Les épîtres de Paul

3.
Circonstances de la composition

Il n’est pas une épître de Paul que la critique ait, pour ainsi dire, promenée sur tout le cours de son ministère, comme l’épître aux Galates. On en a fait la première (Marcion), comme aussi la dernière de ses lettres (Kœhler.

1. Les uns la placent avant le séjour de Paul à Éphèse, datant de l’automne de l’an 54. Ainsi :

a) Calvin, Michaëlis, Keil, qui font dater la composition d’avant le concile de Jérusalem Actes ch. 15. Le voyage dans cette ville mentionné Galates ch. 2 serait, non celui d’Actes ch. 15, mais celui d’Actes 11.30 ; 12.25. Cette opinion est presque universellement rejetée aujourd’hui. Une délibération comme celle que raconte Actes ch. 15 serait impossible après des discussions et des décisions telles que celles qui sont rapportées Galates ch. 2. L’on objecte que Paul devrait mentionner le décret apostolique rendu Actes ch. 15, s’il eût déjà été rendu ; mais on ne tient pas compte du fait que l’objet essentiel de cette première partie de l’épître est une question personnelle, la reconnaissance de l’apostolat de Paul par les anciens apôtres, tandis que dans les Actes il s’agit uniquement des relations de l’église mère avec les églises fondées chez les Gentils.

b) D’autres datent notre épître des temps qui ont immédiatement suivi la conférence de Jérusalem, soit du séjour à Troas, Actes 16.8-10 (Hausrath, soit de la mission subséquente en Macédoine (Schenkel, Pfleiderer). Comme le passage Galates 4.13 (τὸ πρότερον, la première fois de deux) implique deux séjours de Paul en Galatie avant la composition de cette lettre, cette date ne peut être admise qu’autant qu’on identifie la Galatie avec le théâtre de sa première mission dans les contrées du sud avec Barnabas. Cette opinion nous a paru insoutenable.

c) La même raison exclut l’opinion de M. Renan, qui date notre lettre du séjour de Paul à Antioche, entre le second et le troisième voyage (Actes 18.22).

d) Hug et Rückert, qui admettent deux séjours de Paul dans la Galatie proprement dite avant notre lettre, pensent qu’elle date de l’intervalle entre le second de ces deux séjours et son arrivée à Ephèse. Il l’aurait écrite durant le voyage de Galatie à Ephèse. Mais il est difficile d’admettre qu’un écrit aussi profondément pensé et admirablement rédigé ait été composée dans le cours d’un voyage.

2. Le plus grand nombre des critiques placent aujourd’hui notre épître à une époque qui a suivi l’arrivée de Paul à Éphèse.

a) La plupart (Néander, Meyer, Reuss, Wieseler, Weiss, Holtzmann, Sieffert, Lipsius) la placent peu après l’arrivée de Paul dans cette ville. Il aurait reçu là des nouvelles affligeantes du succès de ses adversaires, depuis son dernier séjour, et aurait aussitôt écrit cette lettre.

b) D’autres : à la fin du séjour d’Éphèse (Schaff, dans son Comment.) ; ainsi entre la lre et, la 2e aux Corinthiens.

c) Ou bien (Bleek, de Wette, Lightfoot, Farrar, Dods) : pendant le séjour de trois mois de Paul à Corinthe (Actes 20.3), avant son dernier départ pour Jérusalem et son arrestation dans cette ville, ainsi dans le même temps que l’épître aux Romains. On allègue les ressemblances entre ces deux écrits et le développement très avancé de la sotériologie, dans les Galates, qui dépasserait celui des épîtres aux Corinthiens. Il n’est pas nécessaire de réfuter longuement d’aussi faibles raisons. L’objectif de l’épître aux Romains est la relation du judaïsme avec le christianisme, et nullement la question du judéo-christianisme ; et la marche des deux écrits est absolument indépendante et originale. Quant à l’idée que Paul n’est arrivé à sa conception sotériologique qu’à la suite de ses premières épîtres (Thessaloniciens et Corinthiens), nous croyons l’avoir suffisamment réfutée. Elle ne va à rien moins qu’à taxer de mauvaise foi les déclarations expresses de Paul Galates ch. 1. Enfin comment comprendrait-on le si promptement de 1.6, après 2-3 années d’intervalle !

