Vie de Guillaume Farel

67. Comment Lausanne fut gagné à l'Évangile

Malgré son acceptation, Calvin continua son voyage, ayant promis de conduire une personne à Bâle. De retour à Genève, peu après, il fut malade pendant un certain temps ; son œuvre était à peine commencée lorsqu'un événement assez important fut heureux. Farel avait tenté vainement et à plusieurs reprises d'avoir accès à Lausanne. L'antique cité avec son fier évêque, sa grande cathédrale, son armée de prêtres et de moines, avait toujours fermé ses portes à l'Évangile. Maintenant le Pays de Vaud était entre les mains des Bernois et l'évêque s'était enfui. « On m'a fait un excellent accueil à Fribourg, écrivait-il à son neveu, et je t'assure que nous faisons tous très bonne chère. » Les Bernois ayant décrété qu'il n'y aurait plus d'évêque, firent une entrée triomphale à Lausanne et en prirent possession.

Voulant introduire la réformation dans la nouvelle province, le Conseil de Berne décida que les prêtres de Lausanne discuteraient avec Farel, Viret, et tel autre évangéliste capable de rendre compte de sa foi. On fixa la date de la discussion au 1er octobre, afin de laisser aux prêtres le temps de trouver des docteurs habiles.

Charles-Quint écrivit aux Conseils de Berne et de Lausanne pour interdire cette dispute. Mais les Suisses firent la sourde oreille aux ordres du grand empereur qui avait l'Europe à ses pieds. Heureusement, toute l'attention de Charles-Quint se portait à ce moment sur l'invasion qu'il voulait tenter en France.

Lausanne est située sur les riants coteaux du Pays de Vaud ; elle domine le beau lac Léman. Sur l'une des collines où la ville est bâtie, s'élèvent les tours de la cathédrale. Autour de ce grand édifice viennent se grouper les antiques demeures où l'évêque et son clergé faisaient bonne chère tout en maudissant les luthériens. De tous côtés on apercevait autrefois des couvents et des églises dominant les toits de la ville. Depuis quelques mois, Pierre Viret prêchait dans l'un de ces Monastères ; les seigneurs de Berne en avaient exigé l'autorisation du Conseil de la ville. Cette forteresse du papisme jouissait d'une vue admirable sur les eaux paisibles du lac et sur les montagnes bleuâtres aux sommets neigeux. Mais, hélas, la beauté du pays n'est pas une image de la valeur morale de ses habitants. Voici une scène qui nous le prouvera : à l'angle d'une rue tortueuse, des individus de mauvaise apparence avaient été apostrophés par le clergé, pour tuer les hérétiques genevois venus à Lausanne pour la dispute. Heureusement, les hérétiques arrivèrent en trop grand nombre pour que les assassins osassent les attaquer ; en outre, le complot étant parvenu à la connaissance des autorités, elles firent arrêter les misérables. L'intercession des Genevois leur sauva la vie.

Le dimanche 1er octobre, la cathédrale se remplit d'une foule attentive ; on avait établi des estrades pour faire asseoir la multitude des auditeurs, qui se trouvaient ainsi au milieu des dorures et des draperies dont les voûtes de l'église étaient ornées.

Sur les murs et les piliers, de tous côtés, on avait affiché les articles de la discussion ; voici ce que disait le premier : « La Sainte Écriture n'enseigne aucun autre moyen d'être justifié que par la mort de Jésus-Christ offert une fois pour toutes, de sorte que ceux qui parlent de quelque autre moyen d'obtenir la rémission des péchés, renversent complètement la vérité que Christ a révélée. »

La conférence fut ouverte par une exhortation de Farel. « Le Seigneur Jésus-Christ, dit-il, est descendu dans ce bas monde afin que par Lui nous ayons salut et vie. Il est mort afin de rassembler en un corps tous les élus de Dieu. L'œuvre de Satan, c'est de disperser les brebis ; l'œuvre du Seigneur Jésus, c'est de les rassembler. » Il pria ensuite afin que la vérité seule triomphât, et que les infirmités et la faiblesse de ceux qui la présenteraient n'empêchassent pas les âmes de la recevoir. Il demanda que tous les cœurs se tournassent vers le grand Pasteur des brebis qui a donné sa vie pour son peuple. Farel demanda aussi que nul ne cherchât sa propre gloire, mais que Christ seul fût exalté et glorifié. Ensuite l'assemblée se sépara...

