Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE X

CHAPITRE VI
Nabuchodonosor victorieux de Néchao ; il marche contre les Juifs et impose un tribut à Joachim sous peine de guerre ; Jérémie prophétise la ruine de Jérusalem et la perte de Joachim ; il rédige un livre de prophéties qu'il lit devant le peuple ; le roi entre en colère, le déchire et le jette au feu ; Nabuchodonosor entre dans Jérusalem et fait périr Joachim ; Joachim avait régné onze ans ; Nabuchodonosor établit Joachin, fils de Joachim, comme roi sur Juda ; il déporte à Babylone les principaux du peuple, dont le prophète Ézéchiel enfant.

Expédition de Nabuchodonosor contre Néchao ; défaite de ce dernier ; tribut imposé à Joachim.

1.[1] Dans la quatrième année de son règne, le pouvoir en Babylonie passa à un certain Nabuchodonosor (Nabouchodonosoros), qui, dans le même temps, monta en grand appareil vers la ville de Carchémis (Karchamissa), située sur l’Euphrate, dans l’intention de lutter contre Néchao, roi des Égyptiens, lequel dominait toute la Syrie. Instruit des desseins du Babylonien et de l’expédition qu’il préparait contre lui, Néchao ne resta pas non plus inactif, mais se lança vers l’Euphrate avec de grandes forces pour repousser Nabuchodonosor. Cependant, lorsque le choc eut lieu, il fut défait et perdit de nombreuses myriades d’hommes dans la bataille. Franchissant l’Euphrate, le Babylonien s’empare de la Syrie jusqu’à Péluse, à l’exception de la Judée. Puis, dans la quatrième année du règne de Nabuchodonosor, qui était la huitième de Joakim[2], roi des Hébreux, le Babylonien marche avec de grandes forces contre les Juifs, exigeant des tributs de Joakim sous menace de guerre. Celui-ci, effrayé de cette menace, acheta la paix à prix d’argent et lui paya les tributs imposés, durant trois ans[3].

[1] Jérémie, XXV, 1 ; XLVI, 2 (grec : XXVI).

[2] D’après II Rois, XXIII, 36, Joïachim meurt après avoir servi Nabuchodonosor trois ans comme il en règne en tout onze, il s’ensuit que c’est dans la huitième année qu’il avait été réduit en servitude.

[3] II Rois, XXIV, 1.

Espérance illusoire dans les Égyptiens ; sinistres prophéties de Jérémie ; il échappe au châtiment ; lecture de son livre devant le peuple, puis devant le roi ; colère du roi.

2.[4] La troisième année, ayant appris que les Égyptiens partaient en campagne contre le Babylonien, il lui refusa le tribut, mais il fut trompé dans son espoir, car les Égyptiens n’osèrent pas effectuer leur expédition. D’ailleurs, le prophète Jérémie annonçait chaque jour que c’était en vain qu’ils s’accrochaient à des espérances du côté des Égyptiens, qu’il était écrit que la ville serait ruinée par le Babylonien et que le roi Joakim tomberait entre ses mains. Mais ces paroles étaient dites en pure perte, et personne ne devait échapper. Car ni le peuple ni les chefs[5] ne tenaient compte de ses avertissements et, s’irritant des paroles du prophète qui osait vaticiner contre le roi, ils incriminèrent Jérémie et, le poursuivant en justice, demandèrent son supplice. Tout le monde vota contre lui, hors quelques-uns d’entre les Anciens qui le disculpèrent (?)[6] et qui, de jugement plus sensé, éloignèrent le prophète de la cour (du Temple) et conseillèrent aux autres de ne faire aucun mal à Jérémie. Celui-ci, disaient-ils en effet, n’était pas le seul à prédire l’avenir à la ville ; Michaias, avant lui, avait annoncé les mêmes choses, ainsi que bien d’autres ; or, nul d’entre eux n’avait souffert aucun mal des rois de leur temps et, au contraire, ils en avaient reçu des hommages comme des prophètes de Dieu. Avant calmé le peuple par ces paroles, ils sauvèrent Jérémie du châtiment prononcé contre lui, et celui-ci, avant consigné par écrit toutes ses prophéties, se présenta devant le peuple, jeûnant et réuni en assemblée dans le sanctuaire, le neuvième mois de la cinquième année du règne de Joakim[7], et lut le livre qu’il avait composé sur les destinées de la ville, du Temple et des peuples. Les chefs, à cette lecture, lui prennent le livre des mains et l’engagent, lui et son scribe Barouch(os), à s’éloigner hors de la vue de tous ; eux-mêmes emportent le livre pour le donner au roi. Celui-ci, en présence de ses amis, ordonne à son scribe de le prendre et de le lire. Mais lorsqu’il en ouït le contenu, le roi entre en colère, déchire le livre, puis le détruit en le jetant au feu, et il fait chercher Jérémie et le scribe Barouch pour les châtier. Mais eux échappent à son courroux.

[4] Jérémie, XXVI, 2 (grec : XXXIII).

[5] Dans le texte biblique, ce sont les prêtres et les prophètes qui s’attaquent à Jérémie mais non les chefs (les grands), qui prennent, au contraire, sa défense.

[6] Texte altéré.

[7] Jérémie, XXXVI, 9 (grec : XLIII, 1).

Nabuchodonosor entre à Jérusalem ; meurtre de Joachim ; déportation des chefs du peuple ; règne de Joachin.

3.[8] Peu de temps après, le roi des Babyloniens ayant fait campagne contre lui, Joakim le reçoit par crainte des prédictions du prophète, pensant qu’il ne lui arriverait rien de fâcheux, puisqu’il n’avait ni fermé ses portes, ni fait acte d’hostilité. Mais le Babylonien, lorsqu’il eut pénétré dans la ville, loin de tenir ses engagements, fit périr les plus forts et les plus beaux des Jérusalémites avec le roi Joakim, qu’il fit jeter sans sépulture devant les murs[9], et il établit le fils de celui ci, Joachim(os)[10], comme roi du pays et de la ville. Quant aux principaux du peuple, au nombre de trois mille, il les retint prisonniers et les emmena à Babylone[11] : parmi eux se trouvait aussi le prophète Ézéchiel, encore enfant[12]. Telle fut la fin du roi Joakim, qui avait vécu trente-six ans et régné onze ans. Son successeur au trône, Joachim, dont la mère, une citadine, s’appelait Nosta[13], régna trois mois et dix jours.

[8] II Rois, XXIV, 2 ; II Chroniques, XXXV, 6 ; Jérémie, XXII, 18-19.

[9] Jérémie, XXII, 19 ; d’après II Chroniques, XXXVI, 6, Nabuchodonosor le fait mettre aux fers pour l’emmener à Babylone.

[10] Hébreu : Joïachin ; Josèphe ne différencie les deux Joïachim que par l’orthographe (x, χ) et l’accentuation ; LXX : seulement la différence du x au χ.

[11] Ni les Rois, ni la Chronique ne parlent de cette déportation ; la source est sans doute Jérémie, LII, 28 : « Voici le chiffre de la population que Nabuchodonosor emmena en exil : dans la septième année. 3023 Judéens... » Bien que ce verset soit absent de nos éditions de la LXX. Josèphe a dû l’avoir sous les yeux.

[12] D’après l’hébreu d’Ézéchiel, I, 1-2, il paraît avoir été plutôt du groupe d’exilés du temps de Joïachin. Mais il est à remarquer que le grec porte Ίωαxείμ = Joïachim.

[13] Hébreu : Nehouschta ; LXX : Νέσθα.

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