Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE I

CHAPITRE VI
Chaque race reçoit son nom d’après son fondateur.

Peuples issus de Japheth.

1.[1] Les enfants de Noé[2] eurent des fils qu'on honora en donnant leurs noms aux pays[3] où l'on venait s'établir. Japheth, fils de Noé, eut sept fils ; ils commencèrent à habiter depuis les monts Tauros et Amanos et s'avancèrent en Asie jusqu'au fleuve Tanaïs et en Europe jusqu'à Gadeïra (Cadix), occupant le territoire qu'ils rencontraient et où personne ne les avait précédés ; ils donnèrent leurs noms à ces contrées. Ceux que les Grecs appellent aujourd'hui Gaulois, on les nomma Gomariens, parce qu'ils avaient été fondés par Gomar(ès)[4]. Magog(ès) fonda les Magogiens, appelés ainsi de son nom, et que les Grecs nomment Scythes. Deux autres fils de Japheth, Javan(ès) et Mados[5], donnèrent naissance, celui-ci aux Madéens, — les Mèdes selon les Grecs, — celui-là à l'Ionie et à tous les Grecs. Thobel(os) fonde les Thobéliens, qu'on appelle aujourd'hui Ibères. Les Mosochènes, fondés par Mosoch(os)[6], s'appellent aujourd'hui Cappadociens ; de leur ancienne dénomination un vestige subsiste : ils ont encore une ville du nom de Mazaca, ce qui indique, pour qui comprend, que tel était autrefois le nom de tout le peuple. Thiras[7] donna son nom aux Thiriens, qu'il gouvernait ; les Grecs en ont fait les Thraces. Telles sont les nations fondées par les fils de Japheth. Gomar(ès) eut trois fils : Aschanaz(os) fonda les Aschanaziens, que les Grecs aujourd'hui appellent Réginiens (?) ; Riphath(ès) les Riphathéens, aujourd'hui Paphlagoniens ; Thorgam(ès)[8], les Thorgaméens, qu'il plut aux Grecs d'appeler Phrygiens. Javan, fils de Japheth, eut aussi trois fils : Élisas donna son nom aux Eliséens, qu'il gouvernait, — ils s'appellent aujourd'hui Eoliens ; Tharsos[9] aux Tharsiens ; c'était le nom antique de la Cilicie : la preuve en est que la plus importante de ses villes, qui en est la capitale, s'appelle Tarse, par le changement du Th en T. Chéthim(os)[10] eut l'île de Chéthima, aujourd'hui Cypre ; de là le nom de Chéthim donné par les hébreux à toutes les îles et à la plupart des contrées maritimes ; j’invoque en témoignage l’une des villes de Cypre qui a réussi à garder cette appellation ; ceux qui l'ont hellénisée l'ont appelée Kition, ce qui diffère à peine du nom de Chetim[11]. Telles sont les contrées possédées par les fils et les petits-fils de Japhet. Une chose que les Grecs ignorent sans doute et que j’ajoute avant de reprendre mon récit où je l'ai laissé, c'est que ces noms sont arrangés à la façon des Grecs, pour l'agrément de mes lecteurs ; dans notre pays, ils n’ont pas cette forme-là : leur structure et leur terminaison reste toujours semblable à elle-même ; ainsi Nôchos se dit Noé[12], et le nom conserve la même terminaison à tous les cas.

[1] Genèse, X, 1.

[2] Pour tout ce chapitre, comparez la traduction araméenne de Ps.-Jonathan sur la Genèse et le Livre des Jubilés, ch. VIII et IX, — Josèphe a peut-être utilisé ce dernier ouvrage, quoique le point de vue soit différent selon les deux auteurs. C'est un tirage au sort qui détermine dans le Livre des Jubilés les établissements ethniques.

[3] Josèphe, comme plusieurs de ses contemporains, prend le mot grec indifféremment au sens de peuple et de province, contrée [T. R.]

[4] LXX : Γαμέρ. Les noms de peuples formés par Josèphe selon ceux des personnages bibliques sont presque tous fictifs.

[5] En hébreu : Yavan, Madaï ; LXX : Ἰωυάν, Μαδοί.

[6] En hébreu : Mésech. LXX : Μοσόχ.

[7] LXX : Θείρας ; Thïras Hébreu. Ps.-Jonathan et Josèphe sont d'accord pour identifier ce nom de peuple avec celui des Thraces.

[8] Les LXX ont Θοργαμά. En hébreu : Thogarma.

[9] LXX : Θάρρασις. En hébreu : Tharsis.

[10] En hébreu : Khitim. Κήτιοι, Kitim ou Kityim dans la Bible est le nom des archipels éloignés, cf. Isaïe, XXII, 1 ; Jérémie, II, 10 ; Daniel, XI, 30.

[11] Josèphe cite seulement trois fils de Javan : Élisas, Tharsos et Chéthim. Il y en a un quatrième dans la Genèse, X, 4, Dodanim, ou, selon I Chroni., I, Rodanim ; LXX : Ῥόδιοι .

[12] Il résulte de ce curieux passage qu'il est difficile de se rendre compte exactement de la façon dont Josèphe prononçait l'hébreu, les altérations en vue de l'euphonie pouvant affecter le commencement et le corps des mots comme leur terminaison.

Peuples issus de Cham.

2. Les enfants de Cham occupèrent les pays qui s'étendent depuis la Syrie et les monts Amanos et Liban jusqu'à la mer (Méditerranée) d'une part, et jusqu'à l'Océan de l'astre. Les noms de quelques-uns de ces pays se sont perdus tout à fait ; d'autres, altérés ou changés en d'autres noms sont méconnaissables ; peu se sont gardés intégralement. Des quatre fils de Cham, l'un, Chous(os), a vu son nom épargné par les siècles : les Éthiopiens, ses sujets, s'appellent eux-mêmes encore aujourd'hui et sont appelés par tout le monde en Asie Chouséens. Les Mestréens, eux aussi, ont vu leur nom demeurer, car nous appelons tous, dans ces pays, l'Égypte Mestré et les Égyptiens Mestréens. Phout(ès)[13] fonda la Libye et nomma de son nom les habitants Phoutiens. Il y a même un fleuve dans le pays des Maures qui a ce nom : plusieurs historiens grecs en font mention, ainsi que du pays qu'il baigne, la Phouté. Mais ce pays a changé de nom ; celui qu'il a aujourd'hui vient d'un des fils de Mestraïm[14], Libys[15] ; je dirai prochainement pourquoi on en est venu à l'appeler aussi Afrique. Chanaan(os)[16], quatrième fils de Cham, s'établit dans le pays qui est aujourd'hui la Judée ; il l'appela de son nom Chananée. Ces fils de Cham eurent des fils à leur tour. Chous en eut six : Sabas donna naissance aux Sabéens, Évilas aux Éviléens, les Gétules d'aujourd'hui ; Sabath(ès)[17] aux Sabathéniens, que les Grecs appellent Astabariens ; Sabacathas[18] aux Sabacathéniens ; Regmos[19] fonda les Regméens ; il eut deux fils : Joudad(as)[20] qui fonda les Joudadéens, peuple de l'Éthiopie occidentale, auxquels il donna son nom ; Sabéos les Sabéens. Nemrod, fils de Chous, resta parmi les Babyloniens, dont il fut le tyran, comme je l'ai déjà indiqué antérieurement. Mestraïm eut huit fils, qui occupèrent tous les pays qui s'étendent depuis Gaza jusqu'à l'Égypte ; Phylistin(os) est le seul dont le pays ait conservé le nom ; les Grecs appellent, en effet, Palestine la part qui lui échut. Quant aux autres, Loudiim(os), Enémétiim(os) et Labiim(os)[21], qui seul s'établit en Libye et donna ainsi son nom à la contrée, Nédem(os)[22], Phéthrosim(os)[23], Chesloïm(os) et Chephthorim(os)[24], on ne sait rien d'eux, hormis leurs noms ; car la guerre éthiopienne dont nous parlerons plus tard[25] a ruiné leurs villes, Chanaan eut aussi des fils : Sidon, qui bâtit en Phénicie une ville, à laquelle il donna son nom et que les Grecs encore aujourd'hui nomment Sidon ; Amathous[26], qui bâtit Amathous, que ses habitants appellent encore aujourd'hui Amathe (Hamath) ; les Macédoniens l'ont appelée Épiphanie du nom d'un des épigones. Aroudaios eut l'île d'Arados[27] ; Arucéos[28] habitait Arcé dans le Liban. Des sept autres, Evéos, Chetlaios[29], Jebouséos, Amorréos, Gergéséos, signés dans les Saintes Écritures : les hébreux détruisirent leurs villes, et voici la raison de leurs malheurs.

[13] LXX, Φούδ ; Phout Hébreu.

[14] En hébreu : Miçraïm. LXX : Μερσαίν.

[15] Le même que celui qui est appelé plus loin Libiïm.

[16] En hébreu : Kenaan ; LXX : Χαναάν.

[17] LXX : Σαβαθά. En hébreu : Sabtha.

[18] LXX : Σαβαθακά. En hébreu : Sabtecha.

[19] LXX : Ῥεγμά. En hébreu : Ra'mah.

[20] Diffère assez sensiblement de l'hébreu Dedan. LXX : Λαδάν

[21] En hébreu : Loudim, Animim, Lehabim. LXX : Λουδιειμ, Ἐνεμετιείμ, Λαβιείμ.

[22] En hébreu : Naphthouhim. LXX : Νεφθαλείμ.

[23] En hébreu : Pathrousim. LXX : Πατροσυνιείμ.

[24] En hébreu : Kaslouhim et Kafthôrim ; LXX : Νασμωνιείμ, Φαρθομιείμ. Les Philistins forment dans Josèphe une souche à part, sans lien avec Kaslouhim comme le veut la Gen., X, 14.

[25] Liv. II, X.

[26] En hébreu : Hamati ; LXX : Ἀμαθί. L'ordre des noms qui suivent est tout différent dans la Septante et dans l'hébreu.

[27] En hébreu : Arvadi ; LXX : Ἀραδίος.

[28] En hébreu : Arki ; LXX : Ἀρουκαῖος.

[29] En hébreu : Hivvi, Heth.

Malédiction de Cham.

3.[30] Après le déluge, la terre étant revenue à sa nature primitive, Noé se mit à l’œuvre et y planta la vigne. Quand les fruits parvinrent à maturité, il les vendangea au moment opportun ; le vin étant prêt, il fit un sacrifice et se livra à de grands festins. Ivre, il s’endort et reste étendu dans un état de nudité indécente. Le plus jeune de ses fils l'aperçoit et le montre en raillant à ses frères ; ceux-ci enveloppent leur père d'une couverture. Noé, ayant appris ce qui s'était passé, fait des promesses de bonheur à ses deux fils aînés ; quant à Cham, à cause de sa parenté avec lui il ne le maudit pas, mais il maudit ses descendants. La plupart des fils de Cham échappèrent cependant à cette malédiction ; seuls les fils de Chanaan furent atteints par Dieu. C'est de quoi je parlerai par la suite.

[30] Genèse, IX, 20.

Peuples issus de Sem.

4.[31] Sem, le troisième fils de Noé, eut cinq fils, qui habitèrent l'Asie jusqu'à l'océan Indien, en commençant à partir de l'Euphrate. Élam(os) eut pour descendants les Élaméens, ancêtres des Perses. Assour(as) fonde la ville de Ninos et donne son nom a son peuple, les Assyriens, qui eurent une fortune exceptionnelle. Arphaxad(ès) nomma ses sujets Arphaxadéens ; ce sont les Chaldéens d'aujourd'hui. Aram(os) fut le chef des Araméens, que les Grecs appellent Syriens ; ceux qu'ils appellent aujourd'hui Lydiens étaient autrefois les Loudiens, fondés par Loud(as)[32]. Des quatre fils d'Aram(os), l'une Ous(os), fonde la Trachonitide et Damas, située entre la Palestine et la Cœlé-Syrie. Oul(os) fonde l'Arménie, Gather(os) les Bactriens, Mésas[33] les Mésanéens; leur ville s'appelle aujourd'hui Spasinou Charax. Arphaxadès fut père de Salès[34] et celui-ci d'Hébér(os). D'après son nom, les Judéens étaient appelé Hébreux dans le principe. Hébér fut père de Jouctas et de Phaléc(os), qui fut appelé ainsi parce qu'il naquit lors du partage des territoires : phalec, Hébreu, veut dire partage. Ce Jouctas, fils d'Hébér, eut pour fils Elmôdad(os), Saléph(os), Azermôth(ès)[35], Iraês[36], Adôram(os), Aizèl(os), Déclas, Ebal(os)[37], Abimaë(los), Sabeus, Ophairès, Evilalès, Jôbab(os). Ceux-ci, à partir du fleuve Côphen, habitent quelques parties de l'Inde et de la Sérique, qui y confine.
Voilà ce qu'on peut rapporter des enfants de Sem.

[31] Genèse, X, 22.

[32] Les LXX ont une variante curieuse, ils placent ici Καινᾶν.

[33] En hébreu : Mas ; LXX : Μοσόχ qui semble venu de l'hébreu Mesech.

[34] En hébreu : Sélah. LXX : Σαλά.

[35] LXX : Σαπμώθ ; hébreu : Hatzarmaveth.

[36] En hébreu : Yarah ; LXX : Ιαράχ.

[37] En hébreu : Obal ; LXX : Εὐάλ.

Origine des Hébreux.

5.[38] Je vais maintenant parler des Hébreux. Phalec, fils d'Hébér, eut pour fils Ragav(os)[39] ; de Ragav naquit Séroug(os), de Séroug Nachôr(ès), de Nachôr Tharros[40] ; celui-ci devint père d'Abram (Abramos)[41], qui est le dixième à partir de Noé et qui naquit 992 ans[42] après le déluge. Tharros fut père d'Abram à 70 ans ; Nachôr avait 120 ans quand il engendra Tharros et Séroug, 132 quand il eut Nachôr ; Ragav engendra Séroug à 130 ans ; Phalec avait le même âge quand il eut Ragav ; Hébér, à l'âge de 434 ans, engendra Phalec ; il était né lui-même de Salès quand celui-ci avait 130 ans. Salès naquit d'Arphaxad quand celui-ci était âgé de 135 ans ; Arphaxad était fils de Sem et était né 12 ans après le déluge[43].
Abram eut des frères, Nachôr(ès) et Aran(ès). Aran laissa un fils, Lôt(os), et des filles, Sarra[44] et Melcha ; il mourut en Chaldée dans la ville d'Our dite des Chaldéens[45] ; on montre encore son sépulcre aujourd'hui. Nachôr épousa sa nièce Melcha, Abram sa nièce Sarra[46]. Tharros ayant conçu de l'aversion pour la Chaldée à cause de la mort d'Aran, ils vont tous s'établir à Charran en Mésopotamie ; Tharros y meurt ; on l'y enterre ; il avait vécu 205 ans. La durée de la vie des hommes se raccourcissait déjà ; elle diminua jusqu'à la naissance de Moïse, avec lequel la limite de l'existence fut fixée par Dieu à 120 ans ; c'est précisément l'âge que vécut Moïse[47], Nachôr[48] eut huit fils de Melcha, Oux(os), Baoux(os)[49], Mathouël(os)[50], Chazam(os)[51], Azav(os), Iadelphas, Iadaphas[52], Bathouël(os) : ce sont les fils légitimes de Nachôr. Tabéos[53], Gadam(os), Taavos et Machas[54] lui naquirent de sa concubine Rouma. Bathouël, un des fils légitimes de Nachôr, eut une fille, Rébecca, et un fils, Laban(os).

[38] Genèse, XI, 10.

[39] En hébreu : Reou.

[40] En hébreu : Thérah. LXX : Θάρρα.

[41] Josèphe transcrit de la même façon les deux noms hébreux Abram et Abraham. Les LXX donnent Ἄβραμ et Ἄβρααμ.

[42] Ce chiffre de 922 est bien le total des chiffres qui suivent. Si donc on admet l'authenticité des chiffres partiels, cette leçon, qui n'est pas celle de tous les manuscrits, est la seule acceptable. Mais il est probable qu'il y a eu interpolation. Quelques manuscrits annoncent d'abord un total de 292 ans, ce qui se rapproche beaucoup du total biblique, qui est de 295. Seulement ces manuscrits donnent ensuite comme les premiers des chiffres qui sont ceux de la Genèse, augmentés chacun de 100 années. Le système de Josèphe semble différer à la fois de celui de la Bible et de celui des LXX, qui introduisent dans la liste des descendants de Sem un Kaïnan, père de Sélah à l'âge de 130 ans. Il faut croire que Josèphe s'est conformé aux indications bibliques pour les noms des fils de Sem et leur succession, mais en les faisant pères 100 ans plus tard que dans la Bible ; ou bien que tout le passage est interpolé ; dans ce cas, il faudrait garder 292 (293 ?) et corriger les chiffres suivants conformément au total.

[43] Genèse, XI, 27.

[44] Σάρρα est l'unique transcription du nom hébreu Sarah, d'abord Saraï dans la Genèse jusqu'à XVII, 15. Les LXX ont Σάρα = Saraï et Σάρρα = Sarah. La Genèse donne pour filles à Haran : Milkha et Yiska, La tradition identifie, en effet (Sanh., 69b) Yiskah et Sarah. Josèphe remplace tout simplement l'une par l'autre.

[45] Gen., XI, 8 : Beour Kasdim. Les LXX ont seulement : ἐν τῇ χώρᾳ τῶν Χαλδαίων « dans le pays des Chaldéens ».

[46] La Genèse dit seulement (XI, 29) qu'Abraham épousa Saraï. Pour Josèphe, comme pour la tradition rabbinique, Sara est la fille de Haran et, par conséquent, la nièce d'Abraham.

[47] Confusion de Gen. (VI, 2) avec le fait que Moïse est mort à cet âge.

[48] Genèse, XXII, 20.

[49] En hébreu : Ouz, Bouz. LXX : Οὔζ, Βαύψ.

[50] En hébreu : Kemouel. LXX : Καμουήλ.

[51] En hébreu : Késed.

[52] En hébreu : Pildasch, Yidlaph. LXX : Φαλδές, Ἰελδάρ.

[53] En hébreu : Tébah. LXX : Ταβέα.

[54] En hébreu : Tahas, Ma'achak. LXX : Τοχός, Μοχά.

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