Les épîtres de Paul

3.
Les sept années de préparation

Pendant plus de deux ans les apôtres avaient puisé dans les enseignements de Jésus et dans son commerce journalier un trésor de « choses anciennes et nouvelles » que, comme des scribes bien instruits, ils devaient distribuer au peuple, objet de leur mission. Après cela l’Esprit devait seulement rafraîchir en eux les souvenirs effacés et compléter les lumières reçues. Saul était dans une position toute différente. Ces riches souvenirs lui manquaient. Cependant il ne partait pas à vide. Il possédait le Christ vivant et glorifié qui venait de se manifester en lui. Il possédait en lui-même et connaissait par expérience le salut gratuit et universel, sans condition de loi, sans acception de personne, œuvre de la mort du Christ et de son Esprit de vie. Cet Evangile qu’il avait à prêcher, il ne l’avait ni reçu de la part d’un homme, ni appris par renseignement d’aucun homme ; il le possédait « par la révélation de Jésus-Christ » (Galates 1.12). C’était là sa part, son lot propre dans la grande répartition de grâce faite entre les agents primitifs de la prédication du salut (Ephésiens 3.23), ce qu’il a appelé « son évangile » (τὸ εὐαγγέλιον μου) en le distinguant de la prédication évangélique en général, qui lui était commune avec les autres apôtres (τὸ κήρυγμα Ἰησοῦ Χριστοῦ, Romains 16.25). Sans doute l’illumination par laquelle il fut mis en possession de ce fonds où puisa son apostolat, ne se produisit que graduellement pendant ces jours passés aux pieds du Seigneur. Mais quand il se leva pour agir, il était voyant, physiquement et spirituellement. Comme l’aveugle-né, il pouvait dire : » J’étais aveugle, mais maintenant je vois. » Il était préparé pour commencer l’œuvre pour laquelle il avait été mis à part et à laquelle il allait se vouer avec toutes les ressources « de la ferveur sémitique, de la souplesse grecque et de l’énergie romaine » (Schaff).

Ce que nous disons ici n’exclut nullement les développements qu’amena naturellement l’exercice de la mission dans la conception de l’apôtre. Mais le clair-obscur dans lequel le laisse encore plongé M. Sabatier à l’égard des éléments essentiels de son évangile, que nous venons d’exposer, est absolument contraire au témoignage de Paul lui-même et à la nature des choses. M. Sabatier ne fait dater cet épanouissement complet, même sur les points essentiels, que de la grande lutte avec les judaïsants. Mais, comme le dit Holsten lui-même (Evang. des Paulus, p. X et XI), « quand on parle ainsi, on oublie que la lutte avec le judaïsme qui décida de son existence fut la crise intérieure qui précéda son ministère apostolique. Celui qui se présente au monde comme apôtre pour annoncer l’évangile d’une vie nouvelle, a le développement de sa propre conscience derrière lui. C’est parce qu’il croit que, comme apôtre, il demande et obtient créance. » Voir également le beau passage de Pfleiderer sur ce sujet, Paulinismus, 2e éd. p. 6-7. M. Sabatier croit trouver une preuve du changement qui s’est graduellement opéré dans la conception évangélique de Paul depuis sa conversion dans les passages Galates 1.11 et 5.11. Nous verrons qu’ils ne contiennent rien de semblable. Une citation plus malheureuse encore est celle de 1 Corinthiens 13.13 : « Quand j’étais enfant… quand je suis devenu homme… » Comme si Paul prenait ces deux termes au sens spirituel et voulait parler du progrès qui s’est opéré dans son intelligence de l’Évangile depuis le moment de sa conversion jusqu’à celui où il écrit ! L’apôtre ne songe pas à cela : il compare la différence entre notre connaissance actuelle des choses divines et la connaissance parfaite que nous en aurons un jour à la différence entre les intuitions et les raisonnements de l’enfant (au sens propre du mot) et ceux de l’homme fait.

Les sept années (de l’an 37 à l’an 44) qui suivirent sa conversion, furent pour saint Paul un temps d’apprentissage et d’épreuve. Ce n’était pas seulement lui qui en avait besoin pour son affermissement ; l’Église elle-même, à ce moment-là, n’était pas mûre encore pour mettre la main à cette grande œuvre de la conversion du monde païen. Or c’était d’elle que le signal devait partir. Il y avait ici autre chose qu’une tâche individuelle.

