Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XI

CHAPITRE VI
Histoire d'Esther.[1]

Règne d'Artaxerxés. Disgrâce de Vasté.

1. Après la mort de Xerxès, la royauté échut à son fils Cyrus (?)[2], que les Grecs appellent Artaxerxés. Pendant que ce roi gouvernait l'empire des Perses, le peuple juif faillit périr tout entier, y compris les femmes et les enfants. Je dirai bientôt pourquoi. Mais il faut auparavant que je raconte le genre de vie de ce roi, ensuite comment il épousa une Juive de race royale, qui, dit-on, sauva notre peuple. Artaxerxés, après avoir pris le pouvoir et établi, des Indes jusqu'à l'Éthiopie, des gouverneurs dans les cent vingt-sept satrapies, reçut, la troisième année de son règne, ses amis, les peuples de la Perse et leurs chefs, dans un festin somptueux, comme il convient à un roi qui veut faire montre de sa richesse ; il les traita pendant cent quatre-vingts jours. Puis il donna des fêtes, à Suse, pendant sept jours aux peuples des provinces et à leurs ambassadeurs. Voici comment était organisé ce festin : on construisit une salle en forme de tente supportée par des colonnes d'or et d'argent, réunies par des toiles de lin et de pourpre, de telle sorte qu'elle pût contenir plusieurs myriades de convives. On se servit de coupes d'or enrichies de pierres précieuses à la fois pour l'agrément et pour le charme des yeux. Le roi ordonna aux serviteurs de n'obliger personne à boire aussitôt sa coupe remplie, comme c'est l'usage chez les Perses, mais de laisser chacun des convives boire à la santé de qui il voulait[3]. En même temps il avait envoyé des messagers et fait ordonner aux habitants de son empire de cesser tout travail et de célébrer des fêtes en l'honneur de son avènement, pendant plusieurs jours. De même, la reine Vasté réunit les femmes en un banquet dans son palais. Le roi, voulant la montrer à ses convives, parce qu'elle surpassait en beauté toutes les femmes, lui fit dire de se rendre au festin. Mais la reine, par obéissance aux lois des Perses, qui interdisent aux femmes de se montrer à des étrangers, ne se rendit pas auprès du roi ; quoique celui-ci lui eût envoyé à plusieurs reprises des eunuques, elle n'en refusa pas moins de venir, si bien que le roi, dans sa colère, interrompit le festin, se retira, et, ayant fait appeler les sept d'entre les Perses qui sont chargés chez eux de l'interprétation des lois, accusa sa femme et prétendit qu'elle l'avait outragé ; car, mandée par lui à plusieurs reprises au festin, elle n'avait pas obéi une seule fois. Il leur demanda donc de prononcer la loi qu'il devait lui appliquer. L'un d'eux, nommé Mouchaios[4], répondit que cette insulte n'atteignait pas le roi seulement, mais tous les Perses, qui risquaient, si leurs femmes méprisaient leur autorité, d'avoir une vie insupportable ; car aucune d'elles ne respecterait désormais son mari, suivant en cela l'exemple du dédain que la reine avait montré à l'égard du roi, maître tout-puissant. Il conclut donc qu'il fallait infliger un châtiment exemplaire à celle qui avait ainsi insulté le roi, et annoncer à tous les peuples la mesure de rigueur prise contre la reine. En conséquence, il fut décidé qu'Artaxerxés répudierait Vasté et donnerait sa place à une autre femme.

[1] Ce chapitre résume le livre d'Esther, non pas d'après le texte hébreu. mais d'après la version grecque, déjà délayée et interpolée, des « Septante » (cf. B. Jakob, Zeitsch. f. Alttest. Wiss., X (1890), p. 262 et 295 suiv.). C'est ainsi qu'on y trouve, comme dans les Septante, le texte intégral de l'édit d'Aman (§ 6) et de celui de Mardochée (§ 12), les prières (abrégées) de Mardochée et d'Esther (§ 8), les détails de l'audience d'Esther (§ 9), tous morceaux que ne renferme pas la Megilla, Josèphe ignore ou supprime le songe de Mardochée et son interprétation, qui, dans les Septante, encadrent tout le récit, ainsi qu'une première conjuration d'eunuques découverte par Mardochée avant l'avènement d'Esther ; en revanche il a ajouté quelques broderies de sa façon. Pour le détail on peut consulter l'édition de Scholz (Vienne, 1892), où l'on trouve sur 4 colonnes l'original hébreu, la version des Septante 1° d'après les mss. ordinaires, 2° d'après la recension dite de Lucien, enfin le texte de Josèphe.

[2] Telle est la leçon de tous les mss., que Gutschmid (suivi par Naber) corrige en Ἀσύηρον, nom que l'Esther hébreu donne au roi. Ici comme dans Esdras (IV, 6) Assuérus désigne d'ailleurs Xerxès, mais Josèphe, ayant raconté d'abord l'histoire d'Esdras et de Néhémie sous Xerxès, a naturellement placé celle d'Esther sous Artaxerxés, comme l'avait fait avant lui le rédacteur de la version grecque d’Esther.

