Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE III

CHAPITRE XII
Lois (suite) ; recensement de l'armée ; organisation du camp ; Moïse invente une sorte de cor pour donner le signal.

Unions prohibées.

1.[1] L'adultère il l'interdit absolument, pensant qu'il serait heureux que les hommes eussent des idées saines touchant le mariage et qu'il y allait de l'intérêt des cités et des familles que les enfants fussent légitimes. La loi défend aussi comme un très grand crime de s'unir à sa mère. De même, avoir commerce avec une épouse de son père, avec une tante, avec une sœur, avec la femme de son fils est un acte détesté comme une infamie abominable. Il interdit d'avoir commerce avec une femme à l'époque de ses souillures périodiques, de chercher à s'accoupler aux bêtes ou d'aspirer à s'unir avec un mâle, entraîné par leurs attraits à la poursuite d'une volupté immorale. Pour tous ceux qui oseraient violer ces lois il décrète la peine de mort.

[1] Lévitique, XI, 40 ; Deutéronome, XXII, 22.

Dispositions spéciales aux prêtres.

2.[2] Pour les prêtres, il exige une double pureté ; il leur défend ce qui précède comme à tout le monde et, en outre, il leur interdit d'épouser les prostituées, il leur interdit aussi d'épouser une esclave ou une prisonnière de guerre[3] ainsi que les femmes qui gagnent leur vie en tenant un petit commerce ou une hôtellerie[4], ou celles qui se sont séparées de leurs premiers maris pour n'importe quel motif[5]. Quant au grand-prêtre[6], même une femme dont le mari est mort, il ne lui accorde pas de l'épouser, tandis qu'il le concède aux autres prêtres ; il n'y a qu'une vierge qu'il l'autorise à épouser, et il doit la garder[7]. Aussi le grand-prêtre ne s'approche pas non plus d'un mort[8], tandis qu'il n'est pas défendu aux autres prêtres de se tenir auprès d'un frère, d'un père, d'une mère ou d'un fils défunt. Ils doivent être exempts de tout défaut corporel[9]. Un prêtre qui ne serait pas tout à fait sans défaut, il l'autorise à prendre sa part des viandes sacrées[10] avec les autres prêtres ; mais quant à monter sur l'autel et à pénétrer dans le sanctuaire, il le lui défend. Ce n'est pas seulement pendant l'accomplissement des sacrifices qu'ils doivent être purs, ils doivent veiller aussi à leur vie privée, tâcher qu'elle soit sans reproche. Et c'est pourquoi ceux qui portent la robe sacerdotale sont sans défaut, purs à tous égards et sobres, car le vin leur est défendu tant qu'ils portent la robe[11]. De plus ils n'immolent que des victimes entières et qui n'ont subi aucune mutilation.

[2] Lévitique, XXI, 7 ; cf. C. Apion, I, 7.

[3] Si le texte est exact, Josèphe ici ajoute quelque chose aux prescriptions de l'Écriture, qui défend aux prêtres d’épouser trois sortes de femmes : zona (prostituée), halala (femme indigne, née d'une union illicite, comme l'explique la tradition, Kiddouschin, 77 a) et la guerouscha (femme répudiée) ; voir là-dessus les notes suivantes. Pour l'esclave (cf. Antiquités, liv. IV, VII, 23, où l'interdiction est appliquée même aux laïques), la tradition en parle dans Yebamot, 61 a : « Le prêtre ne peut épouser ni une esclave, ni une affranchie ». Quant à la prisonnière de guerre, la Mishna de Ketoubot (II, 9) dit que les femmes de prêtres qui se sont trouvées dans une ville conquise par l'ennemi ne peuvent plus reprendre la vie conjugale avec leurs maris, à moins de prouver qu'elles sont restées pures. Josèphe lui-même donne de plus amples détails sur ces interdictions dans le C. Apion, I, 7, § 30 et suivants ; cf. aussi Antiquités, liv. XIII, 10, 5 fin (histoire de Jean Hyrcan).

[4] On a beaucoup commenté ces mots singuliers et qui répondent malaisément à la zona ou à la halala de l'Écriture. Il faut croire qu'à l'époque de Josèphe le métier d'hôtelière était mal famé. Chose remarquable, on trouve dans les Targoumim le mot pandokita, hôtelière, comme traduction de l'hébreu zona (cf. Lévitique, Chaldaisches Wörtenbuch, 11, 272 : ex. Juges, XI, 1 ; I Rois, III, 16 ; Ézéchiel, XXIII, 44). Cette traduction suppose sans doute dans le mot zona la racine zoun, qui signifie nourrir. Un passage de Josèphe viendrait à l'appui de cette observation : au livre V, I, 2, les explorateurs envoyés par Josué s'en vont chez une femme, nommée Rachab, qui est représentée comme une aubergiste ; or la Bible l'appelle précisément zona (Josué, II, 1). — Le mot grec employé par Josèphe parait correspondre à l'hébreu halala.

[5] Voir livre IV, VIII, 23 et note.

