Contre Apion - Flavius Josèphe

LIVRE I

CHAPITRE XXXIII

Ses mensonges. Manéthôs et lui se contredisent.

(293) Voilà ce que raconte Chærémon. Il résulte clairement, je pense, des récits précédents que l'un et l'autre ont menti[1]. Car s'ils s'étaient appuyés sur quelque fait réel, un pareil désaccord était impossible. Mais ceux qui composent des livres mensongers ne mettent point leurs écrits d'accord les uns avec les autres ; ils façonnent les faits à leur fantaisie. (294) Ainsi, pour Manéthôs, le désir qu'avait le roi de voir les dieux fut l'origine de l'expulsion des contaminés ; Chærémon y substitue sa propre invention, l'apparition d'Isis en songe. (295) Pour celui-là, c'est Aménophis qui, dans sa prédiction, conseilla au roi la purification ; pour celui-ci, c'est Phritobautès. Voyez aussi combien se rapprochent leurs évaluations de cette multitude : l'un parle de quatre-vingt mille hommes, l'autre de deux cent cinquante mille ! (296) De plus, Manéthôs jette d'abord les contaminés dans les carrières ; puis il leur donne Avaris comme résidence, les excite à la guerre contre les autres Egyptiens, et c'est alors que, selon lui, ils appelèrent à leurs secours les Hiérosolymites. (297) Pour Chærémon, chassés d'Égypte, ils trouvèrent auprès de Péluse trois cent quatre-vingt mille hommes abandonnés par Aménophis et, avec eux, revenant sur leurs pas, ils attaquèrent l'Égypte et Aménophis s'enfuit en Éthiopie. (298) Mais le plus beau, c'est qu'il ne dit ni qui étaient, ni d'où venaient tant de milliers de soldats, s'ils étaient Égyptiens ou arrivés du dehors. Il n'a pas même révélé pour quelle raison le roi n'avait pas voulu les amener en Égypte, lui qui, au sujet des lépreux, a imaginé l'apparition d'Isis. (299) A Moïse Chærémon a adjoint Joseph, chassé avec lui, croit-il, dans le même temps, alors qu'il mourut quatre générations avant Moïse[2], ce qui fait à peu près cent soixante-dix ans[3]. (300) Ramessès, fils d'Aménophis, suivant Manéthôs, est un jeune homme qui combat avec son père[4], et partage son exil après la fuite en Éthiopie ; suivant la version de Chærémon, il naît dans une caverne, après la mort de son père[5], puis remporte une victoire sur les Juifs et les chasse en Syrie au nombre d'environ deux cent mille. (301) Ô légèreté ! il n'avait pas dit d'abord qui étaient les trois cent quatre-vingt mille hommes et il ne dit pas non plus comment périrent les quatre cent trente mille[6] (qui manquaient), s'ils tombèrent dans le combat, ou s'ils passèrent dans le camp de Ramessès. (302) Mais voici le plus étonnant : il est impossible d'apprendre de lui à qui il donne le nom de Juifs et qui il désigne ainsi : les deux cent cinquante mille lépreux ou les trois cent quatre-vingt mille hommes de Péluse. (303) Mais ce serait sottise, sans doute, de réfuter plus longuement des auteurs qui se réfutent eux-mêmes ; d’être réfuté par d'autres serait moins extraordinaire.

[1] Josèphe aura beau jeu à relever les contradictions des deux récits de Manéthôs et de Chærémon&nnbsp;; mais il aurait dû simplement en conclure que ce dernier n'est qu'une modification arbitraire de celui de Manéthôs.

[2] Exode, VI, 16 suiv.

[3] Le chiffre de 170 ans quoique dérivé de Exode, VI, 16-20, est en contradiction avec la durée du séjour des Hébreux en Égypte, Exode, XIX, 40 et Ant., II, 9, 1, § 204.

[4] Nouvelle défaillance de mémoire. On a vu (§ 245) que, d'après Manéthôs, Ramsès n'avait que cinq ans au moment de la fuite de son père. Cf. § 274.

[5] Chærémon ne dit rien de pareil (§ 292).

[6] Correction nécessaire (le ms. a 230.000), car 250.000 lépreux (§ 290) et 380.000 Pélusiens (§ 293) font 630.000 et Ramsès ne chasse que 200.000 Juifs (§ 292). On pourrait également songer à conserver 230.000 pour les morts et disparus, en lisant 400.000 pour les survivants, mais le chiffre 200.000 est attesté par deux fois, §§ 292 et 300.

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