Cette période comprend :

  1. trois années de prédication de Paul à Damas et en Arabie ;
  2. sa première visite à Jérusalem depuis sa conversion, et un assez long séjour à Tarse ;
  3. le ministère d’un an exercé par lui dans l’église d’Antioche récemment fondée.

Premières prédications

L’apôtre ne se traça point son propre chemin ; il suivit celui que lui traçait le Seigneur. Il avait devant lui les Juifs de Damas qu’il avait voulu défendre contre l’Evangile ; ce furent eux qui se présentèrent à lui comme premiers objets de sa mission. Il n’est pas nécessaire de supposer chez lui une sorte d’éloignement à l’égard des apôtres, pour expliquer ce qui l’empêcha de retourner dans ces circonstances à Jérusalem. Il n’est demandé à personne, pas même à un apôtre, de se jeter de gaieté de cœur à la gueule du loup. La suite montrera combien fut importante pour l’apostolat de Paul la prudence dont il usa en cette circonstance.

Ce ministère à Damas fut interrompu d’après Galates 1.17 par un voyage et un séjour en Arabie (probablement dans le Hauran, à l’est de Damas) dont ne parle pas le récit des Actes, soit que Luc l’ait ignoré, ou qu’il n’en connût pas assez exactement les détails, ou enfin qu’il n’entrât pas dans son plan de le mentionner. On pense fréquemment, que ce temps passé en Arabie fut un temps de retraite et de communion solitaire avec le Seigneur, durant lequel Paul s’assimila d’une manière plus intime la révélation repue, et qui fut pour lui l’équivalent de ce qu’avaient été pour les disciples les années qu’ils avaient passées avec le Seigneur. Je ne pense pas que la manière dont Paul parle dans les Galates de cette période de sa vie, soit favorable à cette manière de voir. Il veut prouver que le contenu de son évangile ne lui est venu d’aucun enseignement humain ; cette preuve ne ressort de son séjour en Arabie qu’à la condition que déjà à ce moment-là il ait prêché son évangile tout comme il l’a prêché plus tard.

Après ce voyage, dont nous ignorons la durée, Paul revint à Damas d’où il était parti, et l’on comprend sans peine que dans le récit de Luc ce second séjour soit immédiatement lié au premier et confondu avec lui (Actes 9.23). Mais l’expression énergique de l’auteur ὡς ἐπληροῦντο ἡμέραι ἱκαναί (lorsque des jours fort longs furent accomplis) répond bien à cette durée de trois ans dont parle Paul dans les Galates. Les Juifs, exaspérés contre lui, lui dressèrent alors des embûches auxquelles il échappa en s’évadant par une fenêtre qui s’ouvrait sur la muraille. Cette fuite étrange n’est pas racontée seulement dans les Actes ; elle est mentionnée par Paul lui-même 2 Corinthiens 11.32. Le préfet, qui avait mis la garde des portes de la ville au service de la nombreuse et riche colonie juive de Damas, administrait cette ville au nom du roi arabe Arétas ou Hareth (2 Corinthiens 11.32). Cette circonstance étonne, puisque la Syrie était dès longtemps devenue province romaine. Mais il est remarquable que la série des monnaies romaines damasquines se trouve précisément interrompue sous les règnes de Caligula et de Claude, c’est-à-dire de l’an 37 à l’an 54, ainsi à l’époque où doit s’être passé le fait qui nous occupe. Par une raison que nous ignorons, Arétas, après la victoire qu’il avait remportée sur Hérode Antipas, son gendre, qui avait répudié sa fille, doit avoir obtenu momentanément la possession de Damas. Ce souverain, nommé Arétas Aenéas, a vécu jusqu’à l’an 40 de notre ère ; ainsi précisément jusqu’à la troisième année qui suivit la conversion de Paulx.

x – Comparez Schürer, Geschichte des jüdischen Volkes (2e éd. du Lehrbuch), t. I, p. 618.