Le lendemain, à sept heures du matin, la cathédrale était de nouveau remplie ; les costumes variés de la foule prouvaient la diversité des éléments qui la composaient. Au centre de la cathédrale, les orateurs étaient rangés en face les uns des autres ; d'un côté, Farel, Viret et Calvin, Marcourt et Caroli (cette fois-ci, Caroli était du parti évangélique !). De l'autre côté se trouvaient environ 174 prêtres, sans compter les moines. Farel se leva et lut le premier des articles qui étaient affichés, puis il ajouta : « Le ciel et la terre passeront, mais la Parole du Seigneur demeure éternellement. Si donc cette Parole ne proclame pas d'autre justice que celle qui est par la foi en Christ, il est absolument certain qu'il n'y en a pas d'autre. Par la justification, nous comprenons ceci : que le péché est ôté et que Dieu ne nous l'impute plus. Comme un prisonnier est acquitté par le juge, de même Dieu, ayant ôté notre péché, nous acquitte. Et celui qui reçoit ainsi la rémission de ses péchés est juste devant Dieu comme s'il n'avait jamais commis aucun péché. »

Farel déclara encore que l'œuvre accomplie par Jésus sur la croix est déshonorée et amoindrie par toutes les inventions de purgatoire, de pénitence et d'absolution, d'indulgences et surtout par le « sacrifice perpétuel de la messe ». Il demanda qu'on lût le chapitre 11 des Hébreux et le 15ème des Actes, puis les prêtres furent appelés à donner leur réponse.

Alors un prêtre se leva et dit que les Écritures commandent la paix et défendent les disputes. Par conséquent, c'est un acte de désobéissance coupable que de discuter. Et parlant au nom de tous ses collègues, il déclara qu'ils préféraient passer pour avoir été battus, plutôt que de se permettre de discuter les questions qui ne peuvent être décidées que par l'Église universelle. Quant à eux, les prêtres, ils désiraient porter leur croix en toute patience et humilité.

Farel répondit et parla assez longtemps, malgré les fréquentes interruptions d'un moine fort en colère. « C'est à votre tour, lui dit enfin Guillaume Farel en le regardant en face ; levez-vous et prouvez-nous ce que vous avez prêché ici à Lausanne pendant le dernier carême. »

Le moine répondit qu'il ne ferait ce qu'on lui demandait que devant des juges compétents. Pierre Viret fit observer que la Parole de Dieu était le meilleur juge. Le moine répliqua que l'Église est au-dessus de la Bible, car la Bible n'a d'autorité que si elle est approuvée par l'Église. « Autant dire que Dieu ne doit être cru que si les hommes l'approuvent s'écria Viret. Quelle meilleure autorité pouvez-vous désirer que celle d'un juge infaillible ? C'est Dieu qui parle dans sa Parole ! » « Ce n'est pas une réponse, dit le moine, chacun peut citer la Bible, vous l'expliquez à votre façon et moi à la mienne, comment savoir lequel de nous deux a raison ? Il ne faut pas seulement citer les Écritures exactement, mais aussi en donner une explication juste. »

Viret répliqua qu'on doit expliquer les Écritures par elles-mêmes, et que la bonne interprétation est toujours celle qui honore Christ et qui le fait être tout en tous, et non pas celle qui exalte l'homme et qui met de l'argent dans sa poche. « Et quant à ce que vous dites de Satan qui a cité les Écritures, vous me fournissez une arme qui se retourne contre vous, car le Seigneur Jésus n'a point méprisé les Écritures parce que Satan les avait citées, mais il a, au contraire, tiré des Écritures de quoi confondre Satan. Si donc le Seigneur s'est servi de la Bible pour répondre, vous ne devriez pas refuser de faire de même à notre égard. Car si vous n'êtes pas plus grands que Jésus, nous ne sommes pas des diables, mais des frères en Christ. »

Le moine tint bon, déclarant que nul ne lui persuaderait de discuter avec des hérétiques ; l'Église l'avait défendu et il fallait lui obéir. Enfin, à onze heures, l'auditoire se dispersa pour aller dîner.

