Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE IX

CHAPITRE XI
Règnes de Zacharie, le fils de Jéroboam, de Salloum, de Menahem, de Phacéas et de Phacée, sur Israël ; règne du pieux Jotham, le fils d'Ozias, sur Juda ; prophétie de Nahoum sur l'anéantissement de Ninive.

1. Règnes de Zacharie, Salloum, Menahem dans Israël ; invasion de Phoul ; règnes de Phacéas et de Phacée ; invasion de Teglatphalassar.

1.[1] Zacharias, fils de Jéroboam II, après avoir régné six mois sur les Israélites, mourut traîtreusement assassiné par un de ses amis, du nom de Selloum(os)[2], fils de Jabès(os), qui lui succéda au pouvoir, mais ne le conserva pas plus de trente jours. En effet, le général Manahem(os)[3], qui se trouvait vers ce temps-là dans la ville de Tharsé[4], ayant appris le sort de Zacharias, s’ébranla avec toute son armée et arriva dans Samarie : il livre bataille à Selloum, le tue, puis, s’étant emparé de la royauté, part de là et se rend dans la ville de Thapsa[5]. Les habitants fermèrent leurs portes au verrou et refusèrent de recevoir le roi ; lui alors, pour les punir, ravage les environs, s’empare de vive force de la ville au moyen d’un siège, et irrité par la conduite des Thapsiates, les massacre tous, sans épargner même les petits enfants[6] en se livrant aux derniers excès de la barbarie et de la férocité ainsi un sort qu’il eût été impardonnable d’infliger même à des gens d’autre race réduits à merci, il le fit subir à ceux de sa race. Manahem, devenu roi de la sorte, continua dix ans à déployer sa brutalité et se montra le plus cruel des hommes. Cependant Phoul[7], roi des Assyriens, étant parti en guerre contre lui, il évite de se mesurer en rase campagne avec les Assyriens, mais les persuade de se retirer moyennant une somme de mille talents d’argent et met ainsi fin à la guerre. Cette somme fut versée par le peuple à Manahem, à raison de cinquante drachmes[8] par tête. Il mourut ensuite, et fut enterré à Samarie, laissant pour successeur au trône son fils Phakéas[9], qui imita la cruauté de son père et ne régna que deux ans à peine. Il mourut assassiné au cours d’un festin avec ses amis, victime d’un guet-apens du chiliarque Phakéas[10], fils de Romélias. Cet autre Phakéas à son tour détint le pouvoir pendant vingt ans et se montra impie et violateur des lois. Le roi des Assyriens, nommé Théglaphalassar[11], ayant marché contre les Israélites, soumit toute la Galadène et la Transjordanie, ainsi que la région voisine appelée Galilée avec Kydisa et Asôra[12] ; il fit prisonniers les habitants et les transporta dans son propre royaume. Voilà ce que nous avions à raconter touchant le roi des Assyriens.

[1] II Rois, XV, 8.

[2] Hébreu : Schelloum.

[3] Comme LXX ; Hébreu : Menahem.

[4] Hébreu : Tirça ; LXX : Θαρσιλά.

[5] Hébreu : Tifsah ; LXX : Θερσα (Θαιρα) ; Luc. : Ταως. D’après Kittel : Tappouah.

[6] La Bible (II Rois, XV, 16) dit qu’il tua les enfants dans le sein de leurs mères.

[7] Hébreu : Phoul ; LXX : Φουά.

[8] Bible : 50 sicles.

[9] Hébreu : Pekahia ; LXX : Φαxεσίας.

[10] Hébreu : Pekah ; LXX : Φαxεέ.

[11] Hébreu : Tiglat-Piléser ; LXX : Φαγλαθφελλασάρ.

[12] Hébreu : Sédesch et Haçor ; LXX : Κενέζ, Άσώρ.

Règne prospère de Jotham sur Juda.

