombera point sans le vouloir du bon Père ; comme je l'ai bien souvent éprouvé, me trouvant dans de tels dangers qu'aucun homme n'y aurait échappé sans le secours de Dieu. En accomplissant la tâche qu'Il m'a ordonnée, je suis exposé aux coups et à mourir de mort violente, et je n'ai d'autre refuge que l'invocation à Dieu... Mais j'ai confiance en Dieu qu'Il aura pitié de vous. Si vous mettez votre fiance en Lui, si vous détachez vos cœurs de cette terre et si vous demandez sans cesse l'aide et assistance de Dieu, je suis assuré qu'Il vous exaucera, quand même il y aurait cent mille fois plus de contrariétés et moins d'espoir selon la chair. Car la foi ne regarde qu'aux profondeurs insondables de la bonté de Dieu. »

Grâce à Dieu, les paroles de Farel ne restèrent pas sans effet. Les réformés de Genève se tinrent fermes malgré l'empereur, le duc, l'évêque, le roi de France, les menaces de la Bourgogne et la défection de Berne. Ces héroïques chrétiens étaient prêts à souffrir la perte de toutes choses, excepté celle de Christ et de sa Parole.

La destruction des faubourgs avançait ; les matériaux enlevés aux bâtiments démolis servaient à élever des travaux de fortification. Les Eidguenots se privaient de nourriture pour secourir ceux qui avaient perdu leurs demeures. Le commerce était complètement arrêté, la misère et la famine menaçaient la ville.

« Quoi qu'il vous arrive, dit encore Guillaume Farel, ne vous détournez à aucun prix de Jésus et de sa Parole ; ne vous arrêtez pas, lors même que votre vie, les vôtres et ce que vous avez devrait être fondu et perdu. Car vous ne pouvez faire un meilleur usage de ce qui vous appartient que de le perdre pour l'amour de l'Évangile. Cela vous profitera dans cette vie et dans celle à venir, comme Dieu en a fait la promesse. »

Durant cet hiver, les Genevois perdirent beaucoup des choses de ce monde, mais ils s'enrichissaient dans les choses de Dieu et se trouvaient plus heureux qu'ils ne l'avaient jamais été.

Pour la sœur Jeanne et ses compagnes, tout était triste. Chaque semaine apportait un surcroît de difficultés qui causait aux pauvres sœurs abondance de larmes et d'angoisse ».

Un jour, entre autres, un officier voulut absolument inspecter leur domaine pour voir s'il fallait le fortifier ; un homme de son escorte, un méchant garçon, dit la sœur Jeanne, se lava les mains dans l'eau bénite par moquerie. Ce mauvais garçon, quand il fut dehors, se vanta aussi d'avoir embrassé plusieurs dames, mais il mentait faussement. Le vendredi suivant, mourut un apothicaire de la secte luthérienne dont la femme était bonne chrétienne. Quand elle vit son mari près de la mort, elle fit son devoir en l'admonestant de se retourner vers Dieu et de se confesser. Mais il ne voulut rien en faire et la supplia d'envoyer chercher le maudit Farel. Elle lui répondit que si Farel venait, elle sortirait de la maison pour ne pas être en si mauvaise compagnie, et il mourut ainsi dans son erreur. Son père, qui était chrétien, le fit jeter hors de sa maison et porter au cimetière de la Madeleine, afin que ses complices le prissent pour en faire à leur vouloir, car, quant à lui, il ne l'avouait point pour son enfant ; sa femme aussi ne tint pas plus de compte de lui que d'un chien. »

C'est ainsi que les choses se passaient sur la terre, tandis que « l'apothicaire luthérien » était accueilli dans le ciel en présence de son Sauveur.

Il est utile, en contemplant ce triste tableau du cœur humain, de nous rappeler cette solennelle vérité : l'inimitié contre Dieu règne dans tous les cœurs naturels. Il y a une haine contre le Seigneur Jésus plus forte que toutes les affections naturelles et capable d'étouffer l'amour des parents pour leurs enfants, des maris pour leurs femmes, prouvant ainsi la vérité de ces paroles de Jésus, que « les ennemis d'un homme seront les gens de sa propre maison ».

« Gardez-vous de prendre vos ébats, dit Farel, en médisant des pauvres pécheurs et en vous moquant d'eux. Ne racontez point leurs péchés par moquerie, ni par haine, ni par aucun mauvais sentiment que vous ayez contre les personnes qui pèchent. Mais s'il vous arrive d'en parler, faites que ce soit avec une grande compassion, détestant le péché, mais avec un grand désir que tous en soient retirés.

Car, mes frères, qui sommes-nous, d'où venons-nous, qu'avons-nous de nous-mêmes que tout ne soit pareil aux autres en nous ? La seule différence vient de la grâce de Dieu, qui, au lieu de nous laisser éternellement morts dans nos péchés, allant de mal en pire, comme nous le méritions, nous en a retirés pour nous donner la vie éternelle et pour nous faire marcher de bien en mieux. Mais tout vient de sa pure grâce. C'est pourquoi ne nous devons point en pensant être quelque chose comme de nous-mêmes, mais soyons humbles et regardons d'où nous avons été pris ; remercions Dieu en lui donnant tout honneur et toute gloire, reconnaissant que tout le bien est de lui et procède de lui, tandis qu'il ne vient que du mal de nous. Tout ce que nous faisons et pensons comme de nous-mêmes est mauvais. Ayons donc pitié des pauvres pécheurs et prions Dieu pour eux. »

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