Les épîtres de Paul

§5.
Coup d’œil sur le travail critique accompli jusqu’à nos jours

Nous distinguons trois périodes dans le développement du travail critique accompli jusqu’à cette heure sur le N.T.

La première va jusqu’à la réunion des vingt-sept écrits du N.T. en un recueil canonique généralement adopté ; c’est-à-dire jusqu’à la fin du IVe siècle.

La seconde comprend tout le temps durant lequel ce recueil a joui d’une autorité à peu près incontestée. Cette période va du commencement du Ve siècle jusqu’au milieu du XVIIIe

La troisième date du moment où le recueil canonique est devenu l’objet de la libre critique ; elle dure depuis le milieu du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours.

Ces trois périodes peuvent être désignées comme celles de la formation, de la conservation et de la dissolution du Canon.

1re période : du Ier siècle au IVe

On date parfois le commencement de la science critique de la fin du IVe siècle, époque à laquelle remontent les premiers ouvrages sur cette science qui nous aient été conservés. Ce point de départ serait le vrai, si l’on définissait avec Baur l’étude qui nous occupe « la critique du Canon », car il est clair qu’une telle étude supposerait le Canon déjà formé et généralement admis. Mais nous avons constaté que cette définition n’est pas exacte et il est certain que l’étude critique des écrits du N.T. remonte à un temps beaucoup plus ancien.

Dans le N.T. lui-même, nous trouvons déjà un fait appartenant à ce domaine. A l’occasion d’une lettre qui lui avait été faussement attribuée, et qu’il mentionne 2 Thessaloniciens 3.1-2, Paul engage les membres de cette Église à être sur leurs gardes ; et pour prévenir désormais toute erreur, il leur donne, en terminant cette lettre, un spécimen authentique de sa signature. « La salutation de ma propre main, à moi Paul, ce qui est ma marque dans toutes mes lettres ; ainsi j’écris. »

Dès la première moitié du IIe siècle, Papias, évêque de Hiérapolis, en Asie-Mineure, déclare préférer la tradition vivante aux écrits qui circulaient de son temps dans les églises et « qui renfermaient des commandements étrangers à ceux que le Seigneur lui-même a donnés à la foi : » Il était donc déjà préoccupé du devoir d’écarter les nombreux écrits renfermant des enseignements malsains que l’on faisait dériver du Seigneur. Il a aussi transmis sur les origines de nos deux premiers évangiles des renseignements précieux, qui occupent encore une grande place dans la critique.

Peu après le milieu du IIe siècle, nous rencontrons un document qui atteste d’une manière bien frappante les préoccupations critiques de cette époque, le Fragment dit de Muratori. C’est une liste raisonnée des écrits qui méritent d’être lus publiquement dans les assemblées de l’Églisel, afin de les distinguer soit de ceux qui ne doivent être lus que privémentm, soit de ceux qui ne doivent pas être lus du toutn. Cet écrit date de 160 à 180 et provient vraisemblablement d’un membre considéré de l’église de Rome.

l – Ce sont les quatre évangiles, les Actes, treize épîtres de Paul, Jude, 1 et 2 de Jean (la Sapience ?), l’Apocalypse de Jean, et même l’Apocalypse de Pierre, quoique plusieurs soient d’un autre avis à l’égard de cette dernière. De notre N.T. manquent donc l’épître de Jacques, les deux de Pierre et celle aux Hébreux.

m – Le Pasteur d’Hermas.

n – Deux fausses épîtres attribuées à Paul (aux Laodicéens et aux Alexandrins) et toute une série d’écrits provenant de différentes sectes contemporaines.

Le motif donné par l’auteur pour refuser au Pasteur d’Hermas l’admission à la lecture publique : « que ce livre n’appartient ni au recueil des prophètes, ni au nombre des écrits provenant des apôtres, » prouve que l’origine apostolique était à ses yeux la condition indispensable de l’admission dans le registre des livres de la nouvelle alliance à lire publiquement.

C’est à peu près de cette même époque que datent les deux plus anciennes versions du N.T., la version syriaque dite Peschito, et la version latine, ordinairement appelée Itala ; elles ont été suivies de près des versions égyptiennes. Ce n’étaient point là des travaux purement privés, mais des traductions faites pour être employées dans les assemblées de l’Église. La composition de ces recueils supposait donc une certaine entente préalable entre les conducteurs des églises, par conséquent un choix réfléchi entre les livres à accepter ou à exclure. Si donc la Peschito ne renferme des épîtres catholiques que la 1re de Jean et la 1re de Pierre, et si la version latine ne possède ni l’épître aux Hébreux, ni celle de Jacques, ni la 2me de Pierre, on peut conclure de là qu’un travail d’élimination avait écarté les livres omis, à moins que l’on ne suppose, pour un certain nombre d’entre eux, qu’ils n’étaient pas encore connus dans les églises d’Italie ou de Syrie.

Le premier ouvrage proprement dit, à nous connu, mais non conservé, qui ait traité positivement des matières appartenant à notre science, date des premiers temps du IIIe siècle ; c’est celui de Clément d’Alexandrie, intitulé Ὑποτυπώσεις ; Adumbrationes, Esquisses. Nous ne le connaissons que par les rapports d’Eusèbe (IVe siècle) et de Photius (IXe siècle), par divers fragments conservés par Œcuménius (Xe siècle), et par une traduction latine conservée on partie, mais dont l’authenticité est contestéeo. Cet écrit renfermait, au rapport d’Eusèbe, « des exposés sommaires de tous les écrits canoniques, sans omettre les écrits contestés, Jude et les autres épîtres catholiques, celle de Barnabas et l’Apocalypse de Pierre ». Clément y parlait de l’origine des évangiles, racontait en particulier celle de l’écrit de Marc ; il discutait sur l’origine de l’épître aux Hébreux, racontait le martyre de Jacques, frère du Seigneur, et donnait beaucoup d’autres renseignements relatifs aux écrits bibliques, renseignements qu’il déclarait tenir surtout de Pantène, son prédécesseur dans la direction de l’école catéchétique d’Alexandrie.

o – Voir Théod. Zahn : Supplementum Clementinum, dans Forschungen zur Geschichte des N. Tchen Kanons, IIIter Th., 1884.

D’après les savantes recherches de Zahn, il est probable que les trois premiers livres de cet écrit traitaient de la Genèse, de l’Exode, des Psaumes et del’Ecclésiaste ; le 4e de l’épître aux Romains et des deux aux Corinthiens ; le 5e de celles aux Hébreux, aux Galates, aux Thessaloniciens, aux Philippiens et aux Colossiens ; le 6e des évangiles et des Actes ; le 7e de Jacques, 1 Pierre, Jude, 1 et 2 (et 3 ?) Jean, des Pastorales et de Philémon ; le 8e de Barnabas, 2 Pierre et des Apocalypses de Pierre et de Jean.

Les travaux de Clément furent continués par Origène, son disciple (IIIe siècle) ; celui-ci rapporte franchement les doutes de plusieurs sur l’épître de Jacques et la 2e de Pierre ; il énonce sur l’épître aux Hébreux une opinion un peu différente de celle de son maître.

Denys d’Alexandrie, disciple et ami d’Origène, dans un écrit sur l’Apocalypse, en contestait l’origine apostolique en raison de la grande différence de style entre ce livre et le quatrième évangile, qu’il envisageait comme étant incontestablement l’œuvre de Jean l’apôtre.

Eusèbe de Césarée, dans la première moitié du IVe siècle, nous a laissé, dans son Histoire ecclésiastique, les renseignements les plus importants sur l’emploi que faisaient des écrits du N.T. les Églises antérieures à son temps. Partant de ce fait, il distingue les livres universellement reçus comme apostoliques, de ceux dont la légitimation ecclésiastique laisse plus ou moins à désirer, puis de ceux qui en sont absolument dénués. Ce travail d’Eusèbe, malgré quelques imperfections inévitables, est fondamental.

Jean Chrysostome, dans la seconde moitié du IVe siècle, commence chacune de ses suites d’Homélies sur les Actes et sur les épîtres de Paul par quelques considérations au sujet de ceux à qui ces écrits ont été adressés, du motif qui les a dictés et de leur contenu. Dans le préambule de l’épître aux Romains, il discute avec soin l’ordre chronologique des épîtres et présente sur cette question de fines observations dont il résulte que les lettres aux Corinthiens ont précédé celle aux Romains et ont été précédées par celles aux Thessaloniciens ; que celle aux Romains est antérieure à toutes celles de la captivité, et que la 2me à Timothée doit être envisagée comme la dernière de toutes. Il prouve par des exemples l’importance de cette question chronologique, en tirant des époques différentes dans lesquelles ces épîtres ont été écrites l’explication de certaines différences que l’on remarque entre elles. Réunies, ces courtes préfaces formeraient un précis d’introduction aux épîtres de saint Paul.

L’école théologique qui s’était fondée à Antioche vers la fin du IVe siècle eut pour représentant le plus distingué Théodore, évêque de Mopsueste, en Cilicie. Esprit original et très indépendant, il releva énergiquement le côté humain aussi bien dans les écrits sacrés que dans la personne du Seigneur lui-même. Son disciple, Théodoret, évêque de Cyros sur l’Euphrate, a écrit, sur les épîtres de Paul des commentaires dont les données critiques ont, comme celles de Chrysostome, exercé une grande influence sur la science des temps subséquents.

En Occident, dès la seconde moitié du IVe siècle, deux hommes contribuèrent surtout à diriger le mouvement qui poussait à une décision de l’autorité ecclésiastique relativement à la composition du recueil canonique des livres de la nouvelle alliance. Ce furent Augustin, qui dans son écrit De doctrinâ christianâ donna les règles d’interprétation des saintes Écritures, et Jérôme, dont les Lettres et le traité intitulé De viris illustribus, seu Catalogus Scriptorum ecclesiasticorum, renferment une foule de renseignements et de jugements sur les écrits du N, T. Ces écrits ont été parmi les moyens d’information les plus importants pour le travail des temps subséquents. Ce fut sous l’influence de ces deux hommes, auxquels il faut joindre Athanase, qu’en Orient et en Occident fut fixé dans la seconde moitié du IVe siècle le recueil sacré du N.T.

2e période : du Ve au milieu du XVIIIe siècle

Le Canon existe ; l’autorité ecclésiastique a prononcé ; la science critique a désormais devant elle un fait accompli. Elle n’a plus d’autre soin que de maintenir ce Canon tout formé, en en justifiant la composition, en formulant les règles de son interprétation et en travaillant à en conserver exactement le texte. Tout au plus quelques-uns se permettront-ils de distinguer entre les divers degrés d’autorité à attribuer aux écrits qui le composent.

Un écrivain grec, nommé Adrien, qui passe pour avoir été disciple de Chrysostome, publia vers 450 un écrit intitulé Εἰσαγωγὴ τῆς γραφῆς, Introduction à l’Écriture, dans lequel il expliquait les termes figurés, les anthropomorphismes et d’autres particularités de style du N.T.

Vers le milieu du VIe siècle, l’évêque africain Junilius, profitant des leçons d’un savant persan, Paul de Bassora, sorti du séminaire théologique de Nisibis, en Mésopotamie, publia les enseignements qu’il avait reçus de lui, dans l’écrit encore existant De partibus divinæ legis (publié par Kihn, 1880). Il y traite du style des livres bibliques, de leurs auteurs, de leur autorité et de leur contenu. Il se montre très libre dans l’appréciation de leurs degrés d’autorité, attribuant aux uns une autorité complète, à d’autres (Jacques, Jude, 2 Pierre, 2 et 3 Jean, Apocalypse) seulement une autorité douteuse. Cet ouvrage a joui d’une haute considération, ce qui explique sa conservation assez exceptionnelle. Nous constatons par son moyen le fait intéressant d’une école théologique mésopotamienne. Elle avait été fondée au Ve siècle par le parti nestorien ; elle comprenait plusieurs classes et possédait un plan d’études nettement tracéa. Cette école forma avec celle d’Édesse, fondée par Ephrem, un intermédiaire entre celle d’Antioche, dont nous avons parlé, et celle de Calabre, dont nous parlerons bientôt

a – Voir Schaff, History of the Christian Church, III, p. 237.

C’est ici le moment de mentionner les éléments de critique que renferment dans un grand nombre de documents les titres, placés en tête des écrits du N.T., et les apostilles qui les terminent. Les titres n’existaient pas dans les autographes, d’après le témoignage de Chrysostome, et il est bien évident, par exemple, que ceux de nos évangiles ont été rédigés simultanément et sur le même type. Ce fait eut lieu sans doute lorsqu’on réunit ces livres en un recueil canonique. On y a formulé le contenu de la tradition primitive sur la personne de leurs auteurs. Les titres mis en tête des épîtres ont été tirés de l’adresse même de ces écrits et n’appartiennent pas non plus à leurs auteurs, comme cela ressort des expressions : Première aux Thessaloniciens, aux Corinthiens, etc. Les apostilles, placées à la fin des livres, sont l’œuvre d’une critique rudimentaire qui, bien souvent, s’est laissé induire en erreur par de simples apparences. Dans les plus anciens manuscrits, elles se présentent sous une forme très brève, comme une répétition du titre, destinée à marquer la fin du livre. Peu à peu, elles s’amplifient, ou cherchent à indiquer le lieu de la composition, la personne par le moyen de laquelle l’écrit a été expédié. Ces données critiques, quand elles ne sont pas tirées des ouvrages des Pères, tels que Chrysostome et Théodoret, proviennent d’une lecture très superficielle des écrits bibliques eux-mêmes, comme lorsqu’il est dit de la lre aux Corinthiens et de l’épître aux Hébreux qu’elles ont été envoyées par le moyen de Timothée, de celle à Tite qu’elle a été écrite de Nicopolis, des deux aux Thessaloniciens qu’elles ont été écrites d’Athènes, de celle aux Galates qu’elle a été écrite de Rome, et de la 1re aux Corinthiens qu’elle l’a été de Philippes. Ces annotations sont vraisemblablement dues en majeure partie à Euthalius, diacre de l’église d’Alexandrie vers le milieu du VIe siècle, lorsqu’il publia les écrits du N.T. sous une forme destinée à faciliter la lecture publique. Les manuscrits postérieurs présentent des accroissements constants à ces titres et à ces apostilles, comme on peut le voir dans les éditions du N.T. de Tischendorfb.

b – Ainsi les souscriptions des évangiles où nous lisons que Matthieu a été écrit en hébreu huit ans après l’Ascension et traduit en grec par Jacques ou par Jean ou par Barthélemi ; que l’évangile de Marc a été écrit en latin dix ans après l’Ascension et remis aux fidèles par Pierre, le coryphée des apôtres ; que celui de Luc fut écrit en grec à Alexandrie ou bien dans une ville de Macédoine, la vingt-deuxième année après l’Ascension ; que celui de Jean fut composé par Jean à Pathmos ou bien à son retour à Éphèse, la troisième année après l’Ascension, etc., etc.

Parmi les œuvres d’Athanase figure un écrit intitulé Synopsis scripturæ sacræ, qui est évidemment d’un temps postérieur à ce Père et duquel paraissent provenir aussi plusieurs de ces noticesc.

c – Nous ne pouvons adhérer au jugement de Credner, qui place la composition de cet écrit au Xe siècle.

Vers le milieu du VIe siècle, Cassiodore, ancien ministre d’État du roi ostrogoth Théodoric, s’étant retiré des affaires, fonda en Calabre, spécialement en vue de l’étude des Écritures, le couvent de Viviers, Monasterium vivariense. Il écrivit pour l’éducation des moines qu’il y avait réunis, plusieurs ouvrages, en particulier celui qui est intitulé : De institutione divinarum scripturarum. Cet écrit était la première moitié d’un livre dont la seconde partie était consacrée aux sciences et aux lettres en général. C’était, comme dit Schaff, une espèce d’Encyclopédie élémentaire, un plan d’études destiné à apprendre aux moines l’usage de la bibliothèque formée pour eux et à les préparer à bien copier les manuscrits. Cassiodore énumère dans cet ouvrage tous les écrits bibliques l’un après l’autre, en indiquant pour chacun d’eux les commentaires les plus importants. Il mentionne à cet occasion les ouvrages de ses devanciers, Tichonius, Augustin, Eucherius et Junilius, qu’il avait réunis pour en faire comme la clef des Ecritures ; puis il donne les règles les plus importantes pour l’intelligence des écrits bibliques, et traite d’autres sujets appartenant plus ou moins à la critique. Cet ouvrage, qu’il appelle lui-même dans la préface Introductorii libri, est une compilation des renseignements sur les saintes Ecritures qui se trouvaient dans les écrits de ses devanciers ; il a été l’écrit principal dont on s’est servi jusqu’à la Réformation.

Pendant le millier d’années qui suit, nous n’avons à mentionner qu’un écrit d’Alcuin (VIIIe siècle), intitulé Disputatio puerorum, fait par demandes et réponses, et dont le huitième chapitre traite du N.T., du nombre des livres qu’il renferme, de leur ordre, de leurs auteurs, de leurs titres, enfin, très sommairement, de leur contenu.

Un peu plus tard, en Orient, Photius, patriarche de Constantinople (IXe siècle), écrivit l’ouvrage intitulé Amphilochia, contenant des règles herméneutiques et critiques. Enfin, au XVe s., Nicolas, de Lyra en Normandie, traita dans ses Poslillæ perpetuæ ou Biblia sacra latina cum postillis (1471), tout ce qui concerne le Canon et chacun des livres particuliers, leurs auteurs, leur contenu, le moment de leur composition et les règles de leur interprétation. Nicolas ne craignit pas de réveiller les anciennes discussions sur l’origine apostolique de certains livres, par exemple sur l’épître aux Hébreux, mais en concluant à sa composition par Paul. On connaît l’influence que l’Église catholique attribue à cet auteur sur Luther et sur la Réformationd. Nicolas de Lyra forme en effet la transition de la quiétude somnolente du moyen âge au réveil scientifique qui accompagna la Réformation.

d – On disait : « Si Lyra non lyrasset, Lutherus non saltasset. »

Si nous ne datons pas de cette grande rénovation religieuse une nouvelle période de la critique, c’est qu’en réalité la Réformation n’a point mis fin à la phase conservatrice de la science qui nous occupe. Sans doute, en ramenant la pensée chrétienne de la tradition ecclésiastique aux sources vives de la foi dans les Écritures, elle provoqua un mouvement qui devait infailliblement opérer un jour le réveil des études bibliques. Mais cet effet ne se produisit dans toute son intensité que beaucoup plus tard.

Au moment même où commençait l’œuvre de Luther, deux auteurs catholiques, le savant Érasme et le cardinal Caïétan, firent revivre les anciens doutes sur les livres jadis contestés, tels qu’on les trouvait consignés dans les écrits d’Eusèbe et de Jérôme. Mais le concile de Trente, dans sa séance du 8 avril 1546, étouffa bien vite ces velléités d’une critique indépendante, en sanctionnant la divine autorité de tout le Canon du N.T., tel qu’il était reçu dans l’Église depuis la fin du IVe siècle.

Quelque temps avant cette décision, le dominicain Santes Pagninus, de Lucques, avait, publié son Isagoge ad sacras literas (1536), où il traitait de la langue du N.T., des traductions latines, du Canon et des règles de son interprétation.

Peu après le décret rendu à Trente, le dominicain Sixte de Sienne, dans sa Bibliotheca sancta, 1562, combattit les hérétiques, parmi eux les protestants, et défendit le Canon tel qu’il avait été admis par le concile. Il se permit cependant de répartir les livres du N.T., au point de vue de leur autorité, en deux classes, les proto-canoniques, à savoir les livres qui avaient toujours été universellement reçus, et les deutéro-canoniques (Hébreux, Jacques, 2 Pierre, 2 et 3 Jean, Jude, Apocalypse) ; il signala même un certain nombre de passages douteux dans les premiers, comme la seconde partie du dernier chapitre de Marc, le récit de la sueur de sang et de l’apparition de l’ange à Gethsémané dans l’évangile de Luc, et l’histoire de la femme adultère dans Jean. Mais il indiquait cette distinction comme ayant été faite précédemment (« de quibus aliquando inter orthodoxos Christianos controversia fuit »), plutôt que comme sa pensée propre. L’horreur du bûcher l’avait convaincu, comme dit Holtzmann, de la fausseté de ses propres vues.

Du côté des Réformés, on énonça au début des jugements très indépendants. Ainsi Carlstadt (André Bodenstein), dans son écrit de 1520 : De canonicis scripturis libellus, publié à Wittemberg, tout en rendant hommage à la majesté des Écritures devant laquelle doivent s’incliner prêtres et laïques, rois, empereurs, évêques, patriarches, les papes eux-mêmes, ne s’en permit pas moins de distinguer dans ces Ecritures trois degrés de celebritas, c’est-à-dire sans doute d’autorité canonique. Au premier degré appartiennent les quatre évangiles et les Actes, correspondant au Pentateuque dans l’A.T. ; au second, les treize épîtres de Paul, 1 Pierre et 1 Jean, correspondant aux Prophètes ; au troisième, les livres contestés (les cinq autres épîtres catholiques, celle aux Hébreux et l’Apocalypse) correspondant aux Hagiographes.