Premier retour à Jérusalem et séjour à Tarse

Tout en redoutant le moment où il se retrouverait à Jérusalem, en face des autorités juives, qu’il avait en quelque sorte trahies, et de tous ses anciens complices de fanatisme, Paul devait cependant éprouver un vif désir de se rapprocher des premiers disciples du Seigneur et de s’entretenir avec quelqu’un d’entr’eux. Ce fut Barnabas, lévite, de l’île de Chypre, qui l’introduisit auprès des apôtres. Peut-être l’avait-il connu autrefois ou avait-il rencontré Ananias. L’expression vague des Actes : les apôtres, est précisée par Paul Galates 1.18-19. Ce fut Pierre seul qu’il trouva à Jérusalem et par lequel il entra en contact avec l’apostolat primitif institué par le Seigneur. Il demeura quinze jours dans sa maison, et il vit en outre Jacques, le frère de Jésus, qui, comme chef du troupeau de Jérusalem, ne quittait pas la capitale. Mais les chrétiens en général se tenaient sur la réserve, craignant une trahison. On peut se représenter l’intérêt palpitant qu’eurent pour le cœur de Paul les récits qu’il recueillit pour la première fois de la bouche de ces deux hommes, particulièrement de celle de Pierre. Il avait pu apprendre déjà sur la vie terrestre du Seigneur bien des choses par Ananias. Mais ce fut alors qu’il prit connaissance de ces nombreux traits de la vie de Jésus et des quelques paroles de lui, qu’il mentionne dans ses écrits (1 Corinthiens 7.10 ; 9.14 ; 1 Thessaloniciens 5.2-3).

Paul tenait, à honneur d’annoncer Christ à ceux dans la compagnie desquels il l’avait blasphémé. Il entra donc en pourparlers avec les Juifs parlant grec qui habitaient à Jérusalem. Mais la discussion s’échauffant, sa vie fut bientôt menacée (Actes 9.29), et les apôtres jugèrent prudent de le faire partir de Jérusalem. Paul a raconté (Actes 22.17-21) que le Seigneur, en réponse à sa prière, lui intima lui-même l’ordre de s’éloigner. Il hésitait sans doute à suivre le conseil que ses frères lui donnaient par égard pour sa propre sûreté, et ce ne fut qu’après avoir présenté au Seigneur ses objections, qu’il se rendit. Il se retira alors dans sa famille à Tarse (Actes 9.30) où nous le retrouverons plus tard et d’où il accomplit, en attendant, un ministère dans les contrées circonvoisines, en Cilicie et en Syrie (Galates 1.21). Mais pourquoi Paul ajoute-t-il (v. 22 et 23) qu’à cette époque il n’avait pas encore fait connaissance des églises de Judée qui cependant se réjouissaient et glorifiaient Dieu à son sujet ? Weiss pense qu’il veut achever par là la démonstration de l’indépendance de son apostolat, en rappelant qu’il a passé immédiatement de Jérusalem en Syrie sans avoir pu voir en Judée aucun des autres apôtres. Mais cette intention n’explique pas tous les détails que renferment ces versets. Je pense plutôt que Paul donne cours au sentiment douloureux que lui cause la différence entre ces premiers temps où tout était encore paix et harmonie entre lui et les églises apostoliques, et le moment de lutte intense où il écrit la lettre aux Galates. Il n’y avait pas encore, en Judée moins que partout ailleurs, des églises dont la tenue libérale à l’égard de la loi pût exciter le mécontentement d’une partie des judéo-chrétiens. Lui-même n’accentuait point le principe de l’abrogation de la loi, comme il dut le faire, en faveur des païens, après la fondation de la grande église d’Antioche et lorsqu’il eut à lutter contre les efforts des judaïsants pour la mettre sous la loi. Il appliquait sans discussion aux individus païens qu’il convertissait, le principe de la liberté, comme Pierre avait été amené à le faire chez Corneille. Mais il n’en résultait encore aucune hostilité. Ce ne fut que quand ce fait eut pris à Antioche des proportions considérables et qu’une seconde forme d’Église chrétienne parut s’élever en opposition à la première, que la guerre éclata.

C’est sans doute durant le séjour à Tarse qui suivit, que furent convertis plusieurs des membres de sa famille ou de ses compatriotes, mentionnés Romains 16.3-15. Il résulte de la date de quatorze ans indiquée 2 Corinthiens 12.1 que ce fut alors aussi que lui fut accordé ce ravissement jusqu’au troisième ciel dont il garda si longtemps le secret, et où lui furent révélées des choses ineffables, concernant, selon Thiersch, le mystère de l’union de Christ et de l’Église. Si la seconde aux Corinthiens a été écrite en l’an 58, ce serait à peu près à l’époque où nous sommes arrivés que ce fait aurait eu lieu. C’était comme l’initiation à son ministère actif qui allait enfin commencer.