[6] Lévitique, XXI, 10.

[7] C'est-à-dire ne la point répudier, ou bien veiller sur ses mœurs, si la leçon est exacte ; mais ces mots ont paru, non sans raison, un peu étranges, et Mangey (II, p. 212, n, i) a ingénieusement proposé de lire : « une femme de sa tribu », c'est-à-dire de souche sacerdotale, ce qui concorderait avec le passage du texte de Philon « non seulement une vierge, mais une prêtresse issue de prêtres ». Cette leçon parait cependant devoir être écartée, car la tradition (Sifra sur Lévitique, XXI, 14 ; Yebamot, VI, 4 ; 77 b) admet que le grand-prêtre peut épouser une laïque ; or Josèphe, issu d'une famille pontificale, devait être renseigné sur ce point. D'ailleurs, il dit lui-même, dans le C. Apion, I, 7. § 31 : « il doit prendre une femme de sa nation », ce qui ne veut pas dire de souche pontificale. En revanche, le mot grec employé, s'il voulait dire une simple Israélite, serait impropre. Voir, pour plus de détails, Grünebaum, Die Priestergesetze bei Fl. Josephus, Halle, 1887, p. 26 sqq.

[8] Lévitique, XXI, 2.

[9] Ibid., 17 ; cf. Bellum, V, 5-7, et C. Apion, I, 31.

[10] Le Sifra sur Lévitique, VI, 1, déduit de même des mots du verset : « tout mâle parmi les fils d'Aaron en consommera » que ce privilège s'étend même aux prêtres affligés de défauts corporels qui les rendraient, d'ailleurs, impropres au ministère sacré. Cela ressort, d'autre part, de Lévitique, XXI, 22. Cf. Mishna de Zebahim, XII, 1 ; Philon, De Monarchia, II, 13.

[11] Lévitique, X, 9 ; XXII, 17-26. La tradition (Keritot, 13 b), interprétant le verset Lévitique, X, 9, explique que le vin n'était pas défendu d'une façon absolue ; elle fixe la quantité minima susceptible d'entraîner l'ébriété. Les mots grecs employés par Josèphe doivent pas être pris sans doute tout à fait à la lettre ; ils signifient vraisemblablement « tant que le prêtre est de service » ; car il avait le droit de porter les vêtements sacerdotaux même en dehors du temple.

Lois de la septième année et du jubilé.

3.[12] Telles sont les lois, déjà en usage à l'époque où il vivait, que Moïse nous a transmises ; mais il en est d'autres que, tout en vivant dans le désert, il institua par avance, afin qu'on les appliquât après la conquête de la Chananée. Pendant la septième année il fait reposer la terre du travail de la charrue et de la plantation, de même qu’il a prescrit aux hommes de cesser leurs travaux le septième jour. Quant aux produits spontanés du sol, la jouissance en est publique et libre, non seulement pour ceux du peuple, mais aussi pour les étrangers, car on n'en conserve rien, 0n devait également en user ainsi après la septième semaine d'années, ce qui fait en tout cinquante années. Les Hébreux appellent la cinquantième année Yôbel(os) ; à cette époque les débiteurs sont tenus quittes de leurs dettes[13], les esclaves sont renvoyés affranchis, du moins ceux qui sont du peuple et que pour une transgression d'une loi il a châtiés en leur imposant la condition servile, sans les condamner à mort[14], il restitue les champs à leurs propriétaires primitifs de la façon suivante. Quand survient le Yôbel — ce mot signifie liberté[15] —, arrivent ensemble le vendeur du champ et l'acquéreur, et, après avoir supputé les revenus et les frais occasionnés par le champ[16]], s'il se trouve que ce sont les revenus qui l'emportent, le vendeur recouvre le champ ; mais si les dépenses excèdent, le vendeur doit combler le déficit, sous peine de perdre son bien. Mais si le chiffre est le même des revenus et des dépenses, le législateur rend la terre aux premiers possesseurs. Pour les maisons, il a voulu que la même loi fût en vigueur, s'il s'agit de maisons de village qu'on a vendues. Mais pour la vente de maisons de ville, il a statué différemment : si, avant la fin de l'année, on restitue l'argent, il oblige l'acquéreur à rendre la maison ; mais si une année pleine se passe, il confirme son acquisition à l'acquéreur. Telle est la constitution légale que Moïse, pendant le temps qu'il faisait camper l'armée au pied du Sinaï, reçut de Dieu et transmit par écrit aux Hébreux.

[12] Lévitique, XXV, 1.

[13] Josèphe commet là une inexactitude. Le Jubilé avait pour effet de rendre les propriétés aux possesseurs primitifs et d'émanciper les esclaves, mais nullement d'abolir les dettes ; c'est l'année de la Schemita (7e année) qui a seule ce privilège, comme l'explique le Sifré (97 b). L'erreur de Josèphe s'explique peut-être par cette circonstance qu'à son époque l'annulation des dettes ne se pratiquait plus, grâce à l'institution du prosbol, inventé par Hillel pour tourner une loi qui favorisait des abus (voir Schebiit, X, 3).

[14] Cf. livre IV, VIII, 28.

[15] Le mot yobel est assez obscur ; on le traduit généralement par « cor » ou « trompette au son retentissant » ; quelle que soit l'origine du mot, il ne peut signifier « liberté » ; c'est le mot deror du même verset (Lévitique, XXV, 10) qui a ce sens ; c'est sans doute ce qui a suggéré à Josèphe de traduire ainsi yobel. Philon (De Decalogo, 30, II, M., p. 207) appelle le Jubilé : « rétablissement », ce qui fait penser à la racine hébraïque qui, au hiphil, signifie « ramener, rapporter ». Les LXX traduisent yobel par « signal (donné par la trompette) ».

[16] Lévitique, XXV, 14.

Dénombrement de l'armée.

4.[17] Comme la législation lui paraissait bien réglée, il s'occupa ensuite du recensement de l'armée, songeant désormais à s'appliquer aux affaires relatives à la guerre. Il ordonne aux chefs de tribus, à l'exception de la tribu de Lévi, de faire le compte exact des hommes aptes au service militaire : les Lévites, eux, étaient consacrés et exempts de toute charge. Le recensement ayant eu lieu, il se trouva 603.650 hommes aptes à porter les armes, âgés depuis 20 ans jusqu'à 50[18]. A la place de Lévi, il choisit comme phylarque Manassé, fils de Joseph, et Ephraïm au lieu de Joseph, conformément à ce que Jacob avait sollicité de Joseph, à savoir de lui donner ses enfants en adoption, ainsi que je l'ai déjà rapporté.

[17] Nombres, I, 1.

[18] Comme plus haut (VIII, 2), Josèphe donne un chiffre un peu différent de celui des Nombres, qui est 503.550 (I, 46). Les LXX sont conformes à l'hébreu.

Disposition du camp.

5.[19] Quand ils dressaient le camp, ils plaçaient le tabernacle au milieu d'eux ; trois tribus s'installaient le long de chaque côté et des chemins s'ouvraient entre elles. On aménageait une agora, et les marchandises étaient rangées chacune à sa place ; les artisans de tout genre avaient leurs ateliers, et cela ne ressemblait à rien moins qu'à une ville déménageant d'ici pour aller s'installer là. L'emplacement autour du tabernacle était occupé d'abord par les prêtres[20], puis par les Lévites qui étaient en tout — car on les recensait aussi, tous les mâles depuis l'âge de trente jours — au nombre de 23.880[21]. Et pendant tout le temps[22] que la nuée se trouvait au-dessus du tabernacle, ils pensaient qu'ils devaient demeurer, comme si Dieu résidait là, et lever le camp, au contraire, quand la nuée se déplaçait.

[19] Nombres, II, 1.

[20] Ibid. III, 39.

[21] Le texte n'est pas sûr, certains mss. donnent 22.880. En tout cas, Josèphe s’écarte beaucoup de l'Écriture, qui donne le chiffre de 22.000. On ne voit pas d'où Josèphe peut tirer le chiffre de 23.880. Les LXX sont conformes à l'hébreu.

[22] Nombres, IX, 18.

Les trompettes sacrées et les signaux.

6.[23] Moïse inventa une sorte de cor qu'il fit faire en argent. Voici en quoi il consiste. Sa longueur est d'un peu moins d'une coudée ; c'est un tube étroit, un peu plus épais qu'une flûte, avec une embouchure d'une largeur suffisante pour recevoir l'inspiration, et une extrémité en forme de clochette comme en ont les trompettes. Il s'appelle asôsra en hébreu. Il s'en fit deux : l'un servit à convoquer et a réunir le peuple en assemblée. Quand l'un de ces cors donnait le signal, il fallait que les chefs se réunissent pour délibérer sur leurs affaires à eux ; avec les deux ensemble on rassemblait le peuple. Quand le tabernacle se déplaçait, voici ce qui arrivait : au premier signal, ceux qui avaient leur campement à l'est se levaient, au second c'étaient ceux qui étaient installés au sud. Ensuite, le tabernacle démonté était porté entre les six tribus qui marchaient en avant et les six qui suivaient. Les Lévites étaient tous autour du tabernacle. Au troisième signal, la partie du campement située à l'ouest s'ébranlait et, au quatrième, la partie nord. On se servait aussi de ces cors dans les cérémonies des sacrifices[24] ; on en sonnait pour faire approcher les victimes, tant aux sabbats[25] qu'aux autres jours. Ce fut à ce moment pour la première fois[26] depuis le départ d'Égypte qu’il fit le sacrifice dit Pascha dans le désert.

[23] Nombres, X, 1.

[24] Ibid. 10.

[25] L'Écriture ne parle pas en particulier du sabbat. Mais le Sifré (sur Nombres, X, 10) explique que les mots : « En vos jours de réjouissance et vos époques fériées » désignent particulièrement le sabbat.

[26] Nombres, IX, 1.

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