Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 1
Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167–4 av. J.-C)

CHAPITRE 10
Plaintes d'Antigone contre Antipater ; César décide en faveur de ce dernier. Antipater gouverne la Judée sous le nom d'Hyrcan. Exploits, procès, exil et retour d'Hérode. Guerre d'Apamée.

Plaintes d'Antigone contre Antipater ; César décide en faveur de ce dernier.

1.[1] Vers le même temps se présenta devant César Antigone, fils d'Aristobule, et son intervention eut pour effet inattendu d'avancer la fortune d'Antipater. Antigone aurait dû se contenter de pleurer sur la mort de son père, empoisonné, semble-t-il, à cause de ses dissentiments avec Pompée, et de flétrir la cruauté de Scipion envers son frère, sans mêler à ses plaintes aucun sentiment de haine. Loin de là, il osa encore venir en personne accuser Hyrcan et Antipater : ils l'avaient, disait-il, au mépris de tout droit, chassé, lui, ses frères et sœurs, de toute leur terre natale ; ils avaient, dans leur insolence, accablé le peuple d'injustices ; s'ils avaient envoyé des secours en Égypte, ce n'était pas par bienveillance pour César, mais par crainte de voir renaître de vieilles querelles et pour se faire pardonner leur amitié envers Pompée.

[1] Sections 1 à 3 Ant., XIV, 8, 4-5. (Le récit de Guerre est plus développé.)

2. En réponse, Antipater, arrachant ses vêtements. montra ses nombreuses cicatrices. « Son affection pour César, dit-il, point n'est besoin de la prouver par des paroles ; tout son corps la crie, gardât-il le silence. Mais l'audace d'Antigone le stupéfait. Quoi ! le fils d'un ennemi des Romains, d'un fugitif de Rome, lui qui a hérité de son père l'esprit de révolution et de sédition, ose accuser les autres devant le général romain et s'efforce d'en obtenir quelque avantage, quand il devrait s'estimer heureux d'avoir la vie sauve ! D'ailleurs, s'il recherche le trône, ce n'est pas le besoin qui l'y pousse ; ce qu'il désire plutôt, c'est de pouvoir, présent de sa personne, semer la sédition parmi les Juifs et user de ses ressources contre ceux qui les lui ont fournies ».

3. Après avoir entendu ce débat, César déclara qu'Hyrcan méritait mieux que tout autre le grand pontificat et laissa à Antipater le droit de choisir la dignité qu'il voudrait. Celui-ci déclara s'en rapporter à son bienfaiteur du soin de fixer l'étendue du bienfait ; il fut alors nommé procurateur de toute la Judée. Il obtint de plus l'autorisation d'élever les murailles détruites de sa patrie. César expédia ces décisions à Rome pour être gravées au Capitole comme un monument de sa propre justice et du mérite d'Antipater.

Antipater gouverne la Judée sous le nom d'Hyrcan.

4.[2] Antipater, après avoir accompagné César jusqu'aux frontières de Syrie, revint à Jérusalem. Son premier soin fut de relever les murs de la capitale, que Pompée avait abattus, et de parcourir le pays pour apaiser les troubles, usant tour à tour de menaces et de conseils. En s'attachant à Hyrcan, disait-il, ils vivront dans l'abondance et dans la tranquillité et jouiront de leurs biens au sein de la paix commune ; s'ils se laissent, au contraire, séduire par les vaines promesses de gens qui, dans l'espoir d'un avantage personnel, trament des changements, ils trouveront dans Antipater un maître au lieu d'un protecteur, dans Hyrcan un tyran au lieu d'un roi, dans les Romains et dans César des ennemis au lieu de chefs et d'amis ; car ceux-ci ne laisseront pas chasser du pouvoir celui qu'ils y ont eux-mêmes installé. En même temps, il s'occupa lui-même d'organiser le pays car il ne voyait chez Hyrcan qu'inertie et faiblesse indignes d'un roi[3]. Il donna à son fils aîné Phasaël le gouvernement de Jérusalem et des alentours ; il envoya Hérode, le second, avec des pouvoirs égaux en Galilée, malgré son extrême jeunesse.

[2] Sections 4-9 Ant., XIV, 9.

[3] Terme impropre, qui revient plusieurs fois ici et dans Ant., XIV, 9. Hyrcan n'avait que le titre d'ethnarque.

Exploits, procès, exil et retour d'Hérode.

5. Hérode, doué d'un naturel entreprenant, trouva bientôt matière à son énergie. Un certain Ezéchias, chef de brigands, parcourait à la tète d'une grosse troupe les confins de la Syrie ; Hérode s'empara de sa personne et le mit à mort avec un bon nombre de ses brigands. Ce succès fit le plus grand plaisir aux Syriens. Dans les bourgs, dans les villes, les chansons célébraient Hérode comme celui qui assurait par sa présence la paix et leurs biens. Cet exploit le fit aussi connaître à Sextus César, parent du grand César et gouverneur de Syrie. Phasaël, de son côté, par une noble émulation, rivalisait avec le bon renom de son frère ; il sut se concilier la faveur des habitants de Jérusalem et gouverner en maître la ville sans commettre aucun excès fâcheux d'autorité. Aussi le peuple courtisait Antipater comme un roi : tous lui rendaient des honneurs comme s'il eût été le maître absolu ; cependant il ne se départit jamais de l'affection ni de la fidélité qu'il devait à Hyrcan.

6. Mais il est impossible dans la prospérité d'éviter l'envie. Déjà Hyrcan se sentait secrètement mordu par la gloire de ces jeunes gens ; c'étaient surtout les succès d'Hérode qui l'irritaient, c'étaient les messagers se succédant sans relâche pour raconter ses hauts faits. Il ne manquait pas non plus de médisants à la cour, pour exciter les soupçons du prince, gens qui avaient trouvé un obstacle dans la sagesse d'Antipater ou de ses fils. Hyrcan, disaient-ils, avait abandonné à Antipater et à ses fils la conduite des affaires ; lui-même restait inactif, ne gardant que le titre de roi sans pouvoir effectif. Jusqu'à quand persévérerait-il dans son erreur de nourrir des rois contre lui ? Déjà ses ministres ne se contentent plus du masque de procurateurs ; ils se déclarent ouvertement les maîtres, ils le mettent entièrement de côté, puisque, sans avoir reçu ni ordre ni message d'Hyrcan, Hérode a, au mépris de la loi juive, fait mourir un si grand nombre de personnes ; s'il n'est pas roi, s'il est encore simple particulier, Hérode doit comparaître en justice et se justifier devant le prince et les lois nationales, qui interdisent de tuer un homme sans jugement.

7. Ces paroles peu à peu enflammaient Hyrcan ; sa colère finit par éclater, et il cita Hérode en justice. Celui-ci, fort des conseils de son père et s'appuyant sur sa propre conduite, se présenta devant le tribunal, après avoir préalablement mis bonne garnison en Galilée. Il marchait suivi d'une escorte suffisante[4], calculée de manière à éviter d'une part l'apparence de couloir renverser Hyrcan avec des forces considérables, et d'autre part le danger de se livrer sans défense à l'envie. Cependant Sextus César, craignant que le jeune homme, pris par ses ennemis, n'éprouvât quelque malheur, manda expressément à Hyrcan qu'il eut à absoudre Hérode de l'accusation de meurtre. Hyrcan, qui d'ailleurs inclinait à cette solution, car il aimait Hérode, rendit une sentence conforme[5].

[4] Nous lisons avec Destinon μετ' ἀρκετοῦ (mss. μετὰ καρτεροῦ) στίφους.

[5] D'après le récit de Ant., § 177, Hyrcan ne rendit pas une sentence d'acquittement, mais d'ajournement, qui permis à Hérode de s'évader.

8. Cependant Hérode, estimant que c'était malgré le roi qu'il avait évité la condamnation, se retira à Damas auprès de Sextus et se mit en mesure de répondre à une nouvelle citation. Les méchants continuaient à exciter Hyrcan, disant qu'Hérode avait fui par colère et qu'il machinait quelque chose contre lui. Le roi les crut, mais il ne savait que faire, voyant son adversaire plus fort que lui. Lorsque ensuite Sextus nomma Hérode gouverneur[6] de Coelé-Syrie et de Samarie, formidable à la fois par la faveur du peuple et par sa puissance propre, il inspira une extrême terreur à Hyrcan, qui s'attendait dès lors à le voir marcher contre lui à la tête d'une armée.

[6] Encore un terme impropre, Hérode n'était sans doute que procurateur. Cf. XI, 4, infra.

9. Cette crainte n'était que trop fondée. Hérode, furieux de la menace que ce procès avait suspendue sur sa tète, rassembla une armée et marcha sur Jérusalem pour déposer Hyrcan. Il aurait exécuté ce dessein incontinent, si son père et son frère n'étaient venus au-devant de lui et n'avaient arrêté son élan ; ils le conjurèrent de borner sa défense à la menace, à l'indignation, et d'épargner le roi sous le règne duquel il était parvenu à une si haute puissance. Si, disent-ils, il a raison de s'indigner d'avoir été appelé au tribunal, il doit, d'autre part, se réjouir de son acquittement ; s'il répond par la colère à l'injure, il ne doit pas répondre par l'ingratitude au pardon. Et s'il faut estimer que les hasards de la guerre sont dans la main de Dieu, un acte injuste prévaudra sur la force d'une armée : aussi ne doit-il pas avoir une confiance absolue dans la victoire, puisqu'il va combattre contre son roi et son ami, qui fut souvent son bienfaiteur et ne lui a été hostile que le jour où, cédant à de mauvais conseils, il l'a menacé d'une ombre d'injustice. Hérode se laissa persuader par ces avis, pensant qu'il suffisait à ses espérances d'avoir fait devant le peuple cette manifestation de sa puissance.

Guerre d'Apamée.

10.[7] Sur ces entrefaites, des troubles et une véritable guerre civile éclatèrent à Apamée, entre les Romains. Cécilius Bassus, par attachement pour Pompée, assassina Sextus César[8] et s'empara de son armée ; les autres lieutenants de César, pour venger ce meurtre, attaquèrent Bassus avec toutes leurs forces. Antipater, dévoué aux deux Césars, le mort et le vivant, leur envoya des secours sous ses deux fils. Comme la guerre traînait en longueur, Murcus fut envoyé d'Italie pour succéder à Sextus.

[7] Section 10 Ant., XIV, 11, 1.

[8] 46 av. J.-C.

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