Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE IV

CHAPITRE V
Moïse, ayant vaincu les rois amorrhéens, Sichon et Og, et détruit toute leur armée, partage leur pays entre deux tribus et demie des Hébreux.

Sichon, roi des Amorrhéens, refuse le passage.

1.[1] Le peuple prit le deuil pour lui pendant trente jours, et ce deuil terminé, Moïse, emmenant de là son armée, arriva au fleuve Arnôn, qui, s'élançant des monts de l'Arabie et coulant à travers le désert, se jette dans le lac Asphaltite en formant la limite entre la Moabitide et l'Amôritide. Ce pays est fertile et peut nourrir de ses richesses une multitude d'hommes. Aussi Moise envoya vers Sichon, souverain de ce pays, un message pour demander le passage pour son armée sous les garanties qu'il lui plairait d'imposer, promettant de ne causer aucun préjudice ni à la terre, ni aux habitants que Sichon gouvernait, consentant à s'approvisionner sur leurs marchés au profit des Amorrhéens et même, s'ils le voulaient, en leur acheter l'eau. Mais Sichon refuse, arme ses troupes, et se montre tout prêt à empêcher les Hébreux de traverser l'Arnôn.

[1] Nombres, XXI, 13 ; Deutéronome, II, 26.

Défaite des Amorrhéens ; conquête de leur pays.

2.[2] Moïse, voyant les dispositions hostiles de l'Amorrhéen, ne crut pas devoir supporter cet affront, et, songeant à arracher les Hébreux à l'oisiveté et, avec elle, à cette misère qui, auparavant déjà, les avait fait tomber dans les dissensions et, aujourd'hui encore, les mettait de fâcheuse humeur, il demande à Dieu s'il l'autorise à combattre. Comme Dieu lui promet même la victoire, il se sent lui-même encouragé à la lutte, et il donne de l'élan à ses soldats, leur accordant maintenant de savourer le plaisir de la guerre, puisque la divinité leur permet de s'y livrer. En possession de cette faculté ardemment souhaitée, ils revêtirent leurs armures et marchèrent aussitôt au combat. L'Amorrhéen, devant leur attaque, n’est plus le même ; le roi est frappé de terreur en présence des Hébreux, et son armée, qui se donnait auparavant comme très valeureuse, parut positivement épouvantée. Ainsi, à ce premier choc, n'ayant pu résister et recevoir les Hébreux, ils tournent le dos, estimant que la fuite leur procurera le salut mieux que le combat. Ce qui les rassurait, c'étaient leurs villes, qui étaient fortes, mais qui ne devaient leur servir de rien quand on les y aurait pourchassés. Car les Hébreux, les voyant fléchir, fondent aussitôt sur eux et, jetant le désordre dans leurs rangs, les mettent en déroute. Tout défaits, ils se réfugient dans les villes, tandis que les autres ne se lassent pas de les poursuivre, mais se donnent à tâche d'ajouter à ces premiers revers encore d'autres désastres ; comme ils étaient d'excellents frondeurs et savaient fort bien se servir de tous les traits à longue portée, que leur armure bien proportionnée leur laissait la légèreté nécessaire pour poursuivre leurs ennemis, ils couraient sur les talons de ceux-ci, et tous ceux qui se trouvaient trop loin pour être pris, ils les frappaient de leurs frondes et de leurs flèches. Il se fait ainsi un grand carnage et les fuyards souffraient de graves blessures. Mais ils étaient accablés plus encore par la soif que par les engins de guerre ; on était, en effet, en plein été, et toute la foule que l'envie de boire jetait pêle-mêle vers le fleuve, toute la masse compacte des fuyards, on les entourait, on les frappait et on les tuait à coups de javelots et de flèches. Leur roi Sichon périt aussi. Les Hébreux dépouillèrent les cadavres et s'emparèrent du butin ; ils recueillirent aussi en abondance les produits du sol, qui se trouvait encore chargé de fruits. Puis les troupes allaient partout sans crainte en quête de fourrage, puisqu'on s'était emparé aussi des villes : car ils ne rencontraient plus aucun obstacle de la part des Amorrhéens, tout ce qui pouvait lutter ayant péri. Telle est la catastrophe qui frappa les Amorrhéens, lesquels manquèrent de force dans le jugement et de valeur dans l'action. Les Hébreux mirent la main sur leur pays. C'est une contrée située entre trois fleuves ; elle présente le caractère d'une île, l'Arnôn la bornant au midi, le Jobacchos bordant son flanc nord (il se jette dans le fleuve Jourdain et y perd son nom) ; enfin la partie occidentale de ce pays est environnée par le Jourdain.

[2] Nombres, XXI, 24 ; Deutéronome, II, 31.

Lutte avec Og ; conquête de son royaume.

3.[3] Les choses en étaient là, lorsque vient s'attaquer aux Israélites Og(ès), roi de la Galadène et de la Gaulanitide[4], à la tête d'une armée, avec la hâte d'un allié cherchant à secourir son ami Sichon, et, quoiqu'il trouvât ce dernier déjà anéanti, il n'en résolut pas moins d'entrer en lutte avec les Hébreux, croyant qu'il triompherait et voulant faire l'expérience de leur valeur. Mais, trompé dans son espoir, il mourut lui-même dans la bataille et son armée tout entière périt. Moïse, ayant traversé le fleuve Jobacchos, parcourut le royaume d'Og, détruisant les villes et mettant à mort tous les habitants, qui dépassaient en richesses toutes les populations de l'intérieur grâce à l'excellence du sol et à l'abondance de ses produits. Cet Og avait une stature et une beauté bien peu communes ; c'était aussi un homme au bras valeureux, de sorte qu'il tirait autant d'avantages de ses exploits que de sa haute taille et de sa belle prestance. Cette vigueur et cette taille, ils s'en firent une idée en s'emparant de son lit dans Rabâtha, la capitale de l'Ammonitide. Ce lit était en fer, de quatre coudées de large, et du double plus une de long. Cet homme abattu, ce ne fut pas seulement pour le présent que les affaires des Hébreux prospérèrent, mais dans l'avenir encore sa mort leur fut une source de bienfaits : en effet, ils prirent soixante villes magnifiquement fortifiées qui lui étaient soumises et ils recueillirent un grand butin, individuellement et tous ensemble.

[3] Nombres, XXI, 33 ; Deutéronome, III, 1.

[4] La Bible donne Og pour roi de Basan.

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