[3] ἀλλ' ἐπιτρέπειν αὐτοῖς καὶ πρὸς ὃ (ὃν Cobet) βούλεται τῶν κατακειμένων ἕκαστος φιλοφρονεῖσθαι, texte est sûrement altéré. Esther, I, 8 : « Le roi avait ordonné à tous les gens de sa maison de se conformer à la volonté de chacun. »

[4] Il est appelé Memuchan dans Esther, I, 14, 16, 21.

Artaxerxés épouse Esther.

2. Le roi, qui avait un très grand amour pour elle, et qui supportait difficilement la séparation, ne pouvait cependant se réconcilier avec elle à cause de la loi ; il passait donc son temps à se lamenter sur l’impuissance de ses désirs. Ses amis, voyant son chagrin, lui conseillèrent de bannir le souvenir de sa femme et un amour qui ne le conduirait à rien, et d'envoyer des messagers pour chercher sur toute la terre des jeunes filles d'une grande beauté ; celle qui serait déclarée la plus belle deviendrait sa femme. Sa passion pour la première épouse s'éteindrait quand il en aurait pris une nouvelle, et peu à peu sa tendresse pour elle, arrachée de son cœur, se reporterait sur celle qu'il aurait auprès de lui. Artaxerxés se rendit à ce conseil et envoya des messagers chargés de rassembler les jeunes filles les plus belles de son royaume et de les lui amener. Dans le nombre de celles qui furent convoquées se trouvait une jeune fille de Babylone[5], orpheline de père et de mère, élevée auprès de son oncle appelé Mardochée ; celui-ci appartenait à la tribu de Benjamin, et comptait parmi les premiers des Juifs. Il arriva qu'Esther — c'était le nom de cette jeune fille — l'emportait en beauté sur toutes les autres, et que la grâce de son visage captivait les regards de tous ceux qui la voyaient. On la confia à un eunuque, qui l'entoura de tous les soins ; elle fut parfumée avec les aromates les plus variés et tous les onguents les plus rares que peut exiger la toilette du corps ; ce fut le régime auquel furent soumises pendant six mois[6] toutes ces jeunes filles, qui étaient au nombre de quatre cents[7]. Lorsque l'eunuque pensa, au bout de ce temps, que ces jeunes filles avaient été l'objet de soins suffisants, et qu'elles étaient devenues dignes de la couche royale, chaque jour il en envoya une au roi pour passer la nuit avec lui. Celui-ci aussitôt après la renvoyait à l'eunuque. Quand fut venu le tour d'Esther et qu'il l'eut connue, il devint amoureux de la jeune fille, la prit comme femme légitime, et célébra son mariage la septième année de son règne dans le douzième mois, appelé Adar[8]. Puis il envoya ses courriers, dits angares, pour annoncer ses noces à tous ses peuples et les exhorter à célébrer des fêtes ; lui-même convia les Perses et les premiers de ses peuples, en l'honneur de son mariage, à des banquets qui durèrent un mois entier. Il reçut Esther dans son palais, et la couronna du diadème ; elle habita ainsi avec lui, sans lui avoir révélé à quel peuple elle appartenait. L'oncle de la reine vint aussi de Babylone à Suse, et chaque jour il passait la journée devant le palais, s'informant de la jeune femme et de ce qu'elle faisait ; car il l'aimait comme sa propre enfant.

[5] D'après le livre d'Esther (II, 5) Esther et Mardochée habitent déjà Suse. Esther n'était d'ailleurs pas la nièce de Mardochée, mais sa cousine germaine (I, 7).

[6] Douze mois (Esther, II, 12).

[7] Le chiffre n'est pas donné dans l’original.

[8] Josèphe a confondu la date de la « rencontre » avec celle du mariage (Esther, II, 16).

Règlement sur les audiences royales.

3. Le roi établit une loi défendant à tous particuliers[9] de se présenter devant lui sans être appelés, chaque fois qu'il siégerait sur son trône. Des hommes, armés de haches, se tenaient autour de son trône pour châtier ceux qui s'en approcheraient sans avoir été appelés. Le roi siégeait, tenant une verge d'or, et, s'il voulait sauver quelqu'un de ceux qui s'approchaient sans avoir été mandés, il la lui tendait. Et celui qui l'avait touchée était hors de danger. Sur ce point, ces explications suffiront.

[9] μηδένα τῶν ἰδίων. Peut-être ἰδιωτῶν (Chamonard).

Complot découvert par Mardochée.

4. Quelque temps après les eunuques Bagathoos et Théodestès[10] ayant conspiré contre le roi, Barnabazos, serviteur de l'un d'eux, et qui était Juif de naissance, pénétra le complot et le dénonça à l'oncle de la femme du roi ; Mardochée, par l'intermédiaire d'Esther, dévoila au roi la conspiration. Le roi, effrayé, fit des recherches, qui prouvèrent la vérité de l'avis. Il fit mettre en croix les eunuques. Quant à Mardochée, il ne lui donna sur le moment aucune récompense pour lui avoir sauvé la vie. Il se contenta d'enjoindre à ceux qui rédigeaient les mémoires de son règne d'inscrire son nom ; puis il lui fit dire de ne pas s'éloigner de sa résidence ; que le roi le considérait comme un ami très dévoué.

[10] Il est appelé Theresch dans Esther, II, 21 (la confusion provient de la ressemblance du dalet et du resch), et il n'y est pas question de l'intervention de l'esclave Barnabazos (Pharnabazos, selon Hudson). Josèphe a du avoir sous les yeux le texte hébreu ou un texte des Septante différent du nôtre, qui ne nomme pas les eunuques ici et plus haut les appelle Gabatha et Tharra.

Aman arrache au roi un édit de proscription contre les Juifs.

5. Il y avait alors un certain Aman, fils d'Amadathès, Amalécite[11] de race, devant qui, lorsqu'il entrait chez le roi, se prosternaient les étrangers et les Perses, sur un ordre d'Artaxerxés leur enjoignant de lui rendre cet honneur. Comme Mardochée, par dignité et par respect pour la loi de son peuple, ne se prosternait pas devant un homme, Aman le remarqua et s'informa d'où il était. Ayant appris que c'était un Juif, il entra en colère et lui reprocha de ne pas s'incliner, lui esclave, devant un homme qu'adoraient les Perses, hommes libres. Dans son désir de tirer vengeance de Mardochée, il trouva que c'était trop peu que de demander au roi le châtiment de cet homme seul et résolut d'anéantir son peuple entier : car il haïssait naturellement les Juifs, parce que la race des Amalécites, dont il était issu, avait été détruite par eux. Il alla donc trouver le roi et commença un réquisitoire : il y avait, disait-il, un peuple méchant, et qui, répandu sur toute la surface de la terre par lui gouvernée, restait étranger aux populations, sans commerce avec elles, n'ayant ni le même culte ni les mêmes lois que les autres, ennemi, par ses habitudes et ses mœurs, du peuple perse et de tous les hommes. « Si tu veux accorder un bienfait à tes sujets, ajouta-t-il, tu ordonneras d'arracher cette nation jusqu'aux racines, sans en laisser aucun vestige, sans en garder même ni comme esclaves, ni comme prisonniers ». Cependant, pour que le roi ne fût pas privé des impôts qu'il retirait des Juifs, Aman se fit fort de lui donner, quand il le voudrait, quarante mille talents d'argent, pris sur sa propre fortune. Il ajouta qu'il donnerait volontiers cette somme pour que le royaume fût débarrassé de ces misérables.

[11] Agaguite, selon l'Esther hébreu, III, 1. (Agag est un ancien roi amalécite, I Sam., XV)

6. Sur ces déclarations d'Aman le roi lui abandonna l'argent et les hommes, pour en faire ce qu'il voudrait. Aman, ayant obtenu ce qu'il désirait, envoya immédiatement à tous les peuples, au nom du roi, un ordre ainsi conçu : « Le grand roi Artaxerxés aux chefs des cent vingt-sept satrapies, depuis l'Inde jusqu'à l'Éthiopie, écrit ceci : Commandant à de nombreux peuples et maître de toute l'étendue de terre que j’ai voulue, n'ayant jamais abusé de ma puissance pour opprimer mes sujets par la violence et l'arrogance, mais m'étant toujours montré clément, doux et prévoyant pour leur assurer la paix et la justice, j'ai cherché le moyen de les en faire jouir toujours. Or, l'homme qui, par sa sagesse et son équité, est à mes yeux le mieux partagé en renommée et en considération, celui qui après moi est le premier, par sa fidélité et son inébranlable dévouement, Aman, m'a indiqué, dans sa sollicitude, qu'il existe un peuple mêlé à tous les autres, peuple hostile, étranger à nos lois, insoumis aux rois, de mœurs étranges, ennemi de la monarchie et mal disposé pour nos intérêts ; j'ordonne donc que ceux qui m'ont été désignés par Aman, mon second père, soient exterminés tous avec leurs femmes et leurs enfants, sans aucun ménagement, sans que personne, se laissant persuader par la pitié plus que par mes messagers, s'avise de désobéir aux ordres que j'envoie. Et je veux que ce soit fait le quatorzième jour du douzième mois de la présente année, afin que, nos ennemis étant détruits de tous côtés en un seul et même jour, nous puissions désormais vivre en paix ». Cet édit ayant été envoyé dans les villes et les campagnes, tous se tinrent prêts pour massacrer les Juifs au jour fixé. A Suse même on s'y prépara en diligence. Le roi et Aman passaient leur temps à banqueter et à boire, mais la ville était dans le trouble.

Mardochée intervient auprès d'Esther.

7. Mardochée, ayant appris ce qui se passait, déchira ses vêtements, se vêtit d'un sac, se couvrit de cendres, et parcourut la ville en s'écriant qu'on allait détruire un peuple qui n'avait fait aucun mal. En poussant ces cris il arriva jusqu'au palais, à la porte duquel il s'arrêta car il ne pouvait y entrer dans un pareil accoutrement. Tous les Juifs qui étaient dans les villes ou des ordres à ce sujet avaient été publiés, se comportaient de même, pleurant et se lamentant sur les malheurs décrétés contre eux. Quand on eut appris à la reine que Mardochée se tenait devant le palais dans un appareil aussi misérable, remplie de trouble, elle envoya des serviteurs pour changer ses vêtements. Comme on ne put le persuader de quitter ses haillons, car la raison terrible qui l'avait obligé à les revêtir subsistait, disait-il, tout entière, la reine, ayant appelé l'eunuque Achrathée, qui se trouvait attaché à sa personne, l'envoya à Mardochée afin de savoir quel malheur lui était arrivé, qui causait sa douleur, et pourquoi, ayant revêtu ce costume, il refusait de le quitter, bien qu'elle l'en priât. Mardochée raconta à l'eunuque la cause de ses lamentations, l'ordre de tuer les Juifs envoyé par le roi dans tout le royaume, et la promesse d'argent par laquelle Aman avait acheté la destruction de ce peuple. Puis ayant donné à l'eunuque une copie des ordres publiés dans Suse, pour la porter à Esther, il recommanda à celle-ci d'aller implorer le roi à ce sujet, et, pour sauver son peuple, de ne pas dédaigner de prendre un costume de suppliante, dans lequel elle essayerait de conjurer la ruine des Juifs menacés, car c'était Aman, honoré comme le premier personnage du royaume après le roi, qui avait accusé les Juifs et excité le roi contre eux. A cette nouvelle, Esther envoya de nouveau à Mardochée pour lui remontrer qu'elle n'était pas appelée chez le roi, et que quiconque se présentait devant lui sans être appelé était puni de mort, à moins que le roi, s'il voulait le sauver, ne lui tendit sa verge d'or[12]. Mardochée, quand l'eunuque lui eut transmis cette réponse d'Esther, le chargea de dire à la reine de ne pas considérer ainsi son propre salut, mais de songer à celui de tout son peuple ; si elle se désintéressait de celui-ci, Dieu viendrait sûrement en aide à son peuple, mais elle-même et sa maison seraient détruites par ceux dont elle se serait si peu souciée. Esther envoya alors à Mardochée le même messager pour lui dire d'aller à Suse, de rassembler tous les Juifs qui s'y trouvaient et de jeûner, en s'abstenant de toute nourriture pendant trois jours et en priant pour elle : elle-même en ferait autant avec ses suivantes, puis elle promettait d'aller chez le roi, malgré la défense, et, s'il lui fallait mourir, d'accepter la mort.

[12] Suivent deux lignes oiseuses et sans doute interpolées d'après le § 206 : ᾧ γὰρ τοῦτο ποιήσειεν ὁ βασιλεὺς ἀκλήτῳ προσελθόντι οὗτος οὐκ ἀποθνήσκει μόνος, ἀλλὰ συγγνώμης τυχὼν σώζεται.

Prière d'Esther et de Mardochée.

8. Mardochée, suivant les instructions d'Esther, fit jeûner le peuple, et lui-même supplia Dieu, cette fois encore, de ne pas détourner les regards de son peuple en péril, mais, de même que jadis il lui avait bien des fois témoigné sa bienveillance et pardonné ses fautes, ainsi maintenant de l'arracher à la ruine décrétée contre lui ; « car ce n’est pas, ajoutait-il, pour quelques fautes que nous sommes menacés de périr sans gloire, mais c'est moi qui suis la cause de la colère d'Aman ; parce que je ne me suis pas prosterné devant lui, et parce que j’ai refusé de rendre à cet homme des honneurs qui ne sont dus qu'à toi, Seigneur, dans sa colère, voilà ce qu'il a machiné contre ceux qui ne veulent pas transgresser tes lois ». Le peuple adressa à Dieu les mêmes prières, le suppliant de pourvoir à leur salut et d'arracher les Israélites, sur toute la terre, au malheur prochain : car le péril était déjà devant leurs yeux, et comme imminent. Esther pria aussi Dieu, suivant la loi de ses pères, s'étant prosternée à terre et ayant revêtu des habits de deuil ; après s'être abstenue pendant trois jours de nourriture, de boisson et de tout plaisir, elle demanda à Dieu de prendre pitié d'elle, de rendre sa parole persuasive quand elle serait en présence du roi, de la faire paraître plus belle que jamais[13], afin que ses discours et sa beauté lui servissent également pour apaiser la colère du roi, s'il venait à s'irriter contre elle, pour secourir ses compatriotes, qui flottaient dans les plus terribles épreuves, et pour exciter le ressentiment du roi contre les ennemis des Juifs et ceux qui, s'il se désintéressait d'eux, machineraient leur perte.

[13] εὐπρεπεστέραν τῆς τάχιον οὖσαν, texte corrompu.

Esther va trouver le roi.