d) Ce dernier indice exclut à plus forte raison l’opinion de ceux qui placent la composition de l’épître pendant la captivité romaine (Jérôme, Théodoret, Köhler, Schrader). Elle ne peut d’ailleurs appartenir qu’à l’époque de la crise judéo-chrétienne la plus ardente. Les passages qu’on oppose, 2.10 et 6.17, ne prouvent quoi que ce soit. Les points fermes auxquels nous pouvons nous rattacher sont ces trois :

  1. Le τὸ πρότερον, la première fois, 4.13, qui fait supposer deux séjours de Paul en Galatie antérieurs à cette lettre, lesquels ne peuvent être que ceux d’Actes 16.6 et 18.23.
  2. L’expression 1.6 : θαυμάζω ὅτι οὕτως ταχέως, « je m’étonne que si promptement…, » qui suppose que la chute s’était produite rapidement à la suite du raffermissement de l’église dû à la dernière visite de Paul (Actes 18.23).
  3. Le passage 1 Corinthiens 16.1-4, qui ne peut avoir été écrit qu’après que l’autorité apostolique de Paul était, entièrement raffermie dans les églises de Galatie, par conséquent après l’apaisement de la crise au fort de laquelle nous place notre épître.

On a finement remarqué que la parole 1 Corinthiens 9.3 : « Si je ne suis pas apôtre pour d’autres, je le suis du moins pour vous, » pourrait bien être une allusion aux doutes des adversaires que Paul réfute dans les deux premiers chapitres des Galatesd.

dWarfield, cité par Dods, p. 120. Les raisons alléguées par M. Dods lui-même pour la postériorité de l’épître aux Galates par rapport à la 1re aux Corinthiens, sont de la dernière faiblesse.

La date de l’épître aux Galates serait d’après cela : Éphèse, commencement de l’an 55.

La situation qui a occasionné la composition de cette lettre ressort assez clairement de l’étude que nous venons de faire de l’épître elle-même. L’église devait renfermer un certain nombre de croyants d’origine juive ; car Paul s’était sans doute adressé d’abord, comme il le faisait partout, à ses compatriotes. La présence d’un élément juif dans l’église est constatée par 3.13-14, 24-25 et 4.3. Cependant la majorité des membres de ces églises était certainement formée de païens convertis ; comparez 2.5 ; 4.8,12 ; 5.2 ; 6.13. Il n’y a aucune raison solide pour voir avec Mynster et Credner dans ces convertis d’anciens prosélytes de la porte. La connaissance de l’A. T. que suppose notre lettre chez ses lecteurs, s’explique suffisamment par la prédication apostolique et par la lecture des Écritures qui se faisait dès le commencement dans les assemblées de culte. — La présence d’une riche et nombreuse colonie juive dans ces contrées exposait ces jeunes églises à bien des dangers. D’ailleurs, il était difficile qu’en apprenant la fondation d’une église en Galatie, les ardents partisans de la circoncision n’arrivassent pas bientôt sur les lieux, comme ils l’avaient fait à Antioche. Désavoués par les apôtres et l’église de Jérusalem, ils n’en poursuivaient pas moins leur plan d’attaque contre l’œuvre de Paul, comme le montre bien la 2e aux Corinthiens. Ils n’attaquaient pas le christianisme, mais ils voulaient le contenir dans les limites du judaïsme, quoi qu’en pussent dire les apôtres eux-mêmes, pour lesquels ils avaient au fond peu de respect. Ces adversaires de Paul avaient-ils déjà travaillé l’église avant son second séjour en Galatie (Actes 18.23) ? Des savants, tels que Néander, de Wette, Bleek, ont pensé qu’ils n’étaient arrivés qu’après le départ de Paul pour Éphèse. Mais plusieurs passages de l’épître elle-même prouvent le contraire. Au ch. 4, après avoir rappelé la vive affection et les profondes émotions religieuses qu’avaient éprouvées les Galates lors de son premier séjour, Paul ajoute, v. 16 : « Suis-je donc devenu votre ennemi en vous disant la vérité ? » Déjà donc dans le séjour qui avait précédé cette lettre, il avait dû leur dire des choses dures qui avaient été mal prises. La lettre elle-même nous offre deux exemples de ces avertissements sévères qu’il leur avait donnés. Après avoir énuméré les fruits de la chair (5.19 et suiv.), il ajoute : « choses dont je vous dis à l’avance, comme aussi je vous l’ai dit précédemment, que ceux qui les font n’hériteront point le royaume de Dieu » (v. 21). Et 1.9, il écrit ces mots : « Comme nous vous l’avons dit précédemment, je vous le dis de nouveau maintenant : Si quelqu’un vous annonce autre chose que ce que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! » Sans doute, on pourrait rapporter ces mots du v. 9 à ce qu’il vient d’écrire au v. 8. Mais le καὶ ἄρτι ne permet pas ce sens ; et ce passage prouve certainement que déjà dans son séjour précédent l’apôtre s’était trouvé en face de certaines tentatives propres à détourner les Galates de son enseignement. C’est ce que confirme ce mot du récit de Luc Actes 18.23 : affermissant tous les disciples. » On affermit ce qui est ébranlé ou du moins ce qui est menacé de l’être.