Le lendemain, un singulier personnage se leva du côté des catholiques ; on pouvait voir, à son costume, que ce n'était ni un moine ni un prêtre.

« Magnifiques et redoutables seigneurs, dit-il, ma profession est la médecine, et non la théologie. Ce n'est donc pas ma place de discuter ces sujets, mais puisque vous permettez à chacun de donner son avis, je donnerai le mien... Ces messieurs ont dit que l'homme est justifié par la foi en Jésus-Christ. Si c'était vrai (car ce n'est pas du tout dans la Bible), les démons seraient nécessairement sauvés. Car saint Jacques dit qu'ils croient ; si donc les démons croient, ils ont la foi, et en conséquence ils doivent être sauvés. »

Ce médecin, nommé Blancherose, avança en outre que l'Écriture ne nous enseigne pas que nous puissions être sauvés par la foi, tandis qu'elle indique quatre autres manières d'obtenir le salut. « Premièrement, disait-il, nous pouvons être sauvés par grâce. » Blancherose semble n'avoir eu qu'une idée vague de la portée de ce mot et avoir cru que c'était une vertu quelconque possédée par certains hommes et qui les rend agréables à Dieu. En tout cas, il pensait que la grâce était entièrement différente de la foi. Le second moyen de salut, au dire de Blancherose, était l'amour. « Marie-Madeleine, dit-il, est un exemple de ce que je dis, car ses péchés lui furent pardonnés « parce qu'elle a beaucoup aimé. » Troisièmement, on peut être sauvé en gardant les commandements, comme l'a dit le Seigneur : « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. » Quatrièmement, par le baptême, car il est écrit : « Si un homme n'est né d'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux. »

Farel se leva « On peut être médecin, dit-il, et théologien en même temps ; saint Luc était médecin, mais cela ne l'empêchait pas d'être instruit dans la foi en Christ qui est la vraie théologie. Quant à vos objections, je répondrai d'abord : Saint Paul a dit : « L'homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi, » mais cela ne contredit pas saint Jacques lorsqu'il dit que « la foi sans les œuvres est morte », car Paul parle de la vraie foi. Celui qui la possède croit que Jésus est mort pour le sauver et il comprend ces paroles de Jésus : « Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. » Le vrai croyant discerne le grand amour dont Dieu nous a aimés lorsque nous étions encore ses ennemis. Les démons ne croient rien de semblable, ils ne croient pas que Jésus soit mort pour eux, et les hommes qui n'ont que la foi morte ne le croient pas non plus.

Mais celui qui a la vraie foi en Dieu ne peut qu'aimer Dieu en retour, et s'il l'aime, il gardera ses commandements.

Quant à être sauvé par la grâce, c'est parfaitement vrai que nous sommes sauvés par la grâce, mais nous recevons ce salut par la foi.

Quant au salut par l'amour et quant à la femme du chap. 7 de Luc, je trouve là une preuve à l'appui de ce que je viens de dire : personne n'explique la chose plus clairement que Jésus quand Il dit que la femme pécheresse l'a tant aimé parce qu'il lui a été beaucoup pardonné. D'ailleurs le Seigneur démontre aussi que ce fut par la foi qu'elle obtint le salut, car il lui dit : Va-t'en en paix, ta foi t'a sauvée. » Enfin, quand le Seigneur dit au docteur de la loi : « Si tu veux entrer dans la vie éternelle, garde les commandements », Il le plaçait sur une route qui le conduirait infailliblement à Christ en lui faisant découvrir qu'il était tout à fait incapable de garder la loi. Cette découverte devait le pousser pour ainsi dire vers Christ qui est « la fin de la loi en justice pour tout croyant. » (Romains 10.4) Après cela viennent les œuvres qui manifestent notre foi.

Quant au baptême, celui qui ne croit pas est condamné. Dieu ne tient pas compte de son baptême et sa personne n'est pas acceptée. » (Farel paraît penser que le texte cité par Blancherose (Jean 3.5) se rapporte au baptême ; nous pensons qu'il se trompe en cela, quoique au fond sa réponse fût juste.)

L'après-midi, Blancherose reprit la parole. « je n'ai pas été satisfait, dit-il, de la réponse que maître Farel nous a donnée. Je ne sais pas si je me suis bien expliqué, mais quant à ce que j'ai voulu dire, je suis prêt à sauter dans le feu pour le maintenir. Et de peur qu'on ne me trouve présomptueux, je demande la permission de faire savoir que j'ai voyagé en divers pays, que j'ai été médecin du roi de France et de la princesse d'Orange. Vous savez que des imposteurs présomptueux n'occupent pas d'aussi hautes charges. En outre, messieurs, je suis prêt à vous livrer sept de mes disciples que vous garderez prisonniers, si je ne prouve pas ce que je vais vous dire. »

Le chancelier de Berne refusa cette offre généreuse et dit à Blancherose qu'il pouvait revenir sur le sujet traité le matin, mais qu'il s'en tînt là pour le moment.

« Par le treizième chapitre de la première aux Corinthiens, dit Blancherose, on peut voir facilement que nous sommes sauvés par la charité, car l'apôtre dit que la charité est plus grande que la foi. » Farel répondit « je laisse l'auditoire juge de la valeur de votre argument : la charité est plus grande que la foi et l'espérance, donc nous ne sommes pas sauvés par la foi. Vous pourriez aussi bien dire : Le ciel est plus grand que le soleil, donc ce n'est pas le soleil qui donne la lumière. » « Vous prétendez donc, reprit Blancherose avec indignation, qu'il me suffit de croire que je puis vivre toute ma vie comme un brigand, pourvu que je croie. Dans ce cas nous n'avons pas besoin de faire aucune bonne œuvre, nous pouvons au contraire faire tout le mal que nous voudrons, si nous sommes sauvés par la foi sans les œuvres ».

Farel répondit : « C'est ainsi que St-Paul a été injurié quand il annonçait l'amour de Dieu et la justice par la foi et lorsqu'il expliquait que là où le péché abonde, la grâce a surabondé. Il était blâmé par ceux qui ne comprenaient rien à la grâce de Dieu. Car celui qui sait ce que c'est que la grâce et qui a la vraie foi, ne parle jamais comme vous venez de le faire. Il ne désire jamais vivre dans le péché ni déplaire à Dieu, celui qui sait avoir été un pauvre pécheur perdu, ne méritant que l'enfer, auquel Dieu a donné son Saint Fils pour être puni à sa place. La foi ne consiste pas à dire des lèvres, « je crois » ; c'est la ferme assurance d'un cœur qui sait, à n'en pas douter, que Dieu nous a entièrement pardonné à cause de l'œuvre de son Fils qui est mort pour nous. Lisez-nous, continua Farel, en se tournant vers quelqu'un qui était près de lui, le chapitre 3 aux Romains, depuis le neuvième verset jusqu'à la fin. »

« Ainsi, reprit Farel après la lecture, nous sommes sauvés gratuitement, sans l'avoir mérité et sans les œuvres de la loi. » Blancherose répondit qu'il ne croyait pas que ces paroles fussent dans les Écritures. On lui apporta immédiatement une Bible, une ancienne Bible manuscrite sur parchemin, qui venait du couvent des Franciscains, et, après avoir cherché le passage en question, on le plaça sous ses yeux. En effet, ces fameuses paroles y étaient bien, l'homme est justifié sans les œuvres de la loi.