Luther dépassa de beaucoup Carlstadt en hardiesse. On connaît ses déclarations sur les épîtres de Jacques et de Jude, sur les Hébreux et l’Apocalypse. Dans sa traduction du N.T., il maintint sans doute ces quatre livres dans le Canon, mais en les plaçant à la fin du volume et sans les numéroter, pour bien faire sentir à quelle distance de tous les autres il les plaçait. Mais ces premières hardiesses critiques ne pouvaient à la longue tirer à conséquence dans l’Église protestante. Après avoir rejeté l’autorité de la tradition, sur laquelle reposait le dogme de l’Église catholique, la Réformation avait besoin d’un autre point d’appui, qu’elle ne pouvait trouver que dans le Canon des saintes Écritures. Elle fut ainsi amenée peu à peu à abandonner les libres allures des premiers temps et à adopter de fait le Canon reçu, tel que l’ancienne Église le lui avait transmis. On a reproché ce procédé à l’Église de la Réformation comme une inconséquence ; à tort, sans aucun doute, car l’autorité du messager qui me transmet un écrit qu’on lui a remis pour moi n’est point absolument décisive ; elle laisse place encore à l’exercice de mon propre jugement sur les origines et sur la valeur de l’écrit. Lorsque l’Église m’a mis en mains le livre d’un apôtre, qu’elle a reçu elle-même des premiers lecteurs à qui il a été adressé, son rôle est achevé ; le mien commence et j’ai à me convaincre moi-même par tout son contenu de la vérité de ce témoignage.

Calvin n’alla jamais aussi loin que Luther dans ses jugements sur certains livres du Canon. Cependant il écrit son Commentaire sur « l’épître » de Jean, et ne mentionne pas même les deux autres. Il déclare qu’il ne peut être amené à envisager l’épître aux Hébreux comme étant de Paul ; et quant à 2 Pierre, il dit : « non que l’apôtre l’ait écrite lui-même, mais un de ses disciples l’a fait pour lui, par son ordre. » Zwingle rejeta nettement l’Apocalypse dans la dispute de Berne.

Il s’écoula un certain temps durant lequel cet ébranlement se fit sentir. Puis, de plus en plus, l’ancien Canon traditionnel recouvra son autorité, quoique dans l’Église luthérienne on ait encore assez longtemps parlé de livres proto-canoniques et deutéro-canoniques.

Parmi les ouvrages qui ont été publiés dans l’Église protestante à la suite de la Réformation, nous mentionnons particulièrement ceux du réformé André Rivet, Isagoge, sive Introductio generalis ad scripturam sacram, 1627 ; du luthérien Walther, Officina biblica, 1636, et du Zurichois Jean Heidegger, Enchiridion biblicum, 1681. Ces ouvrages contiennent de riches matériaux relatifs à la langue, aux traductions, à l’interprétation, à l’inspiration et à la canonicité des écrits bibliques. Mais quant à l’origine de ces livres, ils ne présentent aucune investigation qui leur soit propre et en restent aux opinions reçues.

C’est en Hollande, chez les Sociniens et les Arminiens, que l’on rencontre quelques jugements indépendants, surtout chez Hugo Grotius, dont l’exégèse libre et originale contribua puissamment au réveil de l’esprit scientifique.

Chose inattendue, l’homme qui porta les premiers coups vraiment redoutables au joug qui comprimait depuis si longtemps l’essor des études critiques, ne sortit point de l’Église protestante. Ce fut un prêtre de l’Oratoire. Richard Simon avait publié en 1678 une Histoire critique du Vieux Testament, qui avait produit une très grande sensation et donné lieu à de violentes disputes. Il passa de là à l’étude du N.T. dans les quatre ouvrages suivants : Histoire critique du texte du N.T., 1689 ; Histoire critique des versions du N.T., 1690 ; Histoire critique des principaux commentateurs du N.T., 1693 ; Nouvelles observations sur le texte et les versions du N.T., 1695. Tout en affectant une grande impartialité scientifique, il en voulait particulièrement aux protestants, et s’efforçait de leur montrer que hors de la tradition de l’Église catholique ils n’avaient plus sous les pieds de terrain solidee. Cette polémique énergique contre la Réforme était-elle un moyen de se faire pardonner ses hardiesses par l’Église catholique elle-même ? Simon combat l’inspiration verbale des Écritures ; il rappelle que Jésus, tout en promettant l’inspiration aux apôtres, ne les a pas privés de leur raison et de leur mémoire. Il montre que le témoignage du Saint-Esprit par lequel les protestants cherchent à justifier leur foi aux Écritures, est un appui tout à fait insuffisant. Il soulève une foule de questions propres à ébranler l’autorité du Canon, telles que l’idée antique d’un original hébreu de Matthieu, celle de la composition non apostolique de l’épître aux Hébreux. Il discute ouvertement l’authenticité du passage des trois témoins (1 Jean 5.7). Tandis que les catholiques se sentaient abrités contre ces doutes par les décisions infaillibles du concile de Trente, les protestants se trouvaient à découvert sous ces traits dont on perçait le dogme de l’autorité scripturaire.

e – Il dit lui-même expressément dans sa préface à l’Histoire critique du V.T. « qu’il a voulu montrer que les protestants n’avaient aucun principe assuré de leur religion, en rejetant la tradition de l’Église. »

La critique de Richard Simon fut combattue immédiatement par J.-H. May, professeur à Giessen, dans son Examen historiæ criticæ Novi Testamenti a R. Simone vulgatæ, 1694. Cet ouvrage eut un grand succès et contribua à paralyser pour un temps l’influence du savant polémiste catholique.

Deux Introductions catholiques, publiées à cette même époque, continuèrent à suivre la voie tracée dans cette Église, sans paraître subir l’influence des travaux de Simon : celle d’Elies du Pin, professeur de philosophie à Paris, sous le titre de Prolégomènes sur la Bible, 1686, publiée comme seconde partie de l’écrit Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques. Tout en se rattachant aux idées reçues, cet ouvrage n’est pas dénué d’indépendance ; il ne s’en attira pas moins de la part de R. Simon une sévère critique. Le second fut celui du bénédictin Calmet, qui parut sous le titre : Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes à l’Écriture sainte, 1720. C’est le recueil des introductions particulières qui se trouvent en tête des Commentaires de ce savant sur les livres de la Bible. Ce livre renferme des études historiques, géographiques, archéologiques, faites avec beaucoup de soin et de science. L’origine de chacun des écrits sacrés y est exposée.

Nous passons sur de nombreux écrits protestants qui furent publiés dans la première moitié du XVIIIe siècle et qui sont plutôt des recueils de matériaux hétérogènes que des exposés scientifiques constitués et organiquement liés. Une branche importante de la critique se développa puissamment à cette époque, celle qui a pour objet le texte du N.T. Déjà en 1657, l’archevêque de Chester, Brian Walton, avait placé de très remarquables Prolégomènes en tête d’une Bible polyglotte, éditée à Londres. En 1707, ce travail fut repris par John Mill, dans les Prolégomènes de son Édition critique du Nouveau Testament. Dans cet admirable travail, l’auteur suivait à peu près la marche qu’ont adoptée plusieurs de nos auteurs les plus récents. Il traitait d’abord de l’origine des écrits particuliers, et cela conformément à la tendance apologétique régnant alors, mais en suivant, comme on l’a fait plus tard, l’ordre historique auquel il avait été amené par sa propre critique ; puis il exposait l’histoire de la formation du Canon, et enfin l’histoire du texte. Il préludait ainsi à l’ordre adopté par plusieurs Introductions modernes. La dernière partie était la plus importante ; elle renfermait les preuves incontestables des altérations qu’avait subies dans le cours des siècles le texte du N.T., aussi bien que celui de tout autre livre. Après cela il était impossible de nier les imperfections notables de ce qu’on avait complaisamment appelé le texte reçu. La nécessité d’un travail d’épuration du texte du N.T. s’imposait.

Cette conviction se fit aussitôt jour en Allemagne. Le prélat wurtembergeois J.-A. Bengel, qui depuis longtemps avait été tourmenté (misère maceratus) par la multitude des variantes constatées dans les écrits de Walton et de Mill, se livra avec ardeur à cette étude et publia en 1734 la première de ses nombreuses éditions du N.T., par lesquelles il a travaillé à corriger le texte reçu.

Dès 1751, J.-J. Wetstein publiait aussi une Édition critique du Nouveau Testament, précédée de Prolégomènes où il traitait avec une grande liberté des manuscrits grecs du N.T., des anciennes versions, des éditions et des variantes, etc. De plus en plus, le texte des anciens manuscrits et des traductions anciennes, exactement étudié, prenait le dessus et tendait à remplacer le texte reçu, dont on ne pouvait se cacher les nombreuses erreurs.

Sans doute, l’autorité du Canon lui-même n’était pas ébranlée par ce genre d’études ; mais il n’en est pas moins vrai que l’indépendance scientifique, puissamment réveillée, surtout par les ouvrages de Richard Simon, menaçait sourdement l’autorité canonique des livres du recueil sacré, en même temps que celle de leur texte. Jusqu’ici, la critique ne s’était exercée qu’à l’égard des antilégomènes ou livres contestés ; le moment était enfin arrivé où elle allait franchir cette limite, prendre à partie les anciens homologoumènes, ou livres universellement reçus, d’abord en petit nombre, puis dans une mesure toujours croissante, et déclarer enfin une guerre de principe à toute autorité dogmatique quelconque, comme incompatible non seulement avec les faits constatés, mais encore avec l’indépendance essentielle de la pensée chrétienne. Nous arrivons à la dernière période de l’histoire de la science critique, celle de la dissolution graduelle du Canon admis par l’Église depuis la fin du IVe siècle.

3e période : du XVIIIe siècle à nos jours

Ce fut dans la protestante Allemagne que levèrent les germes semés à pleines mains par le catholique français Richard Simon. La période de silencieuse fécondation avait duré un demi-siècle.

