Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VII

CHAPITRE IV
David fait revenir l'arche de l'alliance à Jérusalem ; il souhaite construire un Temple à l'Éternel, mais le prophète Nathan lui annonce que c'est son fils Salomon qui en aura la tâche.

Victoire de David sur les Philistins.

1.[1] Quand les Philistins surent que David avait été établi roi par les Hébreux, ils marchèrent contre lui vers Jérusalem ; ils occupèrent la vallée dite des Titans[2], lieu peu éloigné de la ville, et y établirent leur camp. Le roi des Juifs, qui ne se permettait de rien entreprendre sans le secours de la prophétie, sans recevoir l’ordre de Dieu et sans le prendre pour garant de l’avenir, ordonna au grand-prêtre[3] de lui indiquer à l’avance la volonté de Dieu et quelle serait l’issue du combat. Le grand-prêtre lui prédit victoire et succès ; alors il fait sortir ses troupes contre les Philistins. La mêlée engagée, il tomba lui-même à l’improviste sur le derrière des ennemis, tailla les uns en pièces et mit les autres en fuite[4]. Qu’on n’aille pas s’imaginer que les Philistins n’avaient amené qu’une petite armée contre les Hébreux ; à voir leur défaite si prompte, à constater qu’ils n’accomplirent aucun acte de vaillance, aucun exploit mémorable, qu’on n’aille pas conclure à leur nonchalance et à leur lâcheté. Qu’on sache au contraire que toute la Syrie et la Phénicie et encore beaucoup d’autres peuplades guerrières firent campagne avec eux et prirent part à cette guerre[5] ; c’est même la seule raison qui leur avait permis, après tant de défaites et tant de milliers d’hommes anéantis, de marcher encore une fois contre les Hébreux avec des forces supérieures. Bien plus, quoique battus dans les rencontres que je viens de dire, ils marchèrent encore une fois contre David avec une armée trois fois plus forte et revinrent camper dans le même endroit. De nouveau[6] le roi des Israélites interroge Dieu sur l’issue de la bataille ; le grand-prêtre l’avertit de garder son armée réunie dans la forêt dite Séjour des Pleurs[7], non loin du camp des ennemis, de ne pas bouger et de ne pas commencer le combat avant de voir la forêt s’agiter sans aucun souffle de vent. Quand la forêt s’agita en effet et qu’arriva le moment prédit par Dieu[8], sans tarder, David alla au-devant d’une victoire qu’il n’avait plus qu’à cueillir. En effet, les bataillons des ennemis ne purent tenir contre lui ; sitôt le premier choc, David les mit en fuite et les poursuivit en les taillant en pièces. Il les relança jusqu’à la ville de Gazara[9], qui est à la limite de leur pays, puis revint piller leur camp, où il trouva beaucoup de richesses, et détruisit aussi leurs dieux[10].

[1] II Samuel, V, 17 ; I Chroniques, XIV, 8.

[2] Τήν xοιλάδα τών Τιτάνων comme LXX (dans Chron., ...Γιγάντων). Hébreu : Emek Refaïm.

[3] Dans la Bible David consulte Dieu sans intermédiaire.

[4] Cette défaite est, d’après la Bible, l’origine d’un nom de lieu : Baal Peracim (LXX Samuel : Έπάνω διαxοπών ; Paral. : διαxοπή Φαρεσίν).

[5] Tous ces détails sont de l’invention de Josèphe : ils ont, comme il le dit ensuite, pour but d’expliquer le retour offensif des Philistins au même endroit, malgré leur défaite.

[6] II Samuel, V, 22 ; I Chroniques, XIV, 13.

[7] Έν τοίς άλσεσι τοϊς.... Κλαυθμώσι. Même traduction que les LXX (άπό τοΰ άλσους τοΰ Κλαυθμώνος) du mot hébreu compris comme le pluriel de « pleur » (cf. l’expression « la vallée des larmes », Psaumes, LXXXIV, 7). Mais ce mot hébreu est généralement considéré comme désignant un arbre balsamique, en raison peut-être des « larmes » de résine qui en dégouttent. (Dans le passage parallèle I Chron., XIV, 14 on trouve τών άπίων, des poiriers, traduction adoptée par la Vulgate).

[8] Josèphe omet le trait essentiel du récit biblique (II Samuel, V, 24) : le souffle qui agite les arbres, c’est l’esprit de Dieu qui passe.

[9] Hébreu : Gezer. LXX : Γαζηρά (FA dans Chron. a la forme Γαζαρα).

[10] Dans la Bible ce détail figure à l’occasion de la première victoire. Josèphe suit les LXX dans leur traduction du mot hébreu « idoles » (v. 21) par θεούς. Mais le texte de Samuel dit seulement que David et ses compagnons les enlevèrent. D’après les Chroniques, David les fait brûler.

