Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIV

A partir du livre XIV jusqu'à la mort d'Hérode (XVII, 8, 4) la source principale de Josèphe est le grand ouvrage de Nicolas de Damas, qui pour cette période, avait une valeur de premier ordre. Nicolas était un peu suspect de partialité envers Hérode (dont il avait été secrétaire) et envers le père de celui-ci, Antipater, mais son récit était d'ailleurs exact et très détaillé ; Josèphe paraît l'avoir suivi de très près, en se bornant à corriger de temps à autre ses appréciations trop favorables aux Iduméens et en ajoutant quelques anecdotes édifiantes empruntées à la tradition rabbinique. Les chapitres correspondants de la Guerre dérivent de la même source et présentent quelquefois des détails omis dans les Antiquités. Voir sur tous ces points Destinon. op. cit., p. 91 suiv. — Le livre XIV des Antiquités correspond, dans la Guerre, à I, § 120-357.

CHAPITRE I
Guerre civile entre Hyrcan et Aristobule ; Hyrcan cède la couronne à son frère ; Antipater, ami d'Hyrcan, calomnie Aristobule auprès des Juifs ; sur les instances d'Antipater, Hyrcan se réfugie à Pétra chez Arétas, le roi des Arabes, en lui promettant de lui restituer le territoire et les douze villes que son père Alexandre avait enlevées aux Arabes, s'il l'aidait à recouvrer son trône.

Préambule.

1. Nous avons rapporté dans le livre précédent l'histoire de la reine Alexandra et sa mort nous raconterons maintenant les évènements qui suivirent et s’y rattachent, attentifs avant tout à n'en omettre aucun, soit par ignorance, soit par paresse. Car si le récit et l'explication de faits inconnus de la plupart, en raison de leur ancienneté, réclament, dans l'exposition, tout le charme qui peut résulter du choix des mots, de leur arrangement, et de ce qui peut ajouter au style quelque ornement, afin que le lecteur trouve à s'instruire agrément et plaisir, toutefois les historiens doivent avant tout viser à l'exactitude et considérer comme leur premier devoir de dire la vérité à ceux qui, ignorant les faits, s'en rapportent entièrement à eux[1].

[1] La solennité un peu ridicule de cet exorde semble bien indiquer que Josèphe aborde ici une nouvelle division de son histoire, caractérisée par l'emploi presque exclusif d'un seul auteur, Nicolas de Damas.

Guerre civile entre Hyrcan II et Aristobule II. Aristobule roi.

2. Hyrcan monta sur le trône la troisième année de la 177e Olympiade, sous le consulat de Quintus Hortensius et de Quintus Metellus, surnommé Creticus[2]. Aristobule lui fit aussitôt la guerre et, au cours d'une bataille livrée près de Jéricho, nombre des soldats d'Hyrcan passèrent dans le camp de son frère. Hyrcan se réfugia dans la citadelle, où la femme et les enfants d'Aristobule avaient été enfermés par sa mère, comme nous l'avons dit[3]. Il attaqua et fit prisonniers ceux de ses adversaires qui s'étaient enfuis dans l'enceinte du temple[4]. Puis il entra en pourparlers avec son frère et traita avec lui : il s'engageait à cesser les hostilités et consentait qu'Aristobule fût roi et que lui-même vécût sans se mêler aux affaires, en jouissant tranquillement de sa fortune. Ce traité fut juré sur les objets sacrés conservés dans le sanctuaire et confirmé par des serments qu'ils prêtèrent la main dans la main ; puis, après s'être embrassés en présence de tout le peuple, ils se retirèrent, Aristobule, dans le palais, Hyrcan, devenu simple particulier, dans l'ancienne maison d'Aristobule.

[2] Cette date consulaire correspondrait, en effet, à 69 av. J.-C. (Ol. 177.3 = 70-69), mais elle est inconciliable avec la suite du récit qui montre qu'entre l'avènement d'Hyrcan et la déposition d'Aristobule par Pompée (63) il ne s'est écoulé que 3 ans et 9 mois (XV, 180 et XIV, 97). Niese (Hermes, XXVIII, 216 suiv.) suivi par Schürer (I2, 257) en a donc conclu que la date consulaire, peut-être empruntée au manuel de Castor, est fausse et doit être remplacée par 67 av. J.-C.

[3] Livre XIII, XVI, 5.

[4] Ce renseignement paraît bien suspect. Guerre, § 121, dit avec plus de vraisemblance qu'Hyrcan prit comme otages la femme et les enfants d'Aristobule et s'en servit pour traiter.

Intrigues de l'Iduméen Antipater auprès d'Hyrcan et d'Arétas.

