Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE XVI

CHAPITRE IX
Les habitants de la Trachonitide se révoltent contre le gouvernement d'Hérode, les brigands y règnent, aidés par les Arabes ; Hérode dompte les brigands jusqu'en Arabie ; à Rome, l'Arabe Syllaios se plaint d'Hérode auprès de l'empereur ; l'empereur, fort mécontent, écrit une lettre à Hérode ; tensions entre Syllaios et Arétas, le nouveau roi d'Arabie.[1]

Excès des habitants de la Trachonitide.

1. Après qu’Hérode eut fait le voyage à Rome et en fut revenu, une guerre éclata contre les Arabes pour la cause suivante. Les habitants de la Trachonitide[2], une fois que l’empereur eut enlevé ce pays à Zénodore pour l’attribuer à Hérode, n’avaient plus la liberté de se livrer au brigandage et étaient forcés de vivre paisiblement et de pratiquer l’agriculture. Ce genre de vie ne leur plaisait guère et la terre rapportait peu de profit à ceux qui la travaillaient. Pourtant, au début, devant la défense du roi, ils s’abstinrent de violences contre leurs voisins, ce qui valut à Hérode une grande renommée de vigilance. Mais à l’époque où il s’embarqua pour Rome afin d’accuser son fils Alexandre, voir l’empereur et lui recommander son fils Antipater[3], les gens de Trachonitide répandirent le bruit de sa mort, se révoltèrent contre son gouvernement et se remirent à maltraiter leurs voisins selon leur habitude. Les généraux du roi, en son absence, réussirent cependant a les maîtriser : environ quarante chefs de brigands, terrifiés par l’exemple du sort des captifs, s’enfuirent du pays ; ils se réfugièrent en Arabie où ils furent accueillis par Syllaios, après l’échec de son mariage avec Salomé. Celui-ci leur donna un emplacement fortifié qu’ils colonisèrent et d’où ils faisaient des incursions de pillage, non seulement en Judée, mais dans toute la Coelé-Syrie, car Syllaios leur assurait un repaire et l’impunité de leurs méfaits. A son retour de Rome, Hérode apprit que ses possessions avaient subi beaucoup de dommages. Comme il ne pouvait se rendre maître des brigands à cause de la sécurité que leur avait donnée la protection des Arabes, et comme, d’autre part, il s’irritait de leurs crimes, il cerna la Trachonitide et massacra leurs familles. Ce traitement ne fit que les exaspérer davantage, d’autant qu’ils avaient pour foi de se venger à tout prix des meurtriers de leurs parents ; aussi ne cessaient-ils de dévaster et de piller impunément tout le territoire d’Hérode. Ce dernier s’entretint à ce sujet avec les officiers de l’empereur, Saturninus[4] et Volumnius[5], réclamant l’extradition des brigands en vue de les châtier. Les forces et le nombre ce ceux-ci ne cessant de croître, ils bouleversèrent tant pour détruire le royaume d’Hérode, pillant villes et villages et massacrant les gens qu’ils capturaient, si bien que leur brigandage prenait les allures d’une guerre ; en effet ils étaient déjà environ un millier. Hérode, poussé à bout, demanda l’extradition des brigands et le remboursement d’un prix de soixante talents fait à Obodas par l’intermédiaire de Syllaios et dont l’échéance était arrivée. Syllaios, qui avait mis Obodas à l’ombre et dirigeait tout par lui-même niait que les brigands fussent en Arabie et traînait en longueur pour la dette, le débat fut porté devant Saturninus et Volumnius qui commandaient en Syrie. Finalement il fut décidé par eux qu’Hérode recevrait la somme dans les trente jours et que chacun des deux rois livrerait les nationaux de l’autre qu’il avait dans son royaume. Du côté d’Hérode on ne trouva absolument aucun Arabe qui fût retenu soit pour crime soit pour une autre raison, tandis que les Arabes furent convaincus d’abriter chez eux les brigands.

[1] Antiq., XVI, 103 (20 av. J.-C.). L’histoire de la guerre d’Hérode contre les Arabes et du procès qui s’ensuivit devant Auguste était raconté en détail dans l’ouvrage de Nicolas de Damas (F. H. G., III, 351).

[2] Josèphe, comme Strabon, écrit Τράχων ; mais il n’y avait pas de ville de ce nom. C’est le canton situé à mi-distance de Damas et de Bostra.

[3] Ceci semble faire allusion au deuxième voyage à Rome, 12 av. J.-C. (§ 87 et suiv.) ; mais alors pourquoi le récit de la guerre arabe ne vient-il qu’ici ?

[4] L. Volusius Saturninus, consul suffectus en 12 av. J.-C., gouverneur d'Afrique, puis de Syrie, mort en 20 ap. J.-C.

[5] Si c'est un procurateur, il est inconnu par ailleurs et différent du Volumnius du § 332, en qui Rohden-Dessau (Prosop. Imp. Rom.) voient un chef des troupes d'Hérode. Mais l'identité de ces deux personnages est plus probable ; il s'agit sans doute d'un tribun militaire (στρατοπεδάρχης, Guerre, I, 535), particulièrement lié avec Hérode. On comprend fort bien qu'ayant porté à Rome les plaintes d'Hérode contre ses fils, il prenne l'initiative, au conseil de Béryte, de proposer leur mort (cf. § 369).

Hérode, ne pouvant obtenir satisfaction des Arabes, envahit l’Arabie.