Séjour à Antioche et nouveau voyage à Jérusalem

Au milieu de cette activité personnelle et toute privée, Paul fut surpris par l’arrivée d’un homme qui paraît avoir été appelé à jouer dans le cours de sa carrière un rôle important. Une fondation d’une merveilleuse beauté venait d’éclater à Antioche, la capitale de la Syrie, située à peu de distance de Tarse. Des convertis de Phénicie, de Chypre et de Cyrène, du nombre des chrétiens que la persécution avait fait fuir de Judée, étaient arrivés dans cette ville et, franchissant la barrière respectée jusqu’alors, avaient annoncé le salut non seulement aux Juifs, mais aussi aux Grecs, c’est-à-dire aux païens d’originey. La bonne nouvelle fut reçue par ceux-ci avec enthousiasme. Une nombreuse population païenne se convertit et une église florissante se forma, évidemment sans qu’il fût question de circoncision et d’observances mosaïques. Barnabas, envoyé de Jérusalem pour étudier ce mouvement, fut ravi en contemplant l’œuvre du Seigneur et, se rappelant la présence de Paul à Tarse, si près de ce nouveau centre de vie chrétienne, comprit ce que cet ouvrier pourrait être pour cette œuvre, et, étant venu l’y chercher, il l’introduisit dans ce nouveau champ d’activité. De la collaboration de Paul et de l’église d’Antioche est procédée, comme un fruit magnifique, l’évangélisation du monde païen.

y – La leçon de A D πρὸς τοὺς Ἕλληνας (Actes 11.20) est la seule possible en raison de l’opposition à l’expression : aux Juifs seulement (v. 19). Si l’on veut à tout prix conserver, comme Westcott et Hort, la leçon de B et du T. R. πρὸς τοὺς Ἑλληνιστάς, (א : ευαγγελιστας ! il ne reste qu’à donner ici à ce terme d’hellénistes un sens qu’il n’a point dans les Actes (6.1 ; 9.29), celui de Grecs.

Dans tout ce récit de la fondation de l’église d’Antioche (Actes 11.19-26) règne un accent particulier qui semble trahir la présence de l’auteur du récit et sa participation personnelle à cet événement. Et l’on est d’autant plus frappé de trouver dans le Ms. D, après la mention de l’arrivée de plusieurs prophètes de Jérusalem, ces mots (v. 28) : « Et il y eut une grande allégresse, et, comme nous étions assemblés, l’un d’eux, nommé Agabus, dit, annonçant par l’Esprit une grande famine… » Cette première personne du pluriel ferait penser aux « morceaux en nous » dans la seconde partie des Actes.

Pendant toute une année les deux serviteurs de Christ travaillèrent au sein de cette église qui grandissait toujours. Comme elle se recrutait surtout de Grecs non soumis aux usages mosaïques et qui se distinguaient ainsi d’une manière extérieurement saillante des Juifs avec lesquels les croyants avaient été jusqu’alors confondus, on comprend que ce fut à Antioche que se produisit le nom de chrétiens, χριστιανοί, par lequel on commença dès ce moment à désigner les membres de l’Église (Actes 11.26) ; c’est le nom que nous retrouvons plus tard chez Tacite (Ann. XV, 44 : quos vulgus christianos appellat); comparez Suétone, Néron, 16.

Cette nouvelle apparition attirait de plus en plus l’attention de l’église de Jérusalem, et l’on vit arriver à Antioche plusieurs prophètes de l’Église primitive ; parmi eux se trouvait cet Agabus qui prédit une grande famine, en vue de laquelle on organisa immédiatement une collecte parmi les croyants.

D’après le récit des Actes, ce premier séjour de longue durée, que fit Paul à Antioche, aboutit à un voyage à Jérusalem dont le but était de porter aux églises de Judée le produit de la collecte faite en leur faveur en vue de la famine annoncée par Agabus (comparez 11.28-30). Le départ de Saul et Barnabas, son compagnon dans ce voyage, est mentionné, 11.30, immédiatement avant le récit de la mort tragique du roi Hérode Agrippa, le dernier souverain du peuple israélite (Actes ch. 12). Leur retour à Antioche est rapporté dans le dernier verset de ce chapitre (12.25). Il paraît résulter de là que le voyage eut lieu au moment même de cette mort. Comme celle-ci doit, d’après Josèphe, être placée en l’an 44, cette date doit être aussi celle du voyage.

