Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE IV

CHAPITRE VII
Josué désigné successeur de Moïse ; attribution de l'Amôritide à trois tribus d'Israël.

Expédition contre les Madianites ; victoire des Hébreux ; partage du butin.

1.[1] Moise, pour les motifs que j'ai dits précédemment, envoya vers le pays des Madianites une armée de douze mille hommes en tout, choisis à nombre égal dans chaque tribu. Pour chef, il leur désigna ce Phinéès dont nous venons justement d'indiquer comment il conserva aux Hébreux leurs lois et châtia Zambrias de les avoir transgressées. Les Madianites, prévenus que l'armée marche sur eux et que sous peu elle sera là, rassemblent leurs troupes, et, après avoir fortifié les passages par où ils allaient recevoir les ennemis, ils les attendent. Ceux-ci arrivés et le combat engagé, il tombe dans les rangs des Madianites une multitude inimaginable et défiant le calcul, et avec eux tous leurs rois[2]. Ils étaient cinq, Oéos et Sourès, puis Robéès et Ourès, et, en cinquième lieu, Rékem(os)[3] : la ville qui porte son nom est la plus renommée du pays des Arabes et, aujourd'hui encore, tous les Arabes l'appellent, du nom du roi qui l'a fondée, Rékémé[4] ; c'est la Pétra des Grecs. Une fois les ennemis en déroute, les Hébreux pillèrent leur pays, et, après avoir pris force butin et fait périr les habitants avec leurs femmes, ils ne laissent que les jeunes filles, comme Moïse l'avait recommandé à Phinéès. Celui-ci revient avec l'armée intacte et un butin abondant ; des bœufs au nombre de 52.000[5], 675.000 brebis, 60.000 ânes[6], et une quantité infinie d'ustensiles d'or et d'argent qu'on employait à l'usage domestique ; car la prospérité les avait rendus fort luxueux. Il emmenait aussi les vierges, au nombre de 32.000 environ. Moïse, ayant partagé le butin, donne un cinquantième de la première moitié[7] à Éléazar et aux prêtres, un cinquantième de l'autre aux Lévites, et le reste, il le partage entre le peuple. Ils vécurent par la suite dans la prospérité, car cette abondance de biens, ils la devaient à leur courage, et rien de fâcheux ne vint les empêcher d'en jouir.

[1] Nombres, XXV, 16 ; XXXI, 1.

[2] Ibid., XXXI, 8 ; Josué, XIII, 21.

[3] En hébreu : Évi, Rékem, Çour, Hour et Réba.

[4] Josèphe l'appelle plus haut Arcé.

[5] Hébreu et LXX 72.000.

[6] Hébreu et LXX 61.000.

[7] D'après Nombres, XXXI, 28, c'est 1/500, non 1/50, qui revenait aux prêtres.

Moïse désigne Josué pour son successeur.

2.[8] Moïse, déjà avancé en âge, désigne Josué pour lui succéder dans ses fonctions de prophète et pour conduire l'armée quand il le faudrait : Dieu lui-même avait ordonné de lui confier le gouvernement des affaires. Josué s'était instruit d'une façon complète dans les lois et les choses divines sous l'enseignement de Moïse.

[8] Nombres, XXVII, 18.

Attribution de l’Amôritide aux tribus de Ruben et de Gad et à la demi-tribu de Manassé.

