Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE II

CHAPITRE XIII
Moïse devant le nouveau Pharaon ; celui-ci refuse de laisser partir les Hébreux.

Retour de Moïse en Égypte.

1. Instruit de la mort du roi d'Égypte Pharaôthès, celui-là même sous le règne duquel il avait été exilé, il demande à Ragouël de lui permettre, dans l'intérêt des gens de sa race, de s'en aller en Égypte ; il prend avec lui Sapphôra, sa femme, fille de Ragouël, et les enfants qu'il avait d'elle, Gersos et Eléazar(os) ; de ces deux noms, l'un, Gersos[1], signifie sur une terre étrangère ; l'autre, Eléazar[2], que c'est avec l'assistance du Dieu de ses pères qu'il avait échappé aux Egyptiens. Quand il arrive près de la frontière, son frère Aaron vient à sa rencontre sur l'ordre de Dieu ; Moïse révèle à Aaron ce qui lui est advenu sur la montagne et les instructions divines. Tandis qu’ils s'avancent, arrivent au-devant d'eux les plus illustres des Hébreux, qui avaient appris son arrivée ; Moïse, ne pouvant les convaincre par le seul récit des signes miraculeux, les leur fait voir. Frappés de ce spectacle merveilleux, ils prennent confiance et espèrent que tout ira bien puisque Dieu veille à leur sécurité.

[1] En hébreu : Gersôm. L'étymologie du nom donnée ensuite par Josèphe concorde avec Ex., II, 22, et XVIII, 3.

[2] En hébreu et LXX : Eliezer. L'étymologie est la même que dans le verset Ex., XVIII, 3. Josèphe remplace seulement le « glaive de Pharaon » dont il est parlé dans la Bible par les Égyptiens. A noter la transcription du nom hébreu par Eléazar, Josèphe l'adopte parce qu'elle était plus répandue sans doute de son temps. Eliezer et Eléazar ne diffèrent, d'ailleurs, que par l'orthographe.

Moïse devant le nouveau Pharaon.

2.[3] Une fois sûr de l'adhésion des Hébreux, de leur disposition unanime à se conformer à ses ordres et de leur amour de la liberté, Moïse se rend chez le roi, récemment investi du pouvoir, et lui représente les services qu'il a rendus aux Égyptiens[4], quand les Éthiopiens les humiliaient et ravageaient leur pays, comment il avait commandé en chef l'armée et s'était efforcé, comme s'il s'agissait des siens ; il lui apprend les périls que ceux-là mêmes lui faisaient courir et comme il était mal payé de retour. Et tout ce qui lui était arrivé sur le mont Sinaï, les paroles de Dieu et les signes miraculeux qu'il lui avait montrés pour lui inspirer confiance dans ses commandements, il le lui raconte en détail et le prie de ne pas faire obstacle en incrédule aux desseins de Dieu.

[3] Exode, V, 1.

[4] Voir plus haut chapitre X.

Miracle des bâtons-dragons.

3. Comme le roi le raillait, Moïse lui fait voir, réalisés devant lui, les miracles qui s'étaient produits sur le mont Sinaï. Le roi s'emporte, le traite de scélérat, déclare que d'abord il avait fui l'esclavage des Égyptiens, puis était revenu maintenant par fraude et tentait d'en imposer par des prodiges et des sortilèges. Et, ce disant, il enjoint aux prêtres[5] de lui montrer les mêmes phénomènes, car les Égyptiens sont versés aussi dans ces sortes de sciences[6]... Ces prêtres ayant jeté alors leurs hâtons, ceux-ci deviennent des dragons. Mais Moïse sans se troubler : « Moi non plus, dit-il, Ô roi, je ne méprise pas la science des Égyptiens ; mais je déclare que ce que j'ai fait moi-même surpasse autant leur magie et leur art qu'il y a de distance entre les choses divines et les choses humaines. Et je montrerai que ce n'est pas du charlatanisme et d'une dépravation de la vraie doctrine, mais de la providence et de la puissance divine que mes miracles procèdent ». Disant cela, il jette à terre son bâton, en lui commandant de se métamorphoser en serpent ; le bâton obéit, fait le tour des bâtons des Égyptiens, qui semblaient des dragons, et les dévore jusqu’à ce qu'il les ait fait tous disparaître ; ensuite il reprend son aspect normal et Moïse s'en saisit.

[5] Exode, VII, 11.

[6] Nous retranchons avec Dindorf les mots qui suivent et qui paraissent altérés. On peut, à la rigueur, les interpréter ainsi : « et Moïse n'est pas la seule personne à connaître ces secrets, et s'il s'avise d'en attribuer à Dieu le merveilleux, il ne sera cru que des ignorants » [T. R.]

Obstination du Pharaon.

4. Mais le roi n'est pas plus frappé de ce fait-là ; il se fâche, et, après lui avoir déclaré qu'il ne lui servirait de rien d'employer sa sagesse et son habileté contre les Égyptiens, il ordonne au surveillant[7] des Hébreux de ne point leur accorder de relâche dans leur travail, mais de les assujettir à des traitements encore plus durs que précédemment. Et celui-ci, qui leur fournissait auparavant de la paille pour la confection des briques, cesse de leur en fournir. Le jour, il les oblige à peiner sur leur tâche, la nuit à ramasser la paille. Ainsi deux fois malheureux, ils rendaient Moïse responsable de ce surcroît de labeur et d'infortune. Mais lui[8], sans s'affecter des menaces du roi, sans céder aux récriminations des Hébreux, tient bon de part et d'autre et met tous ses efforts à procurer aux siens la liberté. Il va se présenter devant le roi et cherche à lui persuader de laisser aller les Hébreux sur le mont Sinaï pour y sacrifier à Dieu, qui l'avait ordonné, et de ne point faire opposition aux volontés divines ; il devait mettre la faveur de Dieu au-dessus de tout et les autoriser à partir, de peur qu’en les en empêchant, il ne devint, sans le savoir, responsable envers lui-même, quand il subirait les peines qui frappent d'ordinaire ceux qui contreviennent aux ordres de Dieu ; car ceux qui s'attirent le courroux divin voient surgir des maux terribles de partout ; pour ceux-là, plus rien d'ami, ni la terre, ni l'air ; il ne leur naît plus d'enfants selon la loi naturelle ; tous les éléments leur sont contraires et hostiles ; les Égyptiens, déclarait-il, seraient mis à de pareilles épreuves en même temps que le peuple des Hébreux sortirait de leur pays contre leur gré.

[7] Exode, V, 6.

[8] Exode, V, 22.

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