Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE IV

CHAPITRE I
Les Hébreux contre l’avis de Moïse, engagent la bataille contre les Chananéens et sont vaincus.

Les Hébreux, révoltés contre Moïse, se préparent à lutter seuls avec les Chananéens.

1.[1] La vie dans le désert fut si désagréable et si pénible aux Hébreux qu'elle les poussa, malgré la défense de Dieu, à faire une tentative contre les Chananéens. Car ils ne voulaient pas, dociles aux paroles de Moïse, se tenir en repos, et, croyant que, même en se passant de son initiative, ils pourraient vaincre leurs ennemis, ils se prirent à l'accuser, à le suspecter de faire tous ses efforts pour les laisser sans ressources, afin qu'ils eussent toujours besoin de son assistance, et ils s'élancèrent au combat contre les Chananéens, disant que ce n'était pas par faveur pour Moïse que Dieu les secourait, mais parce qu'en général, il prenait soin de leur peuple, en considération de leurs ancêtres qu'il avait pris sous sa tutelle. C'était pour leurs vertus que jadis il leur avait donné la liberté, et maintenant, s'ils voulaient faire effort, il serait toujours là pour combattre avec eux. D'ailleurs, ils prétendaient être suffisamment forts par eux-mêmes pour vaincre les nations, quand même Moïse voudrait leur aliéner la faveur de Dieu ; ils avaient tout intérêt à être leurs propres maîtres et non pas, après s’être réjouis d'avoir échappé aux violences des Égyptiens, à subir la tyrannie de Moïse et à vivre selon sa volonté. Il nous trompe, disaient-ils, en se prétendant le seul à qui la divinité, par bienveillance pour lui, dévoile notre sort futur, comme si nous n'étions pas tous de la race d'Abram et que Dieu lui eût donné à lui seul l'autorité nécessaire pour connaître l'avenir dont il l'instruirait. Ce serait faire preuve d'intelligence que de mépriser la jactance de Moïse et, en se confiant à Dieu, d'aspirer à conquérir ce pays qu'il leur avait promis, sans se soucier de l'homme qui, en alléguant ce prétexte, voudrait les en empêcher au nom de Dieu. Songeant donc à leur misère et à cette terre déserte qui la leur fait paraître plus cruelle encore, ils s'élancent au combat contre les Chananéens en se donnant Dieu pour chef et sans attendre aucun concours de la part du législateur.

[1] Nombres, XIV, 40.

Échec des Hébreux.

2.[2] Ayant ainsi décidé que tel était le meilleur parti pour eux, ils marchèrent contre leurs ennemis ; ceux-ci, sans se laisser effrayer par leur agression ni par leur nombre, reçurent vaillamment le choc ; parmi les Hébreux, beaucoup périssent, et le reste de l'armée, une fois la phalange défaite, poursuivi par l'ennemi, s'enfuit en désordre vers le campement ; et, complètement découragés par cet échec inattendu, ils ne comptent plus désormais sur rien de bon, réfléchissant qu'ils doivent encore ce désastre à la colère de Dieu, pour être partis se battre à l'étourdie sans son assentiment.

[2] Nombres, XIV, 44.

Moïse les ramène dans le désert.

3. Moïse, voyant les siens accablés par cette défaite et craignant qu'enhardis par la victoire, les ennemis, avides de plus grands succès, ne marchassent sur eux, estima qu'il fallait emmener l'armée bien loin des Chananéens vers le désert[3]. Et, comme le peuple s'en remettait de nouveau à lui — car ils comprenaient que, sans sa vigilance, ils ne pourraient mener leurs affaires à bien —, ayant levé le camp, il s'enfonça dans le désert, pensant qu'ils y trouveraient la tranquillité et n'en viendraient pas aux mains avec les Chananéens avant que Dieu leur en fit trouver une occasion favorable.

[3] Dans la Bible (Nombres, XIV, 25), c'est Dieu qui, à la fin du discours où il condamne la génération du désert, invite Moïse à changer de direction et à partir dans le désert, du côté de la mer des Joncs. La tentative infructueuse des Hébreux contre les Chananéens est racontée ensuite.

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