Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XII

CHAPITRE IX
Mort de découragement d'Antiochus Épiphane suite à ses échecs militaires ; Antiochus Eupator lui succède. Judas Macchabée assiège la citadelle de Jérusalem, mais Antiochus fait lever une armée pour y contrevenir ; bataille de Bethzacharia ; Eléazar, l'un des frères de Judas, meurt écrasé par un éléphant ; Antiochus et son général en chef Lysias font le siège du Temple de Jérusalem ; Antiochus feint de faire la paix avec les Juifs, entre dans le Temple et en détruit les murs ; il accorde la grande-prêtrise à Alkimos, qui n'est pas de la famille des grands-prêtres.

Mort d'Antiochus Épiphane.

1.[1] Vers le même temps, le roi Antiochus, au cours de son expédition dans le haut pays, apprit qu'il y avait en Perse une ville extrêmement riche, appelée Elymaïs[2], dans laquelle se trouvait un temple magnifique d'Artémis, plein d'offrandes de toutes sortes, et un dépôt d'armes et de cuirasses que l'on croyait avoir été laissées par le fils de Philippe, Alexandre, roi de Macédoine. Alléché par cette nouvelle, il marcha sur Elymaïs, l'attaqua et en fit le siège. Mais les habitants ne se laissèrent effrayer ni par son arrivée ni par le siège ; ils se défendirent courageusement et le roi fut frustré dans son espoir : ils repoussèrent, en effet, ses attaques contre la ville, firent une sortie et le poursuivirent, si bien qu'il dut s'enfuir jusqu'à Babylone et perdit beaucoup de monde. Il était encore sous le coup de cet échec quand on vint lui annoncer la défaite des généraux qu'il avait laissés pour faire la guerre aux Juifs, et la force acquise déjà par ceux-ci. Cette déception venant s’ajouter à la précédente, il se laissa abattre par le découragement et tomba malade. La maladie se prolongeant et ses souffrances augmentant, il comprit qu'il allait mourir ; il appela alors ses amis, leur dit combien sa maladie était douloureuse et donna à entendre qu'il souffrait tous ces maux pour avoir maltraité les Juifs, pillé le Temple et méprisé Dieu ; à ces mots il expira. Aussi je m’étonne de voir Polybe de Mégalopolis, qui était un honnête homme, dire qu'Antiochus mourut pour avoir voulu piller en Perse le temple d'Artémis ; car une simple intention, non suivie d'exécution, ne mérite aucun châtiment. Si Polybe croit qu'Antiochus est mort pour une raison de ce genre, il est beaucoup plus vraisemblable de penser que c'est le pillage sacrilège du temple de Jérusalem qui causa la mort du roi. Mais sur ce point je ne veux pas engager de discussion avec ceux qui croient l'explication de l'historien mégalopolitain plus proche que la nôtre de la vérité[3].

[1] I Maccabées, 6, 1-13. Vers la fin, Polybe, peut-être à travers Nicolas. Le nom de la déesse Artémis provient déjà de Polybe.

[2] L'Elymaïde (Susiane) est une province et non une ville. Josèphe reproduit la grossière erreur de I Maccabées, 6, 1, alors qu'il lui eût été facile de se renseigner dans Polybe. De même, un peu plus loin, il fait mourir Antiochus à Babylone, tandis que Polybe (XXXI, 11) indiquait Tabae en Perse comme lieu de sa mort.

[3] Texte altéré ; nous traduisons au jugé. Ces réflexions de Josèphe coïncident presque textuellement avec celles de saint Jérôme sur Daniel, XI, 36, qui a dû s'en inspirer.

Avènement d'Antiochus Eupator.

2.[4] Antiochus, avant de mourir, appela Philippe, un de ses compagnons, et lui confia la garde du royaume ; il lui remit son diadème, ses vêtements royaux et son anneau, et le chargea de les emporter et de les remettre à son fils Antiochus, dont il le pria de surveiller l'éducation et de conserver le trône. Antiochus mourut la cent quarante-neuvième année[5]. Lysias annonça sa mort au peuple, et proclama son fils Antiochus, dont il avait lui-même la garde, roi sous le surnom d'Eupator.

[4] I Maccabées, 6, 14-17 (transcription presque littérale).

[5] 164-3 av. J.-C. (165-4 d'après Eusèbe. Ces deux dates ne sont pas nécessairement contradictoires, car il est probable que dans I Maccabées, l'année macédonienne commence en avril. Antiochus parait être mort dans le deuxième trimestre de 164).

Siège de la citadelle de Jérusalem par Judas.

