Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE III

CHAPITRE XIV
Moïse, parti de là, conduit le peuple jusqu’aux frontières des Chananéens et fait partir des hommes pour observer leur pays et la grandeur de leurs villes. Les envoyés, revenus après quarante jours, déclarent qu’on n’est pas capable de vaincre et vantent avec exagération la force des Chananéens ; le peuple bouleversé et en proie au désespoir, s’élance sur Moïse, qui faillit être lapidé, et décide de retourner en Égypte dans la servitude.

Discours de Moïse au peuple.

1.[1] Après les avoir menés de là vers l'endroit appelé Pharanx[2], situé près des frontières des Chananéens et d'un séjour pénible, Moïse réunit le peuple en assemblée et se dressant parmi eux : « Des deux biens, dit-il, que Dieu a résolu de nous procurer, la liberté et la possession d'un pays fertile, le premier il vous l'a déjà donné ; vous le tenez, et le second vous allez le recevoir bientôt : nous sommes campés, en effet, sur les frontières des Chananéens et désormais dans notre marche en avant, non seulement ni roi, ni ville ne nous arrêteront, mais non pas même tout leur peuple réuni. Préparons-nous donc à l'œuvre : car ce n'est pas sans coup férir qu'ils nous céderont leur territoire, c'est après de grandes luttes qu'ils en seront dépossédés. Envoyons donc des explorateurs qui jugeront des qualités du pays et de quelles forces ils disposent. Mais, avant tout, soyons d'accord et honorons Dieu, qui, en toutes circonstances, nous secourt et combat avec nous. »

[1] Nombres, XIII, 1.

[2] En hébreu : Pharan (Nombres, XII, 16).

Voyage et rapport des douze explorateurs.

2. Moïse ayant ainsi parlé, le peuple lui rend hommage et choisit douze explorateurs des plus notables, un par chaque tribu. Ceux-ci, partis de la frontière d'Égypte, après avoir parcouru la Chananée tout entière, arrivent à la ville d'Amathé et aux monts Liban, et ayant étudié à fond la nature du pays et des gens qui l'habitaient, ils reviennent, n'ayant employé que quarante jours pour toute l'expédition, et apportant en outre avec eux des fruits du pays. La beauté de ces fruits[3] et l'abondance des bonnes choses que le pays renfermait, à les entendre, excitaient l'ardeur guerrière du peuple. Mais ils les effrayaient, en revanche, par les difficultés de la conquête, disant que les fleuves étaient infranchissables[4], tant ils étaient larges et profonds tout ensemble, que les montagnes étaient inaccessibles aux voyageurs, et que les villes étaient fortifiées par des remparts et de solides enceintes. Dans Hébron, ils prétendaient avoir retrouvé les descendants des géants. C'est ainsi que les explorateurs, ayant remarqué que les choses en Chananée avaient un aspect plus formidable que tout ce qu'ils avaient rencontré depuis le départ de l'Égypte, non seulement se montraient personnellement consternés, mais essayaient de faire éprouver au peuple les mêmes impressions.

[3] Nombres, XIII, 27.

[4] Ce détail ne se lit pas dans l'Écriture.

Découragement et plaintes des Hébreux.

3.[5] Ceux-ci, après ce qu'ils ont entendu, estiment impraticable la conquête du pays et, rompant l'assemblée, ils s'en vont se lamentant avec leurs femmes et leurs enfants, comme si Dieu ne leur apportait en fait aucun secours, se bornant à des promesses en paroles. Et, derechef, ils incriminaient Moïse et l'accablaient de reproches, lui et son frère Aaron, le grand-prêtre. Ce fut dans ces fâcheuses dispositions, en les chargeant tous deux d'injures, qu'ils passèrent la nuit. Le lendemain matin, ils courent tous se former en assemblée, avec le dessein, après avoir lapidé Moïse et Aaron, de s'en retourner en Égypte.

[5] Nombres, XIV, 1.

Josué et Galeb essayent de les rassurer. Apparition de la nuée divine.

4.[6] Mais deux des explorateurs, Josué, fils de Noun, de la tribu d'Éphraïm, et Chaleb(os) de la tribu de Juda, effrayés, s'avancent au milieu d'eux et contiennent le peuple, le suppliant de reprendre courage, de ne pas accuser Dieu de dires mensongers et de ne pas avoir foi en ceux qui les avaient terrifiés par de faux récits au sujet des Chananéens, mais dans ceux qui les exhortent à marcher vers la prospérité et la conquête du bonheur. Car ni la hauteur des montagnes, ni la profondeur des fleuves, s'ils étaient hommes d’une valeur exercée, ne feraient obstacle à leur activité, surtout si Dieu joignait ses efforts aux leurs et combattait pour eux. « Marchons donc, disaient-ils, contre nos ennemis, sans aucune arrière-pensée, mettant notre confiance en Dieu, qui nous conduit et suivez-nous, nous qui vous montrons le chemin ». Par ces paroles, ils essayaient d'atténuer le ressentiment du peuple ; quant à Moïse et à Aaron, prosternés à terre, ils suppliaient Dieu, non pour leur propre salut, mais pour qu'il tirât le peuple de son ignorance, et rassit leurs esprits troublés par les difficultés et les souffrances actuelles. Alors apparut la nuée, qui, en se posant au-dessus du tabernacle, manifesta la présence de Dieu.

[6] Nombres, XIV, 6.

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