9. Après avoir adressé ces prières à Dieu pendant trois jours, elle quitta ce vêtement de deuil et changea d'ajustement, et, s'étant parée comme devait l'être la reine, elle se rendit auprès du roi, accompagnée de deux servantes, dont l'une, sur qui elle s'appuyait légèrement, la soutenait, et dont l'autre, qui la suivait, portait la traîne de sa robe, répandue jusqu'à terre ; son visage était couvert de rougeur, sa beauté empreinte de douceur et de dignité. Elle entra pleine de crainte. Mais dès qu'elle fut face à face avec le roi, assis sur son trône, revêtu de l'appareil royal, c'est-à-dire d'un vêtement de couleurs variées, chargé d'or et de pierreries, qui le lui faisait paraître encore plus redoutable ; quand il l'eut regardée durement, le visage enflammé de colère, elle fut aussitôt prise de faiblesse et tomba sans connaissance dans les bras de ceux qui étaient à ses côtés. Le roi, obéissant, je pense, à la volonté de Dieu, changea ses dispositions d'esprit, et, craignant que sa femme ne mourut de terreur, descendit de son trône et, la prenant dans ses bras, essaya de la ranimer en la caressant, lui parlant doucement, lui disant de prendre courage, de ne rien craindre de funeste pour être venue auprès de lui sans être appelée : car cette loi était faite pour ses sujets, tandis qu'elle, régnant avec lui, avait toute liberté de l'approcher. En disant ces mots, il plaçait son sceptre entre les mains de la reine et étendit sa baguette sur son cou pour la délivrer de toute appréhension, suivant la loi. Esther revint à elle, à ces marques d'affection. « Seigneur, dit-elle, je ne puis t'expliquer facilement la crainte subite qui vient de me saisir : dès que je t'ai vu si grand, si beau, si imposant, le souffle m'a manqué et mon âme m'a abandonnée ». Comme elle n'avait prononcé ces paroles qu'avec peine et faiblesse, le roi se sentit plein d'angoisse et de trouble ; il conjura Esther de reprendre ses esprits, lui dit d'avoir bon espoir, l'assurant qu'il était prêt à lui donner, si elle le désirait, la moitié de son royaume. Esther le pria seulement de venir chez elle, avec son ami Aman, à un souper qu'elle avait, disait-elle, préparé. Le roi y consentit et les deux convives s'y rendirent : là, tout en buvant, le roi pria Esther de lui dire ce qu'elle désirait : il ne lui refuserait rien, lui demandât-elle une partie de son royaume. Mais elle renvoya au lendemain pour lui révéler son souhait, s'il voulait bien revenir souper chez elle en compagnie d'Aman.

Honneurs décernées à Mardochée.

