Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIII

CHAPITRE III
Onias, le fils du grand-prêtre Onias, avec l'accord de Ptolémée, construit le temple de Léontopolis en Égypte sur la base d'un temple ruiné ; querelle à Alexandrie entre les Juifs qui disent que le véritable temple de Dieu est le Temple de Jérusalem, et les Samaritains qui disent que c'est celui du mont Garizim.

Onias fonde le temple de Léontopolis en Égypte.

1.[1] Cependant le fils du grand-prêtre Onias, qui portait le même nom que son père, et qui s'était réfugié à Alexandrie, où il vivait auprès du roi Ptolémée, surnommé Philométor, comme nous l'avons dit plus haut[2], voyant la Judée maltraitée par les Macédoniens et leurs rois, et désireux de s'acquérir une gloire et une renommée impérissables, fit demander au roi Ptolémée et à la reine Cléopâtre la permission de construire en Égypte un temple semblable à celui de Jérusalem, et d'y installer des Lévites et des prêtres de la race voulue. Il s'appuyait surtout dans son dessein sur une prophétie du prophète Ésaïe, qui vivait plus de six cents ans auparavant et avait prédit qu'il fallait absolument qu'un temple fût bâti en Égypte au Dieu tout-puissant par un Juif[3]. Onias, enflammé par cette prophétie, écrivît la lettre suivante à Ptolémée et à Cléopâtre : « Après vous avoir rendu de nombreux et importants services à la guerre, avec l'aide de Dieu[4], après avoir parcouru la Cœlé-Syrie et la Phénicie, je suis arrivé avec les Juifs à Léontopolis, dans le nome d'Héliopolis[5], et en divers autre lieux habités par notre peuple ; j'ai trouvé presque partout des sanctuaires élevés contre toute convenance, ce qui indispose les fidèles les uns contre les autres[6] ; c'est ce qui est arrivé aussi aux Égyptiens, parce qu'ils ont trop de temples et ne s'entendent pas sur le culte. Ayant donc rencontré, dans la forteresse qui porte le nom de la Boubastis Sauvage, un endroit à souhait, foisonnant de bois de toutes sortes, plein d'animaux sacrés, je vous prie de me permettre de nettoyer et purifier le temple abandonné et écroulé qui s'y trouve, et de le relever en l'honneur du Dieu tout-puissant, à l'image de celui de Jérusalem et sur les mêmes mesures, sous l'invocation de toi, de ta femme et de tes enfants ; de cette façon, les Juifs qui habitent l'Égypte, trouvant là un lieu où ils pourront se réunir dans une mutuelle concorde, serviront tes intérêts. Car le prophète Ésaïe a prédit ceci : il y aura en Égypte un autel de sacrifices consacré au Dieu notre maître ; et cet endroit lui a inspiré beaucoup d'autres prophéties pareilles. »

[1] La source des sections 1-3 est inconnue, mais doit être un document hostile à la création d'Onias. Ni la lettre d'Onias ni la réponse du roi ne sont authentiques. Il faut rapprocher le récit parallèle de la Guerre, VII, X, 3, qui diffère de celui-ci par plusieurs détails. Cf. sur ces textes Büchler, Tobiaden und Oniaden, p. 239 suiv. dont les hypothèses sont toutefois invraisemblables.

[2] Livre XII, IX, 7.

[3] Isaïe, XIX, 19 : « En ce jour-là il y aura un autel à l'Éternel au milieu du pays d’Égypte et un monument dressé sur sa frontière. » On sait que ce texte est suspect d'interpolation.

[4] Cette phrase semble prouver qu'il faut identifier notre Onias IV avec Onias, général de Ptolémée Philométor et de Cléopâtre, mentionné dans le C. Apion, II, 5.

[5] La seule ville connue du nom de Léontopolis était le chef-lieu d'un nome distinct ; il semble donc qu'il s'agisse ici d'une autre ville du même nom, qui n'est pas autrement connue. Toute la phrase est d'ailleurs suspecte d'altération. — Sur l’emplacement présumé du temple d'Onias, cf. Schürer, III3, p. 97 suiv. Josèphe indique ailleurs (Guerre, VII) qu'il était à 180 stades de Memphis.

[6] S'agit-il ici de synagogues ou bien de lieux de sacrifices, dont il n'est question nulle part ailleurs ? S'agit-il même des Juifs ?

2. Voilà ce qu'écrivit Onias à Ptolémée. On jugera de la piété du roi ainsi que de sa sœur et épouse Cléopâtre d'après la lettre qu'ils lui répondirent : ils rejetèrent, en effet, sur la tête d'Onias la faute et la violation de la loi ; voici leur réponse :

« Le roi Ptolémée et la reine Cléopâtre à Onias, salut. Nous avons lu la supplique par laquelle tu nous demandes la permission de relever à Léontopolis, dans le nome d'Héliopolis, un temple ruiné, appelé temple de Boubastis Sauvage. Nous nous demandons si ce temple bâti dans un lieu impur et plein d'animaux sacrés sera agréable à Dieu. Mais puisque tu dis que le prophète Ésaïe a prédit cet événement depuis longtemps, nous te donnons cette permission, si elle ne doit avoir rien de contraire à la loi : car nous ne voulons paraître coupables d'aucune faute envers Dieu. »

3. Onias prit donc possession de ce lieu, et y construisit à Dieu un temple et un autel semblable à celui de Jérusalem, mais plus petit et moins riche. Je ne crois pas utile d'en décrire ici les dimensions et le mobilier, car je l'ai fait dans mon septième livre des Guerres des Juifs[7]. Onias trouva, de plus, des Juifs semblables à lui, des prêtres et des lévites pour célébrer le culte. Mais ces détails suffisent au sujet de ce temple.

[7] Guerre, VII, X, 3.

Querelle des Juifs et des Samaritains à Alexandrie.

4.[8] Il arriva que la division se mit à Alexandrie entre les Juifs et les Samaritains, qui honoraient le temple du mont Garizim, bâti du temps d'Alexandre ; ils portèrent leur différend au sujet de leurs temples devant Ptolémée lui-même, les Juifs prétendant que le temple construit suivant les lois de Moïse était le Temple de Jérusalem, les Samaritains celui du mont Garizim. Ils prièrent le roi de tenir un conseil avec ses amis pour y écouter leurs discours sur ce point, et de punir de mort ceux qui auraient le dessous. Sabbaios parla pour les Samaritains, avec Théodosios ; Andronicos, fils de Messalamos, pour les habitants de Jérusalem et les Juifs. Ils jurèrent par Dieu et par le roi de donner des preuves tirées de la loi, et prièrent Ptolémée, si l'un d’eux était pris à violer son serment, de le faire mourir. Le roi réunit donc en conseil un grand nombre de ses amis et prit place pour entendre les orateurs. Les Juifs qui se trouvaient à Alexandrie s'agitaient fort au sujet des hommes qui attaquaient le temple de Jérusalem[9] ; car il leur aurait été pénible que l'on détruisit ce Temple si ancien, le plus illustre de toute la terre. Sabbaios et Théodosios cédèrent à Andronicos le droit de parler en premier. Celui-ci commença à tirer ses arguments de la loi, et de l'ordre de succession des grands-prêtres, qui de père en fils s'étaient transmis la charge et l'administration du Temple ; il rappela que tous les rois d'Asie avaient honoré le Temple d'offrandes et de dons magnifiques, tandis que, pour ce qui était du temple de Garizim, personne n'en avait pris souci ni cure, comme s'il n'existait même pas. Par ces arguments et bien d'autres du même genre, Andronicos persuada le roi de décider que le temple construit suivant la loi de Moïse était le Temple de Jérusalem, et de faire mettre à mort Sabbaios et Théodosios. Telles furent les événements relatifs aux Juifs d'Alexandrie qui se passèrent sous Ptolémée Philométor.

[8] Source inconnue. La querelle, qui était chronique (livre XII, I, 1), et peut-être les noms des orateurs (ou des pamphlétaires ?) semblent authentiques, mais le reste est du roman. Cf. Büchler, op. cit., p. 252 suiv. dont nous n'acceptons pas, d'ailleurs, l'interprétation plus que téméraire.

[9] Le texte paraît altéré.

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