Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XI

CHAPITRE VII
Le grand-prêtre Jean tue son frère Jésus ; Bagosès, général d'Artaxerxés II, son ami, le venge en profanant le Temple et en poursuivant les Juifs pendant sept ans.

Le grand-prêtre Jean tue son frère Jésus ; persécution de Bagosès.

Tels furent les événements qui se passèrent sous le règne d'Artaxerxés.

1.[1] A la mort du grand-prêtre Eliasib, son fils Judas lui succéda dans sa charge. A la mort de celui-ci, la charge passa à son fils Jean. C'est lui qui fut cause que Bagosès, général du second Artaxerxés, souilla le temple et établit sur les Juifs un impôt de cinquante drachmes qu'ils devaient payer en commun pour chaque agneau, avant leurs sacrifices journaliers. Voici la cause de cette mesure : Jean avait un frère, nommé Jésus. Bagosès, qui était son ami, lui promit de lui faire donner la dignité de grand-prêtre. Sur cette assurance, Jésus chercha querelle à Jean dans le Temple, et irrita son frère au point que celui-ci le tua ; un pareil sacrilège, commis dans le Temple, était une chose d'autant plus horrible que la victime était son frère[2] ; jamais crime si féroce, si impie, n'avait été commis ni chez les Grecs ni chez les Barbares. Mais Dieu veillait, et, pour cette raison, le peuple fut réduit en servitude et le Temple souillé par les Perses. Car Bagosès, le général d'Artaxerxés, ayant appris que le grand-prêtre des Juifs, Jean, avait tué son propre frère dans le Temple, se présenta aussitôt aux Juifs et leur dit, plein de colère : « Vous avez donc osé commettre un meurtre dans le sanctuaire ? » Comme en même temps il essayait de pénétrer dans le Temple, ils l'en empêchèrent. Mais il leur dit : « Eh ! quoi ? Ne suis-je pas plus pur que celui qui a commis un meurtre dans le Temple[3] ? », et sur ces mots, il entra. Telle fut la raison pour laquelle Bagosès poursuivit les Juifs pendant sept ans, pour la mort de Jésus.

[1] Les faits racontés dans cette section ne se trouvent que dans Josèphe et paraissent suspects. Bagosès semble le même personnage que Bagoas, ministre non d'Artaxerxés II mais d'Artaxerxés III (Ochus), et l'histoire des deux frères ennemis dans le temple ressemble singulièrement à celle d'Onias (= Jean) et de Jason (= Jésus) que nous retrouvons sous Antiochus Epiphane (cf. XII, 5). Willrich (Juden und Griechen, p. 21 et 89) suppose que tout ce récit est pris dans le Pseudo-Hécatée. Il reste vrai que sous Artaxerxés Ochus les Juifs se soulevèrent, et furent en partie déportés en Hyrcanie (Eusèbe, II, 112, Schône) ; il est possible que la révolte ait été étouffée par Bagoas, dont le nom sera ainsi devenu celui d'un persécuteur légendaire d'Israël. — Pour la succession des grands prêtres Eliasib, Judas (Joyada), Jean (Jonathan), Iaddous (Yaddoua) Josèphe est conforme (orthographe à part) à Néhémie, XII, 10-11 ; il a probablement suivi une Chronique pontificale.

[2] Nous suivons, faute de mieux, le texte de Naber : τηλικοῦτον δ' ἀσέβημα δρᾶσαι τὸν Ἰωάννην εν τῷ ἱερῷ ἦν, καὶ τὸ δεινότερον κατ' ἀδελφοῦ.

[3] ἀνῃρηκότας (Pt LE), préférable à ἀνῃρημένου des autres mss.

Sanballat et Manassé.

2.[4] Après la mort de Jean, son fils Iaddous lui succéda dans la grande-prêtrise. Il avait lui aussi un frère, nommé Manassès ; Sanaballétès, le satrape envoyé à Samarie par Darius, le dernier roi, et qui était Chouthéen de race, comme le sont aussi les Samaritains, sachant que Jérusalem était une ville florissante, dont les rois avaient jadis donné beaucoup à faire aux Assyriens et aux habitants de la Cœlésyrie, s'empressa de marier à Manassès sa fille Nicasô, dans l'espoir que cette union lui serait une garantie des bonnes dispositions du peuple juif tout entier.

[4] L'origine de cette section est peut-être Néhémie, XIII, 28 : « Un des fils de Joyada, fils d'Eliaschib le grand-prêtre, était gendre de Sanballat le Horonite ; je le chassai loin de moi ». Josèphe, ou plutôt le document qu'il a suivi, a rajeuni cet épisode d'un siècle, imaginé le nom du frère anonyme et fait de lui non le fils, mais le petit-fils de Joyada (Judas) ; il a, en outre, transformé le Horonite Sanballat, dont il est souvent question dans Néhémie, en un gouverneur perse de Samarie et lui a donné, contre toute vraisemblance, une fille au nom grec, Nicasô. Bloch (op. cit., p. 160) croit que la section tout entière est empruntée aux « Listes sacerdotales » consultées par Josèphe ; mais cela n'est pas probable.

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