Il fait revenir l’arche ; mort d’Ouza, séjour de l’arche chez Obed-Edoun ; entrée solennelle de l’arche à Jérusalem.

2.[11] Après l’issue heureuse de ce nouveau combat, David décida, en ayant délibéré avec les anciens, les chefs de l’armée et les chiliarques, de mander auprès de lui de toutes les parties du territoire tous les Israélites dans la fleur de l’âge[12], puis d’envoyer les prêtres et les Lévites à Kariathiarima, pour en ramener l’arche de Dieu à Jérusalem. Une fois installée là, on célébrerait le culte autour d’elle par des sacrifices et tous les autres hommages qui plaisent à la divinité. Si, en effet, on en avait usé ainsi dès le règne de Saül, il ne leur serait arrivé aucun malheur[13]. Tout le peuple s’étant donc réuni ainsi qu’on l’avait décidé, le roi se rend près de l’arche ; les prêtres l’ayant transportée de la maison d’Aaminadab et déposée sur un chariot neuf, permirent à ses frères et à ses fils[14] de la traîner en se joignant aux bœufs. Le roi marchait devant, suivi de tout le peuple, récitant des hymnes à Dieu, chantant tous les airs du pays aux sons variés des lyres, des danses[15] et des harpes, ainsi que des trompettes et des cymbales ; ils escortèrent ainsi l’arche à Jérusalem. Ils arrivèrent en un certain endroit appelé l’aire de Chidon[16] ; là périt Ozas, victime du courroux de Dieu. En effet, les bœufs avant fait pencher le char, il porta la main sur l’arche pour la retenir, et Dieu le frappa parce qu’il avait touché l’arche sans être prêtre[17]. Le roi et le peuple furent très attristés par la mort d’Ozas ; l’endroit où il succomba s’appelle encore aujourd’hui « Brèche d’Ozas[18] ». David prit peur, songeant qu’il risquait de s’attirer le même sort qu’Ozas en recevant l’arche chez lui dans la ville, puisque cet homme, rien que pour avoir étendu la main vers elle, avait péri en cette sorte. Il ne la fait donc pas entrer chez lui dans la ville, mais la détourne dans le champ d’un homme juste, nommé Obédam(os), de race lévitique[19], et dépose l’arche chez celui-ci. Elle y resta trois mois entiers pendant lesquels elle fit prospérer la maison d’Obédam et le combla de toute sorte de biens. Quand le roi apprit tout ce bonheur arrivé à Obédam, comment, de pauvre et d’humble qu’il était auparavant, il était tout d’un coup devenu fortuné et provoquait l’envie de tous ceux qui voyaient sa maison et s’en informaient, il s’assura qu’il ne lui arriverait aucun mal et fit amener l’arche dans sa demeure. Les prêtres la transportèrent, précédés de sept chœurs équipés par le roi, qui lui-même jouait de la cithare et frappait le sol de ses pieds, si bien que sa femme Michal, fille du premier roi, Saül, l’ayant vu dans cette attitude, se moqua de lui. On introduit l’arche, on la dépose sous la tente[20] que David avait dressée pour elle ; puis il offrit des sacrifices somptueux, immola des victimes de paix et donna à manger à tout le peuple, distribuant aux femmes, aux hommes et aux enfants miches de pain, brioches, beignets au miel[21] et tranches de viande. Après ce repas offert au peuple, il le congédie et rentre lui-même dans sa demeure.

[11] II Samuel, VI, 1 ; I Chroniques, XIII, 1.

[12] 30.000 hommes d’après Samuel ; LXX : environ 70.000. Josèphe suit surtout le texte des Chroniques qui ne mentionne pas le chiffre et parle seul de chiliarques, de prêtres et de Lévites.

[13] D’après I Chroniques, XIII, 3.

[14] Josèphe suit les LXX qui lisent dans l’hébreu « ses frères » au lieu de la lecture massoréthique ; seulement il omet ici le nom d’Ouzas et semble faire des « fils d’Aminadab » non pas, comme dans la Bible, une apposition d’Ahio ou des frères, mais un nouveau sujet. Niese suppose que la mention d’Ouzas est tombée.

[15] όρχήσεων, suspect. Peut-être όργάνων (Septante : όργάνοις ήρμοσμένοις) — T. R.

[16] D’après les Chroniques (v. 9). Dans Samuel, le personnage s’appelle Nachon (LXX : Ναχώρ).

[17] C’est l’explication traditionnelle, qu’on peut déduire d’ailleurs de I Chroniques, XV, 2. Mais l’Écriture ne dit pas formellement qu’Ozas a été puni parce que son geste était d’un profane.