10. Le roi lui avant donné sa parole, Aman sortit, fier d'avoir été seul jugé digne de souper avec le roi chez Esther, et de ce que personne ne jouissait d'un pareil honneur chez les souverains. Mais apercevant Mardochée dans la cour, il s'indigna plus que jamais, car bien que Mardochée l'eût vu, il ne lui rendait aucun honneur. Rentré chez lui, il appela sa femme Zarasa[14] et ses amis. Quant ils furent arrivés, il leur raconta la considération dont il jouissait, non seulement de la part du roi, mais encore de celle de la reine ; aujourd'hui même il avait soupé chez elle seul avec le roi, et il était invité de nouveau pour le lendemain. Il dit aussi quel déplaisir il éprouvait à voir dans la cour le juif Mardochée. Sa femme Zarasa lui répondit qu'il fallait faire couper un arbre de cinquante[15] coudées de hauteur, et, après en avoir demandé le lendemain matin l'autorisation au roi, faire mettre Mardochée en croix ; Aman loua ce conseil et commanda à ses serviteurs de préparer la croix et de la dresser dans la cour pour le supplice de Mardochée. Voilà ce qui se préparait. Mais Dieu se rit de l'espoir méchant d'Aman, et, sachant l'avenir, se réjouit de la façon dont les choses tourneraient. Pendant cette nuit, il priva le roi de sommeil. Artaxerxés, ne voulant pas perdre inutilement ce temps d'insomnie, mais désireux de l'employer à quelqu'un des intérêts de l’État, manda son secrétaire et lui ordonna de lui lire les mémoires des rois ses prédécesseurs et le récit de ses propres actions. Le secrétaire apporta les livres et fit cette lecture ; il s'y trouva qu'un homme en récompense de son courage dans une certaine occasion avait reçu des terres, dont le nom était inscrit ; un autre pour sa fidélité avait reçu des présents ; puis le lecteur en arriva à Bagathoos et Théodestès, les deux eunuques qui avaient conspiré contre le roi, et que Mardochée avait dénoncés. Le secrétaire, ayant simplement mentionné la chose, passait au récit d’un autre fait, mais le roi l'arrêta et lui demanda s’il n'était pas écrit que Mardochée eût reçu une récompense. Le secrétaire répondit qu'il n'en était pas question ; là-dessus, le roi lui ordonna de s'arrêter et demanda à ceux qui étaient chargés de ce soin quelle heure de la nuit il était. Apprenant que c'était déjà le point du jour, il donna l'ordre que, si l'un de ses amis se trouvait déjà devant le palais, on vint l'en prévenir. Il arriva que l'on trouva Aman : il était, en effet, venu plus tôt que l'heure habituelle pour présenter au roi sa requête au sujet de la mort de Mardochée. Quand ses serviteurs eurent dit au roi qu'Aman était devant le palais, il ordonna de l'appeler. Et lorsque celui-ci fut entré : « Comme je sais, lui dit-il, que tu es mon ami et que tu m'es plus que tout autre dévoué, je te prie de me donner avis sur la manière d'honorer, d'une façon digne de ma magnanimité, un homme que j'aime beaucoup ». Aman, s'imaginant qu'on le consultait à son propre sujet, car il était aimé par le roi plus que personne, donna l'avis qu'il pensait être le meilleur : « Si tu veux combler d'honneur, dit-il, l'homme que tu dis aimer, fais-le monter à cheval, revêtu du même vêtement que toi, orné d'un collier d'or, et qu'un de tes amis fidèles marche devant lui, proclamant dans toute la ville que tels sont les honneurs rendus à celui qu'honore le roi ». Tel fut le conseil donné par Aman, persuadé que cette récompense lui était destinée à lui-même. Le roi, réjoui de cet avis : « Sors donc, dît-il, car tu as le cheval, l'habit et le collier. Va chercher le Juif Mardochée, revêts-le de ces insignes, et menant son cheval par la bride, va proclamer cela par la ville ; car tu es mon ami fidèle, et tu mettras toi-même à exécution le bon conseil que tu m'as donné. Quant à lui, ce sera la récompense qu'il recevra de nous pour m'avoir sauvé la vie ». En entendant ces paroles auxquelles il était si loin de s'attendre, Aman fut bouleversé jusqu'au fond de l'âme ; frappé d'impuissance, il sortit, avec le cheval, le vêtement de pourpre et le collier d'or. Ayant trouvé Mardochée devant le palais, revêtu d'étoffe grossière, il lui ordonna de quitter cet habit pour revêtir la robe de pourpre. Mardochée, ignorant la vérité et croyant à une raillerie : « O le plus méchant des hommes, dit-il, est-ce ainsi que tu te moques de nos malheurs ? » On lui persuada enfin que le roi lui donnait cette récompense pour l'avoir sauvé en confondant les eunuques qui conspiraient contre lui. Il revêtît alors la robe de pourpre que le roi portait à l'ordinaire, se para du collier et montant sur le cheval, fit le tour de la ville précédé par Aman qui proclamait que ces honneurs étaient rendus par ordre du roi à celui qu'il aimait et qu'il avait jugé digne de sa faveur. Quand ils eurent fini le tour de la ville, Mardochée se rendit auprès du roi ; Aman, couvert de honte, rentra chez lui et, au milieu des larmes, raconta à sa femme et à ses amis, ce qui s'était passé. Ceux-ci déclarèrent qu'on ne pouvait plus se venger de Mardochée, car Dieu était avec lui.

[14] Les mss. ont Ζάρασσαν, Γάζασαν, Γάζαγαν. Elle s'appelle Zeresch dans Esther.

[15] Quelques mss. ont ici et plus loin « soixante ». Esther, V, 14, donne 50.

Disgrâce et supplice d'Aman.

11. Comme ils s'entretenaient encore de ce sujet, les eunuques d'Esther vinrent prier Aman de se hâter de se rendre au souper. Sabouchadas[16], l'un des eunuques, ayant vu plantée dans la maison d'Aman la croix qui avait été préparée pour Mardochée, s'informa auprès de l'un des serviteurs, demandant pour qui ces préparatifs ; quand il sut que c'était pour l'oncle de la reine, et qu'Aman devait demander au roi de le livrer à sa vengeance, il ne dit rien pour l'instant. Lorsque le roi, après avoir été traité magnifiquement avec Aman, demanda à la reine de lui dire quel présent elle désirait, l'assurance qu'elle obtiendrait de lui ce qu'elle souhaiterait, Esther éclata en sanglots au sujet du danger que courait son peuple, dit qu'elle était condamnée à périr avec toute sa nation, et que c'était là le sujet dont elle avait voulu l'entretenir ; qu'elle ne l'aurait pas importuné s'il avait ordonné qu'ils fussent vendus et réduits à une dure servitude, car ce n'aurait été qu'un malheur supportable ; mais qu'en présence d'un pareil arrêt, elle avait cru devoir implorer sa justice. Le roi lui demanda de qui venait cette décision ; elle accusa alors ouvertement Aman et lui reprocha d'avoir dans sa méchanceté ourdi ce complot contre les Juifs. Le roi, étonné par ce discours, se leva brusquement de table et s'alla promener dans les jardins ; alors Aman se mit à supplier Esther et à implorer son pardon pour ses fautes, car il comprenait qu'il était en péril. Comme il était tombé au pied du lit de la reine en la suppliant, le roi rentra ; cette vue augmenta encore sa colère : « Ô le plus pervers des hommes dit-il, veux-tu donc aussi faire violence à ma femme ? » Aman, stupéfait à ces mots, ne trouva plus une parole ; alors l'eunuque Sabouchadas, survenant, l'accusa d'avoir préparé dans sa maison une croix pour Mardochée : il avait vu la croix, il avait appris sa destination en interrogeant un serviteur, lorsqu’il était allé inviter Aman pour le souper. Il dit que cette croix était haute de cinquante coudées. Le roi, en entendant ce récit, jugea que nul autre châtiment ne convenait à Aman que celui qu'il avait imaginé pour Mardochée, et sur-le-champ il le condamna à mourir attaché à cette croix. Cet événement est propre à faire admirer la Providence et comprendre sa sagesse et son équité ; non seulement elle a châtié la perversité d’Aman, mais encore, en tournant contre lui le supplice même qu'il avait préparé pour un autre, elle enseigna aux hommes que le mal que l'on a machiné contre autrui retombe souvent sur la tête de son auteur.

