Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 1
Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167–4 av. J.-C)

CHAPITRE 8
Scaurus contre Arétas. Gouvernement de Gabinius. Révolte et défaite d'Alexandre. Constitution aristocratique octroyée à la Judée. Révolte et défaite d'Aristobule. Nouvelle tentative d'Alexandre. Crassus et Cassius. Pillage du Temple. Puissance d'Antipater.

1.[1] Cependant Scaurus avait envahi l'Arabie. Les difficultés du terrain le firent échouer devant Pétra ; il se mit alors à ravager le territoire environnant, mais il en résulta pour lui de nouvelles et graves souffrances, car son armée fut réduite à la disette. Hyrcan la soulagea, en faisant amené des vivres par Antipater. Comme celui-ci avait des relations d'amitié avec Arétas, Scaurus l'envoya auprès de ce roi pour le décider à acheter la paix. L'Arabe se laissa persuader : il donna trois cents talents à ces conditions, Scaurus évacua l'Arabie avec son armée.

[1] Section 1 Ant., XIV, 5, 1.

Gouvernement de Gabinius. Révolte et défaite d'Alexandre. Constitution aristocratique octroyée à la Judée.

2.[2] Alexandre, celui des fils d'Aristobule qui s'était échappé des mains de Pompée, avait peu a peu rassemblé des troupes considérables et causait de graves ennuis à Hyrcan en parcourant la Judée. On pouvait croire qu'il renverserait bientôt ce prince ; déjà même, s'approchant de la capitale, il poussait la hardiesse jusqu'a vouloir relever les murs de Jérusalem détruits par Pompée[3]. Heureusement Gabinius, envoyé en Syrie comme successeur de Scaurus[4], se distingua par divers actes d'énergie et marcha contre Alexandre. Celui-ci, pris de crainte à son approche, réunit une grosse armée — dix mille fantassins et quinze cents cavaliers — et fortifia les places avantageusement situées d'Alexandreion, d'Hyrcaneion et de Machérous, près des montagnes d'Arabie.

[2] Sections 2-5 Ant., XIV, 5, 2-4.

[3] Quoique la construction soit équivoque, il est évident qu'il s'agit d'Alexandre, non d'Hyrcan. Voir la note sur Ant., XIV, § 82.

[4] Inexact ; dans l'intervalle, la Syrie avait eu deux gouverneurs, Marcius Philippus et Lentulus Marcellinus (Appien, Syr., 51).

3. Gabinius lança en avant Marc Antoine avec une partie de son armée ; lui-même suivit avec le gros. Le corps d'élite que conduisait Antipater et le reste des troupes juives sous Malichos et Pitholaos firent leur jonction avec les lieutenants de Marc Antoine ; tous marchèrent ensemble à la rencontre d'Alexandre. Peu de temps après survint Gabinius lui-même avec la lourde infanterie. Sans attendre le choc de toutes ces forces réunies, Alexandre recula ; il approchait de Jérusalem quand il fut forcé d'accepter le combat ; il perdit dans la bataille six mille hommes, dont trois mille morts et trois mille prisonniers, et s'enfuit avec le reste à Alexandreion.

4. Gabinius le poursuivit jusqu'à cette place. Il trouva un grand nombre de soldats campés devant les murs ; il leur promit le pardon, essayant de les gagner avant le combat. Mais comme leur fierté repoussait tout accommodement, Gabinius en tua beaucoup et rejeta le reste dans la forteresse. Ce fut dans ce combat que se distingua le général Marc Antoine ; il montra toujours et partout sa valeur, mais jamais elle ne fut si éclatante. Laissant un détachement pour réduire la garnison, Gabinius parcourut lui-même la contrée, réorganisant les villes qui n'avaient pas été dévastées, relevant celles qu'il trouva en ruines. Ainsi se repeuplèrent, d'après ses ordres, Scythopolis, (Samarie), Anthédon, Apollonia, Jamnée, Raphia, Marisa, Adoréos[5], Gamala, Azotos, et d'autres encore ; partout les colons affluaient avec empressement.