En 1750, J.-D. Michaëlis publia une Introduction aux écrits divins de la nouvelle alliance, qui eut jusqu’en 1788 quatre éditions. Dans la première partie, il traitait de l’histoire du texte, en commençant par une discussion sur l’authenticité et l’inspiration des écrits du N.T., et dans la seconde, il étudiait l’origine de chacun des livres particuliers. On a remarqué que d’édition en édition ses doutes allaient s’accentuant, non seulement par rapporta l’origine des anciens antilégomènes, mais même par rapport à l’autorité de plusieurs homologoumènes, tels que le 2e et le 3e évangile, dont les auteurs, comme simples disciples, non apôtres, ne participaient pas à l’inspiration promise à ceux-ci. Michaëlis lui-même était conscient de ce changement qui s’opérait graduellement dans ses conclusions critiques. Dans la préface de sa quatrième édition, après avoir jeté un regard en arrière sur l’époque où il avait publié la première, il disait tout franchement : « Nous (le public européen) ne savions pas encore alors ce que nous savons maintenant, et nous étions, comparativement à aujourd’hui, comme dans une sorte d’enfance. » Celui qui avait opéré le prodige n’était autre que Richard Simon. Michaëlis se défendait, il est vrai, dans une de ses préfaces, d’être l’épitomator, le simple abréviateur de Simon ; mais l’influence de l’oratorien français sur le professeur allemand n’en était pas moins sensible, et l’apologie même que nous venons d’entendre, en était la preuve. Hilgenfeld a dit un mot fort juste quand, tenant compte du progrès que l’on remarque dans les éditions successives de l’ouvrage de Michaëlis, il l’a appelé « une dissolution croissante du dogme de l’inspiration. » Michaëlis lui-même allait jusqu’à dire que si Dieu n’avait inspiré aucun des livres du N.T., et avait laissé Matthieu, Marc, Luc, Jean, Paul écrire par eux-mêmes ce qu’ils savaient, « leurs écrits n’en seraient ni moins antiques, ni moins authentiques, ni moins dignes de foi, et que la vérité de la religion chrétienne n’en serait pas ébranlée. » Voici comment il parlait de la tentative protestante de prouver l’inspiration des écrits sacrés par le témoignage du Saint-Esprit : « Quant à cette sensation intérieure, je dois avouer que je ne l’ai jamais éprouvée, et ceux qui la ressentent ne sont ni dignes d’envie, ni plus près de la vérité, puisque les mahométans l’éprouvent aussi bien que les chrétiens. »

Ainsi commençait à se creuser la pente sur laquelle allait rapidement glisser la critique. On a appelé l’ouvrage de Michaëlis « le commencement, de la critique scientifique du N.T. ». Ce jugement est vrai aussi, en ce sens que la tâche de cette science y a été plus clairement définie qu’elle ne l’avait jamais été. Voici ce que l’on y lisait : « Celui qui ne connaît pas exactement le but que chaque apôtre s’est proposé en écrivant son évangile ou sa lettre, ne comprendra jamais complètement cet écrit. » Il est évident, en effet, que l’intelligence de ce but implique la connaissance de l’auteur et celle de toute la situation historique et morale dans laquelle il a composé. Cet ouvrage exerça une influence considérable non seulement en Allemagne, mais aussi en Angleterre, où il fut traduit par Herbert Marsh, professeur à Cambridge (1793), avec des annotations et des rectifications importantes. Ces dernières furent traduites en allemand par Rosenmüller, comme ouvrage à part (1795). L’Introduction de Michaëlis a été traduite en français par Chenevière, professeur à Genève, qui y a ajouté les observations de Marsh (1822).

Lorsque le moment d’une grande révolution spirituelle est arrivé dans l’histoire, il n’est pas toujours besoin d’un grand génie pour la faire éclater. L’homme qui secoua décidément le joug séculaire du Canon traditionnel, en même temps que celui de son autorité et de tout le système de l’inspiration verbale, Semler, professeur à Halle (où il mourut en 1791), ne possédait pas des talents extraordinaires. Il apporta à son œuvre l’énergie d’une conviction profonde et neuve pour son tempsf. Chose étrange, il sortait d’un milieu absolument piétiste, mais dont les étroitesses l’avaient complètement repoussé. Homme d’étude et d’érudition, il avait été fortement saisi par le contenu des écrits de Richard Simon, dont il provoqua la traduction allemande par Cramer (1776). il avait cependant retenu une chose du piétisme qui avait présidé à son éducation : l’antipathie contre l’orthodoxie morte, c’est-à-dire intellectualiste, qui avait régné si longtemps en Allemagne et dont Spener et Francke avaient secoué le joug au profil du spiritualisme chrétien. Partant en un certain sens du même point de vue, Semler estimait, vaine toute conception religieuse qui ne pouvait pas contribuer à l’amélioration morale de l’homme. Il en vint sur cette voie à n’envisager dans l’Écriture comme Parole de Dieu que l’élément, moral, en le distinguant de tout ce qui l’encadrait. Les écrits sacrés ont été composés pour des temps absolument différents des nôtres et aux idées desquels les écrivains scripturaires ont dû s’accommoder. Les évangiles et les épîtres sont encore tout remplis de mythologie judaïque, et il faut les en purifier et ne conserver du N.T. « que ce qui est capable d’inspirer aux hommes de nouvelles résolutions pour l’adoration de Dieu et pour leur perfectionnement. » C’est là ce qui seul est inspiré dans l’Écriture, ce qui seul mérite le nom de Parole de Dieu. Cet élément divin permanent, du christianisme était-il, aux yeux de Semler, le produit d’une révélation ou celui d’un progrès naturel de la raison ? Semler prétendait que ce n’était là qu’une question de mots. Il croyait sans doute à la différence entre religion naturelle et christianisme ; mais cette différence consistait uniquement dans la supériorité morale relative du second. C’était, selon lui, l’apôtre Paul qui avait présenté de la manière la plus pure et la plus dégagée des idées juives le contenu divin de l’Évangile. Aussi s’était-il élevé un conflit, violent entre ce vrai fondateur du christianisme et le parti judéo-chrétien. Nous en trouvons la preuve dans le N.T. lui-même, et les épîtres catholiques ne sont autre chose qu’un essai de conciliation entre les deux tendances opposées. On le voit, c’était toute la conception future de l’école de Tubingue qui était en germe dans l’esprit de Semler.

f – Voir l’art, de Tholuck sur Semler dans l’Encyclopédie de Herzog, 1re éd.

On comprend ce que devenaient le N.T. et son autorité canonique à ce point de vue. La critique pouvait se donner désormais libre cours non seulement à l’égard des anciens antilégomènes, parmi lesquels l’Apocalypse était le plus antipathique à Semler, mais encore à l’égard des homologoumènes, ce sanctuaire dans lequel la critique n’avait jusqu’alors osé pénétrer. Semler lui-même déclarait que dans les évangiles de Matthieu et de Marc ne se trouvaient que bien peu de matériaux émanant de leurs prétendus auteurs. il élevait déjà des doutes sur la composition apostolique de la 1re de Pierre. Semler n’a pas écrit d’Introduction proprement dite, mais il a préparé tout le travail de la critique subséquente, par ses trois principaux écrits : Vorbereitung zur theologischen Hermeneutik, 1760-1769 ; Apparatus ad liberalem Novi Testamenti interpretationem, 1767 ; Abhandlung von freier Untersuchung des Canon, 1771-1775.

Dès ce moment, nous verrons se dessiner dans la critique du N.T. deux courants opposés, séparés par deux courants intermédiaires.

En 1788, Kleuker, dans ses Untersuchungen der Gründe für die Echtheit und Glaubwürdigkeit der schriftlichen Urkunden des Christenthums, prit la défense du Canon si sérieusement menacé par les idées de Semler.

Les deux principaux ouvrages d’Introduction après Semler furent ceux de Hænlein, professeur à Erlangen (Handbuch der Einleitung in die Schriften des Neuen Testaments, 1794-1800), et, de J,-E.-Chr. Schmidt, professeur à Giessen (Historisch-kritische Einleitung in’s N.T., 1804-1805). Le caractère du premier est essentiellement apologétique, conservateur ; il ne repousse pourtant pas absolument, les idées nouvelles, et dans bien des cas il n’attribue aux opinions traditionnelles qu’un certain degré de vraisemblance. Chez le second, on trouve déjà la marche historique adoptée par Mill, reprise plus tard par Credner et Reuss, d’après laquelle on traite premièrement des livres particuliers, puis de leur réunion en recueil canonique, enfin de l’histoire du texte ainsi que des traductions. Cet auteur est le premier qui ait élevé des doutes sur l’authenticité de la 2me aux Thessaloniciens et de la 1re à Timothée.

C’est à ce moment que parut l’un des ouvrages qui ont le plus marqué dans la science critique, l’Introduction au N.T., de J. Eichhorn, professeur à Göttingue, dont les trois premiers volumes renferment l’introduction aux livres particuliers du N.T., et les deux derniers l’Introduction générale (1804-1827). Cet ouvrage, écrit d’un style brillant et tout plein d’ingénieuses combinaisons, ménage, encore moins que celui de Schmidt, le Canon reçu ; Eichhorn rejette l’authenticité de Jude et de 2 Pierre, et même celle des trois Pastorales, dans lesquelles il reconnaît cependant quelques éléments authentiques. Mais il défend celle du quatrième évangile qui venait d’être sérieusement attaquée par Bretschneider. Eichhorn est l’auteur de la fameuse hypothèse de Urevangelium, l’évangile primitif, par laquelle il pensait pouvoir expliquer le rapport des trois synoptiques, et qui reparaît de temps en temps sous de nouvelles formes.

Un théologien catholique, J.-Léonhard Hug, professeur à Fribourg en Brisgau, prit contre Eichhorn la défense du Canon, tel que l’avait sanctionné le concile de Trente.

Son Einleitung in die Schriflen N.T., 1808, se distingue par une solide érudition, par des investigations neuves et pénétrantes, surtout relativement à la critique du texte, et par une foule d’observations originales. Le professeur Cellérier, à Genève, en a donné une analyse raisonnée dans le volume intitulé : Essai d’une introduction critique au N. T., 1823.

L’ouvrage de Hug n’empêcha pas le mouvement inauguré par Michaëlis et Semler, puis continué par Eichhorn, de suivre son cours. Un autre théologien catholique, Feilmoser, professeur à Tubingue, publia peu après lui une Einleitung in die Bücher des Neuen Bundes, 1810, remarquable par la liberté de ses investigations.

Trois hommes ont repris le travail au point où l’avait laissé Eichhorn. L. Berthold, professeur à Erlangen, publia de 1812-1819 son grand ouvrage : Historisch-kritische Einleitung in sæmmtliche kanonischen und apocryphischen Schriften des A. und N. T., qui comprend d’abord l’Introduction générale, puis l’Introduction particulière à l’A. et au N.T., et cela en réunissant en une série unique tous les livres historiques, puis en une autre les livres des deux Canons juif et chrétien. C’est un amas considérable de matériaux, mais sans investigation profonde et originale.

Il en est tout autrement, de l’ouvrage de de Wette : Lehrbuch der historisch-kritischen Einleitung in die kanonischen Bücher des N.T., 1826, 5e éd. 1848, 6e par Messner et Lünemann, 1860. Il est de tous points supérieur au précédent en concision, en netteté, en fermeté de jugement. Dans la première partie, l’histoire de la formation du Canon, il réunit encore, comme Bertholdt, les deux recueils sacrés de l’ancienne et de la nouvelle alliance ; mais il les sépare quand il en vient à l’Introduction proprement dite, générale et particulière. Le trait caractéristique de ce travail est la parfaite loyauté dans la recherche de la vérité. L’auteur s’est proposé un but précis, celui de comprendre les œuvres de la littérature biblique dans leur relation avec les circonstances et la situation particulière dans lesquelles elles se sont produites. Il va aussi loin dans cette direction que les faits bien établis le lui permettent, et, là où ce sol lui manque, il s’arrête et suspend son jugement. Cette méthode, qu’on a appelée sceptique, provenait simplement chez l’auteur de son respect profond de la vérité. Il a été conduit à énoncer des doutes à l’égard d’un grand nombre d’écrits, ainsi sur l’origine apostolique de l’évangile de Jean, si vivement contestée avant lui par Bretschneider, sur celle de la 2me aux Thessaloniciens, suspectée déjà par Schmidt, sur l’authenticité des Pastorales, rejetées par Eichhorn, enfin sur l’épître aux Éphésiens, sur la 1re de Pierre et sur celle de Jacques. Mais on remarque dans les éditions successives de son ouvrage une tendance de plus en plus affirmative. Ainsi, il se prononce plus nettement en faveur de l’authenticité du quatrième évangile et de la 2e aux Thessaloniciens.

Le troisième ouvrage, important à mentionner, est celui de Credner, professeur à Giessen, Einleitung in das N. T., 1836, composé dans un esprit semblable à celui de de Wette. Le plan qu’avait primitivement conçu son auteur n’a pu être complètement exécuté. L’Introduction spéciale qui en forme la première partie, est surtout intéressante par l’abondance avec laquelle sont citées textuellement les sources de l’étude critique. L’auteur défend encore énergiquement l’authenticité de l’évangile de Jean ; Matthieu, Marc et les Pastorales ne sont authentiques qu’en partie ; l’Apocalypse est attribuée à un autre Jean que l’apôtre. Après la mort de Credner, Volkmar a publié son Histoire du Canon du N.T., 1860.

La critique de de Wette fut énergiquement combattue par Guericke, professeur à Halle, dans son Historisch-kritische Einleitung in das N.T., 1843. Dans la troisième édition, parue en 1854, cet ouvrage porte le titre de Neutestamentliche Isagogik; l’auteur défend tout le Canon reçu, y compris 2 Pierre.

En 1832, Néander publia son Histoire de la fondation et de la direction de l’Église par les apôtres (Geschichte der Pflanzung und Leitung der christl. Kirche durch die Apostel, 5e édit., 1862 ; traduction de Fontanès). Cet ouvrage a fait époque. Outre 2 Pierre, qu’il rejette décidément, et l’Apocalypse, dont il ne peut admettre la composition par l’apôtre Jean, l’auteur n’émet des doutes que relativement à 1 Timothée.

Nous ne faisons que citer l’Introduction de Neudecker, 1840, et celle de Schleiermacher, publiée après sa mort par Wolde, 1845. L’influence de ce grand théologien dans le domaine critique s’est exercée plutôt de son vivant, par son enseignement oral et par les quelques travaux qu’il a publiés dans des journaux théologiques, que par cet ouvrage posthume. Schleiermacher plaçait la composition des synoptiques, sous leur forme actuelle, vers la fin du Ier siècle. Ses articles sur le témoignage de Papias concernant Matthieu et Marc sont devenus un point de départ dans la tractation de ces livres (Stud. u. Kritik., 1832). Son livre sur les écrits de Luc (1817) est resté sans effet. Il a contesté dans un ouvrage spécial l’authenticité de la 1re à Timothée, et mis en doute celle de la seconde, ainsi que celle de l’épître aux Éphésiens. Il défendit hautement l’authenticité du quatrième évangile. Parmi les épîtres catholiques, il n’admettait comme authentiques que 1 Pierre et 1 Jean.

En 1832, Schneckenburger, professeur à Berne, publia ses Beitræge zur Einleitung in’s N. T., remplis d’idées originales. Il fait remonter par une série de raisons bien déduites la composition de l’épître de Jacques jusqu’aux premiers temps de l’Église, avant le concile de Jérusalem. Son écrit sur le but du livre des Actes (1841) n’est pas resté sans influence sur les travaux subséquents relatifs à ce livre.

Enfin, en 1842, parut l’ouvrage de beaucoup le plus important de cette période, celui d’Edouard Reuss, professeur à Strasbourg, Die Geschichte der heiligen Schriften N.T. (6e éd., 1887). Reuss a, comme nous l’avons dit, réalisé le plan conçu par Schmidt et ébauché par Credner, celui de présenter un tableau historique suivi de tous les écrits du N.T., d’après leur ordre de date, et en y joignant ceux des écrits extra-canoniques qui se rattachent de plus près à l’histoire de la formation du Canon. L’esprit de l’ouvrage, d’édition en édition, s’est modifié dans un sens toujours plus sceptique. L’authenticité de Jean, mollement défendue précédemment, est à la fin décidément abandonnée ; il en est de même de celle de la 1re épître à Timothée et de l’épître à Tite, ainsi que de celle de la 1re de Pierre. Mais on sent d’un bout à l’autre de cet ouvrage la main du maître qui a élaboré à fond toutes les questions et qui a reconstitué dans son esprit tout le tableau de la littérature apostolique en traits assez précis pour le reproduire d’un jet avec une admirable pénétration. Les autres écrits dans lesquels on peut suivre le travail critique de cet esprit éminent sont l’Histoire du Canon des Saintes-Écritures dans l’Église chrétienne, 1863, 2e éd., 1864, et La Bible, traduction nouvelle avec introductions et commentaires, 1875-1881.

A ce moment avait dès longtemps commencé la seconde phase décisive dans la révolution critique inaugurée par Semler. En 1835 avait paru la Vie de Jésus, de David Strauss, qui avait ouvert la lutte si grave, continuée jusqu’à nos jours, autour de la personne du fondateur du christianisme. Strauss ne s’était point occupé spécialement de la composition des documents évangéliques ; il se contentait d’éliminer, comme superfétation mythique, tout élément surnaturel de la vie du Fils de l’homme et de réduire cette apparition à celle d’un pieux et spirituel rabbin. Mais si les documents évangéliques émanaient de témoins ou du moins d’auteurs contemporains de cette vie, comme l’Église l’avait cru dès le commencement, de quel droit mutiler de la sorte l’histoire racontée par eux ? Il y avait là une inconséquence à laquelle la science devait sentir le besoin de remédier.

Ce second acte du drame ne se fit pas longtemps attendre. Ferdinand-Christian Baur, professeur à Tubingue, a raconté lui-même, dans son Histoire de l’Eglise au XIXe siècle, comment il en vint à se former un jugement précis sur nos écrits évangéliques, sur leur relation mutuelle et sur leur valeur réelle. Ce fut en étudiant les épîtres de Paul qu’il découvrit le point, d’appui au moyen duquel il put appliquer le levier critique à l’investigation des évangiles. Il constata en effet dans ces écrits un fait décisif : l’opposition absolue de principes entre leur auteur et les apôtres primitifs. Ce fait une fois reconnu, surtout au moyen de la 1re aux Corinthiens (1 Corinthiens 1.12), de l’épître aux Romains (ch. 11), et en particulier de celle aux Galates (ch. 2)g, il ne lui resta plus qu’à pénétrer avec cette clef dans le sanctuaire si longtemps fermé des évangiles et du christianisme primitif. Les douze disciples de Jésus étaient et restèrent Juifs. Il y avait en Jésus deux choses : le fond, c’est-à-dire l’élément moral humain, universel, et la forme juive légale, nationale, dans laquelle Jésus s’est toujours tenu enveloppé. Paul s’empara du premier de ces éléments, et le développa exclusivement, tandis que les Douze s’en tenaient au second et ne surent jamais sortir du particularisme. Le royaume de Dieu se présentait à eux comme l’extension du régime mosaïque aux peuples païens, qui devaient se faire Juifs par la circoncision pour devenir membres du peuple élu et avoir part au salut du Messie. Par conséquent, les disciples de Jésus ne se distinguaient du reste du peuple juif que par la reconnaissance de la dignité messianique de ce Jésus. Juif helléniste, Paul avait dès le moment de sa conversion embrassé du regard un horizon plus vaste. Ayant trouvé le centre de sa vie nouvelle dans la foi au Messie mort pour ses péchés, mort qui était précisément le scandale insurmontable pour le peuple juif, il comprit que ce n’étaient pas eux qui accueilleraient son message, et que c’était aux païens que s’adressait sa mission. Il était d’ailleurs évident que présenté au monde païen sous le couvert de la loi juive, l’Evangile n’y pourrait trouver aucun accès.

g – Ses premiers écrits furent : Die sogenannten Pastoralbriefe des Apostels Paulus, 1835. Die Christuspartei in der Korinthischen Gemeinde, Tüb. Zeitschr., 1831 et 1836. Ueber Zweck und Veranlassung des Römerbriefs, Tüb. Zeitschr., 1836. Paulus, der Apostel Jesu Christi, 1845, 2e éd., par Zeller, 1866.

Il résolut donc de proclamer le salut par la foi en Jésus, sans loi. De là, entre lui et les apôtres, une opposition très profonde soit dans les principes, soit dans la conduite, et, on peut le dire, deux modes de salut, deux évangiles.

On comprend ainsi la lutte constante du parti des Douze contre l’œuvre de Paul et les efforts incessants de ce parti pour ramener à eux et à la loi les églises fondées par lui. Cette lutte intense entre le paulinisme et le judéo-christianisme dura dans l’Église jusqu’au moment où l’apparition d’un ennemi commun, le gnosticisme du IIe siècle, poussa les deux partis à se rapprocher et à s’entendre. C’est de ce rapprochement réciproque que témoignent la plupart des écrits du N.T., tous ceux qui ne représentent ni le judéo-christianisme primitif, comme l’Apocalypse, ni le paulinisme pur, comme les quatre grandes épîtres (Galates, Corinthiens, Romains). De là toutes les différences qu’on remarque entre nos évangiles canoniques. Celui de Matthieu est essentiellement judéo-chrétien, anti-paulinien ; seulement il a été remanié plus tard dans un sens universaliste. L’évangile de Luc, au contraire, était au début foncièrement paulinien, mais il a subi des retouches dans le sens judéo-chrétien. Celui de Marc a été composé dès l’abord dans l’intention de neutraliser le contraste. Ainsi, les trois écrits, au lieu d’être, comme on se le représentait, de naïves narrations historiques, sont bien plutôt des écrits tendancieux, ce qui donne aux différences que l’on remarque entre eux un caractère plus grave. Ces différences ne sont point accidentelles et aussi innocentes que l’on pense ; elles sont réfléchies et trahissent des conflits religieux et même parfois personnels très prononcés. De cette manière de voir est procédée une étude des évangiles extraordinairement minutieuse, qui s’est efforcée de découvrir, dans les moindres détails des narrations, des courants d’idées très différents et même opposés.