[16] Cet eunuque est nommé Harbona dans Esther (VII, 9) (Βουγαθάν dans les Septante). Plus loin les mss. l'appellent Σαβουζάνης.

Nouvel édit d'Artaxerxés.

12. Ainsi périt Aman pour avoir abusé sans limite de sa faveur auprès du roi, et sa fortune fut donnée à la reine. Le roi appela auprès de lui Mardochée — car Esther lui avait découvert quel lien de parenté les unissait — et lui fit don du même anneau qu'il avait donné à Aman. La reine fit abandon à Mardochée des biens d'Aman et pria le roi de délivrer le peuple juif de toute crainte pour son existence, en lui montrant l'ordre envoyé dans tout le royaume par Aman, fils d'Amadathès. Sa patrie, en effet, détruite, et ses compatriotes morts, elle-même ne pourrait supporter la vie. Le roi lui promit qu'il n'arriverait aucun mal ni à elle ni à ceux qui lui étaient chers ; il la chargea d'écrire elle-même, au nom du roi, ce qu'elle déciderait au sujet des Juifs, de sceller ses instructions du sceau royal, et de les envoyer dans tout le royaume. Tous ceux qui prendraient connaissance de cette lettre confirmée par le sceau du roi, n'oseraient s'opposer aux ordres qu'elle contiendrait. Esther fit donc venir les secrétaires du roi et leur ordonna d'écrire, au sujet des Juifs, aux nations, aux intendants, aux gouverneurs des cent vingt-sept satrapies, depuis l'Inde jusqu'à l'Éthiopie. Cet écrit était ainsi conçu : « Le grand roi Artaxerxés aux gouverneurs et à ceux qui ont à cœur nos intérêts, salut. Il arrive souvent qu'à la suite de grands avantages et de faveurs obtenus grâce à un excès de bienveillance chez leurs bienfaiteurs, des hommes non seulement se conduisent indignement avec leurs inférieurs, mais encore ont l'audace de porter préjudice à ceux qui les ont ainsi comblés, supprimant toute reconnaissance de la part des hommes, et que, par aveuglement, tournant contre ceux mêmes à qui ils sont redevables de tout l'insolence que leur donne une prospérité inespérée, ils croient pouvoir tromper la divinité et échapper à sa justice. Quelques-uns, qui avaient reçu de leurs bienfaiteurs la direction des affaires, animés de haines personnelles, ont trompé le souverain par de faux rapports et calomnies, lui persuadant de sévir contre des hommes qui n'avaient rien fait de mal et qui faillirent périr par suite de cette colère. Et ce n'est pas sur des faits anciens ou rapportés par la tradition que notre opinion est fondée, mais sur ce qui a été audacieusement accompli sous nos yeux, en sorte que désormais nous n'écouterons plus ni calomnies, ni accusations, ni rien de ce que d’autres essaieront de nous persuader, mais que nous examinerons nous même les actions dont chacun aura été témoin, pour châtier si le rapport se trouve exact, récompenser dans le cas contraire, en nous en rapportant aux actes mêmes et non pas aux paroles. C'est ainsi qu'aujourd'hui Aman, fils d'Amadathès, de race amalécite, étranger au sang des Perses, ayant reçu chez nous l'hospitalité, a si bien su profiter de la bienveillance accordée à tous nos sujets, qu'on l'appelait mon père, qu'on se prosternait devant lui, et qu'il recevait de tous des honneurs royaux seconds seulement aux nôtres ; il ne put supporter son bonheur ni user en sage administrateur de sa grande prospérité, mais il complota de m'enlever le trône et la vie, à moi qui avais été cause de sa fortune, en demandant méchamment, et par ruse, la perte de mon bienfaiteur et sauveur Mardochée et de notre compagne dans la vie et sur le trône, Esther, et de cette façon, une fois qu'il m'aurait privé de ceux qui me sont dévoués, il espérait faire passer le pouvoir en d'autres mains. Mais moi, considérant que les Juifs, condamnés à la mort par ce misérable, ne sont pas coupables, qu'au contraire ils se gouvernent par les meilleurs principes et honorent le Dieu qui m'a conservé à moi et à mes ancêtres la royauté ; non seulement je les délivre du châtiment indiqué dans l'ordre précédent, envoyé par Aman, auquel vous ferez bien de ne pas vous conformer, mais encore je veux qu'ils soient comblés de toutes sortes d'honneurs ; quant à l'auteur des machinations dirigées contre eux, je l'ai fait mettre en croix devant la porte de Suse avec sa famille ; c'est le châtiment que lui a infligé le Dieu qui voit tout. Et je vous ordonne de répandre les copies de cette lettre dans tout le royaume, de laisser les Juifs vivre en paix sous leurs propres lois, et de les aider à tirer vengeance de ceux qui, au temps de leurs épreuves, leur ont fait du tort, le treizième jour du douzième mois, appelé Adar, le jour même fixé pour leur massacre, car Dieu, d'un jour de ruine, a fait pour eux un jour de délivrance. Que ce soit un beau jour pour ceux qui nous sont dévoués, et qu'il rappelle le souvenir du châtiment des conspirateurs. Je veux, enfin, que chaque ville et chaque peuple sache que celui qui désobéira à ces ordres sera mis à mort par le fer et par le feu. Que ces instructions soient affichées sur toute l'étendue de notre empire et qu'ils se préparent pour le jour fixé, afin de se venger de leurs ennemis ! »