3.[6] Cependant la garnison de la citadelle de Jérusalem et les Juifs transfuges molestèrent beaucoup les Juifs. Ceux qui montaient au Temple et qui voulaient sacrifier étaient aussitôt poursuivis par les soldats, qui les tuaient ; car la citadelle dominait le Temple. Judas, voyant cela, résolut de chasser la garnison, et, réunissant tout le peuple, il assiégea résolument la citadelle. C'était la cent cinquantième année du règne des Séleucides[7]. Il prépara donc des machines, éleva des terrassements, et mit tous ses efforts à s'emparer de la citadelle. Mais plusieurs des transfuges qui s'y trouvaient s'échappèrent de nuit dans la campagne, et, réunissant quelques renégats comme eux, se rendirent auprès du roi Antiochus ; ils lui demandèrent de ne pas regarder d'un œil indifférent les mauvais traitements dont les accablaient leurs compatriotes, alors qu'ils les supportaient à cause de son père, pour avoir abandonné leur culte national et l'avoir changé contre celui qu'il leur avait imposé. La citadelle risquait d'être prise par Judas et ses soldats, de même que la garnison placée par le roi, à moins qu'Antiochus n'envoyât quelque secours. A cette nouvelle, le jeune Antiochus se mit en colère, fit venir ses généraux et ses amis, et ordonna de lever des mercenaires et ceux qui, dans le royaume, étaient en âge de porter les armes. On réunit ainsi une armée d'environ cent mille hommes d'infanterie, vingt mille de cavalerie et trente-deux éléphants[8].

[6] I Maccabées, 6, 18-30.

[7] 163-2 av. J.-C.

[8] Les chiffres de Guerre sont 50.000 fantassins, 5.000 chevaux, 80 éléphants.

Combat de Bethzacharia, mort héroïque d’Eléazar.

4.[9] A la tête de ces troupes, il partit d'Antioche avec Lysias, qui avait le commandement en chef de l'armée. Arrivé en Idumée, il marcha sur Bethsoura, ville bien défendue et difficile à prendre, l'investit, et en commença le siège. Les habitants de Bethsoura résistèrent vigoureusement et incendièrent, dans des sorties, ses machines de guerre, en sorte que beaucoup de temps fut perdu à ce siège. Judas, à l'annonce de l'arrivée du roi, interrompit le siège de la citadelle, se porta à sa rencontre et posa son camp à l'entrée des défilés, en un endroit appelé Bethzacharia, distant des ennemis de soixante-dix stades[10]. Le roi, quittant Bethsoura, dirigea son armée vers le défilé et le camp de Judas, et dès le point du jour disposa ses troupes pour le combat. Il plaça les éléphants les uns derrière les autres, à cause de l'étroitesse des lieux, qui ne permettait pas de les mettre sur une seule ligne[11]. Autour de chaque éléphant s'avançaient mille fantassins et cinq cents cavaliers ; les éléphants portaient des tours élevées et des archers. Quant au reste des troupes, le roi les fit monter de chaque côté sur les collines, en plaçant les troupes légères au premier rang[12]. Puis il donna à l'armée l'ordre de pousser des cris, et s'élança contre l'ennemi, en faisant enlever les enveloppes des boucliers d'or et d'airain[13], afin qu'il en partit des reflets éblouissants ; les montagnes renvoyaient l'écho des clameurs. Cette mise en scène ne troubla nullement Judas ; il reçut les ennemis de pied ferme et tua environ six cents hommes de l'avant-garde. Son frère Eléazar, qu'on appelait Auran, voyant que le plus grand des éléphants était armé de cuirasses d'un luxe royal, et pensant que le roi le montait, se jeta de ce côté plein d'ardeur, tua plusieurs de ceux qui entouraient l'éléphant, dispersa les autres, et s'étant glissé sous le ventre de l'animal, le frappa à mort. L'éléphant en tombant sur lui l'écrasa sous son poids. C'est ainsi que mourut Eléazar après avoir vaillamment tué un grand nombre d'ennemis.

[9] I Maccabées, 6, 31-46.

[10] Ruines à une lieue au sud de Bethléhem. La distance entre ce lieu et l'ennemi (Bethsoura) est ajoutée par Josèphe.

[11] Ce détail est de Josèphe.

[12] τοὺς ψιλοὺς est une ingénieuse et vraisemblable correction de Naber (les mss. ont τοὺς φιλοὺς, « les amis de Roi ». Mais pourquoi ne seraient-ils qu'aux ailes ?).

[13] Le détail des enveloppes ôtées est de Josèphe, mais parfaitement conforme à la pratique militaire de l'époque. Cf. Plutarque, Lucullus, 27.

Siège du Temple par Lysias.

5.[14] Judas, voyant la force des ennemis, se retira à Jérusalem et se prépara à soutenir un siège[15]. Antiochus envoya une partie de son armée contre Bethsoura pour s'en emparer et vint lui-même à Jérusalem avec le reste. Les habitants de Bethsoura, effrayés de la force de l'ennemi et voyant leurs ressources s'épuiser, se rendirent sur le serment qu'ils n'auraient à supporter aucun mauvais traitement de la part du roi. Antiochus, une fois la ville prise, se borna à les chasser désarmés de la ville, où il mit garnison. Mais le siège du Temple de Jérusalem l'arrêta longtemps, grâce à la vigoureuse résistance des Juifs qui y étaient enfermés. A chaque machine par laquelle le roi essayait de les surprendre, ils en opposaient une de leur côté. Cependant la nourriture leur faisait défaut : leurs approvisionnements de blé étaient épuisés, et la terre cette année-là n'avait pas été labourée, car c'était la septième année, pendant laquelle la loi nous prescrit de laisser reposer le sol, et l'on n'avait pas ensemencé. Beaucoup des assiégés s'enfuirent donc parce qu'ils manquaient du nécessaire, en sorte qu'il n'en resta plus qu'un petit nombre dans le Temple.