2.[13] Jotham[14], fils d’Ozias, régna sur la tribu de Juda à Jérusalem ; il avait pour mère une femme de la capitale, nommée Hiérasa[15]. A ce roi nulle vertu ne manquait. Pieux envers Dieu, juste envers les hommes, il s’occupa, en outre, de l’entretien de la ville. Tout ce qui avait besoin, en effet, de réparation et d’ornement, il y travailla avec zèle ; c’est ainsi qu’après avoir érigé les portiques et les propylées dans le Temple, il redressa les parties de murailles écroulées, en y bâtissant des tours d’une grande hauteur et difficiles à prendre[16] ; à torts les autres objets qui avaient pu être négligés dans son royaume, il donna la plus grande attention. En outre[17], avant fait campagne contre les Ammanites et les ayant vaincus en bataille rangée, il les soumit à un tribut annuel[18] de cent talents, dix mille cores de froment et autant d’orge. Et il fortifia si bien son royaume qu’il tint en respect ses ennemis et assura la prospérité à ses sujets.

[13] II Rois, XV, 32 ; II Chroniques, XXVII, 1.

[14] LXX : Ίωάθαμ.

[15] Bible : Yerouacha.

[16] II Rois, XV, 33 : « Il bâtit la porte haute du Temple » ; II Chroniques, XXVII, 3, ajoute : « et il travailla beaucoup à l’édification de la muraille de l’Ophel ».

[17] II Chroniques, XXVII, 5.

[18] La Chronique dit : « cette année-là, ...la deuxième et la troisième ».

Prophétie de Nahoum sur Ninive.

3.[19] Il y avait en ce temps-là un prophète nommé Nahoum(os) qui prophétisait en ces termes sur la ruine des Assyriens et de la ville de Ninos : Ninive (Nineué) sera une piscine d’eau agitée[20]. De même tout le peuple, bouleversé et ballotté, s’en ira en fuite, et ils se diront l’un à l’autre : « restez et demeurez et emportez avec vous de l’or et de l’argent. » Mais personne n’y consentira : car ils voudront sauver leur vie plutôt que leurs biens[21]. Il y aura entre eux de graves disputes et des lamentations et le relâchement des membres, et leurs faces deviendront de frayeur complètement noires[22]. Où sera la tanière des lions et la mère des lionceaux[23] ? Mais Dieu te dit, Ninive : « Je t’anéantirai et les lions ne sortiront plus de toi pour commander au monde ». Outre ces paroles, ce prophète fit encore bien d’autres prophéties sur Ninive que je n’ai pas jugé nécessaire de reproduire[24], et que j’ai omises de crainte de paraître fastidieux à mes lecteurs. D’ailleurs, tout ce qui avait été prédit sur Ninive arriva cent quinze ans après. Mais en voilà assez sur ce sujet.

[19] Josèphe se fonde sur ce qui est dit antérieurement de Jonas pour placer ici la prophétie de Nahoum qui s’adresse aussi aux Ninivites. Le texte cité par Josèphe se trouve au chap. II, v. 9 et suiv. du livre de Nahoum. Ce passage de Josèphe est intéressant à étudier pour l’intelligence du texte massorétique. Cf. notre note dans Revue des Études juives, t. LXXVI (1923), p. 96.

[20] Κολυμβήθρα ΰδατος, c. LXX ; pour xινουμένη, correspondant à l’obscur groupe de mots de l’hébreu, Josèphe ou sa Bible semble avoir lu un participe féminin de la racine du mot hébreu. La LXX a lu autre chose en hébreu (τά ΰδατα αύτής), ce qui donne un sens moins satisfaisant.

[21] Glose de l’hébreu (LXX : xαί ούx ήν ό έπιβλέπων).

[22] Μέλαιναι τελέως. Cette traduction de l’hébreu est indépendante des LXX, qui ont ώς πρόσxαυμα χύτας, « comme l’extérieur d’un pot exposé au feu ». L’interprétation « deviennent pâles (m. à m. perdent leur éclat) » est la plus usuelle.

[23] Καί ή μήτηρ σxύμνων. II y a dans la LXX νομή (pâturage), correspondant à l’hébreu. Si l’on maintient le texte de Josèphe, il faudrait admettre dans la Bible une autre leçon de l’hébreu.

[24] On peut le regretter, si toutefois ce n’est pas une hyperbole de rhétorique. On sait que le livre actuel de Nahoum est un des plus courts : il ne contient qu’un chapitre avant et un après celui qu’utilise Josèphe.

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