[18] Διαxοπή comme LXX.

[19] Hébreu : Obed-Edom ; LXX sur Samuel Άβεδόαρά ; I Chroniques, XV, 18 : Οβδεδομ. L’origine lévitique résulte de ce verset.

[20] II Samuel, VI, 17 ; I Chroniques, XVI, 1.

[21] Josèphe emploie les mêmes termes que LXX sur Samuel (v. 9). Les Chroniques ont d’autres expressions.

Michal blâme David.

3.[22] Michal, sa femme, fille de Saül, s’étant présentée devant lui, fit toutes sortes de vœux pour son bonheur et pria Dieu de lui accorder tout ce qu’il peut procurer quand il est propice, mais elle le blâma d’avoir commis, lui, un si grand roi, l’inconvenance de danser et de se découvrir en dansant, en présence d’esclaves et de servantes. Mais David répondit qu’il ne rougissait pas d’avoir agi ainsi pour l’amour de Dieu, qui l’avait préféré au père de Michal et à tous les autres, et qu’il jouerait et danserait souvent ainsi, sans se préoccuper le moins du monde de l’opinion des servantes et de Michal[23] elle-même. Cette Michal n’avait pas eu d’enfant de son union avec David, mais remariée plus tard à l’homme à qui son père Saül l’avait donnée, — au temps dont nous parlons David la lui avait enlevée — elle en eut cinq enfants[24] comme nous le dirons en son lieu[25].

[22] II Samuel, X, 20.

[23] Josèphe est plus conforme aux LXX qu’à l’hébreu. Les LXX ont « et je serai un sot à tes yeux et devant les servantes, dont tu as dit qu’elles ne me respectaient pas ». L’hébreu dit : « et devant les servantes dont tu as parlé je paraîtrai plus glorieux. »

[24] D’après I Samuel, XXV, 44, et II Samuel, XXI, 8. Mais la Septante (L) lit Mérab au lieu de Michal et cette leçon semble préférable ; le texte II Samuel, VI, 23, dit formellement que Michal resta stérile jusqu’à la fin de ses jours.

[25] Josèphe n’en parle plus nulle part, à moins de supposer une lacune entre les §§ 296 et 297.

David veut construire un Temple ; le prophète Nathan lui annonce que la tâche en est réservée à Salomon.

4.[26] Le roi, voyant ses affaires s’améliorer de jour en jour grâce à la volonté de Dieu, s’avisa qu’il faisait mal de demeurer dans de hauts palais de cèdre, aménagés de façon magnifique, tandis qu’il laissait l’arche abritée sous une tente. Il résolut donc de bâtir un temple à Dieu, comme Moïse l’avait prédit. Il s’entretint de ce dessein avec le prophète Nathan, et comme celui-ci l’encourageait dans son projet, disant que Dieu l’assistait en toute chose, il ne montra que plus d’ardeur pour cette entreprise. Mais Dieu apparut cette nuit-là à Nathan et lui commanda de dire à David que, tout en louant son projet et son vœu, puisque nul auparavant n’avait eu encore l’idée de lui bâtir un temple, tandis que David avait conçu ce dessein, néanmoins il ne permettait pas à un homme qui avait soutenu tant de guerres et s’était souillé du sang de tant d’ennemis de lui ériger un temple[27]. Cependant, après sa mort, qui ne viendrait qu’au terme d’une longue vie, le temple serait construit par son fils, son successeur au trône, dont le nom serait Salomon ; il promettait d’assister celui-ci avec toute la sollicitude d’un père pour son fils ; il conserverait et transmettrait la royauté aux enfants de ses enfants, mais il le punirait lui-même, s’il venait à pécher, par la maladie et la stérilité du sol. David, instruit de ces choses par le prophète et heureux de savoir de science certaine que le pouvoir passerait à ses descendants et que sa maison serait illustre et célèbre, s’approcha de l’arche, et prosterné sur sa face, se mit à adorer et à remercier Dieu pour tous les bienfaits qu’il lui avait déjà prodigués, en l’élevant de la condition humble d’un berger à un tel degré de puissance et de gloire, et pour ceux qu’il avait promis à ses descendants et pour le soin qu’il avait pris des Hébreux et de leur liberté. Après avoir dit ces paroles et chanté des cantiques à Dieu, il se retira.

[26] II Samuel, VII, 1 ; I Chroniques, XVII, 1.

[27] D’après I Chroniques, XXVIII, 3. Le texte de Samuel n’allègue aucun motif de ce genre et, dans la forme originaire, contenait une interdiction pure et simple d’élever un temple à Dieu.

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