Blancherose resta pétrifié d'étonnement. « Oui, dit-il enfin, c'est vrai, l'homme est justifié par la foi, » et cet autre verset revenant à son esprit : « Non point par des œuvres de justice que nous ayons faites, mais selon Sa miséricorde, Il nous a sauvés. » Le médecin s'assit et garda le silence.

Le maître d'école de Vevey se leva ensuite disant que « sans les, œuvres de la loi », pourrait signifier la loi de Moïse, les rites et les cérémonies judaïques. Mais il y a des commandements dans le Nouveau Testament, et pour être sauvés nous devons les garder.

« Mon frère, lui répondit Farel, vous avez besoin d'apprendre quel est le véritable état d'un pauvre pécheur perdu ; c'est un mauvais arbre qui ne peut pas produire de bons fruits. Pensez donc à ce que c'est que de garder les commandements de Dieu, non seulement avec les mains et la langue, mais avec le cœur. il n'y a qu'une obéissance parfaite qui puisse subsister devant Dieu. Il demande tout votre cœur et non pas la moitié. « Soyez parfaits comme votre Père qui est aux cieux est parfait. » Pouvez-vous avec votre mauvais cœur garder un semblable commandement ? Faites sortir de son lit un pauvre malade et dites-lui d'aller se promener, et de manger un bon dîner comme s'il se portait bien. Vous le tueriez en agissant de la sorte. Les choses qui lui seraient utiles s'il était en bonne santé, amèneraient sa mort, parce qu'il est hors d'état d'en profiter. Lisons le chapitre 7 aux Romains, du verset 7 à la fin. » Ces passages furent lus, puis Farel les expliqua, mais un prêtre renouvela jusqu'à la nuit les objections qui avaient déjà été faites, et ainsi se termina la seconde journée. Le lendemain, les prêtres continuèrent leurs efforts sur le même sujet. Ce pardon gratuit donné à ceux qui, n'ont rien fait pour le mériter serait, hélas, disait le clergé, le moyen d'encourager les hommes à vivre dans le péché. Ce serait la fin de la piété et des bonnes œuvres, car quel est l'homme qui se soucierait désormais de bien faire ? « Quant à cela, répondit Farel, il serait à souhaiter que les chanoines, les prêtres et les moines n'eussent pas causé plus de scandales par leurs paroles et leur conduite que cette vérité bénie n'en a occasionné. »

Mais Farel parlait à des sourds, et si vous essayiez de tenir le même langage à vos amis et à vos voisins, vous verriez qu'ils vous opposeraient ces mêmes objections. Vous les trouverez tout aussi attachés à l'espérance que nourrit le cœur naturel, l'espérance de nous rendre agréables à Dieu et dignes d'entrer au ciel. Nous avons tous eu cette illusion ; nous avons autant de peine à nous en débarrasser que les prêtres du temps de Farel.

Je ne puis donner ici les objections des prêtres, mais elles se résument ainsi. : Qu'est-ce qui vient en premier lieu ? L'arbre ou le fruit ? La vie ou l'action ? Le feu ou la chaleur ?

Le second article portait que Jésus est le seul Souverain Sacrificateur et Intercesseur pour Son Église. Les prêtres n'avaient rien à dire là-dessus.

Le troisième article disait que la Ste-Écriture reconnaît comme faisant partie de l'Église de Dieu seulement ceux qui font profession d'être rachetés uniquement, et entièrement par le sang de Jésus, ceux qui croient seulement à Sa Parole et en font leur point d'appui, sachant que le Sauveur est absent, quant à sa présence corporelle, mais qu'Il habite dans son Église, la remplissant, la gouvernant, l'animant par le St-Esprit.

Ici les prêtres intervinrent. « Christ, dirent-ils, est présent dans le pain. » Pierre Viret leur répondit le premier. Puis le chancelier de Berne adressa une exhortation à tout le clergé lausannois en disant que s'il y avait des prêtres convaincus de la vérité, ils n'avaient qu'à signer ces trois articles ; ensuite ils pourraient s'en retourner chez eux ou assister au reste de la dispute, comme bon leur semblerait. Ceux qui refuseraient de signer, devaient rester jusqu'à la fin et défendre leurs opinions. Plusieurs membres du clergé allèrent signer en se déclarant convaincus, et ceux qui ne le firent pas, refusèrent également de parler. Mais le chancelier de Berne ne voulut point accepter d'excuse ; il fallait parler ou signer.

