Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VII

CHAPITRE VII
Hérode fait ouvrir le tombeau de David, il n'y trouve pas d'argent, mais des ornements d'or et de joyaux ; Antipater continue à accuser ses frères, les fils de Mariamne ; soucis domestiques du roi, en particulier avec son frère Phéroras ; aventures de Salomé avec l’Arabe Syllaios, l'administrateur du roi d’Arabie ; leur mariage est avorté ; réconciliation d'Hérode avec Phéroras.

Hérode ouvre le sépulcre de David.

1. Hérode, qui faisait de grandes dépenses à la fois pour l’extérieur et l’intérieur de son royaume, avait appris assez vite[1] que le roi Hyrcan, un de ses prédécesseurs, avait ouvert le tombeau de David[2] et y avait pris trois mille talents, mais qu’il en restait bien d’avantage, de quoi suffire largement à ses dépenses somptuaires. Depuis longtemps il projetait cette entreprise. Ayant donc fait ouvrir de nuit le tombeau, il y entre, en prenant soin que la ville le sût le moins possible, mais en se faisant accompagner des plus sûrs de ses amis. Il ne trouva pas, comme Hyrcan, des sommes d’argent, mises en réserve, mais beaucoup d’ornements d’or et de joyaux, qu’il enleva tous. Il s’efforça, pour faire une recherche plus approfondie, de s’avancer plus à l’intérieur et, jusqu’aux sarcophages qui renfermaient les corps de David et de Salomon. Mais deux de ses gardes périrent, par l’effet d’une flamme qui, à ce qu’on raconte, jaillit de l’intérieur à leur entrée ; lui-même se retira épouvanté. Comme monument expiatoire de sa terreur, il éleva à la porte du sépulcre un monument de marbre blanc d’un grand prix. Nicolas l’historien, son contemporain, mentionne bien cette construction, mais non pas la descente du roi dans le tombeau, parce qu’il se rendait compte que cet acte lui faisait peu d’honneur. D’une manière générale, c’est ainsi qu’il en use constamment dans son ouvrage : comme il vivait dans le royaume d’Hérode et était de ses familiers, il a écrit pour le servir et le flatter en ne racontant que ce qui importait à sa gloire et en travestissant beaucoup de ses actes manifestement injustes, ou en s’efforçant avec le plus grand soin de les cacher. C’est ainsi que, voulant donner au supplice de Mariamne et de ses fils, perpétré par le roi avec tant de cruauté, une apparence spécieuse, il a faussement accusé la mère d’impudicités et les jeunes gens de complot. Dans tout le cours de son ouvrage, il n’a cessé d’exalter outre mesure les actions honnêtes du roi et d’excuser de même ses forfaits. D’ailleurs, comme je l’ai dit, on peut lui pardonner beaucoup, car ce n’est pas une histoire pour le public, mais un service pour le roi qu’il composait. Mais nous, bien que par la naissance nous touchions aux rois Asmonéens et qu’à ce titre nous ayons été honoré et pourvu de la prêtrise, nous avons considéré comme déshonorant de mentir à leur sujet et nous exposons les faits avec sincérité et justice ; car si nous respectons beaucoup de descendants de ce roi, qui règnent encore, nous honorons avant eux la vérité qui....[3] n’a pas laissé de leur causer de la colère.

[1] ἔτι τάχιον, mots altérés ou déplacés.

[2] Voir Antiq., VII, 393 ; XIII, 249 ; Guerre, I, 61.

[3] Trois mots incompréhensibles, lacune probable.

Aggravation de ses malheurs domestiques.

2.[4] Par suite de cet attentat contre le tombeau, Hérode sembla de jour en jour plus malheureux dans ses affaires domestiques, soit que la colère divine se fût attachée à aggraver les maux dont il soutirait précédemment et à faire d’eux des calamités incurables, soit que la fortune lui livrât assaut avec tant d’à-propos qu’on se persuadait que ses malheurs résultaient de son impiété. Il se produisit, en effet, à la cour des discordes dignes d’une guerre civile et des haines entre ennemis qui rivalisaient de calomnies. La campagne était toujours dirigée par Antipater contre ses frères, habile à les envelopper d’accusations venues d’ailleurs, tout en faisant souvent mine de les excuser, afin que sa réputation de bienveillance lui valût la confiance du roi pour les entreprises qu’il méditait. De cette façon il avait circonvenu artificieusement son père et passait pour le seul qui sacrifiât tout pour son salut. Le roi associa à Antipater Ptolémée, intendant de la couronne, et il délibérait avec la mère du premier sur les affaires les plus pressantes. En général ces personnes menaient tout ; elles pouvaient faire ce qu’elles voulaient ou exciter la colère du roi contre les autres au gré de leur intérêt. Quant aux fils de Mariamne, ils s’irritaient davantage de jour en jour et, en raison de leur haute naissance, ils ne supportaient pas de se voir écartés et réduits à un rang peu honorable. Pour leurs femmes, l’une, celle d’Alexandre, Glaphyra, fille d’Archélaüs, avait de la haine contre Salomé à la fois par affection pour son mari et par arrogance envers la fille de Salomé, mariée à Aristobule et qu’elle s’indignait de voir jouir d’honneurs égaux aux siens.

[4] Section 2-3 – Guerre, I, 467-484, tableau plus détaillé.

Calomnies de Phéroras.

3.[5] Quand s’éleva ainsi cette deuxième cabale, Phéroras, frère du roi, tomba également dans le trouble, car il offrait de son côté des motifs particuliers de suspicion et de haine : il était, en effet, devenu épris d’une de ses esclaves et si follement dominé par sa passion pour cette créature qu’il dédaignait la fille du roi[6] qui lui avait été promise en mariage, pour ne penser qu’à la servante. Hérode s’irritait de cette insulte, car il avait comblé son frère de bienfaits, lui avait fait partager la puissance royale et, ne se voyant pas payé de retour, se croyait ouvertement outragé[7]. En présence de l’injustice de Phéroras, il donna sa fille au fils de Phasaël ; puis, après un certain laps de temps, pensant que la passion de Phéroras était déjà à son déclin, il lui fit des représentations au sujet de ses amours et l’invita à épouser sa deuxième fille nommée Cypros. Ptolémée conseilla à Phéroras de cesser d’outrager son frère et de renoncer à son amour : c’était une honte que, dominé par une esclave, il se privât de l’affection du roi et devint pour lui une cause d’inquiétude et un objet de haine. Phéroras, voyant que tel était son intérêt, parce qu’auparavant déjà il avait obtenu son pardon après avoir été calomnié, renvoya la femme, bien qu’il eût d’elle un enfant et promit, au roi d’épouser sa seconde fille ; il fixa le mariage à trente jours de là et donna sa foi qu’il n’avait plus rien de commun avec celle qu’il avait répudiée. Les trente jours écoulés, il fut tellement dominé par son amour qu’il ne tint aucun de ses engagements et se remis à vivre avec sa maîtresse. Hérode en conçut un chagrin visible et de la colère : il lui échappait constamment des paroles à ce sujet et bien des gens prenaient prétexte de l’humeur du roi pour accuser Phéroras. Ainsi il n’y avait presque pas de jour ou d’heure qui s’écoulât pour le roi sans ennui ; il n’entendait parler que des luttes de ses parents et de ses plus chers amis les uns contre les autres. Salomé, aigrie et mécontente contre les fils de Mariamne, ne permettait même pas à sa fille, mariée à l’un des jeunes princes, Aristobule, de conserver à celui-ci l’affection conjugale, mais la pressait de lui rapporter et dénoncer tous leurs entretiens intimes, aigrissant leurs moindres dissentiments. Ainsi elle apprenait tout ce qui concernait les frères, et, d’autre part, rendait sa fille hostile au jeune prince. L’autre, pour faire plaisir à sa mère, lui racontait souvent que les fils de Mariamne rappelaient le souvenir de celle-ci lorsqu’ils étaient entre eux, qu’ils détestaient leur père et, ne cessaient de menacer, si jamais ils obtenaient le pouvoir, de faire des fils qu’Hérode avait eus de ses autres épouses des greffiers de village — fonction parfaitement convenable à leurs occupations actuelles et à leur éducation. Quant aux femmes, si par hasard ils les voyaient mettre la main sur les parures de leur mère, ils promettaient qu’au lieu de leur luxe présent ils les vêtiraient de guenilles et les priveraient de la lumière du soleil. Tous ces propos étaient immédiatement rapportés par Salomé au roi, qui les apprenait avec peine et s’efforçait cependant de rétablir la concorde, mais les soupçons lui faisaient tant de mal qu’il s’aigrissait de jour en jour et croyait tous contre tous. Au début, il admonesta seulement ses fils et, après avoir entendu leur défense, se montra plus doux envers eux pour le moment ; mais bientôt sa colère devait s’exaspérer.

[5] VII, 3 à 5 = Guerre, I, 483-484.

[6] Salampsio, fille de la première Mariamne.

[7] κἀν τῷ προσώπῳ δυστθχεῖν ᾤετο, texte douteux.

4. En effet Phéroras vint trouver Alexandre qui, comme nous l’avons relaté, avait pour femme la fille d’Archélaüs, Glaphyra. Il dit tenir de Salomé qu’Hérode était éperdument épris d’elle et que son désir était difficile à calmer. Alexandre, à ces mots, prit feu dans sa jalousie et sa jeunesse, interpréta en mal tous les honneurs qu’Hérode accordait à la jeune femme — et ces attentions étaient fréquentes, à cause des soupçons qu’avaient fait naître en lui les paroles de Phéroras. Il ne maîtrisa pas le chagrin que lui causait cette nouvelle et, se rendant auprès de son père, lui rapporta en pleurant ce qu’avait dit Phéroras. Mais Hérode se montra encore plus ému que lui et, ne supportant pas de se voir si honteusement calomnié, fut tout à fait bouleversé. A maintes reprises, il se lamenta sur la perversité des gens de sa maison, rappelait ce qu’il leur avait donné et ce qu’il recevait d’eux en récompense ; puis il fit mander Phéroras et, après l’avoir accablé de reproches : « Ô le plus méchant des hommes, dit-il, en es-tu donc venu à un tel excès d’ingratitude que tu imagines et racontes à mon sujet de pareils mensonges ? Est-ce que je ne pénètre pas ton dessein ? Ce n’est pas pour le plaisir de calomnier que tu rapportes de tels contes à mon fils, mais pour en faire le poison et le complot qui me perdront. Qui donc, à moins d’être assisté de bons génies comme cet adolescent, aurait supporté de ne pas se venger d’un père soupçonné de pareille infamie ? Sont-ce des mots que tu crois lui avoir glissés dans l’esprit, ou n’est-ce pas plutôt une épée que tu lui as mise en main pour frapper son père ? Quelle a été ton intention, puisque tu le hais ainsi que son frère, en simulant la bienveillance envers lui pour me diffamer et lui débiter les calomnies que ton impiété seule pouvait imaginer ? Va-t’en, criminel que tu es envers ton bienfaiteur et ton frère, puisse ton remords durer autant que ta vie ? Quant à moi, puissé-je toujours vaincre les miens en ne les punissant pas comme ils le méritent et en les comblant de bienfaits plus qu’ils n’en sont dignes ! »

5. Ainsi parla le roi. Phéroras, pris en flagrant délit de perversité, dit que c’était Salomé qui avait combiné l’affaire et que c’était d’elle que venaient ces propos. Mais elle, dès qu’elle l’entendit — car elle était présente — s’écria avec l’accent de la vérité qu’elle n’était pour rien dans tout cela, que tout le monde s’acharnait à la faire haïr du roi et à la perdre par tous les moyens, à cause de son affection pour Hérode, qu’elle avertissait, toujours des dangers qui le menaçaient ; à présent elle était encore plus entourée de complots ; en effet, elle seule avait conseillé à son frère de répudier la femme qu’il avait et d’épouser la fille du roi, ce qui sans doute lui avait attiré sa haine. Tout en parlant ainsi, elle s’arrachait les cheveux et se frappait la poitrine à mainte reprise. Son aspect portait à croire à ses dénégations, mais la perversité de son caractère trahissait une comédie jouée en la circonstance. Phéroras restait sur la sellette sans trouver rien de spécieux pour sa défense, puisqu’il avouait avoir parlé, mais ne pouvait faire croire ce qu’il prétendait avoir entendu. La confusion et la lutte de paroles ne faisaient que grandir. Enfin le roi, après avoir déclaré sa haine contre son frère et sa sœur, les renvoya et, louant son fils de s’être maîtrisé et de lui avoir rapporté ces propos, se décida tardivement à se reposer. Après cette semonce, Salomé fut mal vue, car c’était elle qui paraissait avoir machiné la calomnie. Les femmes du roi étaient irritées contre elle parce qu’elles la savaient d’une nature très acariâtre et très inconstante, haineuse ou affectueuse selon le moment. Elles ne cessaient de dire du mal d’elle à Hérode ; de plus, un incident survint qui augmenta encore leur audace à la diffamer.

Aventures de Salomé et de l’Arabe Syllaios. Réconciliation du roi avec Phéroras.

6.[8] Le roi d’Arabie Obadas était d’un naturel indolent et lourd ; tous ses intérêts étaient administrés par Syllaios, homme habile, encore jeune et de belle tournure. Comme celui-ci était venu voir Hérode pour quelque affaire, il aperçut, en soupant avec lui, Salomé, à qui il fit attention. Quand il la sut veuve, il lui parla. Salomé, qui avait perdu de son crédit auprès de son frère et qui ne regardait pas ce jeune homme avec indifférence, avait hâte de l’épouser ; les femmes d’Hérode, pendant le festin, remarquèrent les signes fréquents et trop prononcés de leur entente. Elles rapportèrent le fait au roi, raillant ce manque de tenue. Hérode interrogea aussi Phéroras à ce sujet, en l’invitant à observer pendant le banquet l’attitude des deux convives. Phéroras lui rapporta qu’on pouvait clairement connaître leur passion mutuelle à leurs signes et à leurs œillades. L’Arabe, se sentant soupçonné, s’en alla, mais après une absence de deux ou trois mois, il revint pour ce motif, en parla à Hérode et lui demanda Salomé en mariage ; car cette alliance lui serait fort utile en resserrant ses relations avec le royaume des Arabes, qui dès lors ajoutait de la puissance à Syllaios et devait lui appartenir un jour. Hérode rapporta ces paroles à sa sœur et lui demanda si elle était disposée à ce mariage ; elle y consentit aussitôt. Mais Syllaios, à qui l’on demandait d’embrasser les coutumes juives avant ce mariage lequel, sans cela, était impossible, refusa en disant qu’il serait lapidé par les Arabes s’il le faisait ; cela dit, il s’en alla. Dès lors Phéroras attaqua Salomé en la taxant de dévergondage, et les femmes d’Hérode renchérissaient en affirmant qu’elle avait été la maîtresse de l’Arabe. Comme le roi avait promis à son frère la jeune fille que Phéroras n’avait pas épousée parce qu’il était, comme je l’ai dit, dominé par sa concubine, Salomé la demanda pour le fils qu’elle avait eu de Costobar. Hérode fut d’abord enclin à consentir à ce mariage, mais il changea de sentiment sous l’influence de Phéroras, qui fit valoir que le jeune homme ne pourrait l’aimer en raison du supplice de son père et qu’il serait plus juste de la donner à son propre fils, héritier de sa tétrarchie. Ainsi il obtint son pardon et le fils de Costobar fut évincé[9]. A la suite de ce changement d’épousailles la fille d’Hérode épousa donc le jeune fils de Phéroras et le roi lui donna cent talents de dot.

[8] VII, 6 = Guerre, I, 487 (très succinct).

[9] μετέπεσεν AM μὴ πείσας I.W. Niese μετέπεισεν ed. princ.

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