Vie de Guillaume Farel

59. Une lettre qui sera peut-être utile aux lecteurs

Farel plaignait les pauvres pécheurs ; il priait pour eux et il les aimait. Voici une lettre qu'il écrivit à ce sujet à un catholique genevois, probablement un membre de la famille Bernard :

« Mon très cher frère, grâce et salut vous soient donnés de Jésus. J'ai lu la réponse que vous faites à ce que j'ai écrit, et je suis grandement ébahi de ce que vous expliquez comme vous le faites ces paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ : « Je suis le cep et vous êtes les sarments. » Comment avez-vous pu penser que le Seigneur a voulu rappeler par là les deux préceptes desquels dépendaient « la loi et les prophètes », à savoir l'amour de Dieu et du prochain ? je vous prie pour l'honneur de Jésus, qui pour nous est mort, d'avoir sa gloire à cœur en écoutant ce que je vous réponds. Vous savez que la sainte Loi de Dieu régnait avant que Jésus vînt ; cette loi repose sur le commandement d'aimer Dieu et son prochain, par lequel vous dites que nous sommes justifiés. Ceux qui sont justifiés ont le salut, car ils sont agréables à Dieu ; ils deviennent ses enfants et ses héritiers, puisque par leur justification ils sont rendus purs de cœur et par conséquent fils de Dieu. Si donc, en observant la Loi, nous obtenons ce grand bien, pourquoi a-t-il fallu que Jésus vînt ? Ne serait-il pas mort en vain ? (Galates 2)

En vérité, tout ce que le saint apôtre cite aux Romains et aux Galates, pour montrer que nous sommes sauvés par la foi en Jésus et non par la loi, serait condamné par ce que vous dites. Relisez, je vous prie, les chapitres 3 et 4 aux Romains et pensez-y en priant notre Seigneur qu'il vous donne la pleine intelligence, et vous verrez combien vous vous êtes fourvoyé. De sages et savants zélateurs de la Loi l'ont comprise et enseignée comme vous, mais saint Paul, parlant par le Saint-Esprit, leur a résisté énergiquement, montrant comment le plus excellent des Pères, Abraham, a été justifié par la foi et non par la Loi.

C'est aussi ce que David affirme en disant que « bienheureux est l'homme dont les péchés sont couverts et auquel Dieu n'impute pas ses iniquités. » Autrement, si la Loi nous donnait l'héritage, la foi serait anéantie et la promesse abolie. Il faut venir à Dieu par la foi, sans laquelle nul ne peut Lui plaire (Hébreux 11), et par la foi nous obtenons tout, car toutes choses sont possibles à celui qui croit (Marc 9). Par la foi, les apôtres et tous les justes ont reçu le Saint-Esprit, par lequel ils ont parlé des choses de Dieu, et il faut que les rameaux demeurent attachés au cep par la foi. Personne ne doit parler d'aimer Dieu et son prochain comme lui-même si ce n'est par la foi. Car c'est par la foi que nous avons le Saint-Esprit répandu dans nos cœurs, et alors nous aimons Dieu pour Lui-même parce qu'il est digne d'être aimé et qu'il nous a aimés le premier (1 Jean 4). Ensuite pour l'amour de Dieu nous aimons notre prochain, non seulement nos amis, nos frères, mais encore ceux qui nous font du mal (Matthieu 5). Ce sont là les fruits du bon arbre, nul autre ne les produira ; ils viennent du Saint-Esprit que nous recevons par la foi. Car le mauvais arbre ne peut porter de bon fruit, si belle apparence qu'il ait (Matthieu 7.12). Ceux-là peuvent dire Seigneur, Seigneur, mais jamais ils n'entreront dans la vie, la colère de Dieu demeurera sur eux. Et la haine, l'iniquité et d'autres mauvaises racines remplissent le cœur de tels hommes, même à l'égard de ceux qui ne leur ont fait aucun mal, et ainsi le pauvre infidèle va de mal en pis, comme Dieu l'a bien montré dans le cas des pauvres juifs... N'oublions pas que le médecin est pour les malades et non pour ceux qui sont en santé. Ne soyons pas comme les pauvres pharisiens, qui demeurent en leur péché sans qu'il leur soit pardonné, bien qu'ils disent : « Nous voyons. » Mais plutôt confessons que nous sommes malades et pécheurs, comme c'est le cas de nous tous, et que le vrai Médecin nous donne guérison et rémission, afin qu'étant affamés, nous soyons rassasiés, et abattus nous soyons relevés. Ne nous déclarons pas riches, de peur d'être renvoyés à vide ; ne nous élevons pas, de peur d'être abaissés.