Cependant l’apôtre paraît avoir quitté les Galates, rassuré sur leur compte. Il peut leur dire ; « Vous couriez bien ; » leur parler des « fruits de l’Esprit » manifestés chez eux. Que se passa-t-il donc après son départ ? Évidemment une agression nouvelle et plus efficace que les précédentes. Un individu marquant — venait-il de Jérusalem ou d’ailleurs ? nous l’ignorons — attaqua, non seulement l’enseignement, mais encore l’apostolat et même le caractère moral de Paul, et parvint à gagner la confiance et l’affection des Galates. Il réussit à leur inspirer une profonde défiance envers leur apôtre, le leur représentant comme un nouveau venu, hautain et ambitieux, qui ne craignait, pas de se mettre en pleine révolte contre ses maîtres, les vrais apôtres de Jésus, et de disputer au peuple juif le droit de prééminence que l’Ancien Testament lui assurait et que Jésus lui-même lui avait reconnu. Cet enseignement avait suffi pour ébranler les esprits. On s’accommodait déjà de la célébration des fêtes juives, sabbats, nouvelles lunes, etc., qui remplaçaient avantageusement les anciennes fêtes païennes ; et un grand nombre étaient même sur le point de se faire circoncire. Du reste, les adversaires de Paul se montraient coulants envers leurs adeptes à l’égard de toutes les autres exigences de la loi juive. La séduction, il est vrai, n’avait pas encore complètement réussi. Il était encore temps d’y parer. Il restait dans l’église un noyau d’hommes spirituels (6.1) qui paraissent avoir lutté avec énergie et auxquels l’apôtre doit même rappeler les devoirs de la douceur, de l’humilité et de la modération chrétiennes.

On comprend la douloureuse surprise dont fut saisi l’apôtre en apprenant la tournure menaçante qu’avait prise si subitement l’état des choses dans ces églises qu’il venait de quitter sous une impression favorable. Cette situation, dont les traits sont naturellement empruntés en grande partie à la lettre elle-même, est parfaitement claire en soi ; elle concorde avec tout ce que nous savons par le livre des Actes des circonstances du temps apostolique à ce moment-là, et rend un compte satisfaisant de la marche de l’épître en général et de chacune de ses parties. Il n’est nullement, besoin de faire intervenir, comme le veut Hofmann, une lettre des églises elles-mêmes, pour motiver celle de l’apôtre. Il suffit d’admettre que, d’une manière ou d’une autre, il avait reçu connaissance, sans doute par quelqu’un de ceux qui lui étaient restés fidèles, de la crise nouvelle qui s’était déclarée et des manœuvres de l’individu à l’influence duquel elle était due.

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