3.[9] En ce même temps, les deux tribus de Gad et de Roubel et la demi-tribu de Manassé, qui possédaient de grandes quantités de bétail et toutes sortes d'autres richesses, après s'être entendues, prièrent Moïse de leur donner, à titre de prélèvement, l'Amôritide, qu'on avait conquise à la guerre ; car elle était excellente pour l'élève des troupeaux. Mais lui, croyant que c'était la crainte d'aller se battre contre les Chananéens qui leur avait fait trouver ce beau prétexte du soin des troupeaux, les traite de lâches, les accusant d'avoir imaginé une habile excuse à leur pusillanimité, parce qu'ils désiraient couler mollement une vie exempte de fatigues, quand tout le monde s'était donné de la peine pour conquérir ce pays qu'ils réclamaient : ils ne voulaient pas, prenant leur part des luttes qui restaient à soutenir, occuper le pays que Dieu avait promis de livrer à ceux qui auraient franchi le Jourdain, « après avoir triomphé, dit-il, de ceux qu'il nous a désignés comme ennemis ». Ceux-ci, voyant sa colère, et jugeant qu'il avait raison de s'irriter de leur requête, se disculpent en disant que ce n'était ni par crainte des périls ni par paresse au travail qu’ils avaient fait leur demande ; c'était pour que, en laissant leur butin en un endroit convenable, ils pussent marcher bien alertes aux luttes et aux combats. Ils se disaient prêts, une fois qu'ils auraient fondé des villes pour y mettre en sûreté leurs femmes, leurs enfants et leurs biens avec son consentement, à partir avec l'armée. Moïse[10], satisfait de ce langage, après avoir appelé Éléazar le grand-prêtre et Josué et tous les magistrats, accorde à ces tribus l'Amôritide, à la condition de combattre avec leurs frères jusqu'à ce que la conquête soit complète. Ayant ainsi reçu à ces conditions ce territoire et ayant fondé des villes fortes, ils y laissèrent enfants, femmes et, enfin, tout ce qui, s'ils avaient dû l'emmener avec eux, eût été une entrave à leur activité.

[9] Ibid., XXXII, 1.

[10] Nombres, XXXII, 28.

Les villes de refuge.

4.[11] Moïse bâtit aussi les dix villes qui devaient entrer dans le compte des quarante-huit ; il en attribua trois à ceux qui fuiraient pour un meurtre involontaire et il établit que l'exil durerait le temps de la vie du grand-prêtre à l'époque duquel le meurtrier aurait fui ; après la mort du grand-prêtre, il lui permettait le retour, les parents de la victime ayant, d'ailleurs, le droit de le tuer, s'ils surprenaient le meurtrier hors des limites de la ville où il s'était réfugié ; mais il ne donnait ce droit à aucun autre. Les villes, désignées pour servir de refuges, étaient les suivantes : Bosora[12] sur les confins de l'Arabie, Arimanon[13] du pays des Galadéniens et Gaulanâ dans la Batanée. Mais, après qu'ils auraient conquis le pays des Chananéens, trois autres villes des Lévites devaient être réservées aux fugitifs comme résidence, selon les recommandations de Moïse.

[11] Ibid., XXXV, 9-34 ; Deutéronome, IV, 41 ; XIX, 1 ; Josué, IX, 8.

[12] En hébreu : Béçer.

[13] En hébreu : Ramot. Josèphe l'appelle lui-même ailleurs : Aramatha ou Ramatha (Ant., VIII, XV, 3 ; IX, VI, 1).

Règlement sur les héritages.

5.[14] Moïse, comme les premiers de la tribu de Manassé s'approchaient de lui et l'informaient qu'il était mort un personnage de marque de leur tribu du nom d'Holophantès, lequel n'avait pas laissé d'enfants mâles, mais des filles, et comme ils demandaient si l'héritage reviendrait à celles-ci, leur répond que, si elles veulent s'unir à des gens de leur tribu, elles iraient à eux avec leur lot d'héritage, mais si elles contractaient mariage dans une autre tribu, elles devraient laisser leur lot dans la tribu de leur père. Et alors il établit que le lot de chacun demeurerait dans sa tribu[15].

[14] Nombres, XXVI, 33 ; XXVII, 1 ; XXXVI, 1 ; Josué, XVII, 3-6.

[15] D'après le Talmud, cette loi ne valait que pour l'époque où elle était promulguée (Baba Batra, 120 a ; Taanit, 30 b).

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