Contre Apion - Flavius Josèphe

LIVRE II

CHAPITRE IX

Fable ridicule d'après laquelle un Iduméen, déguisé en Apollon, alla dérober dans le temple la tête d'âne.

(112) Après cela Apion raille les Juifs, comme très superstitieux, en ajoutant à sa fable le témoignage de Mnaséas[1]. Cet auteur raconte, à l'en croire, qu'il y a très longtemps, les Juifs et les Iduméens étant en guerre, d'une certaine ville iduméenne nommée Dora[2], un des hommes qui étaient attachés au culte d'Apollon[3] vint trouver les Juifs. Il se nommait, dit-il, Zabidos. Il leur promit de leur livrer Apollon, le dieu de Dora, qui se rendrait à notre temple si tout le monde s'éloignait. (113) Et toute la multitude des Juifs le crut. Zabidos cependant fabriqua un appareil de bois dont il s'entoura et où il plaça trois rangs de lumières. Ainsi équipé il se promena, de sorte qu'il avait de loin l'apparence d'une constellation[4] en voyage sur la terre. (114) Les Juifs, frappés de stupeur par ce spectacle inattendu, restèrent à distance et se tinrent cois. Zabidos tout tranquillement arriva jusqu'au temple, arracha la tête d'or du baudet — c'est ainsi qu'il s'exprime pour faire le plaisant — et revint en hâte à Dora. (115) Ne pourrions-nous pas dire à notre tour qu'Apion surcharge le baudet, c'est-à-dire lui-même, et l'accable sous le poids de sa sottise et de ses mensonges ? En effet, il décrit des lieux qui n'existent pas et, sans le savoir, change les villes de place. (116) L'Idumée est limitrophe de notre pays, voisine de Gaza, et elle n'a aucune ville du nom de Dora. Mais en Phénicie, près du mont Carmel, il y a une ville appelée Dora, qui n'a rien de commun avec les niaiseries d'Apion ; car elle est à quatre journées de marche de l'Idumée. (117) Et pourquoi nous accuse-t-il encore de n’avoir point les mêmes dieux que les autres, si nos pères se sont laissé persuader si facilement qu'Apollon viendrait chez eux et s'ils ont cru le voir se promener avec les astres sur la terre ? (118) Sans doute ils n'avaient jamais vu une lampe auparavant, ces hommes qui allument tant et de si belles lampes dans leurs fêtes ! Et personne, parmi tant de milliers d'habitants, n'est allé à sa rencontre quand il s'avançait à travers le pays ; il a trouvé aussi les murailles vides de sentinelles, en pleine guerre ! (119) Je passe le reste ; mais les portes du temple étaient hautes de soixante coudées, larges de vingt[5], toutes dorées et presque d'or massif ; elles étaient fermées tous les jours par deux cents hommes[6] au moins, et il était défendu de les laisser ouvertes. (120) Il a donc été facile à ce porteur de lampes, je pense, de les ouvrir à lui tout seul, et de partir avec la tête du baudet ? Mais est-elle rentrée toute seule chez nous ou celui qui l'a prise l'a-t-il rapportée dans le temple afin qu'Antiochos la trouvât pour fournir à Apion une seconde fable ?

[1] Mnaséas de Patara, polygraphe du IIIe siècle av. J.-C.

[2] Il s'agit bien probablement dans la pensée de Mnaséas de Adora (aujourd'hui Doûra) ville effectivement située en Idumée. La même faute se retrouve Ant. jud., XIV, 88 (cf. Benzinger, v. Adora dans Pauly-Wissowa).

[3] Culte attesté chez les Iduméens par l'inscription de Memphis, Strack, Archiv für Pap., III, 129.

[4] Ici reprend le texte grec.

[5] 30 sur 15 d'après Guerre, V, 202.

[6] 20 par porte (Guerre, VI, 293).

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