Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE III

CHAPITRE IV
Jéthro lui suggère de diviser son peuple, qui n’était pas encore organisé, au moyen de chefs de 1000 et de chefs de 100, et Moïse fait tout cela, selon le conseil de son beau-père.

Conseils de Ragouël à Moïse.

1. Le lendemain, Ragouël aperçoit Moïse au milieu du tumulte des affaires ; il tranchait, en effet, les différends de tous ceux qui le lui demandaient, car tous venaient à lui, pensant que le seul moyen d'obtenir justice, c'était de l'avoir, lui, pour arbitre ; et aux vaincus mêmes la défaite semblait légère, persuadés qu'elle était due à la justice et non à la cupidité. Sur le moment, Ragouël garde le silence, ne voulant empêcher personne d'avoir recours aux talents du chef, mais, une fois le tumulte apaisé, il le prend à part, et, demeuré seul avec lui, il lui enseigne ce qu'il doit faire. Il lui conseille de laisser à d'autres le tracas des petites affaires et de garder toute sa vigilance pour les plus importantes et pour le salut du peuple ; pour ce qui était de juger, d'autres Hébreux s'en trouveraient capables ; mais, quant à veiller à la sécurité de tant de myriades d'hommes, nul autre ne le pourrait qu'un Moïse. « Ainsi conscient de ton mérite, dit-il, et du rôle que tu as joué en concourant avec Dieu au salut du peuple, laisse à d'autres le soin d'arbitrer les contestations : toi, consacre-toi sans cesse au seul culte de Dieu en cherchant les moyens de tirer le peuple de son dénuement actuel. Suivant mes avis sur les affaires humaines, tu dénombreras l'armée soigneusement et tu la diviseras par groupes de dix mille hommes[1], auxquels tu désigneras des chefs choisis, puis par groupes de mille. Ensuite tu les diviseras en groupes de cinq cents, puis de cent, puis de cinquante[2]... Ces groupes auront des chefs qui tiendront leur titre du nombre d'hommes qu'ils commanderont ; ils seront reconnus partout le peuple pour des gens de bien et des hommes justes, et connaîtront des différends des gens de leur groupe. Pour les affaires plus importantes, ils en référeront, au sujet de la décision à prendre, aux magistrats plus élevés ; et, si à ceux-ci également les difficultés de l'affaire échappent, c'est à toi qu'ils la renverront. Il en résultera ainsi deux choses : les Hébreux obtiendront justice, et toi, par ton commerce assidu avec Dieu, tu le rendras plus propice à l'armée ».

[1] La Bible ne nomme que des chefs de 1.000, de 100, de 50 et de 10 (Exode, XVIII, 21).

[2] Les mots qui suivent sont peu intelligibles : « Puis tu leur donneras des chefs qui les rangeront par sections de 30, de 20 et de 10 ». Comment concilier des groupes de 30 et de 20 avec des groupes de 50 ? Peut-on admettre que chaque cinquantaine se divisait en un groupe de 30 et un de 20 ? Seuls les groupes de 10 sont confirmés par le texte biblique.

Moïse s'y conforme.

2.[3] Ragouël l'ayant ainsi exhorté, Moïse accepte avec plaisir ses avis et fait tout conformément à son plan, sans dissimuler l'origine d'une telle mesure et sans s’en approprier le mérite, mais en désignant clairement l'inventeur au peuple. Même il a inscrit dans les livres le nom de Ragouël comme l'inventeur de ladite organisation, estimant qu'on fait bien de rendre un fidèle témoignage au mérite[4], quelque gloire que puissent rapporter à celui qui les enregistre à son compte les inventions d'autrui ; c'est ainsi qu'on peut connaître jusqu'en ce trait les vertus de Moïse.
Mais nous aurons d'excellentes occasions de parler de ces vertus dans d'autres passages de notre ouvrage.

[3] Exode, XVIII, 24.

[4] La tradition insiste également sur l'honneur que Moïse fait à Jéthro en lui laissant tout le mérite de cette organisation juridique (v. Sifré sur ce passage).

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