3. Il y avait alors un ami d'Hyrcan, Iduméen, appelé Antipater, possesseur d'une grande fortune, homme entreprenant par nature et remuant, mal disposé pour Aristobule et brouillé avec lui à cause de son dévouement pour Hyrcan. Nicolas de Damas dit qu'il appartenait à l'une des premières familles juives revenues de Babylone en Judée : mais il le dit pour plaire au fils d'Antipater, Hérode, devenu roi des Juifs à la suite d'événements que nous raconterons le moment venu[5]. Cet Antipater s'était appelé d'abord Antipas ; c'était là aussi le nom de son père[6], qui, nommé par le roi Alexandre et sa femme gouverneur de toute l'Idumée, avait, dit-on, fait amitié avec les Arabes limitrophes et les habitants de Gaza et d'Ascalon, gagnés par ses riches présents. Antipater le jeune, voyant donc d'un mauvais œil Aristobule, devenu le maître, et craignant que la haine qu'il avait pour celui-ci ne lui attirât des ennuis, conspira secrètement contre ce roi et s'aboucha avec les plus influents des Juifs ; il était injuste, disait-il, qu'on supportât qu’Aristobule gardât injustement le pouvoir, après l'avoir arraché à son frère, plus âgé que lui, auquel le trône appartenait par droit d'aînesse. Et constamment il tenait ces mêmes propos à Hyrcan lui-même, ajoutant que la vie de celui-ci était en danger s'il ne se gardait et ne se mettait à l'abri ; car les amis d'Aristobule, disait-il, ne laissaient passer aucune occasion de lui conseiller de tuer son frère, l'assurant qu'il affermirait ainsi son pouvoir. Hyrcan n'ajoutait pas foi à ces discours, car il était d'un naturel honnête, et sa loyauté n'admettait pas facilement la calomnie. Son éloignement des affaires et sa douceur le faisaient même regarder comme dégénéré et dépourvu de virilité. Aristobule, d'un tempérament tout opposé, était actif et d'esprit éveillé.

[5] Dans la Guerre, § 124, Josèphe parlait au moins de la « noblesse » d'Antipater (προγόνων θ' ἕκεκα etc.)

[6] D'après Jules Africain il s'appelait Hérode et était hiérodule d'Apollon à Ascalon.

4. Lorsqu'Antipater vit qu'Hyrcan ne prêtait aucune attention à ses discours, il ne laissa plus passer un seul jour sans calomnier auprès de lui Aristobule, qu'il accusait de vouloir tuer son frère ; enfin, à force de le presser, il le décida par ses conseils à se réfugier auprès d'Arétas, roi des Arabes : il lui promettait, s'il l'écoutait, d'être lui-même son allié. Hyrcan, sur ces assurances, pensa qu'il était de son intérêt de s'enfuir auprès d'Arétas[7] : l'Arabie est, en effet, limitrophe de la Judée. Il envoya d'abord Antipater auprès du roi des Arabes, pour recevoir des assurances qu'il ne le livrerait pas à ses ennemis s'il venait auprès de lui en suppliant. Antipater, dès qu'il eut reçu ces garanties, revint à Jérusalem, auprès d'Hyrcan. Puis, peu de temps après, il sortit avec lui de la ville pendant la nuit, et l'amena, après un long voyage, à Pétra : c'est le nom de la ville où se trouvait le palais d'Arétas. Comme il était grand ami du roi, il lui demanda de ramener Hyrcan en Judée ; et grâce à ses instances, qu'il renouvelait chaque jour sans se lasser, grâce aussi à ses présents, il décida Arétas. Hyrcan cependant promit à celui-ci, s'il le ramenait et lui rendait la royauté, de lui restituer le territoire et les douze villes que son père Alexandre avait enlevées aux Arabes : c'étaient Médaba, Libba, Nabalôth, Rabatha, Agalla, Athôné, Zôara, Oronas, Marissa, Rhydda, Lousa, Oryba[8].

[7] Le texte est corrompu. Je lirais volontiers : ὅ τε ταῦτ' ἀκούων συμφέρειν ἠγεῖτο (ἦν ἐπὶ τὸ mss.) πρὸς τὸν Ἀρέταν ἀποδρᾶναι

[8] Des douze villes ici nommées, quatre figurent dans l'énumération des conquêtes d'Alexandre Jannée (XIII, 396) en Moabitide : Médaba, Lemba (= Libba), Oronas, Zara (= Zôara). En outre Athôné est probablement identique à Telithôna de ce dernier texte. Le reste est inconnu sauf Marissa qui ne saurait être la ville iduméenne bien connue. Voir sur ces questions difficiles Tuch, Quaestiones de Fl. Josephi libris historicis, p. 15 suiv.

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