Contre Apion - Flavius Josèphe

LIVRE I

CHAPITRE XVII

Mention des Juifs dans les chroniques phéniciennes. Témoignage de Dios.

(106) Je veux maintenant passer de ces documents à ceux que contiennent sur notre race les annales des Phéniciens et produire les témoignages qu'ils nous fournissent. (107) Il y a chez les Tyriens, depuis de très longues années, des chroniques publiques, rédigées et conservées par l'Etat avec le plus grand soin, sur les faits dignes de mémoire qui se passèrent chez eux, et sur leurs rapports avec l'étranger. (108) Il y est dit que le temple de Jérusalem fut bâti par le roi Salomon environ cent quarante-trois ans et huit mois avant la fondation de Carthage par les Tyriens[1]. (109) Ce n'est pas sans raison que leurs annales mentionnent la construction de notre temple[2]. En effet, Hirôm, roi de Tyr, était l'ami de notre roi Salomon, amitié qu'il avait héritée de son père[3]. (110) Rivalisant de zèle avec Salomon pour la splendeur de l'édifice, il lui donna cent vingt talents d'or et fit couper sur le mont appelé Liban les plus beaux bois, qu'il lui envoya pour la toiture. En retour, Salomon lui donna de nombreux présents et même, entre autres, un territoire de Galilée qu'on nomme Khabôlon[4]. (111) Mais ils furent surtout portés à s'aimer par leur goût pour la sagesse : ils s'envoyaient l'un à l'autre des questions qu'ils s'invitaient mutuellement à résoudre ; Salomon s'y montrait le plus habile et, en général, l'emportait en sagesse. On conserve aujourd'hui encore à Tyr beaucoup des lettres qu'ils échangèrent[5]. (112) Pour prouver que mes assertions sur les chroniques tyriennes ne sont pas de mon invention, je vais citer le témoignage de Dios, qui passe pour avoir raconté exactement l'histoire phénicienne. Cet auteur, dans son histoire de la Phénicie, s'exprime ainsi[6] : (113) « Après la mort d'Abibal, son fils Hirôm devint roi. Il ajouta un remblai au quartier oriental de la ville, agrandit celle-ci, y relia le temple de Zeus Olympien, qui était isolé dans une île, en comblant l'intervalle, et l'orna d'offrandes d'or ; il monta sur le Liban, où il fit couper les bois pour la construction des temples[7]. (114) Le tyran de Jérusalem, Salomon, envoya, dit-on, à Hirôm des énigmes et demanda à en recevoir de lui : celui qui ne pourrait deviner paierait une somme à celui qui aurait trouvé la solution[8]. (115) Hirôm y consentit et, n'ayant pu résoudre les énigmes, dépensa, pour payer l'amende, une grande partie de ses trésors. Puis, avec l'aide d'un certain Tyrien nommé Abdémon, il résolut les questions proposées et lui même en proposa d'autres ; Salomon ne les ayant pas résolues, restitua tout et paya en plus à Hirôm une somme considérable. »

[1] Ce chiffre résulte des durées des règnes données au ch. XVIII.

[2] Rien de pareil dans les extraits donnés plus loin (note du § 113).

[3] Cf. Ant. jud. VIII, 5, 3. D'après la Bible, c'est le père de Salomon, David, qui était déjà lié d'amitié avec Hirôm (I Rois, V, I ; II Samuel, V, II).

[4] Ces renseignements sont empruntés au livre des Rois, I, IX, 10-14.

[5] Les négociations entre Salomon et Hirôm sont racontées I Rois, V ; mais il n'est question ni d'énigmes comme dans le cas de la reine de Saba (I Rois, X, I), ni d'échange de lettres. Josèphe pense vraisemblablement aux lettres qu'il a reproduites Ant. VIII, 2, 6, et qui furent sans doute forgées par Eupolémos (cf. Eusèbe, Praep., IX, 33).

[6] Le texte de Dios est également reproduit dans les Antiquités, VIII, 5, 3, § 147-9. On ne sait d'ailleurs rien de cet auteur, que C. Müller (Frag. hist. gr., IV, 398) identifie à Ælius Dios, auteur d'un ouvrage περὶ ᾿Αλεξανδρείας. Mais il pourrait aussi y avoir une confusion avec Ααἴτος, auteur de Foinikik‹ (ibid., 437).

[7] C'est dans ces mots (cf. infra § 118) que Josèphe trouve (à tort) une allusion à la construction du temple de Jérusalem.

[8] Ce texte n'est pas d'accord avec ce qui suit, car l'amende est d'abord payée par celui qui ne résout pas les énigmes sans condition de réciprocité.

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