Massacre des ennemis des Juifs ; institution de la fête de Pourim.

13. Les cavaliers chargés de porter ces lettres partirent aussitôt et se rendirent aux endroits fixés. Lorsque Mardochée sortit du palais revêtu d'un habit royal, portant la couronne d'or et le sceptre, en voyant les honneurs dont il était comblé par le roi, les Juifs qui habitaient Suse prirent leur part de son bonheur. La joie et la lumière de salut qu'apportaient les lettres promulguées par le roi exalta les Juifs tant de la ville que de la province, à tel point que beaucoup de gens d'autres races se firent circoncire par crainte des Juifs, afin de s'assurer ainsi la sécurité : car le treizième jour du douzième mois, que les Hébreux appellent Adar et les Macédoniens Dystros, c'est-à-dire le jour même où les Juifs devaient périr, les messagers du roi annoncèrent que les Juifs mettraient à mort leurs ennemis. Les gouverneurs des satrapies, les tyrans, les greffiers royaux[17] prodiguèrent aux Juifs les marques d'honneur ; la crainte qu'ils avaient de Mardochée les obligea à la sagesse. La lettre du roi ayant été répandue dans toute la contrée soumise à son autorité, il arriva qu'à Suse même les Juifs tuèrent environ cinq cents de leurs ennemis. Le roi fit part à Esther du chiffre des morts ; en ce qui concernait la campagne, il se demandait ce qui s’était passé. Il s'informa de la reine si elle voulait quelque chose de plus, l'assurant qu'elle serait exaucée. Esther le pria de permettre aux Juifs de traiter de même, le jour suivant, ceux qui restaient de leurs ennemis, et de faire mettre en croix les dix fils d'Aman[18]. Le roi, qui ne pouvait rien refuser à Esther, donna cette autorisation aux Juifs. Ils se rassemblèrent donc de nouveau le quatorzième jour du mois de Dystros, et tuèrent encore environ trois cents de leurs adversaires, sans toucher à rien de ce qui leur appartenait. De la main des Juifs habitant la province et les autres villes moururent soixante-quinze mille de leurs ennemis. Le massacre eut lieu le treizième jour du mois ; le jour suivant fut célébré comme une fête. De même, les Juifs de Suse se réunirent dans des banquets le quatorzième jour du mois et le lendemain. C'est pour cela qu'aujourd'hui encore tous les Juifs de la terre ont coutume de fêter ces jours-là en s'envoyant les uns aux autres des portions. Mardochée écrivit, en effet, à tous les Juifs du royaume d'Artaxerxés d'observer scrupuleusement ces journées, de les fêter, et d'en transmettre le récit à leurs descendants, afin que la fête subsistât toujours et que l'oubli n'en effaçât jamais le souvenir : car, ayant failli être exterminés par Aman ces jours-là, il était juste, puisqu'ils avaient, au contraire, échappé à ce danger et tiré vengeance de leurs ennemis, qu'ils célébrassent cet anniversaire par des actions de grâces à Dieu. C'est pour cela que les Juifs fêtent ces journées dont j'ai parlé et qu'ils appellent Phouraioi[19]. Quant à Mardochée, il resta en grand crédit et faveur auprès du roi ; il partageait le pouvoir avec lui et vivait en même temps dans l'intimité de la reine. Et la situation des Juifs fut, grâce à lui, bien meilleure qu'ils n'auraient jamais pu l'espérer.

[17] Nous lisons avec Bekker καὶ οἱ βασιλικοὶ (mss. βασιλεῖς καὶ) γραμματεῖς. Le mot τύραννοι est suspect.

[18] Josèphe a oublié de dire qu'ils avaient été préalablement massacrés par les Juifs (Esther, IX, 10).

[19] φρουρέας ou φρουραίας dans les mss., pourim en hébreu. Josèphe s'abstient de toute étymologie, trouvant sans doute contestable celle que donne le livre d'Esther.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant