Homélies

Les débonnaires

Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre.

(Matthieu 5.5)

Jésus allait par toute la Galilée, enseignant dans les synagogues, prêchant l’Evangile du règne de Dieu, et guérissant toutes sortes de maladies et de langueurs parmi le peuple. Et sa renommée se répandit par toute la Syrie. Et on lui présentait tous ceux qui étaient malades, et il les guérissait. Et une grande multitude le suivit de Galilée, de la décapole, de Jérusalem, de Judée, et de là le Jourdain.

(Matthieu 4.23-25)

C’était donc au plus beau moment du ministère de Jésus-Christ, alors que sa renommée et sa popularité allaient croissant de jour en jour, sans que les persécutions et la malveillance commençassent encore à se soulever contre lui. Une foule immense s’attachait à ses pas et le suivait en tout lieu. On n’avait encore appris à voir en lui qu’un ami puissant, un divin bienfaiteur, un envoyé du Très-Haut qui sympathisait à toutes les souffrances du peuple et guérissait ses malades. Chacun était avide de le voir et de l’entendre. Chacun était disposé à reconnaître dans ses paroles les paroles de la vie éternelle. Néanmoins, il n’avait encore enseigné que dans les synagogues, et vraisemblablement s’était surtout appliqué à faire reconnaître en lui le Messie annoncé par les prophètes.

Entouré de foules qui ne le quittaient pour ainsi dire plus, il s’achemina un jour vers une de ces collines qui couvrent le sol de la Galilée. Il fit asseoir à ses pieds ses disciples, le peuple prit place tout à l’entour et il commença à parler. — Il faut se représenter cette scène, se ranger par la pensée au nombre de ces auditeurs innombrables, qui entourent le Maître doux et humble de cœur. Quel temple ! Les magnifiques campagnes de l’un des plus beaux pays du monde, des monts couronnés de rochers, des vallons ombragés, au loin des plaines fertiles, le bleu miroir d’un lac dont les voyageurs ont remarqué la ressemblance avec celui que nous pouvons contempler tous les jours ; sous les pieds un tapis de verdure émaillé de ces lys à qui Dieu tisse une parure plus riche que le manteau des rois ; au-dessus des têtes, l’azur d’un ciel sans nuages, par une radieuse matinée, ou une glorieuse soirée d’été. — Quel auditoire ! Des multitudes venues de toutes les villes et de toutes les provinces voisines, où sont représentées toutes les classes de la société, mais où dominent vraisemblablement les pauvres et les petits de ce monde : des femmes, des enfants, des malades semés par groupes sur la pelouse verte, des âmes altérées de vie éternelle ; tous les regards dirigés vers la figure auguste et calme de Celui qui se dispose à leur parler du royaume des cieux. — Quel prédicateur, enfin ! le Créateur et le Maître de cette belle nature dont les gloires racontent la gloire ; Celui par qui et pour qui toutes choses ont été faites, et qui commande en maître à toutes choses, le Roi, mais en même temps l’ami de tous ; Celui qui a été envoyé pour annoncer l’Évangile aux pauvres, pour publier la liberté aux captifs, pour guérir ceux qui ont le cœur froissé ; Celui qui crie en tous lieux : Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés, je vous soulagerai, je donnerai du repos à vos âmes.

Que va-t-il dire à cette foule ? Écoutons-le dans un silence de recueillement et de religieuse attente. — Il parlera de la vie nouvelle qu’il vient apporter au monde. Il dira comment un enfant de Dieu doit entendre et pratiquer la volonté de son Père qui est au ciel. Il enseignera comment on doit prier. Il peindra dans les termes les plus touchants la confiance qu’une faible et dépendante créature peut avoir en Celui qui nourrit les oiseaux de l’air, et qui revêt l’herbe des champs. Il publiera l’inépuisable bonté du Très-Haut, et la donnera pour modèle de la perfection où doivent tendre ceux qu’il a créés à son image : Soyez parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait.

Mais remarquez comment il ouvre cet admirable discours. Il le commence en proclamant l’accord de la sainteté et de la félicité, en célébrant le bonheur de ceux qui disposent leur cœur selon Dieu : Heureux les pauvres en esprit ! Heureux les débonnaires ! Heureux les pacifiques ! Heureux les cœurs purs ! Heureux ceux qui pleurent ! Et il en donne la raison : c’est parce que la félicité éternelle leur est à tous promise sous ses diverses formes ; aux uns sous la forme de royaume, aux autres sous celle de consolation, aux autres sous celle de rassasiement, aux autres sous celle de récompense.

Il n’est pas besoin de faire remarquer combien les idées de Jésus sur le bonheur doivent être différentes de celles du monde, pour qu’il puisse s’exprimer ainsi. Il a raison contre le monde, sans doute, notre cœur nous le dit. Nous savons bien au fond que le vrai bonheur, le bonheur digne de ce nom, est bien moins attaché à ces circonstances extérieures de prospérité, de renommée, de richesses, dans lesquelles on a coutume de le faire consister, qu’à ces vertus tout intérieures, d’humilité, de douceur, de bonté, recommandées par le Seigneur. Mais sa pensée n’en revêt pas moins une forme paradoxale qui étonne au premier abord et appelle la méditation. Heureux les pauvres en esprit !… Heureux ceux qui pleurent !… Heureux ceux qui sont affamés et altérés de justice !… Qui a jamais parlé comme cet homme ? — Il arrête l’esprit, et lui montrant du doigt la route de la vérité dans les directions les plus inattendues, il lui en signale à distance les trésors, et se plaît à lui laisser toutes les surprises de la découverte.

Arrêtons-nous à méditer une de ces paroles du Maître. Je choisis à dessein la troisième, comme étant peut-être la plus surprenante de toutes.

Heureux, car ils hériteront la terre !… Qui ? — Les débonnaires ! Nous sommes déjà étonnés de voir Jésus, dont le règne n’est pas de ce monde, arrêter ses pensées et les nôtres sur une promesse de bonheur terrestre. Mais notre surprise n’a-t-elle pas sujet de redoubler, quand nous l’entendons choisir pour objets de cette promesse ceux précisément qui, dans ce monde d’oppression et de violence, semblent prédestinés à se voir foulés et maltraités ? Le bonheur des débonnaires sur la terre !… n’est-ce pas, pour rappeler une expression caractéristique du Sauveur lui-même, comme qui parlerait du bonheur des brebis au milieu des loups ?

Tout à l’heure nous verrons dans quel sens et comment se justifie la maxime de Jésus-Christ. Commençons par nous rendre compte de la disposition qu’il y recommande.

Dans le langage ordinaire, la débonnaireté marque un mélange de douceur et de bonté. Dire d’un homme qu’il est bon, ce n’est pas dire par cela même qu’il est doux ; mais dire qu’il est débonnaire, c’est dire qu’il y a chez lui autant de mansuétude que de bienveillance, autant de simplicité que d’affabilité, autant de support que d’obligeance. Un homme débonnaire est un homme au contact duquel on ne se blesse jamais. La susceptibilité, la roideur, l’irritabilité sont les contraires de la débonnaireté.

Toute douceur ou débonnaireté dans la forme, n’est pas d’également bon aloi. Il y a de feintes douceurs, des douceurs dédaigneuses pleines de fierté cachée, une affectation, une ostentation de douceur, plus désobligeantes souvent que l’aigreur même et la fierté avouées. Il y a une manière de dissimuler sous des expressions amicales et onctueuses un fond de sécheresse et d’impatience. Il y a un art de composer des paroles de velours qui blessent en dessous comme des poignards. Le monde lui-même ne se prend guère à cette débonnaireté affectée. Il en démasque bien vite la fausseté, et la rejette comme une des pires espèces d’hypocrisie. Il y a aussi une débonnaireté de nature et de tempérament, qui peut être une heureuse prédisposition à la débonnaireté chrétienne, mais qui, laissée à elle-même, dégénère bien facilement en mollesse ou en lâcheté ; si bien que dans l’usage commun, un débonnaire en est presque venu à signifier un être fade et insignifiant, un homme sans caractère et sans dignité, dont on fait ce qu’on veut parce qu’il ne sait lui-même ce qu’il se veut. Rien de plus éloigné de la vertu recommandée par Jésus-Christ, qu’un tel défaut. Voulez-vous savoir a quel point l’esprit chrétien ressemble peu à cette débonnaireté banale : Écoutez saint Paul : Dieu, dit-il, ne nous a point donné un esprit de timidité, mais de force, de charité, et de prudence !

Voici, au reste, comment Jésus lui-même développe et explique un peu plus loin ce que doit être à ses yeux la débonnaireté de son disciple : — Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : œil pour œil et dent pour dent. Mais moi, je vous dis : Ne résistez point au mal ! Mais si quelqu’un te frappe à la joue droite, présente lui aussi l’autre. Et si quelqu’un veut plaider contre toi et t’ôter ta robe, laisse-lui aussi le manteau. Et si quelqu’un te veut contraindre d’aller avec lui une lieue, vas-en deux. Donne à celui qui te demande, et ne te détourne point de celui qui veut emprunter de toi. Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis et bénissez ceux qui vous maudissent ; faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous courent sus et qui vous persécutent, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est aux deux ; car il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons et il envoie la pluie sur les justes comme sur les injustes. Car si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les péagers même n’en font-ils pas autant ? Et si vous faites accueil seulement à vos frères, que faites-vous de plus que les autres ? Les péagers même ne le font-ils pas aussi ? Soyez donc parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait.

La douceur, la débonnaireté chrétienne, d’après ces paroles, est une vertu prescrite à tous. — Il n’est aucune circonstance de tempérament, de position, d’âge, qui en exempte. Quiconque veut être plus qu’un péager, quiconque veut être un imitateur de notre Père qui est au ciel, est convié à cette œuvre extraordinaire ; ceux qui ont un naturel violent et emporté, d’abord, afin qu’ils le compriment par la grâce de Dieu, et qu’ils se revêtent des entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience ; ceux qui ont reçu une douceur naturelle en partage, afin qu’ils la sanctifient en lui donnant pour principe l’amour et pour appui la force du Seigneur, et qu’ainsi ils rendent l’œuvre de leur patience parfaite. La douceur est prescrite aux jeunes gens, parce qu’ils sont dans l’âge où le sang bouillonne et où le cœur est impatient de tout obstacle : Exhorte les jeunes gens à être modérés, écrit saint Paul à Tite ; aux vieillards, parce que leur âge est celui où les infirmités disposent le plus volontiers-à une humeur sombre et chagrine : Exhorte les vieillards à être saints dans la patience. Elle est spécialement recommandée aux parents : Pères, n’aigrissez point vos enfants ! aux maîtres : Maîtres, modérez vos menaces ; aux serviteurs : Serviteurs, ne soyez point contredisants, et même si, en faisant bien, vous êtes maltraités, souffrez-le patiemment ! — Qui que vous soyez, en un mot, riche ou pauvre, savant ou ignorant, heureux ou malheureux, vous êtes ceux que Dieu appelle à la débonnaireté.

La vraie douceur, ensuite, est un devoir non seulement pour tous, mais pour chacun envers tous, — Comme le remarque le Sauveur, il est fort aisé de se montrer doux envers les uns, quand on se réserve de ne l’être pas envers d’autres. Mais en ceci précisément éclate la douceur chrétienne, qu’elle se montre envers ceux-là même, et ceux-là surtout, qui sembleraient n’y avoir aucun droit de notre part, et de qui elle ne doit nous procurer aucun avantage. Il est naturel d’être doux envers ceux qui le sont les premiers ; il l’est moins de l’être encore envers ceux qui sont aigres, n’opposant point l’humeur à l’humeur, la violence à la violence, et corrigeant les excès d’autrui par des paroles vraiment douces. Il est naturel d’être doux envers ses égaux ; il l’est moins d’éviter également et de froisser le malheureux et de choquer le superbe. Il est naturel d’être doux envers les gens faciles et toujours satisfaits ; il l’est moins de redoubler de douceur envers les mécontents, les exigeants, les indiscrets, ceux qui plaident pour le manteau quand vous avez donné la robe, et qui vous demandent d’aller deux lieues si vous en avez fait une avec eux. Il est naturel d’être doux vis-à-vis des forts qui en imposent ; il l’est moins de multiplier les attentions envers les faibles, les petits, les misérables ; la plus vulgaire prudence se traduit en douceur chez le roseau qui ne saurait résister sans se briser. Le prochain faible et obscur, c’est le roseau froissé qui gît sur le sol, il faut une vertu d’un autre ordre pour éviter de le briser du pied, par mégarde, en passant. Soyez doux les uns envers les autres, dit l’apôtre, pleins de compassion, montrant une douceur parfaite envers tous les hommes. Que votre douceur soit connue, c’est-à-dire au besoin éprouvée, de tous les hommes.

Notre douceur doit se montrer en tout temps enfin, et en toute manière. — A rien ne servirait d’être doux quand un concours de circonstances heureuses vous prédisposent à la douceur, si nous devions ensuite au premier contre-temps nous froisser et nous irriter. A rien ne servirait de nous montrer doux de visage et de paroles, si nous devions ensuite être secs et durs dans nos procédés. En un mot, pour être vraie, la débonnaireté ne doit pas être une vertu de surface et d’occasion, mais une vertu de fond, tenant aux racines les plus intimes du caractère et de la vie. A vrai dire elle est moins une vertu qu’un attribut commun de toutes les vertus, un parfum qui s’en exhale aussitôt qu’elles s’épanouissent dans leur fleur. L’humilité, la charité, l’abnégation, la patience, toutes ne se résolvent-elles pas en douceur à mesure qu’elles approchent de la perfection ? — Si j’osais employer ici une comparaison qui nous est familière, je dirais de la vraie douceur, qu’elle est un premier rayon du ciel venant dorer sur la terre toutes les cimes de la vraie sainteté.

