Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XIV

CHAPITRE XVI
Hérode et le Romain Sossius s'emparent de Jérusalem dans un bain de sang ; Antigone est enchaîné et mis en prison ; Hérode décide Antoine, à prix d'argent, à tuer Antigone : c'est la fin de la dynastie des Asmonéens qui avait duré cent vingt-six ans.[1]

Arrivée de Sossius.

1. Après son mariage, il vit arriver par la Phénicie Sossius, qui avait envoyé le gros de ses troupes par l'intérieur ; le général lui-même amenait bon nombre de chevaux et d'infanterie[2]. Le roi revint de son côté de Samarie avec des forces considérables — environ trente mille hommes — qui renforcèrent les anciennes. Toutes ces troupes furent réunies devant Jérusalem et campèrent au pied du mur nord de la ville : il y avait onze légions d'infanterie, six mille cavaliers, sans compter des auxiliaires venus de Syrie ; les deux chefs étaient Sossius, envoyé par Antoine en qualité d'allié, et Hérode, qui combattait pour son propre compte, afin d'enlever le pouvoir à Antigone, déclaré ennemi à Rome, et de le remplacer sur le trône, conformément au décret du Sénat.

[1] Guerre, I, § 345-357.

[2] Texte très douteux.

Siège et prise de Jérusalem par Sossius et Hérode.

2. C'est avec beaucoup d'ardeur et d'acharnement — comme on pouvait l'attendre de tout un peuple réuni — que les Juifs, enfermés dans leurs murailles, résistaient à Hérode ; ce n'étaient au sujet du Temple que prédictions favorables, assurances de bon augure pour le peuple, que Dieu allait délivrer du danger. On avait enlevé tout ce qui se trouvait hors de la ville, afin de ne même pas laisser de quoi nourrir les hommes ou les bêtes, et par de secrets brigandages on affamait l'ennemi. Hérode s'en rendit compte. Pour arrêter les déprédations, il établit des embuscades dans les endroits les plus favorables ; pour se procurer des ressources, il envoya des détachements armés, qui lui ramenèrent de loin des vivres ; en peu de temps l'armée fut fournie en abondance de tout ce dont elle avait besoin. En même temps, les trois terrassements, auxquels de nombreux soldats travaillaient sans relâche, s'élevaient sans encombre ; c'était l'été, et aucun obstacle ne vint, ni de la saison, ni des travailleurs, retarder leur achèvement. On y installa les machines, on ébranla les murs, et on mit en œuvre tous les moyens. Les assiégés ne se laissaient cependant pas effrayer ; à toutes les tentatives des assiégeants ils ripostaient de leur côté, incendiant dans des sorties les ouvrages à moitié terminés ou même achevés, et dans les engagements faisant preuve d'autant d’audace que les Romains, mais inférieurs par la science de la guerre. Contre les machines, ils élevaient de nouveaux murs, quand les premières constructions étaient renversées ; ils se glissaient sous terre à la rencontre de l'ennemi et combattaient ses mineurs. Par une lutte désespérée plutôt que méthodique, ils résistèrent ainsi jusqu'au bout, bien qu'investis par une armée considérable, et souffrant de la faim et du manque de toutes les choses nécessaires : car c'était précisément l'année sabbatique[3]. Le mur fut enfin escaladé d'abord par vingt hommes choisis, puis par les centurions de Sossius : le premier mur fut pris en quarante jours, le second en quinze[4]. Quelques-uns des portiques qui entouraient le Temple furent incendiés, et Hérode, pour attirer sur Antigone la haine des Juifs, l'accusa faussement d'y avoir mis le feu. Quand les abords du Temple et la ville basse furent aux mains de l'ennemi, les Juifs se réfugièrent dans l'intérieur du Temple et dans la ville haute[5] ; et craignant d'être empêchés par les Romains d'offrir à Dieu les sacrifices quotidiens, ils leur firent demander par des envoyés l'autorisation d'introduire des victimes seulement. Hérode, persuadé qu'ils allaient se rendre, la leur accorda. Mais quand il vit que la soumission attendue ne se faisait pas, que, tout au contraire, les assiégés résistaient vigoureusement pour défendre la royauté d'Antigone, il attaqua la ville et la prit de force. Ce fut alors un carnage général : les Romains étaient irrités des lenteurs du siège, et les Juifs de l'armée d'Hérode ne voulaient laisser vivant aucun de leurs adversaires. On égorgea les malheureux entassés dans d'étroites ruelles, dans les maisons ou réfugiés dans le Temple ; il n'y eut ni pitié pour les enfants et les vieillards, ni ménagement pour la faiblesse des femmes. Quoique le roi eût envoyé de tous côtés l'ordre de faire preuve de modération, personne ne voulut s'arrêter de frapper ; les soldats, comme des furieux, massacrèrent tout, sans distinction d'âge. Antigone, perdant tout sentiment de sa situation passée et présente, descendit de la tour Bans et vint se jeter aux pieds de Sossius ; celui-ci, sans pitié pour l'infortune où il était tombé, l'insulta sans retenue, l'appelant Antigona ; mais au lieu de le renvoyer libre comme une femme, il le fit enchaîner et mettre en prison.

[3] Ainsi l'année octobre 38-37 était sabbatique. Le manque de vivres ne dut se faire sentir qu'après le premier semestre de 37, lorsque la récolte de 38 était consommée. Cf. Schürer, I3, p. 35.

[4] Quel est le terminus a quo ? l'achèvement des terrassements ?

[5] Rappelons que le Temple et la ville basse formaient la colline E., la ville haute la colline O.

3. Hérode se préoccupa, une fois ses ennemis vaincus, de se faire respecter aussi par ses alliés étrangers, qui se précipitaient en foule pour voir le Temple et les objets sacrés qu'il renfermait. Le roi, par ses prières ou ses menaces, au besoin même par la force, parvint à les contenir ; car il jugeait que sa victoire serait plus regrettable qu'une défaite, s'ils voyaient quelqu'une des choses qu'il leur était interdit de voir. Il empêcha le pillage de la ville, par ses réclamations énergiques auprès de Sossius, demandant si les Romains, en vidant la ville d'hommes et d'argent, voulaient le faire roi d'un désert, et déclarant que l'empire même du monde ne serait qu'une faible compensation pour le meurtre de tant de citoyens. Sossius lui répondit que le pillage était pour les soldats un juste dédommagement des fatigues du siège. Hérode se déclara alors prêt à les indemniser tous sur ses propres biens. Il racheta ainsi ce qui restait de la ville et tint sa promesse : les soldats furent récompensés brillamment, les officiers à proportion ; Sossius lui-même reçut un cadeau vraiment royal ; tous ainsi purent partir comblés de richesses.

Supplice d'Antigone. Fin de la dynastie hasmonéenne.

4. Cette catastrophe s'abattit sur Jérusalem sous le consulat de Marcus Agrippa et de Caninius Gallus, en la cent quatre-vingt-cinquième olympiade, le troisième mois, pendant la fête du jeûne comme une sorte de retour anniversaire du malheur qui avait frappé les Juifs sons Pompée : car la ville fut prise par Hérode le même jour, vingt-sept ans plus tard[6]. Sossius, après avoir consacré à Dieu une couronne d'or, partit de Jérusalem, emmenant vers Antoine Antigone prisonnier. Mais Hérode craignit qu'Antigone, s'il était gardé par Antoine et emmené par lui à Rome, ne plaidât sa cause devant le Sénat, faisant valoir qu'il était le descendant des rois, tandis qu'Hérode n'était qu'un simple particulier ; que, par suite, le trône, par droit de race, revenait à ses enfants, même s'il avait été lui-même coupable envers les Romains. Redoutant ces réclamations, il décida Antoine, à prix d'argent, à tuer Antigone et fut alors délivré de souci. Ainsi finit la domination de la race d'Asamonée, qui avait duré cent vingt-six ans[7]. Cette famille avait jeté un vif éclat ; elle devait son illustration tant à la noblesse de sa race, qu'à la grande-prêtrise dont ses membres étaient revêtus et à toutes les grandes choses que ses ancêtres avaient accomplies pour la nation. Elle perdit le pouvoir par ses dissensions intestines, et la royauté passa à Hérode, fils d'Antipater, qui appartenait à une famille d'origine populaire, simples particuliers, sujets des rois. Telle fut, d'après ce qui nous a été transmis, la fin de la race des Asamonéens.

[6] Nous avons vu (IV, 3) que la ville fût prise par Pompée l'an 63, « le troisième mois, le jour du jeûne » ; l'an 37 est bien la 27e année après 63. Mais ici comme là, Josèphe parait avoir été induit en erreur par sa source païenne qui a pris le sabbat pour un jour de jeûne ; Dion Cassius, XLIX, 22, dit formellement que Sossius prit la ville ἐν τῇ τοῦ Κρόνου ἡμερᾳ. Pour l'année, le témoignage de Josèphe doit sûrement être préféré à celui de Dion, qui place l'évènement encore sous les consuls de l'an 38 (XLIX, 23). Quant au « 3e mois » on ne peut faire que des conjectures ; on serait tenté d'entendre le 3e mois du siège si nous ne savions par ailleurs (Guerre) qu'il a duré 5 mois, probablement de février à juin 37. Voir la discussion et la bibliographie abondante de cette question dans Schürer, I3, p. 358 suiv.

[7] 126 ans à remonter de 37 av. J.-C. mènent à l'année 163 ou 162 av. J.-C., un ou deux ans avant la mort de Judas Macchabée. On ne voit pas bien quel événement précis Josèphe a en vue.

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