Les épîtres de Paul

6.
Conclusion

Sans doute nous ne trouvons pas exposé dans la 1re aux Corinthiens ce qui faisait le fond de la nouvelle vie de l’apôtre, le grand fait de la justification par la foi. Comme c’était là-dessus qu’avait roulé tout son enseignement oral (1.30 ; 2.2 ; 3.1-2), et que cette base n’était pas encore ouvertement menacée, il n’avait pas à y revenir. Si donc notre épître a pour l’Église un intérêt spécial, c’est à un autre point de vue. Indépendamment de l’usage qu’elle peut faire encore aujourd’hui des directions données par l’apôtre à l’église de Corinthe pour des circonstances différentes de forme, mais au fond toujours les mêmes, cet écrit est une source incomparable pour la connaissance des églises primitives, aussi bien que pour celle de la personne de saint Paul.

Plus qu’aucun autre écrit du N.T., cette épître est propre à faire tomber le tableau idéal que nous nous faisons si facilement de l’état spirituel des églises apostoliques. Si l’épître aux Galates nous montre la nouvelle vie spirituelle en lutte avec le principe juif qui prétendait la tenir enfermée dans le maillot légal dont elle tendait à se dégager, la première aux Corinthiens nous présente cette même vie en lutte avec la licence païenne ; nous y voyons les nouveaux croyants prêts à retomber sous l’empire des vices en cours dans le monde grec, de telle sorte que l’apôtre, après avoir élevé en Galatie le drapeau de l’émancipation, est obligé à Corinthe de puiser dans ce même Évangile de la liberté les principes disciplinaires au moyen desquels il peut régler la vie nouvelle et l’empêcher de dévier et de se perdre. Et il réussit dans cette seconde tâche comme dans la première. Nous avons vu la fermeté et la sagesse admirables avec lesquelles il accomplit, sans recourir à la loi, cette tâche difficile, et constaté la réalité et la richesse de son don apostolique. Mais nous avons encore d’autres qualités secondaires à admirer chez lui.

M. Renan a lâché un mot malheureux : « Saint Paul, dit-il, n’avait pas la patience qu’il faut pour écrire ; il était incapable de méthode. » En face de la 1re aux Corinthiens et de l’épître aux Romains, ce jugement est, surprenant. Peut-on se représenter une méthode plus ferme et plus sûre d’elle-même que celle d’après laquelle sont ordonnées les matières si diverses traitées dans notre épître et que nous avons exposée ? Combien ce groupement rationnel et progressif n’est-il pas supérieur à la division purement mécanique que Reuss et d’autres attribuent à notre épître, en y voyant : premièrement, la réponse aux renseignements que l’apôtre avait reçus de vive voix (ch. 1 à 6), deuxièmement, la réponse aux questions renfermées dans la lettre des Corinthiens (ch. 7 à 15) !

A la puissance logique qui a dicté la belle ordonnance de l’épître se joint l’admirable bon sens avec lequel il formule à la fin de chaque discussion en quelques lignes simples et claires la conclusion pratique qui en résulte. Ces facultés de la puissance intellectuelle et de l’esprit pratique sont d’autant, plus remarquables chez un homme en qui paraissent s’être rencontrées en même temps des qualités tout opposées. Il rend grâces à Dieu, 14.18, de ce qu’il a le don de parler en langues à un plus haut degré qu’aucun des Corinthiensa. Le don de parler en langues tenait surtout à la faculté du sentiment ; c’était l’exaltation de cette faculté jusqu’à l’extase. L’hymne à la charité, ch. 13, peut être envisagé comme l’interprétation d’une langue ; il en est de ce morceau comme de celui qui termine le ch. 8 de l’épître aux Romains. On se demande comment une telle puissance d’élévation mystique était compatible avec le don de sagesse pratique et d’analyse rationnelle que nous admirons chez Paul.

a – Seulement il ne faut pas faire dire à Paul, comme M. Renan : « Je remercie Dieu de parler plutôt la langue de vous tous, » sens oiseux et que repousse la grammaire.

Enfin — et c’est ici la transition à l’étude de la seconde épître — nous constatons chez l’apôtre dans la 1re aux Corinthiens la vertu de la σωφροσύνη, de l’empire sur soi-même, par laquelle il se contient, au moment même où tout le sollicite à un éclat, différant jusqu’à un moment plus propice la lutte ouverte avec les éléments hostiles qui s’agitent contre lui à Corinthe. C’est dans la seconde épître que nous étudierons la lutte arrivée enfin à l’état critique, la guerre à outrance.

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