De là vient qu’elle est peut-être en définitive le trait de famille le plus élevé auquel se reconnaissent les enfants de Dieu, et que passé un certain point, un homme qui se sanctifie ne paraît plus grandir qu’en douceur. Vous citerai-je des exemples ?

Moïse qui tua l’Égyptien et qui s’embrasa de colère en voyant le peuple prosterné aux pieds du veau d’or, n’était pas débonnaire de nature et de tempérament assurément. Il avait pourtant acquis une réputation d’être fort doux, et plus que tous les hommes qui étaient en la terre. — David, cet aventurier, ce soldat, ce parvenu, semblerait avoir été formé par sa vie entière à l’orgueil et à la dureté : Voyez pourtant quelle douceur infinie il y a au fond de son âme, lorsqu’il se laisse accabler d’insultes par Simhi, par exemple, sans permettre que personne réponde à ce misérable : Laissez-le, et qu’il me maudisse, car l’Éternel le lui a dit. Peut-être l’Éternel regardera mon affliction, et l’Éternel me rendra le bien au lieu des malédictions que celui-ci me donne aujourd’hui. — Saint Paul, cet ancien persécuteur, cœur bouillant, qui dans le temps de son infidélité ne respirait que menaces et carnage, et du jour de sa conversion ne connut plus de bornes à son zèle dévorant, saint Paul, à le juger par son infatigable activité et par la vivacité de ses sentiments, ne nous donne guère l’idée d’un homme doux. Il est probable cependant que sa douceur nous eût la première frappés en lui, si nous avions eu le privilège de l’approcher. Nous avons été doux au milieu de vous, écrit-il aux Thessaloniciens, comme une nourrice qui nourrit tendrement ses enfants. — Et pour terminer ces exemples par celui qui les résume et les domine tous, la douceur, la parfaite douceur, n’est-elle pas, du commencement à la fin de sa vie, en tout temps, en toute circonstance, dans les plus petits détails, comme dans les plus solennelles conjonctures, le trait caractéristique du Maître doux et humble de cœur, notre parfait modèle ? C’est le trait qui, entre tous, avait frappé surtout les prophètes. Je mettrai en lui mon Esprit, est-il dit dans Ésaïe. Il ne sera point contentieux, il ne criera point, et on n’entendra point sa voix dans les places publiques ; il ne brisera pas le roseau cassé, et n’éteindra par le lumignon fumant encore ! Voyez ce qu’il a été durant toute sa vie, et pendant sa passion surtout : Quand on l’outrage, il ne répond point ; quand on le frappe, il ne se plaint point. Si j’ai mal parlé, dit-il à celui qui lui donnait un soufflet, fais-le moi connaître. Si j’ai bien dit, pourquoi me frappes-tu ? Il lui appartient de dire : Apprenez de moi, car je suis doux. Il est comparé à un agneau, l’emblème de la douceur, qui se laisse non seulement tondre, mais encore mener à la boucherie, sans se plaindre.

Telle que je viens de vous la dépeindre et de vous la montrer en pratique dans ces exemples, la douceur chrétienne, la vraie débonnaireté, ne doit plus vous paraître une vertu de faiblesse, mais bien plutôt une vertu de force. Elle suppose un immense empire sur soi-même, disons mieux, une totale victoire sur soi-même. Il ne faut bien souvent, en effet, qu’un imperceptible reste d’orgueil ou d’égoïsme, caché dans quelque recoin profond du cœur, pour altérer ce parfum suave et délicat de la vertu chrétienne, comme une mouche morte fait puer et bouillonner tout un vase de senteur.

C’est la préoccupation de nous-mêmes, c’est l’attachement à notre sens et à notre intérêt, qui nous ôtent la douceur. Nous ne pouvons pas. supporter qu’on nous manque, et nous nous figurons à tout propos qu’on nous manque.

Hélas ! de fait, et sans tenir compte des injures imaginaires, il est trop certain que dans ce monde de péché, nous sommes exposés tous les jours à une foule d’injustices et de torts très réels. Les uns nous nuisent dans notre propriété par leurs fraudes, par leurs procédés indélicats, en prenant avantage de notre ignorance, en exploitant nos besoins, en manquant à leurs engagements, en abusant de notre complaisance, que sais-je ! par mille et mille manières de ne pas nous faire ce qu’ils voudraient que nous leur fissions, et de nous traiter en retour comme ils ne souffriraient jamais que nous les traitassions. — D’autres nous offensent par leurs médisances ou leurs calomnies. Après nous avoir fait bon visage par devant, nous apprenons qu’ils nous déchirent par derrière, qu’ils prennent un malin plaisir à dévoiler nos misères, à dénaturer nos actions, à tirer des inductions malveillantes de nos démarches les plus innocentes, à tracer notre portrait sous des couleurs qui effacent si bien nos vertus et qui font ressortir si avantageusement nos défauts, qu’il ne reste que la contrefaçon odieuse ou ridicule de ce personnage qui nous est si cher et dont nous avons naturellement une si grande et si flatteuse opinion. — D’autres encore trahissent envers nous un manque de respect et de considération qui nous touche au vif. Nous croyons avoir tout sujet de jouir à leurs yeux d’une certaine importance, et nous avons la mortification de voir qu’il n’en est rien, qu’ils nous regardent à peine, et laissent peut-être à l’occasion percer leur dédain.

Ah ! comme le premier mouvement de notre cœur, en face de ces torts du prochain, est de se révolter intérieurement, et d’éclater soudain dans ses profondeurs, en explosions silencieuses de colère et de mépris ! Nous nous croyons tout permis dans nos pensées envers celui qui a commis le crime de nous blesser. Toutes nos mauvaises passions, toutes nos racines d’amertume prennent aussitôt occasion de s’insurger, pour tenir les plus noirs conseils de vengeance et de menace.

La vraie douceur suppose le vrai prodige d’un homme maître de son orgueil, et qui a appris à considérer les autres comme plus excellents que lui-même par humilité ; maître de son égoïsme, et qui a appris à ne tenir compte ni de son propre intérêt, ni de son propre mérite, ni de sa propre gloire ; détaché de la terre, et qui a appris à considérer toutes choses comme nous les considérerons au lit de mort, quand tant d’intérêts qui nous paraissent si sensibles aujourd’hui, disparaîtront pour ainsi dire à nos yeux ; croyant véritablement enfin, voyant en toutes choses Dieu, les intentions de Dieu et le bien qu’il se propose de nous faire par l’exercice de notre foi ; disant même du méchant qui l’outrage injustement, comme David le disait de Simhi : C’est Dieu qui l’envoie ! — On croit d’avance se posséder, on rêve de douceur, puis quand l’occasion vous surprend, on se laisse démonter par elle, l’orgueil blessé se redresse, une fumée vous monte à la tête, on ne se connaît plus, on redevient l’esclave de la violence. Voilà recueil pour certains caractères, non les moins nobles, celui des Moïse vraisemblablement, des David, des saint Paul, que je vous citais tout à l’heure. Que de rechutes pour ces hommes-là, que de résolutions, que de luttes avec eux-mêmes, que de persévérance, que de triomphes et quels triomphes, avant de devenir du consentement de tous, ennemis comme amis, les plus doux d’entre les hommes ! N’en est-il pas de cette douceur comme du royaume des cieux qui veut être forcé, et ne peut-on pas dire d’elle aussi en un sens qu’il n’y a que les violents qui l’emportent ?

Et non seulement la douceur chrétienne, la vraie débonnaireté suppose une victoire complète et décisive, mais surtout elle suppose une victoire continue sur soi-même. — Pour plusieurs, en effet, ce n’est pas tant le moment même d’une contrariété qui met leur douceur à l’épreuve, c’est bien plutôt le lendemain. Ils supportent bénévolement le premier choc d’une offense, même d’une offense grave. Ils plient et se résignent : vous admirez leur générosité, leur philosophie, comme on dit. Malheureusement, cette injure si promptement et si facilement pardonnée, leur reste sur le cœur, de manière à y développer à la longue un levain d’aigreur et d’amertume qui, loin de s’adoucir avec le temps, ne fera que croître et s’envenimer. Ils ont paru se posséder alors que vous auriez éclaté à leur place,… attendez ! quand tout serait oublié pour vous, eux à leur tour vont commencer à se souvenir ; et pour avoir attendu, le diable, comme on dit, n’y perdra rien. Du ressentiment de l’injure il tirera plus de fiel mille fois qu’il ne l’eût pu faire de l’injure elle-même. On laisse passer en douceur les premières impressions ; mais ensuite, comme si on regrettait sa générosité : Tu es bien bon, se dit-on, d’avoir été si coulant ! voila cet homme qui t’a fait souffrir et il ne s’en souvient déjà plus ! toi, du moins, n’aie garde de l’oublier, et sans trop te démasquer, sache à l’occasion lui payer en monnaie ta rancune et lui faire savourer à petits traits ta malédiction par quelques paroles amères bien placées et quelques procédés bien désobligeants ! Oh ! si, sans que tu t’en mêles, il pouvait lui arriver quelque mal ! — Et le cœur une fois abandonné à ces secrètes méditations de haine, qui dira quand et où il s’arrêtera ? Qui dira jusqu’à quel point un tort, peut-être imperceptible à l’origine, ira grossissant dans l’esprit de celui qui en échauffe et en féconde ainsi au dedans de lui le ressentiment ? Qui dira les mauvaises pensées, les paroles blessantes, les outrages profonds à la douceur chrétienne qui pourront sortir de cette source empoisonnée ?

Vous qui avez fait quelque expérience de l’empire que prennent quelquefois sur nous ces basses sollicitations, ces honteuses réclamations de l’orgueil et de l’égoïsme ; vous qui savez dans quel triste état votre âme a été par là placée et entretenue ; vous qui savez ce qu’alors une douceur apparente, une fausse réputation de débonnaireté a pu receler d’irritation, de haine ; vous qui avez lutté contre ce fléau de votre caractère, qui avez voulu acquérir une vraie, une constante, une sincère et solide bonté ; mieux que personne, peut-être, vous nous direz ce qu’il en coûte, et vous conviendrez que la vraie douceur n’est pas naturelle à ce cœur de l’homme que l’Écriture déclare désespérément malin !

Qui le connaîtra ? ajoute-t-elle, qui dira ce qu’il peut receler de méchanceté, même chez les meilleurs ? — Hélas ! ce ne sont pas seulement les injures, en effet, comme je viens de le supposer, les offenses réelles, qui l’aigrissent, mais les contrariétés les plus ordinaires, les plus naturelles, les plus indépendantes de la volonté d’autrui. Je dis plus, il ne s’aigrit jamais tant quelquefois que contre ceux qui lui font du bien. Un malade, combien souvent s’aigrit-il contre ceux qui le soulagent ! Presque tout le monde est malade de cette maladie-là. On s’aigrit contre ceux qui vous conseillent pour votre bien ; on s’aigrit contre ceux qui vous consolent ; on s’aigrit contre ceux qui vous supportent ; on s’aigrit contre ceux qui se dévouent et se sacrifient pour vous. — La vraie douceur est une des pierres de touche les plus infaillibles d’une vraie conversion. Aussi l’Évangile la rapporte-t-il très particulièrement à celui dont la mission est de rendre possible l’impossible dans le travail de notre salut. S’il y a un fruit de l’Esprit, quel est-il selon saint Paul ? Écoutez : Le fruit de l’Esprit, c’est la charité, la joie, la paix, un esprit patient, la bonté, la débonnaireté, la douceur, autrement dit, la douceur, la douceur, et encore la douceur, et rien que la douceur sous ses diverses formes, et dans l’infinie variété de ses applications.

Voyons maintenant la promesse faite à la débonnaireté : — Jésus aurait pu dire assurément : Heureux les débonnaires, car le royaume des cieux est à eux ! La débonnaireté chrétienne, ce fruit de l’Esprit, suppose, nous l’avons vu, une victoire sur le vieil homme, un détachement, un renoncement, une confiance en Dieu, une charité, une paix, une joie, qui ne sont autre chose que les plus hautes et les plus pures manifestations de la vie du ciel sur la terre. Pas de meilleure preuve que le royaume de Dieu est entré dans une âme, que de la voir ainsi se transfigurer à l’image de l’agneau de Dieu. Jésus ne dit pas le moins, il dit le plus, en déclarant que les débonnaires hériteront la terre. Ils hériteront le ciel, cela ne fait pas question. Ils l’ont hérité déjà, mais en outre, mais en attendant, ils hériteront même, et dès ici-bas, la terre.

J’ai déjà fait pressentir que cela semblait au premier abord tout particulièrement contradictoire. — Qu’est-ce que ce monde ? Lui ferais-je tort en disant que c’est le champ clos de l’égoïsme, peuplé d’hommes occupés à se devancer les uns les autres sur la grande route de l’intérêt personnel avec la devise : Chacun pour soi, fût-ce aux dépens d’autrui ? — Qu’est-ce que le vrai débonnaire ? Sinon précisément l’homme qui se désarme dans ce conflit et qui dit : Dépouillez-moi, je ne résiste point au mal ; demandez-moi la moitié de mon bien, je vous livre le tout ; maltraitez-moi, je ne réponds aux outrages que par des bienfaits et des bénédictions ? — Et c’est à cet homme-là que Jésus dit : Tu hériteras la terre !