La Parole de Dieu, étant la vraie lumière, n'a point d'ombre, et si nous la suivons, il ne peut en résulter que du bien. Mais les choses inventées par les hommes ne sont que ténèbres ; il n'en résulte que du mal... la nourriture divine ne peut jamais être nuisible, mais toute autre nourriture fera du mal.

Quelle répréhension Dieu adressera à ceux qui vont où ils trouvent la bonne chère et les aises de leur corps, mais qui, s'il s'agit de leur pauvre âme, ne veulent pas prendre la peine de s'enquérir de la vérité auprès des messagers de Dieu. Ils ne veulent pas éprouver les esprits afin de savoir s'ils sont de Dieu, et afin de les suivre s'ils ont raison et de les blâmer s'ils ont tort.

Comme Moïse (Nombres 11) et saint Paul (1 Cor. 14), je voudrais que tous prêchassent en tenant leur mission non des hommes, mais de Dieu. Car s'il n'envoie pas les prédicateurs, ils ne peuvent prêcher, ce qui signifie édifier la congrégation, et s'ils ne prêchent, le peuple n'entendra point ; et s'il n'entend point, il ne croira pas au Seigneur et ainsi il ne l'invoquera point et il demeurera sans salut.

Jésus ne faisait jamais rien de Lui-même, mais seulement ce que le Père lui commandait, et les apôtres ont suivi ses traces ; quoique les autorités soient ordonnées de Dieu, les apôtres n'ont demandé de licence ni à Pilate ni à Hérode, ni aux scribes, ni aux pharisiens. Mais ayant reçu le talent de Dieu et la grâce de Dieu, ils ont fait valoir le talent et prêché par la grâce de Dieu, comme le font tous ceux qui annoncent la Parole divine purement. Ceux-là sont envoyés de Dieu, ce qui vient ainsi de sa part ne peut qu'être en bon ordre et que produire du bien, quoi que le monde en dise ou en pense. Mais ce qui vient de l'homme ne peut faire que du mal, comme le prouve ce qui est arrivé aux juifs et maintenant au pape, qui es tout à fait opposé à Jésus...

Si nos consciences sont entre nos mains, comme c'était le cas pour Adam et Ève, elles sont bien mal logées et bientôt perdues. L'homme tombé est dans le péché, il n'a pas la foi, il est séparé de Jésus et esclave du péché. Il n'est pas en son pouvoir de se relever, pas plus qu'un mort ne peut se ressusciter. Et si Dieu, dans sa grande miséricorde, ne retire le pauvre pécheur, il est perdu pour toujours (Hébreux 10). Celui qui est en Jésus et qui a la vraie foi ne s'appartient plus ; il est à Jésus et sous sa sauvegarde. Jésus a donné la vie à ses brebis, Il les a sauvées et c'est Lui qui les protège. Ce ne sont pas les brebis qui se gardent, qui se sont sauvées et donné la vie. Nous serions tous perdus si Jésus ne nous gardait pas, puisqu'avant que le péché fût, nous n'avons pu subsister (Genèse 3).

Lorsque Adam eut la connaissance du bien et du mal, lui et sa femme, ayant conscience de leur nudité, se couvrirent de feuilles et s'enfuirent de devant Dieu. Tous leurs descendants, dès qu'ils ont connaissance de leur état, agissent de même ; c'est tout ce qu'ils savent faire et ainsi ils sont chassés du paradis. Mais celui qui a une foi parfaite en Jésus laisse tout ce qui est de la sagesse et la force de l'homme, et il vient par la foi à Jésus, lequel illumine de sa grâce les aveugles, nettoie les lépreux, vivifie les morts ; bref, Il fait toutes choses en nous. Car notre salut ne vient ni de nous ni par nous, mais de Jésus et par Jésus, je le répète, Jésus n'aurait pas eu besoin de venir, si Adam avait pu se sauver par la connaissance du bien et du mal. je suis ébahi que vous ne sondiez pas mieux les Écritures afin de donner gloire à Dieu en reconnaissant que le salut ne vient pas de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Le salut vient de la semence sainte qui brise la tête du serpent, et non point par Adam ni Ève, qui ne sont que cause de mort et de damnation à tous. Mais Jésus seul est la cause et l'auteur de la vie et du salut à tous ceux qui le reçoivent. Nous n'avons aucune excuse devant Dieu et nous ne devons point chercher à nous justifier par des raisonnements. Nous sommes nés dans le péché, conçus dans l'iniquité, enfants de colère et de mort (Ephésiens 2). Si Jésus ne nous sauve, nous sommes tous perdus ; mais par la foi en Jésus nous sommes faits enfants de Dieu, et venant à Jésus, chargés et travaillés, nous sommes soulagés ; ceux qui ne vont pas à Lui sont abîmés sous leur fardeau.