[14] I Maccabées, 48-54.

[15] Guerre est plus explicite : Judas est battu et se retire, non à Jérusalem, mais dans la toparchie de Gophna. Ce dernier renseignement résulte d'ailleurs peut-être d'une confusion avec les évènements racontés plus loin, X, 5.

6.[16] Telle était la situation des Juifs assiégés dans le Temple. Mais Lysias, le général en chef, et le roi Antiochus, à la nouvelle que Philippe arrivait de Perse avec l'intention manifeste de s'emparer du pouvoir pour lui-même, résolurent d'abandonner le siège et de marcher contre lui ; ils ne voulurent[17] cependant pas dévoiler leur projet aux soldats et aux chefs. Le roi ordonna donc à Lysias de prendre la parole en sa présence et devant les chefs assemblés, et, sans rien dire de Philippe, de déclarer que le siège menaçait de traîner en longueur, que le Temple était bien fortifié, que les vivres allaient manquer à l'armée ; que, d'autre part, il y avait bien des choses à régler dans le royaume ; qu'il paraissait donc préférable de traiter avec les assiégés, de faire amitié avec tout le peuple juif et de lui permettre le libre usage de ses lois nationales, dont la privation l'avait entraîné dans cette guerre ; puis de rentrer à Antioche. Ce discours de Lysias reçut l'assentiment de l'armée et des chefs.

[16] I Maccabées, 5, 55-59.

[17] Josèphe a eu sous les yeux un ms. de I Maccabées, qui donnait (comme le ms. A) le pluriel κατέσπευδον, (au lieu de κατέσπευδεν ) et il en a conclu que le roi était d'accord avec Lysias. D'après Guerre, c'est réellement à cause de la pénurie de vivres que le roi lève le siège.

Antiochus traite avec les Juifs. Alkimos grand-prêtre.

7.[18] Le roi envoya donc auprès de Judas et des assiégés, et leur offrit la paix avec la liberté de vivre conformément à leurs coutumes nationales. Les Juifs accueillirent ces propositions avec joie, et, les serments échangés et les garanties reçues, sortirent du Temple. Antiochus y entra alors, et voyant combien la place était forte, viola son serment et ordonna aux troupes qui l'accompagnaient de détruire les murs jusqu'aux fondations. Après quoi il retourna à Jérusalem, emmenant le grand-prêtre Onias, qu'on appelait aussi Ménélas. Lysias, en effet, lui avait conseillé de faire mourir Ménélas s'il voulait que les Juifs se tinssent tranquilles et ne lui créassent plus de difficultés ; car le grand-prêtre avait été seul cause de tout, pour avoir persuadé au père du roi de forcer les Juifs à quitter le culte de leurs pères. Le roi envoya donc Ménélas à Béroia, en Syrie, et le fit tuer. Il avait été grand-prêtre dix ans ; c'était un homme méchant et impie, qui, pour exercer lui-même le pouvoir, avait forcé le peuple à violer ses lois traditionnelles. Après Ménélas, Alkimos, qu'on appelait aussi Iakim, devint grand-prêtre. Le roi Antiochus cependant trouva Philippe déjà maître du pouvoir ; il lui déclara la guerre, le fit prisonnier, et le mit à mort. Lorsque le fils du grand-prêtre Onias — qui, comme nous l'avons déjà dit[19], avait été, en raison de son bas âge, laissé de côté après la mort de son père, — vit que le roi, après avoir tué son oncle Ménélas, avait donné la grande-prêtrise à Alkimos, qui n'était pas de la famille des grands-prêtres, suivant en cela le conseil de Lysias de transférer la charge de cette famille à une autre, ce jeune homme s'enfuit auprès de Ptolémée, roi d'Égypte. Celui-ci et sa femme Cléopâtre lui prodiguèrent les honneurs, et il obtint dans la province d'Héliopolis un emplacement où il bâtit un temple semblable à celui de Jérusalem. Mais nous aurons une meilleure occasion d'en parler[20].

[18] I Maccabées, 5, 60-63, seulement pour le début jusqu’à « …fondations. » et la phrase « Le roi Antiochus cependant… ». Ce qui concerne les grands-prêtres n'est pas emprunté à I Maccabées et ne s'accorde pas avec cet ouvrage, d'après lequel (7, 9) Alkimos n'aurait été nommé grand-prêtre que sous Démétrius. Telle est aussi la version de II Maccabées, (14, 13), qui ajoute toutefois (14, 3) qu'Alkimos avait déjà été grand-prêtre. Sur l'exécution de Ménélas à Béroia Josèphe s'accorde avec II Maccabées, 13, 4 suiv., sans qu'il en résulte qu'il ait connu ce livre.

[19] Supra, V, 1.

[20] Livre XIII, III, 1.

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