Les épîtres de Paul

4.
L’auteur

L’authenticité de cette lettre n’a jamais été mise en doute dans l’antiquité. Nous le savons par les témoignages d’Origène (IIIe siècle) et d’Eusèbe (IVe siècle). Sans doute les attestations patristiques ne remontent pas très haut ; car les passages de Clément de Rome, de Barnabas, d’Ignace et de Polycarpe, dans lesquels on a trouvé des réminiscences de notre lettre, ne sont pas absolument concluants. Le premier fait à citer qui prouve positivement son existence et son influence dans l’Église est sa présence dans un recueil comprenant dix lettres de saint Paul, avec lequel Marcion arriva d’Asie-Mineure à Rome vers l’an 140. Ce fait est d’autant plus significatif que, comme nous l’avons vu, le Canon que cet hérétique remettait à ses adeptes, n’était nullement un recueil canonique rudimentaire, mais un débris des recueils plus complets qu’il avait connus dans les églises d’Orient d’où il sortait. Les dix épîtres dont il se servait, faisaient donc déjà partie de ces recueils.

Nous trouvons nos deux épîtres mentionnées également dans la liste d’écrits apostoliques, destinés à être lus dans les assemblées du culte, que nous offre le Fragment dit de Muratori. Ce document représente l’usage des églises d’Occident dans la seconde moitié du IIe s. Dans le dernier tiers de ce même siècle, notre lettre est citée et employée à plusieurs reprises, comme œuvre de Paul, par Irénée, Clément d’Alexandrie et Tertullien. Elle occupe sa place à la même époque dans les versions syriaque et latine du Nouveau Testament.

Elle était restée inattaquée jusqu’à nos jours. Dans son Apostel Paulus (2e éd., t. II, p. 94-107 et 341-369), Baur l’a fait passer pour la première fois par le feu de la critique. Il lui reproche le manque de toute idée dogmatique qui puisse lui donner un intérêt spécial. Elle ne fait que reproduire le récit des Actes, et cela à quoi bon pour des lecteurs qui avaient eux-mêmes été témoins des faits ! L’imitation des lettres aux Corinthiens est partout sensible. Il y a beaucoup d’hapax legomena. Le passage contre les Juifs persécuteurs, 2.14-16, serait absolument inconvenant dans la bouche de celui qui avait autrefois pris lui-même une si grande part à la persécution de l’Église. L’expression : « La colère est arrivée à sa fin, » suppose que la ruine de Jérusalem est déjà un fait accompli. Comment l’apôtre pourrait-il dire à une église qui venait d’être fondée qu’elle sert de modèle à celles, de Macédoine et d’Achaïe, et que le bruit de saa foi est parvenu en tous lieux (1.7-8) ? Comment Paul aurait-il déjà pu faire deux fois, lorsqu’il était à Corinthe, la tentative de retourner à Thessalonique ? La recommandation 5.27, que l’épître soit lue par tous les frères, ne s’explique que comme datant d’un temps où l’auteur voulait procurer à sa lettre controuvée le privilège d’être lue publiquement, comme les écrits apostoliques. La conclusion de tout cela est celle-ci : Le faussaire a eu pour but de faire pénétrer l’idée de la Parousie dans la conscience chrétienne en plaçant cette attente sous l’autorité de l’apôtre Paul.

La critique de Baur n’a pas été généralement approuvée dans sa propre école ; elle a même été combattue par Hilgenfeld, Hausrath, Lipsius, Pfleiderer, Weizsæcker, P. Schmidt, Holtzmann et Schmiedel. Holsten seul l’a acceptée en y ajoutant quelques raisons, telles que l’absence du titre d’apôtre dans l’adresse et l’imitation prétendue d’Apocalypse 2.2 : « Je connais tes œuvres et ton travail et ta constance, » dans 1 Thessaloniciens 1.3 : « Nous souvenant de l’œuvre de votre foi et du travail de votre charité et de la constance de votre espérance. » De plus, Steck a tiré une objection de l’imitation prétendue d’une parole du quatrième livre d’Esdras dans le passage 4.15. Chose étrange, M. Ménégoz a prononcé son verdict en faveur du rejet. L’épître est défendue par Bleek, Reuss, Hofmann, Grimm, Weiss, Sabatier et d’autres. Examinons les raisons que l’on oppose à l’authenticité.