Il est sévèrement maudit celui qui empêche son prochain de venir à Dieu (Matthieu 18) ; celui qui, ayant ouï l'Evangile, ne le met pas en pratique, donnant ainsi le mauvais exemple aux pauvres ignorants. Dieu maudit de même ceux qui méprisent la sainte doctrine de Jésus, refusant d'obéir à ce que disent les petits de ce monde, que Notre Seigneur a choisis dans sa sagesse. C'est ainsi que Jésus fut rejeté parce qu'il ne marchait pas selon la tradition des Pères ni selon les usages établis, parce qu'il mangeait et buvait avec les pécheurs et que les pécheurs le suivaient. Ainsi ces pauvres idiots, n'entendant rien à la doctrine de Jésus, rejettent ce qu'ils ne comprennent pas.

C'est parce que j'ai compris, par la grâce qu'il m'a donnée, la volonté de ce bon Maître, le Seigneur Jésus, que je tâche de confesser ouvertement Jésus et son Évangile, étant assuré que la sainte Parole de Dieu subsiste et que les hommes n'y peuvent rien ; le pape et ses cardinaux ne sont que des hommes et ils tomberont devant la Parole de Dieu... La perdition vient de nous et le salut de Dieu... Puisque vous terminez votre lettre au nom de Dieu et en invoquant son secours, cela me donne grand espoir que Celui qui vous a fait écrire de la sorte achèvera de vous éclairer dans tout ce qui concerne son nom, sa gloire et sa puissance. Car nul autre que Lui ne peut aider ou secourir, puisqu'un seul nom a été donné aux hommes pour être sauvés, à savoir le nom de Jésus.

Quelle sainte prière que la vôtre ! Que vous avez raison d'invoquer le secours de Dieu ! Puisse-t-il, dans sa grande bonté, vous exaucer et vous donner ce dont nous avons si grand besoin, c'est-à-dire sa grâce, afin que vous puissiez faire la confession que sa grâce vous suffit ! Vous ne pouviez mieux conclure selon la vraie foi et la Parole divine pour détruire tout ce que vous avez dit en défendant la justification par les œuvres. « Ma grâce te suffit ». C'est ce que le Seigneur dit à saint Paul. Relisez maintenant les passages qui traitent de la grâce et méditez-les. Par exemple celui-ci : « Celui qui est justifié par la grâce ne l'est pas par les œuvres. » Et cet autre « Celui qui est sauvé par la grâce ne l'est point par les œuvres. » Sans cela la grâce ne serait plus une grâce. Cette grâce de Dieu, connue et comprise, goûtée et savourée par la foi et l'Esprit qui nous en rendent assurés, fait que nous aimons Dieu d'un grand amour, que nous l'adorons et l'apprécions, enfin que nous aimons notre prochain comme nous-mêmes.

Sans la grâce de Jésus, nous pouvons bien avoir la loi, les ombres, l'apparence de servir Dieu comme Moïse l'a enseigné, mais Moïse ne peut rien nous donner pour passer de l'ombre à la réalité. Pour servir Dieu en vérité, il faut aller à Jésus, par lequel la grâce et la vérité sont venues. Cela est ainsi afin que nul ne se glorifie, mais que toute la gloire revienne à Dieu, qui, pour l'amour de Lui-même, pardonne et fait grâce. Il nous fait ce don afin d'être trouvé seul Juste et justifiant, Sauveur et sauvant. Cela vient de sa grâce et non pas de nos œuvres. Qu'il nous donne la plénitude de cette grâce par laquelle aussi Il nous fera marcher comme ses vrais enfants, droitement, saintement, montrant par nos œuvres notre sainte vocation. Et ainsi étant tous à Lui, faisons tout d'un même cœur, d'un même esprit, dans la véritable paix et unité chrétienne, non pas celle du monde, mais celle de Jésus. Vivons ensemble, ici-bas, comme des pèlerins qui marchent dans la vraie foi agissante par la charité, afin que quand Jésus viendra pour juger les vivants et les morts, nous allions à sa rencontre pour être éternellement avec Lui dans le royaume qui est préparé pour les fils de Dieu ! »

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