Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE II

CHAPITRE XII
Dieu se révèle à Moïse dans le buisson ardent et l'appelle à délivrer les Hébreux.

Le buisson ardent.

1.[1] Moïse, ayant reçu ces bienfaits de Iothor(os)[2] — tel était le surnom de Ragouël — vécut là en faisant paître les troupeaux. Quelque temps après, il les mena paître sur la montagne appelée Sinaï[3] : c'est la plus haute montagne de cette région. Elle a les meilleurs pâturages, car il y pousse une herbe excellente et, comme la renommée voulait que la divinité y eût son séjour, elle n'avait pas jusque-là été affectée au pacage, les bergers n'osant pas la gravir. C'est là qu’il fut témoin d'un prodige étonnant : un feu brûlait un buisson d'épines et laissait intacte la verdure qui le couronnait, ainsi que ses fleurs ; il n'anéantissait aucun de ses rameaux chargés de fruits, quoique la flamme fût très grande et très intense. Moïse s'effraye de ce spectacle étrange, mais il est frappé bien davantage encore d'entendre ce feu émettre une voix, l'appeler par son nom et lui adresser la parole, l'avertissant de la hardiesse qu'il y avait à oser s'avancer dans un lieu où nul homme n'était venu auparavant à cause de son caractère divin et lui conseillant de s'éloigner le plus possible de la flamme, de se contenter de ce qu'il avait vu, en homme vertueux issu d’ancêtres illustres, et de garder là-dessus quelque discrétion. Il lui prédit aussi qu'il acquerra une gloire extraordinaire et sera comblé d'honneurs par les hommes, grâce à l'assistance divine, et lui ordonne de s'en retourner avec confiance en Égypte, où il deviendra le chef et le guide de la foule des Hébreux et délivrera ceux de sa race des tourments qu'ils y subissaient. « Car, dit-il, ils occuperont cette terre fortunée qu'Abram, votre ancêtre, habita et ils y jouiront de tous les biens et c'est toi, c'est ton intelligence qui les y conduira ». Toutefois, il lui ordonne, après qu'il aurait fait sortir les hébreux de l'Égypte, d'offrir des sacrifices de reconnaissance en arrivant à cet endroit-là. Voilà les avertissements divins qui sortirent du feu.

[1] Exode, III, 1.

[2] En hébreu : Yithro. LXX : Ἰοθόρ.

[3] Dans l'Exode, c'est le mont Horeb. Horeb et Sinaï désignent, d'ailleurs, la même montagne, comme le prouve un autre verset (Ex., III, 12).

Crainte de Moïse.

2. Moïse, frappé de stupeur par ce qu’il avait vu et surtout par ce qu'il avait entendu : « Seigneur, dit-il, manquer de foi en ta puissance que je vénère moi-même et qui, je le sais, s'est manifestée à mes ancêtres, ce serait une folie trop indigne, à mon avis, pour que j'en conçoive la pensée. Mais je me demande comment moi, simple particulier, dépourvu de toute puissance, je pourrai persuader mes frères par mes discours d'abandonner le pays qu'ils occupent actuellement pour me suivre dans celui où je pense les mener et, quand même ils m'écouteraient, comment je forcerai Pharaôthès à leur accorder de partir, à eux dont les efforts et les travaux concourent à la prospérité de ses États.

Dieu le rassure par des miracles.

3.[4] Mais Dieu l'exhorte à se rassurer entièrement et lui promet de l'assister lui-même ; quand il faudrait parler, il lui donnerait la persuasion, et quand il faudrait agir, il lui procurerait la force ; il lui commande de jeter à terre son bâton et de prendre confiance en ses promesses. Moïse obéit, alors un serpent se met à ramper, se contracte en spirales et dresse la tête comme pour se défendre d'une attaque ; puis il redevient bâton. Ensuite Dieu lui ordonne de placer sa main droite dans son sein : il obéit et la retire blanche et d'une couleur semblable à celle de la chaux ; puis elle reprit son aspect naturel. Enfin, il reçoit l'ordre de prendre de l'eau à la source voisine et de la verser a terre, et il la voit devenir couleur de sang. Comme il s'étonne de ces merveilles, Dieu l'exhorte à se rassurer, à croire qu'il sera toujours pour lui le plus grand des secours, et à user de miracles « pour convaincre tout le monde, dit-il, que c'est moi qui t'envoie et que tu agis en tout selon mes instructions. Et je t'ordonne d'aller sans plus tarder en Égypte, de marcher en toute hâte, nuit et jour, et, sans perdre de temps davantage, d'accomplir cette mission pour les Hébreux, qui souffrent dans l'esclavage ».

[4] Exode, IV, 1.

Le nom divin.

4.[5] Moïse ne peut pas ne pas ajouter foi aux promesses de la divinité, après avoir vu et entendu tant de témoignages rassurants ; il prie Dieu et lui demande de faire l'épreuve de ce pouvoir en Égypte ; il le supplie de ne pas lui dénier la connaissance de son nom particulier, et, puisqu'il avait été admis à lui parler et à le voir, de lui dire aussi de quelle manière il fallait l'appeler, afin que, en sacrifiant, il pût l'inviter par son nom à présider à la cérémonie sacrée. Alors Dieu lui révèle son nom qui n'était pas encore parvenu aux hommes, et dont je n'ai pas le droit de parler[6]. Ces miracles, Moïse ne les accomplit pas seulement alors, mais en général toutes les fois qu'il était nécessaire. Tous ces signes lui firent croire davantage à la véracité de l'oracle du feu, et, confiant en l'aide bienveillante de Dieu, il espéra pouvoir sauver les siens et précipiter les Égyptiens dans le malheur.

[5] Exode, VI, 2.

[6] Il s'agit du nom ineffable ou tétragramme, dont les consonnes hébraïques seules se sont conservées. La remarque de Josèphe fait penser que la prononciation de ce nom lui était connue, ce qui n'a rien d'étonnant puisqu'il était d'une famille de prêtres ; on sait que seul le grand-prêtre avait le droit de le prononcer. La défense relative au nom divin se trouve dans le Lévitique, XXIV, 16. La prérogative du grand-prêtre est énoncée dans la Tosifta de Sota, XIII, 8 (Ed. Zuckerm) ; Yoma, 39 b ; cf. Philon, De mut. nom., § 2, M., I, p. 580, et De vit. Moys., VII, 25 (M., II, p. 166).

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant