Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE IX

CHAPITRE IX
Règne d'Amasias ; il renvoie les Israélites de son armée sur l'ordre d'un prophète ; victoire sur les Amalécites, les Iduméens et les Gabalites ; les Israélites se vengent de leur démobilisation ; Amasias envoie une lettre à Joas d'Israël pour qu'il se soumette à lui ; refus de Joas ; guerre entre Amasias et Joas ; Joas est vainqueur : il emporte les trésors du Temple et du palais du roi ; assassinat d'Amasias après vingt-neuf ans de règne.

Règne d’Amasias de Juda ; il punit les meurtriers de son père ; sa campagne contre les Amalécites ; il congédie le contingent des Israélites, victoire d’Amasias ; vengeance des Israélites.

1.[1] La deuxième année du règne de Joas, roi des Israélites, Amasias régna sur la tribu de Juda à Jérusalem. Sa mère, appelée Jôdadé[2], était d’une famille de la capitale[3]. Il avait un merveilleux souci de la justice, et cela malgré son jeune âge. Mais, parvenu aux affaires et au pouvoir, il décida qu’il devait d’abord venger son père Joas et punir les familiers qui avaient conspiré contre lui. Les avant tous arrêtés, il les fit périr, sans faire aucun mal à leurs enfants, se conformant ainsi aux lois de Moïse, qui avait déclaré inique de punir les enfants pour les fautes des pères[4]. Puis il recruta une armée d’élite dans les tribus de Juda et de Benjamin, composée de soldats dans la fleur de l’âge et d’environ[5] vingt ans, et, les ayant réunis au nombre d’environ trois cent mille, il mit à leur tête des centurions, puis, s’étant adressé aussi au roi des Israélites, il soudoya chez celui-ci cent mille hoplites pour cent talents d’argent ; il avait l’intention, en effet, de faire la guerre contre les peuplades des Amalécites, des Iduméens et des Gabalites[6]. Comme il s’était préparé à l’expédition et allait se mettre en route, le prophète[7] lui conseilla de licencier l’armée des Israélites, car elle était impie et Dieu lui prédisait la défaite s’il employait de pareils auxiliaires ; au contraire il triompherait des ennemis, même en leur opposant une faible troupe, si Dieu le voulait. Comme le roi était dépité d’avoir payé d’avance leur solde aux Israélites, le prophète l’exhorta à faire cependant la volonté de Dieu, de qui il recevrait, d’ailleurs, d’immenses trésors. Alors il congédia ces hommes, disant qu’il leur faisait cadeau de leur solde et, réduit à ses seules troupes, marcha contre les nations précitées. Vainqueur dans la bataille, il leur tua dix mille hommes[8], et il en prit autant vivants, qu’il conduisit à la Grande pierre[9], située vers l’Arabie, d’où il les précipita. Il emporta, en outre, de chez ces nations un grand butin et d’immenses richesses. Pendant qu’Amasias était ainsi occupé, les Israélites, congédiés par lui avec leur solde, indignés de ce procédé et jugeant injurieux un pareil licenciement — qui ne pouvait venir que du mépris, — envahirent son royaume et, pénétrant jusqu’à Bethséméra[10], ravagèrent la région, s’emparèrent de quantité de bêtes de somme et tuèrent trois mille hommes.

[1] II Rois, XIV, 1 ; II Chroniques, XXV, 1.

[2] Hébreu : Yehoaddân ; LXX : Ίωαδία.

[3] Bible : de Jérusalem.

[4] II Chroniques, XXV, 5. Allusion à Deutéronome, XXIV, 16.

[5] Haber corrige περί en ύπέρ, ce qui donne le sens « âgés de plus de vingt ans ».

[6] La Bible ne parle que des Édomites.

[7] ό προφήτης, comme s’il s’agissait d’un personnage connu : cependant ni la Bible ni Josèphe ne donnent son nom.

[8] D’après la Bible, 10.000 à la vallée du Sel.

[9] II Rois, XIV, 7 : « il (Amacia) conquit Séla » ; II Chroniques, XXV, 12 : « les enfants de Juda prirent 10.000 hommes vivants et les amenèrent en haut d’une roche (Séla) ». Josèphe suit les Chroniques, mais garde la donnée des Rois qui fait de Séla un nom de lieu ; LXX : πέτραν (Rois), xρημνοΰ (Chroniques).

[10] II Chroniques, XXV, 13 : Hébreu : « de Schomeron à Béth-Horon » ; LXX : άπό Σαμαρείας έως Βαιθωρών. (Bethsèmèra de Josèphe provient sans doute d’une confusion des deux noms.)

Impiété d’Amasias, reproches du prophète ; Amasias provoque Joas d’Israël ; réponse de Joas.

2[11]. Cependant Amasias, enorgueilli par sa victoire et son succès, commença de négliger Dieu, qui les lui avaient procurés ; et les dieux qu’il avait rapportés du pays des Amalécites, il se mit à les révérer. Alors le prophète vint le trouver et lui dit combien il s’étonnait que le roi prit pour des dieux véritables ceux qui n’avaient été d’aucun secours à leurs propres adorateurs, qui ne les avaient pas tirés de ses mains, qui avaient même vu périr beaucoup d’entre eux avec indifférence, alors qu’eux-mêmes étaient emportés en captivité. On avait, en effet, emporté ces dieux à Jérusalem à la façon d’un vainqueur emmenant des ennemis prisonniers. Ces réflexions excitèrent la colère du roi : il enjoignit au prophète de se taire, menaçant de le châtier, s’il se mêlait encore de ses affaires. Celui-ci répondit qu’il se tairait en effet, mais que Dieu ne resterait pas indifférent à de pareilles innovations. Amasias[12], incapable de se dominer dans la bonne fortune, ne laissa pas d’offenser Dieu, à qui il la devait : dans l’orgueilleuse opinion qu’il avait de lui-même, il écrivit à Joas, roi des Israélites, ordonnant qu’il se soumit à lui[13] avec tout son peuple, comme ils avaient obéi naguère à ses ancêtres, David et Salomon. Si Joas ne consentait pas à s’incliner, il le prévenait qu’une guerre déciderait de la suprématie. Joas écrivit en réponse : « Le roi Joas au roi Amasias. Il y avait sur le mont Liban un cyprès[14] de grande taille et un buisson d’épine. Celle-ci envoya demander au cyprès sa fille en mariage pour son fils. Mais pendant qu’elle disait ces paroles, une bête féroce qui passait foula l’épine aux pieds. Que cet exemple t’apprenne à borner tes ambitions : que l’orgueil de la victoire remportée sur les Amalécites[15] n’attire pas le danger sur toi et sur ton royaume. »

[11] II Chroniques, XXV, 14.

[12] II Rois, XIV, 8 ; II Chroniques, XXV, 7.

[13] Bible : « Viens, que nous nous voyions en face ».

[14] Bible : un cèdre.

[15] Bible : les Édomites.

Défaite d’Amasias ; Joas entre à Jérusalem ; il s’empare des trésors ; meurtre d’Amasias.

3.[16] La lecture de cette lettre ne fit qu’exciter davantage Amasias à entreprendre sa campagne ; sans doute c’était Dieu qui l’y poussait pour lui faire expier les péchés qu‘il avait commis envers le Seigneur. Lorsqu’il sortit avec ses forces contre Joas et qu’on allait engager la bataille, une panique subite et une stupeur, telle que Dieu en inspire quand il n’est point propice, mit en fuite l’armée d’Amasias, avant même d’en venir aux mains. La terreur ayant dispersé ses troupes, il advint qu’Amasias, demeuré seul, fut fait prisonnier par les ennemis[17]. Joas le menaça de mort s’il ne persuadait aux Jérusalémites de lui ouvrir les portes et de le recevoir avec son armée dans la ville. Pressé par la nécessité et craignant pour sa vie, Amasias fit introduire l’ennemi. Et Joas, après avoir démoli une partie des remparts sur une longueur d’environ quatre cents coudées, pénétra sur son char à travers la brèche dans Jérusalem, trainant avec lui Amasias prisonnier. Devenu de la sorte maître de Jérusalem, il enleva les trésors de Dieu, emporta tout ce qu’Amasias possédait d’or et d’argent dans le palais royal, et lui ayant à ce prix rendu la liberté, il s’en retourna à Samarie. Cette calamité frappa les Jérusalémites la quatorzième année[18] du règne d’Amasias. Plus tard, celui-ci, averti d’un complot de ses amis, s’enfuit à Lachis(a), où il fut mis à mort par les conspirateurs qui y avaient dépêché des meurtriers. On apporta son corps à Jérusalem et on lui fit des obsèques royales. C’est ainsi qu’Amasias perdit la vie à cause de ses innovations et de son mépris envers Dieu, après avoir vécu cinquante-quatre ans et régné vingt-neuf : il eut pour successeur son fils Ozias[19].

[16] II Rois, XIV, 11 ; II Chroniques, XXV, 20.

[17] Amplification : dans la Bible, Amasias est simplement battu et pris à Beth-Schémesch et emmené ensuite à Jérusalem, où Joas abat le rempart.

[18] En effet, Joas d’Israël meurt l’an 15 d’Amacias (II Rois, XIV, 23), lequel, d’après le texte massorétique (ibid., XIV, 2), en régna 29.

[19] Hébreu : Ouzia (Chroniques), Azaria (Rois).

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