2. Comme l’échéance était passée, Syllaios, sans se conformer à aucune de ses obligations, partit pour Rome. Mais Hérode prit des sûretés pour l’argent et les brigands qui étaient chez lui. Saturninus et Volumnius l’autorisant à poursuivre ses offenseurs, il s’avança avec son armée en Arabie, parcourant sept étapes en trois jours. Une fois parvenu au fortin qu’occupaient les brigands, il les prit tous dès le premier assaut et rasa la localité, nommée Rhaïpta ; il ne fit ailleurs aucun dommage. Comme des Arabes conduits par Nakeb étaient venus à la rescousse, il y eut un combat où tombèrent, du côté d’Hérode, quelques hommes et de l’autre le chef des Arabes Nakeb avec vingt-cinq environ de ses gens, le reste fut mis en fuite. Après avoir châtié les délinquants et établi en Trachonitide trois mille Iduméens, il dompta les brigands de cette région et écrivit à ce sujet aux chefs romains qui se trouvaient en Phénicie, déclarant qu’il n’avait rien fait de plus que le nécessaire pour mettre à la raison les malfaiteurs arabes. Après une enquête approfondie, ceux-ci reconnurent qu’il avait dit la vérité.

L’Arabe Syllaios accuse Hérode auprès de l’empereur qui s’irrite contre ce dernier.

3. Cependant des messagers se rendirent en toute hâte à Rome annoncer à Syllaios ces événements, en exagérant naturellement chaque détail. Celui-ci, qui s’était déjà fait connaître de l’empereur, se trouvait alors à la cour ; dès qu’il eut reçu ces nouvelles, changeant ses vêtements pour des habits de deuil, il se présenta à l’empereur et lui dit que la guerre avait dévasté l’Arabie, que tout le royaume était bouleversé, Hérode l’ayant ravagé avec son armée. En pleurant il ajoutait que deux mille cinq cents des premiers d’entre les Arabes avaient péri, qu’ils avaient également perdu leur général Nakeb, son familier et son parent, que l’on avait pillé les trésors qui était à Rhaïpta, au mépris d’Obodas que sa faiblesse rendait incapable de faire la guerre, puisque ni Syllaios ni l’armée arabe n’étaient sur place. Syllaios parlait ainsi, ajoutant insidieusement qu’il ne serait pas parti de son pays s’il n’avait eu confiance en l’empereur pour veiller à ce que la paie régnât entre voisins dans tout l’univers, et, que, s’il avait été sur les lieux, Hérode n’aurait pas tiré profit de la guerre. L’empereur, irrité par ces paroles, ne posa aux amis d’Hérode présents et aux particuliers venus de Syrie que cette seule question : Hérode avait-il mené son armée en expédition ? Comme ils étaient forcés de le reconnaître, et que l’empereur ne voulait entendre ni le motif ni les circonstances du fait, sa colère devint plus vive et, il écrivit à Hérode, entre autres duretés, ceci, qui faisait l’objet principal de sa lettre : qu’il l’avait, traité jadis en ami, mais que désormais il le traiterait en sujet. Syllaios écrivit aussi à ce propos aux Arabes ; ceux-ci, encouragés, ne livrèrent pas les brigands qui avaient échappé et ne versèrent[6] pas l’argent ; ils usèrent en outre, sans en payer le fermage, des pâturages d’Hérode qu’ils occupaient comme fermiers, tant le roi des Juifs était abaissé par la colère de l’empereur. Les habitants de la Trachonitide saisirent également cette occasion pour se révolter contre la garnison iduméenne et pour exercer le brigandage d’accord avec les Arabes qui pillaient les terres des Iduméens et les maltraitaient durement, non seulement par intérêt, mais encore par rancune.

[6] διευλύτοθν, mot inconnu. διέλυον ? διελύτρουν ? (forme inconnue).

4. Hérode endurait tout cela parce qu’il avait perdu le crédit dont il jouissait auprès de l’empereur et avait dépouillé presque tout son orgueil. L’empereur n’avait pas même admis qu’il lui envoyât une ambassade pour s’excuser et avait renvoyé ceux qui étaient venus sans leur laisser remplir leur mission. Ces procédés remplissaient Hérode de découragement et de crainte, et il était très chagriné de voir Syllaios inspirer confiance et être présent à Rome avec de plus grandes perspectives devant lui. En effet, Obodas était mort et Énée, qui prit ensuite le nom d’Arétas, avait hérité du pouvoir en Arabie. Syllaios tentait de l’écarter par des calomnies pour s’emparer lui-même du trône, distribuait beaucoup d’argent aux courtisans et en promettait beaucoup à l’empereur. Celui-ci était irrité contre Arétas qui régnait sans lui en avoir demandé la permission au préalable. Mais Arétas aussi envoya une lettre à l’empereur et des présents, avec une couronne d’or valant beaucoup de talents. La lettre accusait Syllaios d’être un esclave malfaisant qui avait fait empoisonner Obodas et qui, du vivant même de ce prince, gouvernait déjà lui-même en corrompant les femmes des Arabes et empruntait pour usurper le pouvoir. Mais l’empereur ne prêta aucune attention à ces accusations et renvoya le tout sans accepter aucun des présents. Les royaumes de Judée et d’Arabie se trouvaient donc progresser de jour en jour, le premier vers le désordre, le second vers une décadence que rien ne pouvait conjurer : en effet, des deux rois, l’un, n’ayant pas encore un pouvoir certain, était incapable de châtier les séditieux ; l’autre, Hérode, était forcé de supporter toutes les injustices, puisque sa vengeance trop prompte avait irrité l’empereur contre lui. Enfin, ne voyant aucun terme à ses maux, il décida d’envoyer une nouvelle ambassade à Rome pour voir s’il pourrait obtenir un accueil plus clément grâce à ses amis et en faisant parvenir ses plaintes à l’empereur lui-même.

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