Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE III

CHAPITRE XV
Moïse, rempli d’indignation, leur annonce que Dieu, dans sa colère, prolongera pendant quarante ans leur séjour dans le désert et qu’ils ne retourneront pas en Égypte ni ne s’empareront de la Chananée.

Punition des Hébreux, dont les enfants seulement occuperont Chanaan.

1.[1] Moïse, encouragé, s'approche du peuple et annonce que Dieu, ému de leurs injures, leur fera subir une punition, non pas sans doute proportionnée à leurs fautes, mais telle que les pères en infligent à leurs enfants pour les remettre à la raison. Comme il était entré, en effet, dans le tabernacle et qu'il suppliait Dieu de détourner la destruction que le peuple allait attirer sur lui, Dieu lui avait rappelé d'abord comment, après tout ce qu'il avait fait pour eux, après tant de bienfaits reçus de lui, ils en étaient venus à ne lui témoigner que de l'ingratitude ; comment, à présent, entraînés par la lâcheté des explorateurs, ils avaient jugé leurs rapports plus véridiques que sa propre promesse ; et voilà pourquoi, sans toutefois les perdre tous, sans anéantir entièrement leur race, dont il faisait plus de cas que du reste des humains, cependant il ne leur permettrait pas à eux de s'emparer du pays de Chanaan, et de jouir de sa prospérité. Il les forcerait, sans foyer, sans patrie, de végéter pendant quarante ans dans le désert, en expiation de leurs péchés. « Cependant[2] à nos enfants, dit-il, il promet de donner ce pays et de les faire maîtres de tout ce dont vous vous êtes privés vous-mêmes, faute d'empire sur vous. »

[1] Nombres, XIV, 11.

[2] Ibid. 33.

Supplications du peuple ; Moïse les dissuade de tenter la conquête.

2. Quand Moïse leur eut ainsi parlé selon la pensée de Dieu, le peuple fut en proie au chagrin et à la douleur, et supplia Moïse de le réconcilier avec Dieu, et, les arrachant à cette vie vagabonde à travers le désert, de leur donner des villes. Mais il déclara que Dieu n'autoriserait pas pareille tentative : car ce n'était pas à la légère, comme les hommes, que Dieu avait été porté à se courroucer contre eux ; il avait pris une décision bien réfléchie à leur endroit. On ne doit pas juger invraisemblable que Moïse, à lui seul, ait calmé tant de myriades d'hommes en fureur et les fit amenées à plus de mansuétude ; c'est que Dieu, qui l'assistait, prépara le peuple à se laisser convaincre par ses paroles et que souvent, après avoir désobéi, ils se persuadaient de l'inutilité de leur rébellion [par les aventures fâcheuses où ils étaient précipités].

Autorité durable de la législation de Moïse.

3. L'admiration que ce grand homme excitait par ses vertus et la puissance persuasive de ses discours, il ne l’inspira pas seulement à l'époque où il vécut, il en est digne encore aujourd'hui. Certes, il n'est pas un Hébreu qui n'obéisse, comme s'il était encore là et qu’il dût le châtier d'un manquement, aux lois que Moïse a promulguées, même s'il pouvait les violer en cachette. Et il est bien d'autres témoignages de sa puissance surhumaine : naguère quelques habitants d'au-delà de l'Euphrate, après un voyage de quatre mois entrepris par vénération pour notre temple, effectué au prix de beaucoup de dangers et de dépenses, ayant offert des sacrifices, ne purent pas prendre leur part des chairs sacrées, parce que Moïse les a interdites à ceux qui n'ont pas nos lois ou qui ne sont pas en rapport avec nous par les usages de leurs pères. Les uns alors, sans avoir offert aucun sacrifice, les autres, laissant là leurs sacrifices à moitié accomplis, la plupart ne pouvant même d'aucune façon pénétrer dans le temple, s'en retournèrent, aimant mieux se conformer aux prescriptions de Moïse que d'agir selon leur propre désir, d'ailleurs, ne craignant pas que personne vint leur rien reprocher à ce sujet, mais redoutant seulement leur propre conscience. Ainsi cette législation qui parut émaner de Dieu eut pour effet de faire paraître cet homme encore plus grand que nature. Mais, bien mieux encore, un peu avant la guerre récente, quand Claude gouvernait les Romains et quand Ismaël(os)[3] était grand-prêtre chez nous, la famine ayant sévi dans notre pays, au point qu'un assarôn se vendait quatre drachmes, et qu'on avait apporté pour la fête des azymes 70 cors de larme — ce qui fait 31 (?) médimnes siciliens, ou 41 attiques[4] —, aucun des prêtres n'osa consommer un seul pain, alors qu'un tel dénuement pesait sur le pays, par crainte de la loi et du courroux que montre toujours la divinité même pour des péchés qui échappent à tout contrôle. Ainsi il ne faut pas s'étonner de ce qui s'accomplit alors, quand jusqu'à notre époque les écrits laissés par Moïse ont une telle autorité que les ennemis eux-mêmes conviennent que notre constitution a été établie par Dieu même par l'entremise de Moïse et de ses vertus.
Au reste sur ce sujet que chacun se fasse l'opinion qu'il lui plaira.

[3] Il s'agit ici d'Ismaël ben Phiabi, dont Josèphe reparlera plus loin (Antiquités, XVIII, 2, 2 ; XX, 8, 8) et qui fut grand-prêtre, en effet, peu avant la guerre, de 59 à 61 environ. C'est par erreur, sans doute, que Josèphe place ce pontificat sous Claude, mort en 54. Quelques auteurs, ne pouvant croire à cette méprise de Josèphe, supposent qu'il y eut un autre Ismaël, grand-prêtre au temps de Claude, après Elionaios (44) ou qu'Ismaël n'est autre qu'Elionaios. Mais, outre que Josèphe ne connaît rien de pareil, lui qui est si bien informé sur la succession des grands-prêtres, il dit nettement que cette famine se produisit « peu de temps avant la guerre » : cet Ismaël est donc nécessairement Ismaël ben Phiabi. La Mishna et le Talmud représentent ce grand-prêtre comme un personnage très pieux (Mishna de Sota, IX, 15 ; Para, III, 5 ; Pesahim, 57 a, en bas).

[4] Cette donnée ne concorde pas avec ce que dit Josèphe plus loin (Antiquités, XV, 9, 2) : d'après ce passage, un cor valait dix médimnes attiques.

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