Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIV

CHAPITRE V
Scaurus pille l'Arabie d'Arétas ; Arétas lui paye une indemnité pour que le conflit cesse ; révolte et défaite d'Alexandre, le seul fils d’Aristobule qui s'était enfui et n'avait pas été déporté à Rome ; Gabinius, le gouverneur romain de Syrie, marche sur la Judée et fait reconstruire et repeupler nombre de villes ; il confie la garde du Temple à Hyrcan et instaure en Judée un gouvernement aristocratique à la place d'un gouvernement monarchique.[1]

Scaurus soumet Arétas.

1. Scaurus fit une expédition contre Pétra, en Arabie. La ville étant d'un accès très difficile, il se mit à piller le pays environnant. Comme l'armée souffrait de la famine, Antipater, sur l'ordre d'Hyrcan, lui fournit du blé, pris en Judée, et tous les approvisionnements dont il avait besoin. Envoyé par Scaurus comme ambassadeur à Arétas, en raison de leurs relations d'hospitalité, il persuada celui-ci de payer une indemnité pour éviter le ravage de son territoire et se porta lui-même garant pour trois cents talents. A ces conditions Scaurus mit fin à la guerre, ce qu'il désirait lui-même autant qu’Arétas.

[1] Ce chapitre correspond à Guerre, I, § 159-170.

Révolte et défaite d'Alexandre, fils d’Aristobule. Gabinius réorganise la Judée.

2. Quelque temps après, comme Alexandre, fils d'Aristobule, faisait des incursions en Judée, Gabinius vint de Rome en Syrie comme gouverneur[2]. Entre autres exploits remarquables, il fit la guerre à Alexandre, auquel ne pouvait plus résister Hyrcan. Alexandre[3] avait même essayé de relever les murs de Jérusalem, détruits par Pompée ; mais les Romains qui se trouvaient dans la ville l'en empêchèrent. Il parcourut alors tout le pays à l'entour, arma nombre de Juifs, et réunit promptement dix mille hoplites et quinze cents cavaliers, puis il fortifia Alexandreion, place voisine de Corées, et Machairous, près des monts d'Arabie. Gabinius marcha donc contre lui, après avoir envoyé en avant Marc Antoine et d'autres officiers ; ceux-ci armèrent les Romains qui les suivaient, ainsi que les Juifs soumis que commandaient Peitholaos et Malichos, et renforcés des gardes d’Antipater, ils se portèrent à la rencontre d'Alexandre. Gabinius les suivait avec la grosse infanterie. Alexandre se retira près de Jérusalem ; on en vint aux mains, et dans le combat, les Romains tuèrent environ trois mille ennemis, et en firent autant prisonniers.

[2] 57 av. J.-C., dans l'intervalle la Syrie avait eu pour gouverneur Marcius Philippus et Lentulus Marcellinus (Appien, Syr., 51). C’est à tort que dans la Guerre Gabinius est donné pour successeur immédiat (διάδοχος) de Scaurus.

[3] D'après la construction et peut-être dans la pensée de Josèphe c'est Hyrcan qui aurait tenté de relever les murs de Jérusalem, mais il s'agit sûrement d’Alexandre. On voit plus bas qu'Hyrcan avait été chassé de Jérusalem.

3. Cependant Gabinius marcha sur Alexandreion[4] et invita la garnison à se rendre, avec promesse d'amnistie[5]. Comme un corps nombreux d'ennemis campait sous les murs de la place, les Romains s'avancèrent contre eux ; Marc Antoine se distingua dans le combat et en tua un grand nombre, au point qu'il parut remporter le prix de la valeur. Gabinius laissa une partie de son armée pour achever de réduire la place, et parcourut lui-même le reste de la Judée ; chaque fois qu'il rencontrait sur sa route quelque ville détruite, il en ordonnait la reconstruction. Ainsi furent relevées Samarie, Azôlos, Scythopolis, Anthédon, Raphia, Adora[6], Marissa, Gaza et beaucoup d'autres villes[7]. Et comme les populations obéissaient aux ordres de Gabinius, des villes restées longtemps désertes purent être repeuplées en toute sécurité.

[4] Pour Alexandreion voir le chapitre III, 4, la note sur Corées. Machairous, aujourd'hui Mkaour, à l'E. de la mer Morte, avait déjà été fortifiée par Alexandre Jannée (Guerre, VII, 6, 2 ; βασιλεὺς Ἀλέξανδρος ne peut désigner que Jannée). A moins d'admettre que ces deux places eussent été démantelées par Pompée lorsqu'Aristobule lui livra toutes ses forteresses ; on voit donc que Josèphe se trompe ici en attribuant leur fortification à Alexandre. Outre ces deux forteresses, Guerre nomme Hyrcaneion, dont le site est inconnu et dont il sera parlé sous le nom d'Hyrcania au § 4 ci-dessous.

[5] Josèphe oublie de dire qu’Alexandre s’était réfugié dans la place (Guerre).

[6] Les mss. ont Dora, mais la leçon Adora (Niese) est justifiée : 1° par Ἀδώρεος de Guerre ; 2° par le rapprochement avec Marissa, qui se retrouve dans le livre XIII, X, 1. Il s'agit de la ville d'Idumée à l'O. d'Hébron. aujourd'hui Doura.

[7] Guerre ajoute à la liste Apollonia, Iamnée et Gamala, mais omet Gaza.

4. Après avoir pris ces mesures dans le pays, Gabinius revint à Alexandreion ; et comme il poussait activement le siège, il reçut un envoyé d'Alexandre qui faisait implorer le pardon de ses torts et lui livra les places fortes d'Hyrcania, de Machairous et enfin d'Alexandreion. Gabinius rasa ces places ; puis, comme la mère d'Alexandre était venue auprès de lui — elle avait pris parti pour les Romains, qui détenaient à Rome son mari et ses enfants —, il lui accorda ce qu'elle demandait[8], et quand il eut réglé cette affaire, il ramena Hyrcan à Jérusalem pour lui confier la garde du Temple. Il établit ensuite cinq Conseils[9] et partagea le peuple en cinq fractions égales ; ces Conseils siégeaient respectivement à Jérusalem, à Gazara[10], à Amathonte, à Jéricho, et à Sepphoris en Galilée. C'est ainsi que les Juifs, délivrés du gouvernement monarchique, furent organisés en aristocratie.

[8] C'est-à-dire sans doute la grâce d'Alexandre. On peut soupçonner que Gabinius se laissa convaincre par des raisons sonnantes.

[9] συνέδρα. Le sens de ce mot a été bien vu par Unger, Sitzungsb. de Munich, 1897, p. 191 suiv. Guerre 6, 170 a σύνοδοι, qui est moins clair. Schürer croit qu’il s'agit de simples circonscriptions judiciaires : en réalité, Gabinius brisa l'unité politique de la Judée ; c'est ce qui explique les insurrections répétées qui se produisirent.

[10] Les mss. ont Γάδαρα, mais il s'agit sûrement de Gazara (Gezer) au S.-O. de la Judée ; cf. livre XII, VII, 4.

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