Les Actes des apôtres, dont le récit ne mérite à peu près aucune créance, s’expliquent par le but de conciliation qui a marqué l’époque postérieure au temps de la lui te ouverte. Ce livre prête tour à tour à Pierre le langage de Paul, à Paul celui de Pierre. Le paulinisme des petites épîtres de Paul et des Pastorales est façonné sur le patron judéo-chrétien ; le programme de ces écrits n’est plus la foi seule, mais la foi et l’amour. D’autre part, les épîtres catholiques, celle de Jacques et la 1re de Pierre, présentent un judéo-christianisme élargi sous l’influence de l’esprit paulinien ; celle de Pierre trahit même clairement l’intention de concilier l’autorité de Pierre avec celle de Paul. Enfin, l’évangile et la 1re épître de Jean, composés dans la seconde moitié du IIe siècle, élèvent la pensée chrétienne à cette hauteur où s’évanouit l’antique conflit entre les apôtres et où la foi et le commandement se confondent. De là, on voit se dessiner à peu de distance cette grande Église catholique dont l’apparition marquera la fin du IIe siècleh.

h – Voir les pages remarquables, admirables en leur genre, dans Das Christenthum und die christl. Kirche der drei ersten Jahrhunderte, 3e éd. 1863, p. 46 et suiv. ; l’article sur la composition du quatrième évangile dans les Theologische Jahrbücher, 1844, cah. 1, 3 et 4, et les ouvrages : Kritische Untersuchungen über die kanonischen Evangelien, 1847, et Das Markus-Evangelium, 1851. Tout l’immense travail critique de Baur se trouve réuni en un tableau d’ensemble dans le premier de ces ouvrages (1853), dont la 2e éd. a paru l’année de la mort de l’auteur (1860).

A la suite de l’œuvre de Baur, cinq écrits seulement d’entre les vingt-sept du N.T. restaient debout, comme les colonnes d’un temple écroulé, seuls témoins authentiques de l’âge apostolique. Rien ne montre la puissance intellectuelle et scientifique de cet homme comme la pléiade d’esprits distingués qui se groupèrent autour de lui et qui s’associèrent à son travail pour le développer et à certains égards le corriger. Ce fut d’abord Schwegler, qui, avant le maître lui-même, présenta un tableau de la littérature au IIe siècle, dans laquelle il faisait rentrer la plupart des écrits du N.T.i ; puis Zeller, qui, dans un écrit d’une rare sagacité, s’efforça de démontrer le caractère absolument apocryphe des récits contenus dans les Actes des apôtresj ; Köstlin, qui publia dans les Theol. Jahrbücher, 1851, un travail très remarqué sur la littérature pseudépigraphique dans l’ancienne Église, dans le but de prouver que le procédé pseudépigraphique auquel Baur attribuait la composition des quatre cinquièmes du N.T., était conforme aux notions et aux procédés littéraires de l’époque. Volkmar, professeur à Zurich, prit aussi une part très active aux travaux de l’école, tout en modifiant sur plusieurs points d’une manière sensible les opinions du maître. Baur avait cru pouvoir identifier le Luc primitif, antipode du Matthieu primitif, avec l’évangile de Marcion, écrit ultra-paulinien, dont nous parlent les Pères. Volkmar démontra au contraire que l’évangile de Marcion n’était, comme le disaient déjà les Pères, qu’un Luc remanié et mutilé par cet hérétique, d’après son systèmek. Baur avait mis en tête de la littérature synoptique les deux évangiles opposés de Matthieu et de Luc. Volkmar plaça en tête celui de Marc, auquel il attribua un caractère paulinien ; Luc vient en second ; Matthieu, qui chez Baur était la racine de toute la littérature synoptique, est le dernierl. Hilgenfeld, professeur à Iéna, auteur d’une foule de travaux critiques, publiés depuis 1858 dans son journal Zeitschr. fur wissenchaftliche Theologie, a résumé ses vues dans son grand ouvrage : Historisch-kritische Einleitung in das N. T., 1875. Il avait auparavant publié Der Kanon und die Kritik des N.T., 1863. Il prétend atténuer la gravité des résultats de la critique du maître en défendant l’authenticité de la lre aux Thessaloniciens et des épîtres aux Philippiens et à Philémon. Il fait aussi remonter beaucoup plus haut que Baur la composition de nos évangiles, composition que Baur faisait commencer vers 130 et dont Hilgenfeld place le terme final à cette époque. Contrairement à Volkmar, il assigne, comme Baur, à Matthieu la première place, mais contrairement à Baur, à Marc la place intermédiaire entre Matthieu et Luc. Du reste, il maintient, comme tous les précédents, le trait fondamental du système, l’opposition de principes entre Paul et les Douze. Holsten, professeur à Heidelberg, qui a longtemps défendu habilement les idées du maître (voir ses deux écrits : Zum Evangelium des Paulus und des Petrus, 1867, et Das Evangelium des Paulus dargestellt, 1880), est maintenant entré dans un ordre d’idées tout nouveau, d’après lequel l’accord aurait existé primitivement entre Pierre et Paul, et le conflit entre le paulinisme et l’évangile judaïsant ne daterait que de la lutte d’Antioche (Galates ch. 2)m. Enfin Lipsius, de Iéna, sans avoir écrit de grand ouvrage critique, a fait dans ce domaine de sérieux travaux.

iDas nachapostolische Zeitalter, 1846.

jDie Apostelgeschichte nach ihrem Inhalt und Ursprung, 1854.

kDas Evangelium Marcion’s, 1852.

lDer Ursprung unserer Evangelien, 1866 ; Die Synopsis der Erangelien, 1869

mDie drei ursprünglichen noch ungeschriebenen Evangelien, 1883. — Die synoptischen Evangelien nach der Form ihres Inhalts, 1885.

Baur, d’après ce que nous avons vu, peut être envisagé comme un Semlerus redivivus. D’où vient donc le mouvement d’idées tout nouveau dont il a été l’initiateur ? Des deux circonstances suivantes, si je ne me trompe : les idées de Semler étaient simplement jetées ; il n’en a point fait un ensemble, comme Baur. Puis Semler se bornait à critiquer, à détruire. Baur s’est imposé la tâche de remplacer par un édifice nouveau et bien lié dans toutes ses parties celui qu’il abattait. Aussi son influence s’est-elle étendue bien au delà de son école proprement dite et de l’Allemagne. En Hollande, Scholten, professeur à Leyde, peut être rangé parmi ses disciples. Il a publié plusieurs travaux critiques, ainsi sur le séjour de Jean en Asie-Mineure (pour le combattre), sur l’évangile de Jean, 1864, sur celui de Lucn, etc. ; enfin en 1881 une Introduction historique et critique au N.T. En Angleterre, Davidson a publié dans le même sens une Introduction à l’étude du N.T., 1868 ; et en France, MM. Réville et Renan, le premier, ses études critiques dans la Revue des deux mondeso ; le second, son Histoire des origines du christianisme : Vie de Jésus, 1863 ; les Apôtres, 1866 ; Saint Paul, 1869 ; l’Antéchrist, 1871 ; les Evangiles et la seconde génération chrétienne, 1877 ; l’Église chrétienne, 1879 ; Marc Aurèle et la fin du monde antique, 1881.

nDas paulinische Evangelium, 1881.

o – Mentionnons aussi son ouvrage remarquable : Études critiques sur l’évangile selon saint Matthieu, 1862.

Il est incontestable que le christianisme, tel qu’il a existé jusqu’à cette heure et qu’il domine spirituellement depuis dix-huit siècles l’humanité civilisée, est profondément atteint par cette manière d’envisager le N.T. Non seulement il ne reste plus d’authentique dans ce recueil qu’un cinquième des livres qui le composent ; il y a plus : qu’attestent ces cinq livres restants ? Une lutte, et quelle lutte ? Une lutte de principes à outrance, entre les fondateurs mêmes de l’Église. Le christianisme historique, ce fait moral le plus décisif de toute l’histoire, n’a nullement pour point de départ une révélation d’En-haut ; il est le résultat d’un compromis entre deux tendances hostiles, procédant l’une des apôtres de Jésus, Juifs peu éclairés, l’autre d’un nouveau venu qui s’est fait de cette religion une conception personnelle adaptée à sa mission auprès du monde païen. On comprend que tout le mouvement de la science critique ait dès lors tourné autour de ce pivot : la question de l’antagonisme entre Paul et les Douze. La position de chaque écrivain critique a été en quelque sorte déterminée par son attitude à l’égard de cette découverte de l’auteur du système de Tubingue. Une vive réaction se produisit aussitôt au sein de l’Église et se manifesta dans de nombreux ouvrages théologiques.

Deux jeunes savants mirent, les premiers la main à l’œuvre pour combattre Baur. L’un, professeur à Erlangen, puis à Zurich, Ebrard, dans sa Wissenschaftliche Kritik der evangelischen Geschichte, 1842 ; l’autre, H. Thiersch, professeur à Erlangen, puis à Marbourg, dans son Versuch zur Herstellung des historischen Standpunkts für die Kritik der neutestamentlichen Schriften, 1845. Ce dernier écrit, dans lequel on reconnaissait un esprit nourri de la littérature patristique, irrita Baur au point qu’il se laissa aller à répondre dans une brochure qui ressemblait plutôt à une dénonciation qu’à une sérieuse discussion théologiquep. La réponse de Thiersch fut aussi digne que solideq.

pDer Kritiker und der Fanatiker in der Person des Herrn H. Thiersch, zur Karahteristik der neuesten Theologie, 1846.

q – Dans l’opuscule : Einige Worte über die Echtheit der neutestamentlichen Schriften, 1846.

Thiersch a écrit encore Die Kirche im apostolischen Zeitalter (1852, 3e éd., 1879), ouvrage dans lequel il traite brièvement, d’une manière originale, parfois assez aventureuse, de tous les écrits du N.T. En accord avec l’église irvingienne dont il était devenu membre, il a développé l’idée d’une chute de l’Église, après la disparition des apôtres. Il attribue au dernier d’entre eux, saint Jean, la formation du Canon. Les antilégomènes n’y étaient pas compris. C’est la raison de la difficulté avec laquelle ils ont été introduits plus tard dans le recueil déjà formé.