Le docteur Blancherose et le maître d'école de Vevey furent les plus disposés à raisonner. L'argument favori de Blancherose quant à la transsubstantiation, c'était que nous pouvons bien croire que le pain devient le corps de Christ puisqu'un œuf, après avoir été couvé, devint un poulet !

Farel et Calvin lui répondirent, puis il se fit un silence. Ensuite un moine se leva et dit : « Mes très chers frères, St-Matthieu dit dans son Évangile, au chapitre 12, que pour ceux qui pèchent contre le St-Esprit il n'y a point de pardon. Je désire en conséquence ne pas commettre ce péché qui consiste à repousser la vérité divine. Je confesse donc devant tous que j'ai été pendant longtemps aveugle et trompé. Je croyais servir Dieu tandis que je ne servais que les hommes. Maintenant je comprends que je n'ai pas d'autre chef que Jésus seul. Je vois qu'il n'y a de rémission des péchés que par Lui seul. Je demande pardon à Dieu de tout le mal que j'ai fait. Je vous demande pardon de vous avoir si mal enseignés. Pardonnez-moi, car j'en ai besoin. » Et en disant cela, le moine ôta sa robe pour ne plus la remettre.

Alors Farel se leva et dit : « Oh ! que notre Dieu est grand, sage et bon ! Il a eu pitié de la pauvre brebis égarée dans le désert et l'a ramenée dans son saint bercail ! Bénissons le Seigneur ensemble ! Accueillons, comme Christ nous a reçus, le nouveau frère pour lequel Christ est mort. Ne lui reprochons rien du passé, et comme Dieu a effacé ses péchés de son souvenir, ne les rappelons pas non plus ».

Après cela, il ne resta plus personne pour tenir tête aux réformateurs, excepté Blancherose, mais celui-ci abandonna la partie en déclarant que c'était une tâche au-dessus des forces d'Hercule et qu'en outre les prêtres s'impatientaient. Leurs notes d'hôtels devenaient ruineuses, ils voulaient partir, et d'ailleurs leur présence était inutile puisqu'ils n'étaient pas assez instruits pour discuter. Les débats furent clos le dimanche au soir ; puis Farel prêcha une dernière fois à toute l'assemblée réunie.

Plusieurs prêtres, dont les cœurs avaient été touchés à salut, commencèrent à annoncer l'Évangile ; quelques-uns même des principaux champions de Rome pendant la conférence furent convaincus. On estime qu'aucun débat public n'avait amené la conversion d'autant de pécheurs.

Lausanne aussi avait reçu l'Évangile. Les images et les autels furent renversés, les calices et les ciboires précieux, les vêtements et les joyaux furent ôtés des églises. La grande statue appelée Notre Dame de Lausanne, que les réformés avaient surnommée la Diane des Éphésiens, fut brisée et réduite en poussière. On dressa un inventaire des richesses ecclésiastiques. L'énumération nous en rappelle une autre. Les églises de Lausanne contenaient : « De la marchandise d'or et d'argent et de pierres précieuses et de perles et de fin lin, et de pourpre et de soie et d'écarlate, et tout bois de thuya et tout article d'ivoire et tout article en bois précieux, et en airain et en fer et en marbre. »

Les familles qui avaient donné ces ornements aux églises, purent les reprendre. On vendit ce qui ne fut pas réclamé avec les biens ecclésiastiques, et le tout produisit une somme si considérable qu'elle suffit à fonder des hôpitaux, des collèges et des bourses pour les pauvres. C'est avec cet argent, entre autres, que l'Académie et le Collège de Lausanne furent fondés et dotés. En outre les chanoines reçurent chacun une pension viagère.

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