L’absence d’un enseignement dogmatique est plutôt une raison en faveur de l’authenticité ; car le témoignage de l’attachement de l’auteur pour l’église et l’apologie de son caractère personnel deviennent par là le principal sujet de la lettre ; et de pareils passages ne se comprennent naturellement que de la part du fondateur de l’église. — La reproduction des faits racontés dans les Actes a pour but, non d’en informer les lecteurs, mais de les leur rappeler comme autant de sujets d’actions de grâces propres à unir étroitement ceux qui ont fait ensemble de pareilles expériences, tout à la fois saintes et douloureuses. Du reste la difficulté même que l’on trouve à mettre d’accord le passage 4.1 (sur le renvoi de Timothée depuis Athènes), avec le récit des Actes, montre qu’il n’y a nullement de la part d’un des deux écrits imitation servile à l’égard de l’autre. — La dépendance de notre épître à l’égard de celles aux Corinthiens n’a pas été démontrée par Baur. Les coïncidences sont très éloignées et s’expliquent par la situation analogue des deux églises en monde grec. La relation entre l’épître aux Galates et celle aux Romains est infiniment plus étroite, et cependant Baur n’en tire aucune conclusion critique contre l’une ou l’autre. — Les hapax legomena ne prouvent pas davantage ; car ils ne dépassent pas le nombre de ceux que l’on trouve dans les épîtres de Paul reconnues comme authentiques par Baur lui-même. — L’objection la plus spécieuse me paraît être celle que Baur tire du passage véhément contre les Juifs, 2.14-16, quand on se rappelle le rôle antérieur de Paul lui-même dans la persécution de l’Église. Mais, tout en ressentant douloureusement le regret de sa conduite passée, l’apôtre pouvait pourtant dire en vérité : « Je l’ai fait par ignorance » (1 Timothée 1.13) ; tandis que les Juifs, qu’il accuse dans notre passage en raison de l’opposition qu’ils mettent partout à la prédication de l’Évangile chez les païens, employaient pour arriver à leurs fins les moyens les plus hypocrites et les plus perfides, comme celui de tirer un grief politique de cette attente messianique qui était l’objet de leur propre aspiration la plus ardente. Ils montraient ainsi leur méchanceté et leur mauvaise foi. Cette conduite révélait d’ailleurs leur manque d’intérêt pour l’amélioration du monde païen et la jalousie qu’ils éprouvaient contre quiconque y exerçait une influence à côté d’eux. Entre un persécuteur aveuglé, mais sincère, et des persécuteurs intéressés et déloyaux, comme ceux-là, il n’y a rien de commun. — Le châtiment d’Israël est simplement annoncé par Paul comme prochain, ainsi que Jésus l’avait prédit. L’expression employée, bien comprise, n’en implique point l’accomplissement. — Si nous mettons quelques mois entre la fondation de l’église et notre lettre, nous pouvons comprendre comment la nouvelle surprenante de l’œuvre admirable accomplie à Thessalonique avait pu se répandre, non seulement dans le nord (Macédoine), mais jusque dans la partie méridionale de la Grèce (Achaïe). Paul lui-même fait entendre quels étaient les messagers qui avaient colporté si promptement cette grande nouvelle : « Eux-mêmes, » dit-il, c’est-à-dire ces adversaires obstinés dont les synagogues ou les colonies répandues partout correspondent incessamment les unes avec les autres. — Comment les chrétiens de Thessalonique pouvaient-ils servir de modèles aux autres troupeaux déjà fondés en Grèce ? Tout simplement parce que Paul et ses deux compagnons les citaient eux-mêmes comme des exemples. — Il n’y a dans la recommandation 5.27 aucune relation avec l’usage postérieur des églises de faire une lecture publique régulière des écrits apostoliques. Paul demande simplement aux Anciens de veiller à ce que, si quelques fidèles n’ont pas eu connaissance de sa lettre par la lecture première qui en a été faite dans l’assemblée, elle leur soit communiquée privément.

Quant aux objections ajoutées plus tard à celles de Baur, elles n’ont pas plus de force. L’absence du titre d’apôtre dans l’adresse est bien plutôt un signe d’authenticité. Paul a eu vis-à-vis de ses deux compagnons d’œuvre, la délicatesse de ne pas prendre un titre qui ne pouvait convenir qu’à lui seul. — Le rapport entre la phrase de Paul 1.3 et celle qu’on cite de l’Apocalypse est d’autant moins suspect, que nous trouvons ici la triade paulinienne bien connue des trois vertus cardinales. — S’il y a réellement une relation de dépendance entre le passage des Thessaloniciens et celui du IVe livre d’Esdras, l’imitation est du côté du secondk. Il est aisé de se convaincre que, tandis que l’épître aux Thessaloniciens nous reporte aux temps les plus primitifs de l’Église et annonce encore le châtiment d’Israël comme à venir, le IVe d’Esdras renferme une foule de locutions empruntées au christianisme et repose tout entier sur le fait tragique de la seconde ruine de Jérusalem consommée.

k – Comparez Dillmann, Herzog's Encyclop. XII, p. 310.

N’y aurait-il pas difficulté à expliquer le fait d’une admission aussi unanime que celle de cette lettre dans les recueils sacrés des églises du second siècle, si elle avait été composée à une époque postérieure à la mort de Paul ? Comment les Thessaloniciens, lorsqu’elle leur parvint, n’auraient-ils pas déclaré que jamais ils n’avaient connu ni reçu de l’apôtre un tel écrit ? Et comment cette protestation n’aurait-elle laissé aucune trace dans la tradition ecclésiastique ? De plus, quelle invraisemblance que la fabrication apocryphe d’un écrit laissant supposer l’apôtre convaincu de l’imminence de la Parousie, tandis que, comme le prouve la 2e de Pierre (3.5 et suiv.), on cherchait plutôt, après le siècle apostolique, à expliquer pourquoi cet événement n’arrivait point ! Comment après la mort de saint Paul, le faussaire eût-il mis dans la bouche de Paul ce : « Nous, les vivants, les restants ? » d’où l’on pouvait si aisément inférer qu’il espérait, voir de ses yeux la Parousie ? L’inquiétude éprouvée par les Thessaloniciens au sujet des quelques cas de mort qui avaient eu lieu chez eux depuis le départ de Paul, est un sentiment qui caractérise clairement les tout premiers jours d’une église. Enfin les émotions intimes que trahit toute cette lettre, les effusions pleines de tendresse qui la caractérisent, ces réminiscences si vives d’un temps récent de bénédiction exceptionnelle, ces expressions d’une sollicitude toute paternelle pour de jeunes églises exposées déjà à de si cruels traitements de la part de leurs compatriotes, ces recommandations si parfaitement appropriées à la situation d’une église naissante placée au milieu d’une grande cité païenne commerçante et corrompue, ces encouragements à la constance dans la foi au milieu de la souffrance, ce sont là des accents inimitables qu’il est impossible d’attribuer à la plume d’un faussaire des temps post-apostoliques.

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