Quoi donc ?… Il héritera la terre ! Mais je serais tenté de me demander plutôt comment il y pourrait subsister. L’étrange moyen, puisqu’enfin il s’agit de bonheur terrestre, l’étrange moyen d’assurer sa paix et sa prospérité sur la terre, que de s’offrir libéralement en butte à tous les assauts de l’indiscrétion, de la malveillance, des mauvais procédés, de la violence, de l’injustice ? — Et pourtant, elle est littéralement, elle est profondément, elle est divinement vraie, cette parole : Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre ! Ils hériteront la terre, d’abord, parce que l’héritage de la terre, comme celui du ciel, n’est pas affaire du dehors, mais affaire du dedans ; il n’est pas dans les circonstances, il est dans le cœur. Il n’y a qu’un seul vrai bonheur, comme il n’y a qu’un seul vrai Dieu, et ce bonheur n’est pas une situation, c’est un état. — Or, l’homme animé d’un esprit doux est heureux dans son cœur ; cela se voit, cela se sent. Sa disposition marque un fond de paix et de contentement, elle n’est que le tranquille rayonnement d’une âme qui reflète le ciel ; comme en retour aussi elle devient une cause nouvelle de paix et de contentement par les rapports intimes et profonds qui existent entre la douceur et la bonne conscience.

Un homme irritable, sensible à la moindre injure, veillant sur son droit, épiant les offenses réelles ou imaginaires auxquelles il peut être en butte, cet homme-là travaille à se rendre constamment malheureux ; il devient sombre, soucieux, il est en guerre avec lui-même ; sa paix est à la merci de tout le monde et de tous les événements ; au moment où il croit la tenir, un rien la lui ravit, son existence est une suite d’agitations imprévues, qui le troublent de plus en plus profondément. Et si sa susceptibilité se renferme, et se concentre en ressentiments qu’il nourrit secrètement dans son cœur, sa condition n’en devient que pire. Peu d’hommes sont plus à plaindre par leur faute que les hommes de ce caractère-là. Ils finissent par avoir toujours au moins un serpent au dedans d’eux, qui les accompagne et les mord en tous lieux. Qu’est-ce qu’avoir dans le cœur un sentiment pénible contre quelqu’un, si ce n’est avoir soi-même une peine dans son cœur, une peine sans adoucissement, sans consolation possible, une peine qu’on se fait à soi-même, qui se nourrit de tout et que tout ravive et aiguillonne. Non, cet homme-là n’hérite pas la terre ! C’est la terre bien plutôt qui lui ravit à chaque instant son héritage de paix et de bonheur intérieur ; le seul héritage vraiment désirable ici-bas pour une âme immortelle. — Que plus heureux est l’homme doux et débonnaire ! Que de causes de trouble il ignore ! Que de flèches empoisonnées volent autour de lui, et auxquelles il demeure invulnérable ! Que de blessures profondes, que de souffrances intimes, que de secrets tourments dont il ne se doute pas même ! Il y a une charité dont il est dit qu’elle est douce, et qu’elle ne soupçonne point le mal. J’ai souvent pensé qu’il était bien des douleurs cuisantes, en retour, que cette charité-là ne devait pas soupçonner non plus.

Vous qui vous défiez toujours de quelqu’un, qui êtes toujours dans la crainte d’une injustice, d’un manque d’égards ; dont l’amour-propre est comme une plaie toujours en chair vive, et redoutant jusqu’à l’idée seule du moindre attouchement, êtes-vous heureux ? — Vous que le souvenir d’une offense peut poursuivre pendant des jours et des mois comme une goutte amère qui empoisonne votre vie, comme un méchant démon qui vous souffle la haine, la jalousie, l’enfer ; quand vous roulez dans votre esprit vos noires pensées, quand vous les retrouvez la nuit sur votre couche en place du sommeil, êtes-vous heureux ? — Vous enfin qui ne pouvez vous dissimuler le désaccord profond de vos sentiments habituels avec ce que doivent être ceux d’un chrétien, qui vous sentez condamnés par la seule pensée de Jésus-Christ, que dis-je ? par votre propre cœur, êtes-vous heureux ? — Ah ! ne dites-vous pas avec nous : Heureux, heureux plutôt le débonnaire qui n’a pas l’idée seulement que personne puisse ou veuille lui faire quelque tort ! Heureux le débonnaire dont le repos n’est troublé par aucun aiguillon de ressentiment et qui dans toutes ses relations porte avec lui comme une atmosphère de bienveillance ! Heureux le débonnaire dont la douceur, reflet de celle du Sauveur, avant-goût de celle du ciel, lui transforme tout ici-bas : — Heureux les débonnaires car ils hériteront la terre !

Ils hériteront la terre, parce qu’ils ont la paix avec eux-mêmes et en eux-mêmes sans doute avant tout, mais aussi parce qu’ils l’ont avec leurs frères. — Il est si peu vrai que l’homme inoffensif appelle l’offense et l’homme bienveillant la malveillance, que c’est tout le contraire qui arrive. Les dispositions de l’âme sont contagieuses : qu’est-ce qui rend hostile l’amour-propre d’autrui comme la susceptibilité ? qu’est-ce qui le désarme comme la douceur ?