Elle s’accorde bien avec celle de la prophétie d’Agabus. Car d’après Josèphe (Antiq. XX, 2, 6) la famine atteignit la Palestine et la Syrie en l’an 44. La prophétie d’Agabus doit donc avoir été prononcée peu de temps avant.

Mais tout ce que nous disons de cette visite de Paul à Jérusalem porterait à faux si, comme le prétendent la plupart des critiques modernes, le récit de Paul dans les Galates (ch. 1) excluait toute possibilité d’un pareil voyage. On tire cette conclusion du fait que, dans le second chapitre de cette épître, Paul parle d’un voyage qu’il fit à Jérusalem beaucoup plus tard (voir les quatorze ans, 2.1), comme du second. Celui dont nous parlons aurait donc été omis, ce qui serait impossible, s’il était réel. Car Paul, voulant prouver qu’il n’avait pas été instruit par les apôtres, s’exposait à être taxé de mensonge, s’il avait omis une seule circonstance dans laquelle il aurait pu les rencontrerz. Ce raisonnement spécieux repose néanmoins sur une idée absolument fausse : c’est que Paul continue au ch. 2 la démonstration du ch. 1. Ce n’est nullement le cas. Il avait voulu prouver qu’il avait prêché son évangile longtemps (trois ans) avant d’avoir rencontré un seul apôtre. Ce but était atteint en constatant qu’il n’était venu pour la première fois à Jérusalem que trois ans après sa conversion et après avoir déjà évangélisé en Arabie. Qu’importait pour cette démonstration ce qui s’était passé après son premier séjour à Jérusalem ? C’était là le terminus ad quem de sa démonstration. Après cela il n’avait plus aucun intérêt à mentionner un à un tous ses voyages. Dès le ch. 2, il passe donc à un autre point de sa polémique. On lui reprochait de n’être pas l’égal des Douze et de prêcher une doctrine qu’ils n’approuvaient pas, d’où résultait la non légitimité des églises fondées par lui. Il démontre au ch. 2 que, dans un nouveau séjour qu’il fit à Jérusalem, les apôtres reconnurent solennellement et son apostolat et sa prédication, le premier comme égal au leur, la seconde comme appropriée à sa mission, tout comme la leur l’était à leur cercle d’activité.

z – Sabatier, l’Apôtre Paul, p. XX : « Il faut considérer comme apocryphe le voyage mentionné Actes 11.30, qui est positivement exclu par la déclaration de Paul lui-même (Galates 1.22). » C’est ainsi qu’en raison d’une simple apparence le récit des Actes est tourné en roman. Nous venons cependant d’en constater deux fois l’exactitude. M. Sabatier insiste sur le mot πάλιν (2.1) qu’il prend dans le sens de pour la seconde fois, τὸ δεύτερον, tandis qu’il signifie de nouveau, une autre fois, que ce soit la seconde ou la troisième. Il allègue encore le διά devant le régime quatorze ans, qui lui paraît impliquer que Paul n’a pas remis les pieds à Jérusalem pendant tout ce temps. Cette conclusion est absolument erronée. Qu’il ouvre un bon dictionnaire, il y verra que διὰ χρόνου est employé pour dire : après un temps ; δι’ ὀλίγου, après un peu de temps (Xén. Cyrop.) ; δἰ ἐνιαυτοῦ, après un an (Xén.) ; δι’ ἐτέων εἴκοσιν, après vingt ans (Hérod.) ; διὰ τριακοσίων ἐτῶν, après trois cents ans. Le sens de διά dans ces locutions est qu’on sort de l’espace de temps indiqué, après l’avoir traversé.

Revenus à Antioche, Saul et Barnabas, qui avaient ramené avec eux un jeune homme cousin de ce dernier, Jean, surnommé Marc (Colossiens 4.10), reprirent leur activité dans cette église où s’épanouissait une grande richesse de dons soit de prophétie, soit d’enseignement. C’est du sein de cette floraison spirituelle que surgit l’idée de la première mission proprement dite en monde païen. L’église d’Antioche s’était fondée spontanément, sans qu’il y eût eu envoi dans ce but. L’heure était venue où l’Église comme telle allait prendre en mains cette grande œuvre et en faire la sienne. Paul avait sans doute attendu impatiemment ce moment, et il est probable qu’il ne fut pas sans influence sur cette démarche décisive.

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