Au nombre des hommes qui ont contribué à abattre l’influence de l’école de Tubingue en Allemagne, il faut citer surtout Albert Ritschl, professeur à Göttingue, qui avait publié son premier ouvrage comme disciple de cette école : Entstehung der alt-katholischen Kirche, 1850. Dans la 2e édition de ce même ouvrage (1857), il se sépara complètement du point de vue de Baur, et démontra la nécessité de reconnaître antérieurement à l’antagonisme du judéo-christianisme légal et du paulinisme, un Évangile primitif, celui de Christ et des apôtres, comme point de départ commun des deux principes en lutte. La personne de Jésus se trouve ainsi relevée à la hauteur dominante, d’où le système de Baur la faisait descendre. L’Église catholique de la fin du IIe siècle n’est plus la fille d’un judéo-christianisme légal mitigé par l’acceptation de quelques éléments pauliniens ; c’est la prolongation du paulinisme, héritier légitime du christianisme de Jésus, mais qui, dans le cours des deux premiers siècles, a déjà perdu en partie sa force et sa saveur première. On comprend qu’à ce point de vue les écrits du N.T. peuvent être réintégrés dans leur situation naturelle, d’où Baur les avait violemment fait sortir.

Dès 1849, Ewald a consacré sa publication annuelle des Jahrbücher der biblischen Wissenschaft à combattre avec toutes les ressources de son érudition et de sa haute intelligence le système critique de Baur. Après avoir publié de nombreux écrits sur les évangiles et d’autres livres du N.T., il a résumé ses travaux dans son livre : Die Bücher des Neuen Bunds übersetzt und erklärt, 1870-72.

Meyer, dans ses Commentaires, dont la publication a commencé en 1832, s’est rattaché sur divers points de critique aux travaux d’Ewald.

Hofmann, professeur à Erlangen, a mis toute sa science et son originalité d’esprit au service de la défense du Canon reçu, y compris même la 2e de Pierre ; il défend aussi la composition de l’épître aux Hébreux par saint Paul. Il envisage le Canon comme l’organisme dans lequel s’est déployé le germe de vie déposé ici-bas par l’apparition du Christ. Il y voit le viatique accordé à l’Église pour soutenir sa force vitale jusqu’à sa victoire finale. Après ses articles : Zur Enlstehungsgeschichte der heiligen Schrift, dans le Journal d’Erlangen, 1854, il a commencé en 1862 la publication de son ouvrage capital : Die heilige Schrift Neuen Testaments zusammenhängend untersucht, qu’il a continué jusqu’à sa mort, et auquel manquent encore (après les suppléments posthumes, publiés par Volck) Matthieu, Marc, Jean, les Actes, et les épîtres johanniques. Ce grand ouvrage a été clos par la publication d’un résumé, tiré de ses cours et manuscrits, publié par Volck sous le titre : Zusammenfassende Untersuchung der einzelnen neutestamentlichen Schriften, 1881. Joignons à Hofmann ses deux disciples, Luthardt, professeur à Leipzig, qui a vaillamment défendu les écrits de Jeanr, et Grau, professeur à Königsbergs, qui compare la composition des écrits du N.T. au grain de blé dans la parabole de Marc, poussant d’abord l’herbe verte (synoptiques et Actes), puis l’épi (les épîtres), enfin le grain tout formé dans l’épi (l’épître aux Hébreux, l’Apocalypse et l’évangile de Jean).

rDer johanneische Ursprung des IVten Evangeliums, 1874.

sEntwichelungsgesch. des neutestamentl. Schriftthums, 1871.

L’une des œuvres les plus solides qui aient été publiées depuis les travaux de Baur, est l’Introduction au N.T. de Bleek. Elle a paru après sa mort, d’abord par les soins de son fils, en 1862, puis par ceux de Mangold, professeur à Bonn (4e éd., 1886) ; outre cela, les Beiträge zur Evangelien-Kritik, publiés par Bleek lui-même en 1846. De tous les ouvrages dirigés contre le système de Baur, ce dernier est un de ceux qui lui a porté les coups les plus sensibles. Comme de Wette, Bleek est un esprit, absolument dominé par l’amour de la vérité, qui a su réunir le respect de la tradition à une grande indépendance de jugement. Mangold a joint au texte de Bleek des notes fort instructives qui tiennent le lecteur au courant de tout le travail critique accompli dès lors. Elles le combattent le plus souvent, en partant d’un point de vue beaucoup plus rapproché de celui de Baur.

Lechler, surintendant à Leipzig, a combattu l’école de Tubingue et opposé à sa construction artificielle du christianisme primitif celle qui ressort naturellement du N.T. accepté dans son ensemble. De tout le Canon, il ne rejette que la 2me de Pierret.

Westcott, évêque de Durham, a publié deux ouvrages importants, l’un sur l’histoire du Canon pendant les quatre premiers siècles, l’autre devant servir d’introduction à l’étude des évangilesu. A ces travaux d’une érudition solide et d’une piété profonde, il faut joindre encore de nombreux écrits d’introduction que nous ne pouvons tous énumérer, mais parmi lesquels se distinguent ceux de Homev, de Dixonw, et de Salmonx.

tDas apostolische und das nachapostolische Zeitalter, 1855, 3e éd., 1885.

uGeneral survey of the history of the Canon of the New Testament during the first fourth Centuries, 1855, 5e éd. 1881 ; et : Introduction to the study of the Gospels, 1860, 6e éd. 1882.

vAn Introduction to the critical study and Knowledge of the holy Scripture, 1848, 9e éd. 1846.

wGeneral introduction to the sacred Scriptures, 1852.

xA historical introduction to the study of the Books of the New Testament, 1885, 2e éd., 1889.

De l’Église catholique aussi sont sortis des défenseurs du Canon reçu ; ainsi en France, Glaire : Introduction historique et critique aux livres de l’A. et du N.T., 1843, 3e éd. 1862, et Gilly : Précis d’introduction générale et particulière à l’Ecriture sainte, 1867. En Allemagne, parmi les ouvrages sortis de l’Église catholique, nous ne nommerons que ceux d’Adalbert Maiery, de Reithmayerz, de Langena et de Hanebergb. Mentionnons enfin, d’après Holtzmann, l’Introduction de l’écrivain grec Nicolas Damalas, qui a travaillé son livre d’après celui de Bleekc.

Il semblait qu’avec l’école de Baur l’œuvre de la dissolution du Canon fût arrivée à son terme, car de tout le N.T. il ne restait plus que les monuments du conflit qui devait avoir régné entre les fondateurs de l’Église. Mais ce reste était encore trop ; il devait disparaître pour faire place au vide complet. Une nouvelle école enseigne aujourd’hui que les quatre grandes épîtres de Paul elles-mêmes, dont Baur avait maintenu l’authenticité, n’ont été composées qu’au IIe siècle.

yEinleitung in die Schriften des N.T., 1852.

zEinleitung in die canonischen Bücher des Neiten Bundes, 1852.

aGrundriss der Einleitung in die Bücher des N.T., 1868, 2e éd., 1873.

bGeschichte der biblischen Offenbarung, als Einleitung in das A. und N.T., 1850 ; 4e éd. 1876.

cΕἰσαγωγὴ εἰς τὴν καινὴν διαθήκην, 1876

Déjà Bruno Bauer, après avoir fait dans sa Kritik der evangelischen Geschichte der Synoptiker, 1841, de la personne de Jésus la création poétique de l’auteur du second évangile, avait essayé dans sa Kritik der paulinischen Briefe, 1850-1852, de se défaire de toutes les épîtres de Paul. Il le fallait bien à son point de vue ; car elles renfermaient les plus anciens témoignages sur la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Le professeur Loman, à Amsterdam, a sauvé l’hypothèse de Bruno Bauer de l’oubli complet où elle menaçait de tomber. Il refuse aussi toute réalité au personnage de Jésus, dont il fait une figure purement idéale. Il estime qu’entre le moment où le christianisme a paru sur la scène sous sa forme judaïque primitive et celui où il apparaît spiritualisé et dégagé de toute enveloppe légale dans les épîtres de Paul, doit s’être passé un temps plus long que celui dont on pourrait disposer, si ces lettres étaient réellement du Ier siècle. Voir ses Quæstiones Paulinæ, 1882.

Cette voie est celle que suit à cette heure ; au moins pour les épîtres de Paul, R. Steck, professeur à Berned. Prenant à certains égards l’antipode des thèses de Baur, il pense que le Paul véritable se trouve beaucoup moins infidèlement présenté dans les Actes des apôtres que dans les épîtres qui lui sont, attribuées. L’apôtre des Gentils a vécu en bon accord avec Pierre, comme le disent les Actes ; et le conflit qui doit avoir existé entre eux d’après les grandes épîtres n’est qu’une invention de ceux qui ont composé celles-ci à Rome au IIe siècle. Dans quelle intention cette fabrication a-t-elle eu lieu ? Il y avait à Rome un groupe d’esprits voués à la philosophie grecque, qui ne pouvaient souffrir les formes judaïques sous lesquelles l’Évangile était présenté au monde dans la prédication palestinienne. S’étant élevés eux-mêmes à une vue toute spirituelle de la personne du Christ et de son œuvre, ils rompirent ouvertement avec la conception judaïsante venue d’Orient et la combattirent dans une série d’écrits auxquels ils cherchèrent à donner plus d’autorité en les publiant sous le nom de Paul ; et cela d’abord sous une forme plus douce, dans l’épître aux Romains, avec une violence croissante dans les épîtres aux Corinthiens, et enfin sur le ton le plus virulent dans celle aux Galates. — On se souvient que dans l’école de Tubingue on dénigrait les Actes pour glorifier les épîtres ; et voici maintenant que M. Steck réhabilite jusqu’à un certain point les Actes pour réduire les épîtres au rôle de simples pamphlets. Ne peut-on pas se demander si l’on est réellement en face d’une œuvre sérieuse et si le désir de faire du nouveau n’est pas pour quelque chose dans cette construction critique ? On doit du moins supposer que ce sera la dernière en ce genre. Quel pas nouveau y aurait-il à faire dans cette direction ? Du N.T. il ne reste absolument rien.

dDer Galaterbrief nach seiner Echtheit untersucht, 1888.

Ce long et immense travail critique qui s’est accompli dans l’Église, se trouve résumé dans quatre grands ouvrages qui ont paru récemment et qui sont autant de monuments de la puissance scientifique de la théologie allemande.

Weizsæcker, professeur à Tubingue, qui, en 1864, avait publié un ouvrage très remarquable sur les évangilese, le fit suivre de divers travaux sur les épîtres, dont celui sur la lettre aux Romains a exercé sur la critique de cet écrit une influence marquée. Enfin il a publié récemment le livre intitulé : Das apostolische Zeitalter der christlischen Kirche, 1886. On ne peut méconnaître que ce savant s’est rapproché considérablement et sur plusieurs points essentiels des vues de l’école de Tubingue. Sa manière de juger le livre des Actes dépasse même en scepticisme, semble-t-il, celle de cette école. Néanmoins cet ouvrage abonde en aperçus fins et originaux.

eUntersuchungen über die evangelische Geschichte.