J’en appelle a tout cœur d’homme : Voici un humble chrétien plein de douceur et décidé à supporter patiemment toute offense parce que son Dieu le lui commande et que son Sauveur le lui enseigne. Vous l’avez offensé, vous lui avez fait ce que jamais à sa place vous n’auriez supporté. Mais au lieu de la colère et du ressentiment, vous n’avez rencontré chez lui qu’une tristesse pleine de support, de promptitude à pardonner, à rendre au double le bien pour le mal… Où est l’homme capable d’abuser de cette douceur, de renouveler l’offense, de frapper sur la seconde joue ? Où est l’homme qui ne sentirait devant une telle attitude les bras lui tomber, son cœur se fondre et des charbons de feu s’amasser sur son front ?… Ne nous avançons pas trop ! Cet homme vous le trouverez peut-être, à la honte de notre méchant cœur ! Mais l’homme capable de résister à un tel procédé deux fois, trois fois, toujours ?… A l’éternelle gloire de la douceur chrétienne, vous ne le trouverez pas ! Dieu qui tient tous les cœurs en sa main, même celui des méchants, a mis la sauvegarde du débonnaire dans le cœur même de son adversaire. Il permet à la vague furieuse d’ébranler en s’y brisant le rocher qui résiste, mais il lui commande de s’abaisser pour mourir sur le sable doucement incliné qui cède en se retirant.

Allez donc, enfants de Dieu, disciples du Maître doux, allez famille débonnaire ! Suivez en paix votre chemin au milieu de ce conflit d’égoïsme et de passions, sur ce champ de bataille qu’on appelle le monde ! Allez ! Ne craignez point, et que votre, cœur ne se trouble point ! Vous portez en vous-même une paix que nul ne peut vous ravir. Et si la guerre règne partout au dehors, je vois des yeux de la foi comme un invincible rempart dont Dieu lui-même vous entoure et vous protège ; je vois Celui qui apaise les vents et qui calme les tempêtes marchant à vos côtés et vous couvrant de son ombre ; je vois devant vous, à son approche, le superbe s’abaisser, le vindicatif oublier son ressentiment, l’ambitieux imposer silence à sa cupidité, et la débonnaireté conquérir paisiblement sa route dans le cœur même de ceux qui semblaient de loin la menacer : Heureux, heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre !

Admirez, admirez en terminant la sagesse et la bonté de Dieu ! Admirez l’harmonie sublime qui préside à la constitution de son royaume ! Il commande sans condition. Il entend qu’on lui obéisse parce qu’il est Dieu : Je t’ai créé innocent ; je t’ai sauvé perdu. Tu me dois doublement ton corps et ton esprit qui m’appartiennent ! A qui d’un cœur soumis et reconnaissant lui dit : Me voici, Seigneur, me voici sans réserve, que veux-tu que je fasse ? Racheté a un si grand prix, je ne suis plus à moi-même. — A celui-là le Seigneur donne le ciel en espérance : Tu auras la vie éternelle ! Et si la route qui y conduit est une voie de douleur et de renoncement, qu’importent les afflictions du temps présent ! sont-elles à comparer avec la gloire à venir qui doit être manifestée en toi ? Entre désormais courageusement dans la carrière, jette-toi dans la mêlée les yeux en haut, les yeux vers le but de la vocation céleste en Jésus-Christ. Charge ta croix, qu’il te suffise des promesses de la vie à venir !

Mais, oh ! merveille ! oh ! surprise !… Pour qui résolument et sincèrement commence à porter sa croix sans regarder derrière lui ; la voici qui se transforme insensiblement en un fardeau léger, en un joug adorablement doux, et lui fait trouver dès ici-bas le repos de son âme ! Pour qui abandonnant les poursuites ambitieuses ou intéressées des enfants de ce siècle, prend son parti de chercher premièrement et exclusivement le royaume de Dieu et sa justice ; voici toutes les autres choses qui commencent à affluer par-dessus ! Pour qui sur les traces de Jésus entreprend de renoncer au monde, à lui-même, à ce qu’il a de plus cher ;… voici, voici le centuple qui commence à lui être rendu dès cette vie ! Pour qui ne veut plus avoir devant les yeux que les promesses de la vie à venir, voici les promesses de la vie présente qui commencent à fleurir sur son chemin ! Le ciel lui-même enfin vient jusque sur la terre à la rencontre des âmes qui lui appartiennent. Et en Christ il ne faut plus dire : Heureux les riches ! heureux les grands ! heureux ceux que le monde encense ! heureux les heureux ! mais bien plutôt : Heureux les pauvres en esprit ! heureux ceux qui pleurent ! heureux, les débonnaires ! heureux ceux qui ont faim et soif de justice !… Heureux, car le royaume des cieux est à eux ! heureux, car ils hériteront la terre ! heureux, car toutes choses désormais concourent ensemble à leur plus grand bien !

Amen !

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