[5] Dora (par erreur) dans les mss. des Ant., § 88. Pour la différence des deux listes, voir ma note ad locum.

5. Cette opération terminée, Gabinius revint contre Alexandreion et pressa le siège avec tant de vigueur qu'Alexandre, désespérant du succès, lui envoya un héraut : il demandait le pardon de ses fautes et livrait les places qui lui restaient, Hyrcancion et Machérous ; enfin il remit Alexandreion même. Gabinius, sur les conseils de la mère d'Alexandre, détruisit de fond en comble toutes ces places, pour qu'elles ne pussent servir de base d'opération dans une nouvelle guerre. Cette princesse demeurait auprès de Gabinius, qu'elle cherchait à se concilier par sa douceur, craignant pour les prisonniers de Rome, son époux et ses autres enfants. Ensuite Gabinius ramena Hyrcan à Jérusalem, lui confia la garde du Temple et remit le reste du gouvernement entre les mains des grands. Il divisa tout le pays en cinq ressorts dont les sénats[6] devaient siéger respectivement à Jérusalem, à Gazara, à Amathonte, à Jéricho, et à Sepphoris, ville de Galilée. Les Juifs, délivrés de la domination d'un seul, accueillirent avec joie le gouvernement aristocratique.

[6] Le mot συνόδους des mss. est inadmissible, comme le prouvent les neutres qui suivent (τὸ μὲν... τὸ δὲ, etc.) : il faut corriger en συνέδρια comme dans Ant., § 91. — Au lieu de Gazara, les mss. (Ici et dans Ant.) ont Gadara.

Révolte et défaite d'Aristobule.

6.[7] Peu de temps après, Aristobule lui-même s'échappa de Rome et suscita de nouveaux troubles. Il rassembla un grand nombre de Juifs, les uns avides de changement, les autres depuis longtemps dévoués à sa personne. Il s'empara d'abord d'Alexandreion et commençait à en relever les murs, quand Gabinius envoya contre lui une armée commandée par Sisenna, Antoine et Servilius[8] ; à cette nouvelle, il se réfugia à Machérous, renvoya la foule des gens inutiles et ne retint que les hommes armés au nombre de huit mille environ ; parmi eux se trouvait Pitholaos, qui commandait en second a Jérusalem et avait fait défection avec mille hommes. Les Romains le suivirent à la piste. Dans la bataille qui se livra, les soldats d'Aristobule résistèrent longtemps et combattirent avec courage ; mais enfin, ils furent enfoncés par les Romains : cinq mille hommes tombèrent, deux mille environ se réfugièrent sur une éminence ; les mille qui restaient, conduits par Aristobule, se frayèrent un chemin à travers l'infanterie romaine et se jetèrent dans Machérous. Le roi campa le premier soir sur les ruines de cette ville, nourrissant l'espoir de rassembler une autre armée, si la guerre lui en laissait le temps, et élevant autour de la place de méchantes[9] fortifications ; mais quand les Romains l'attaquèrent, après avoir résisté pendant deux jours au-delà de ses forces, il fut pris. On l'amena, chargé de fers, auprès de Gabinius, avec son fils Antigone qui s'était enfui de Rome avec lui. Gabinius le renvoya de nouveau à Rome. Le Sénat retint Aristobule en prison, mais laissa rentrer[10] ses enfants en Judée, car Gabinius expliqua dans ses lettres qu'il avait accordé cette faveur à la femme d'Aristobule en échange de la remise des places-fortes[11].

[7] Section 6 Ant., XIV, 6, 1.

[8] Servilius d'après Ant., § 92, et la plupart des mss. de Guerre ; Servianus d'après le ms. P et Syncelle. Niese et Naber préfèrent cette dernière leçon.

[9] κακῶς ὠχύρου : la vieille version latine (bene munire — sperabit) conduirait à la leçon καλῶς et à un tout autre sens.

[10] διῆκεν (Destinon, Henri Weil), non διῆγεν, leçon des mss.

[11] 56 av. J.-C.

Nouvelle tentative d'Alexandre.