A la suite d’une série innombrable de travaux s’étendant à toutes les parties de la science critique, parmi lesquels nous citons particulièrement les livres sur les évangiles synoptiques (1863), sur les épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens et sur les Pastoralesf, Holtzmann, professeur à Strasbourg, a publié un ouvrage complet d’introduction : Lehrbuch der historisch-krit. Einleitung in das N.T., 1885, 2e éd. 1886. L’auteur a certainement l’intention d’exposer avec la plus grande impartialité les opinions opposées aux siennes. Mais il ne me paraît pas toujours réussir dans l’exécution de ce dessein. Le parti pris, inspiré par une sympathie prononcée en faveur des résultats les plus avancés de la critique actuelle, se fait constamment sentir.

fDie synoptischen Evangelien, 1863. — Kritik der Epheser und Colosserbriefe, 1872. — Die Pastoralbriefe, 1880.

Nous possédons un ouvrage magistral sorti de la plume de Bernhard Weiss, professeur à Berlin : Lehrbuch der Einleitung in das Neue Testament, 1886, 2e éd. 1889. Ce savant avait publié précédemment plusieurs travaux critiques très marquants, ainsi sur les épîtres de Pierre, sur les évangiles synoptiquesg, puis de nouvelles éditions des commentaires de Meyer, parmi lesquelles trois travaux exégétiques hors ligne sur l’évangile de Jean, 1880 ; sur l’épître aux Romains, 1881 (dernière édition, 1891), et sur les épîtres pastorales, 1886. Il a réuni tous les résultats critiques de ces grands travaux, dont rien surpasse l’exactitude et la solidité, dans son ouvrage d’Introduction. Il soutient l’authenticité du quatrième évangile, ainsi que celle des treize épîtres de Paul, défendant savamment celle des Pastorales. Il maintient l’explication originale donnée par lui précédemment de la relation entre les trois synoptiques. Il assigne à la 1re de Pierre une date de beaucoup antérieure à celle que l’on admet ordinairement, la plaçant même avant les épîtres de Paul ; il envisage comme encore ouverte la question de la 2me de Pierre. Il vient enfin de publier un ouvrage d’une exactitude minutieuse sur le texte de l’Apocalypseh. Ce théologien représente de la manière la plus remarquable l’harmonie de la foi évangélique avec l’indépendance de l’étude théologique.

gPetrinischer Lehrbegriff, 1855. — Das Markus-Evangelium und seine synoptischen Parallelen, 1872. — Das Matlhæus-Evangelium und seine Lukas-Parallelen, 1876.

hDie Johannes-Apocalypse, 1891.

Un quatrième ouvrage, portant sur tout l’ensemble du N.T., est celui de Pfleiderer, professeur à Berlin : Das Urchristenthum, 1887. Toutes les questions critiques y sont traitées avec une admirable clarté. Mais l’auteur est dominé, plus complètement encore que Weizsæker, par le point de vue de l’école de Tubingue. Cependant il présente une construction différente et originale, mais assez compliquée, du développement de l’Eglise primitive.

Mentionnons encore l’ouvrage de Gess : Christi Person und Werki. Avant de dégager le contenu du témoignage de Christ et des apôtres de chacun des livres du N.T., l’auteur traite avec un bon sens pénétrant les questions critiques qui le concernent. Puis l’écrit de Schlatter, professeur à Greifswald : Einleitung in die Bibel, 1889, dans lequel l’auteur s’est proposé de mettre les laïques instruits au fait des résultats du travail critique accompli de nos jours sur l’Ecriture sainte. Connaissance approfondie de l’état de choses, grande liberté scientifique, foi vivante aux faits du salut, telles sont les qualités qui distinguent ce court manuel d’Introduction. Nous pouvons dire exactement la même chose de l’ouvrage anglais publié dans le même but : An Introduction to the New Testament, de Marcus Dods, professeur à Edimbourg, 1890.

iChristi Zeugniss, 1870 ; Das apostolische Zeugniss, 1879.

Depuis les publications de Holtzmann et de Weiss, l’histoire de la formation du Canon a été traitée d’une manière spéciale, en deux sens opposés, par Théodore Zahn : Geschichte des neutestamentlichen Kanons, 1889 et 1890, et A. Harnack : Das Neue Testament um das Jahr 200, 1889, savante et, intéressante discussion dans laquelle Zahn défend l’existence d’un recueil d’écrits apostoliques commun aux différentes églises de la première moitié du IIe siècle, antérieurement au montanisme, tandis que Harnack ne constate l’existence d’un tel recueil qu’à la suite des crises gnostique et montaniste, et la fait coïncider avec l’apparition de la grande Eglise catholique à la fin du IIe siècle.

Si nous omettons dans cette revue du travail critique ce qui se rapporte aux études récentes sur le texte du N.T., c’est que ces travaux sont d’une nature très spéciale et trouveront leur place dans l’histoire du texte écrit, et imprimé, qui appartient à l’Introduction générale.

L’histoire aboutit naturellement à la statistique, qui en est comme le couronnement. Nous terminerons donc cette revue rapide du travail accompli dans le cours des siècles par un coup d’œil d’ensemble sur l’état présent, des choses.

On peut le comparer à celui que l’on observe d’ordinaire dans les grandes assemblées politiques. On voit généralement s’y dessiner trois ou même quatre partis : une droite dominée par l’instinct conservateur, une gauche poussée par l’esprit d’innovation et, entre ces deux extrêmes, un centre ou plutôt, deux centres, chez lesquels ces deux tendances s’unissent et se balancent, mais dans des proportions différentes, celle de la conservation l’emportant dans le centre droit, celle du changement, du progrès réel ou apparent, dans le centre gauche. Le parlement critique actuel présente un spectacle analogue.

La grande ligne de démarcation qui sépare ici la gauche et la droite, provient de la solution que l’on donne à la question du surnaturel, sous la forme du miracle et sous celle de la révélation.

Ceux qui rejettent a priori cet élément sont d’ores et déjà, indépendamment de toute investigation critique, obligés de repousser comme légendaire ou fictif tout récit qui ne peut s’expliquer par les lois qui régissent le cours ordinaire de la nature et le développement spontané de l’histoire ; tandis que ceux qui n’ont pas à cet égard de parti pris, qui admettent la possibilité d’une communication de l’Esprit divin à l’esprit de l’homme et d’une intervention de la puissance divine dans le cours des choses terrestres, comme deux conséquences nécessaires de l’existence d’un Créateur intelligent et libre, ceux-là se réservent le droit d’examiner, au moyen de la critique historique, les récits qui renferment de pareils faits et de ne pas les repousser pourvu qu’ils se présentent avec des garanties d’authenticité suffisantes.

A la gauche proprement dite appartiennent les théologiens qui, dans leur négation de l’élément surnaturel, partent plutôt du point de vue moniste, c’est-à-dire identifiant plus ou moins Dieu avec l’univers. Il va sans dire que par là je ne veux rien affirmer sur les convictions intimes des savants qui composent ce groupe. Je pars seulement du fait qu’à son origine et par ses fondateurs ce système a été l’application au christianisme des principes panthéistiques de l’école de Hegel. Nous nommerons ici, à la suite de Strauss et de Baur, Hausrath, Holsten, Volkmar, Keim, Hilgenfeld, Zeller, Scherer, Renan, Davidson, Pfleiderer, l’auteur de la Supernatural Religion, Lang, Scholten, Loman, Steck ; faut-il dire aussi Weizsæcker et Holtzmann ? Par les résultats critiques ils appartiennent certainement au groupe des auteurs précédents.

Le centre gauche comprend des auteurs qui se rattachent plutôt au système de Kant. L’histoire de l’humanité leur apparaît comme le développement naturel des germes de vérité et de moralité qui ont été déposés dans l’homme par un être supérieur, celui-ci se bornant à diriger et à activer le mouvement de l’humanité dans le sens du progrès constant. C’est dans ce groupe que nous placerions Eichhorn, Schleiermacher, de Wette, Ewald, Reuss, Hase, Bunsen, Mangold. Nous hésitons à l’égard de Schleiermacher et de Reuss ; à l’égard de Reuss, en raison de ses expressions indécises sur la résurrection de Jésus ; à l’égard de Schleiermacher, en considérant le caractère surnaturel qu’il paraît attribuer à la naissance de Jésus-Christ.

Les critiques de la droite et du centre droit partent les uns et les autres du point de vue franchement théiste. Le Dieu libre, qui a créé l’humanité libre, peut aussi agir sur elle pour la conduire à la destination pour laquelle il l’a créée. Rien ne l’empêche de travailler à son éducation, et même à son salut, si cela devient nécessaire. L’histoire seule peut prononcer sur la question de savoir si Dieu intervient réellement et manifeste ici-bas sa libre puissance. Or, dans la conviction des théologiens de ces deux groupes, l’histoire a prononcé. Il y a une œuvre de salut que Dieu exécute ici-bas ; il y a aussi une révélation graduelle de ce salut, d’abord envers ceux qui en sont les instruments, puis en faveur de ceux qui en doivent être les objets. L’Ecriture seule contient cette révélation ; elle est donc l’agent indispensable de cette œuvre au sein de l’humanité. Voici seulement ce qui distingue en deux groupes les théologiens qui partagent ce point de vue.

Ceux de la droite proprement dite accordent une plus grande autorité à la tradition ecclésiastique à l’égard du Canon et mettent leur travail critique au service de la défense du recueil admis. Ce sont en premier lieu, tout naturellement, les théologiens catholiques : Hug, Glaire, Schanz, par ex. ; puis parmi les protestants : Keil, Hofmann, Lange, Thiersch, Guericke, Horne, Salmon, Gaussen, Bonnet.

Ceux qui forment le centre droit, accordent sans doute à la tradition ecclésiastique une valeur considérable, mais ils subordonnent franchement les données fournies par la tradition aux résultats de la critique interne. Nous réunissons dans ce nombre, malgré toutes les nuances qui les distinguent : Bleek, Néander, Meyer, Schaff, Lechler, Weiss, Beyschlag, Pressensé, Lightfoot, Westcott (ou bien ces deux devraient-ils être placés dans le groupe précédent ?) ; Hofstede de Groot, Oosterzee, etc.

Il va sans dire qu’une pareille classification n’échappera pas sur bien des points au reproche d’arbitraire. Son unique but est de mettre le lecteur à même de connaître d’une manière générale le point de vue des auteurs que nous citerons ; car, dans bien des cas, c’est là un élément important pour apprécier exactement la valeur des jugements critiques portés par eux.

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