7.[12] Gomme Gabinius allait entreprendre une expédition contre les Parthes, il fut arrêté dans ce dessein par Ptolémée[13]. Des bords de l'Euphrate ; il descendit vers l'Egypte. Il trouva, pendant cette campagne, auprès d'Hyrcan et d'Antipater toute l'assistance nécessaire. Argent, armes, blé, auxiliaires, Antipater lui fit tout parvenir ; il lui gagna aussi les juifs de cette région, qui gardaient les abords de Péluse, et leur persuada de livrer passage aux Romains. Cependant le reste de la Syrie profita du départ de Gabinius pour s'agiter. Alexandre, fils d'Aristobule, souleva de nouveau les juifs ; il leva une armée très considérable et fit mine de massacrer tous les Romains du pays. Ces événements inquiétèrent Gabinius, qui, à la nouvelle des troubles, s'était hâté de revenir d'Égypte : il envoya Antipater auprès de quelques-uns des mutins et les fit rentrer dans le devoir. Mais il en resta trente mille avec Alexandre, qui brûlait de combattre. Gabinius marcha donc au combat ; les Juifs vinrent à sa rencontre, et la bataille eut lieu près du mont Itabyrion ; dix mille Juifs périrent, le reste se débanda. Gabinius retourna à Jérusalem et y réorganisa le gouvernement sur les conseils d'Antipater. De là il partit contre les Nabatéens qu'il vainquit en bataille rangée ; il renvoya aussi secrètement deux exilés Parthes, Mithridate et Orsanès, qui s'étaient réfugiés auprès de lui, tout en déclarant devant les soldats qu'ils s'étaient évadés[14].

[12] Section 7 Ant., XIV, 6, 2-4.

[13] Ptolémée Aulète, roi d'Égypte, chassé par ses sujets, persuada Gabinius, à prix d'or, de le restaurer (55 av. J.-C.).

[14] Détail complètement étranger à l'histoire juive et qui suffirait à prouver que Josèphe copie, en l'abrégeant, une histoire générale.

Crassus et Cassius. Pillage du Temple. Puissance d'Antipater.

8.[15] Cependant Crassus vint pour lui succéder dans le gouvernement de la Syrie. Avant d'entreprendre son expédition contre les Parthes, il mit la main sur l'or que renfermait le Temple de Jérusalem et emporta même les deux mille talents auxquels Pompée n'avait pas touché. Il franchit l'Euphrate et périt avec toute son armée ; mais ce n'est pas le lieu de raconter ces événements.

[15] Sections 8 et 9 Ant. ; XIV, 7, 1-3.

9. Après la mort de Crassus, les Parthes s'élançaient pour envahir la Syrie mais Cassius, qui s'était réfugié dans cette province, les repoussa. Ayant ainsi sauvé la Syrie, il marcha rapidement contre les Juifs, prit Tarichées, où il réduisit trente mille Juifs en esclavage, et mit à mort Pitholaos, qui cherchait à réunir les partisans d'Aristobule : c'est Antipater qui lui conseilla cette exécution. Antipater avait épousé Kypros, femme d'une noble famille d'Arabie ; quatre fils naquirent de ce mariage — Phasaël, Hérode, qui fut roi, Joseph, Phéroras — et une fille, Salomé. Il s'était attaché les puissants de partout par les liens de l'amitié et de l'hospitalité ; il avait gagné surtout la faveur du roi des Arabes, par son alliance matrimoniale, et c'est à lui qu'il confia ses enfants quand il engagea la guerre contre Aristobule. Cassius, après avoir contraint par un traité Alexandre à se tenir en repos, se dirigea vers l'Euphrate pour empêcher les Parthes de franchir le fleuve ; ce sont des événements dont nous parlerons ailleurs[16].

[16] Phrase copiée sans réflexion dans Nicolas ? Nulle part « ailleurs » dans la Guerre on ne trouve le récit de ces événements. Dans le passage correspondant des Ant. (§122) on lit : « comme d'autres l'ont raconté » (ὡς καὶ ὑπ' ἄλλων δεδήλωνται).

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