Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 1
Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167–4 av. J.-C)

CHAPITRE 13
Les Parthes en Syrie. Pacoros attaque Jérusalem. Capture de Phasaël et d'Hyrcan. Fuite d'Hérode. Restauration d'Antigone. Mort de Phasaël.

Les Parthes en Syrie.

1.[1] Deux ans après[2], Barzapharnès, satrape des Parthes, occupa la Syrie avec Pacoros, fils du roi. Lysanias, qui avait hérité du royaume de son père Ptolémée, fils de Mennaios, persuada le satrape, en lui promettant mille talents et cinq cents femmes, de ramener sur le trône Antigone et de déposer Hyrcan[3]. Gagné par ces promesses, Pacoros lui-même s'avança le long du littoral et enjoignit à Barzapharnès de faire route par l'intérieur des terres. Parmi les populations côtières, Tyr refusa le passage à Pacoros, alors que Ptolémaïs et Sidon lui avaient fait bon accueil. Alors le prince confia une partie de sa cavalerie à un échanson du palais qui portait le même nom que lui, et lui ordonna d'envahir la Judée pour observer l'ennemi et soutenir Antigone au besoin.

[1] Sections 1 à 11 Ant., XIV, 13, 3-10.

[2] 40 av. J.-C.

[3] D'après Ant., § 331, cette promesse fut faite par Antigone lui-même. Voir d'ailleurs infra, XII, 4.

Pacoros attaque Jérusalem.

2. Comme ces cavaliers ravageaient le Carmel, un grand nombre de Juifs se rallièrent à Antigone et se montrèrent pleins d'ardeur pour l'invasion. Antigone les dirigea vers le lieu appelé Drymos (la Chênaie)[4] dont ils devaient s'emparer. Ils y livrèrent bataille, repoussèrent les ennemis, les poursuivirent jusqu'à Jérusalem et, grossissant leurs rangs, parvinrent jusqu'au palais. Hyrcan[5] et Phasaël les y reçurent avec une forte troupe. La lutte s'engagea sur l'agora ; Hérode mit en fuite les ennemis, les cerna dans le Temple et établit dans les maisons voisines un poste de soixante hommes pour les surveiller. Mais le peuple, soulevé contre les deux frères attaqua cette garnison et la fit périr dans les flammes. Hérode, exaspéré de cette perte, se vengea en chargeant le peuple et tuant un grand nombre de citoyens. Tous les jours de petits partis se ruaient les uns sur les autres : c'était une tuerie continuelle.

[4] Entre Tour de Straton (Césarée) et Jopé.

[5] Hérode, d'après Ant., § 335.

3. Comme la fête de la Pentecôte approchait, tous les lieux voisins du Temple et la ville entière se remplirent d'une foule de gens de la campagne, armés pour la plupart. Phasaël défendait les murailles ; Hérode, avec peu de soldats, le palais. Il fit une sortie vers le faubourg contre la multitude désordonnée des ennemis, en tua un grand nombre, les mit tous en fuite et les rejeta les uns dans la ville, d'autres dans le Temple, d'autres dans le camp fortifié loin des murs. Là-dessus Antigone demanda que l'on introduisit Pacoros[6] comme médiateur de la paix. Phasaël, se laissant persuader, reçut le Parthe dans la ville et lui donna l'hospitalité. Accompagné de cinq cents cavaliers, il se présentait sous prétexte de mettre un terme aux factions, mais en réalité pour aider Antigone. Ses manœuvres perfides décidèrent Phasaël à se rendre auprès de Barzapharnès pour terminer la guerre, bien qu'Hérode l'en détournât avec insistance et l'engageât à tuer ce traître, au lieu de se livrer à ses ruses, car la perfidie, disait-il, est naturelle aux barbares. Cependant Pacoros, pour détourner le soupçon, partit aussi, emmenant avec lui Hyrcan et laissant auprès d'Hérode quelques-uns de ces cavaliers que les Parthes appellent Eleuthères (Libres)[7] ; avec le reste il escortait Phasaël.

[6] L'échanson ou le prince ? Plutôt l'échanson, car le prince aurait pu traiter directement avec Phasaël.

[7] Plus exactement : 200 cavaliers et 10 Eleuthères (Ant., § 342). La majeure partie de l'armée Parthe se composait d'esclaves (Justin, XLI, 2, 5).

4. Arrivés en Gaulée, ils trouvèrent les indigènes en pleine défection et en armes : ils se présentèrent au satrape[8], qui dissimula adroitement sous la bienveillance la trame qu'il préparait : il leur donna des présents, puis, quand ils s'éloignèrent, leur dressa une embuscade. Ils connurent le piège où ils étaient tombés lorsqu'ils se virent emmener dans une place maritime, nommée Ecdippa. Là ils apprirent la promesse faite à Pacoros de mille talents, et que, parmi ce tribut de cinq cents femmes qu'Antigone consacrait aux Parthes, se trouvaient la plupart des leurs ; que les barbares surveillaient sans cesse leurs nuits ; enfin qu'on les aurait déjà arrêtés depuis longtemps si l'on n'avait préféré attendre qu'Hérode fût pris à Jérusalem, pour éviter que la nouvelle de leur capture ne le mît sur ses gardes. Ce n'étaient déjà plus de vaines conjectures : déjà ils pouvaient voir des sentinelles qui les gardaient à quelque distance.

[8] Barzapharnès.

5. Un certain Ophellias, que Saramalla, le plus riche Syrien de ce temps, avait informé de tout le plan du complot, insistait vivement auprès de Phasaël pour qu'il prit la fuite ; mais celui-ci se refusait obstinément à abandonner Hyrcan. Il alla trouver le satrape et lui reprocha en face sa perfidie, le blâmant surtout d'agir ainsi par cupidité ; il s'engageait d'ailleurs à lui donner plus d'argent pour son salut qu'Antigone ne lui en avait promis pour sa restauration. Le Parthe répondit habilement et s'efforça de dissiper les soupçons par des protestations et des serments ; puis il se rendit auprès de Pacoros[9]. Bientôt après les Parthes, qu'on avait laissés auprès de Phasaël et d'Hyrcan, les arrêtèrent comme ils en avaient l'ordre ; les prisonniers les accablèrent de malédictions, flétrissant le parjure et la perfidie dont ils étaient victimes.

[9] Le prince royal et non, comme le veut Kohout, l'échanson.

Fuite d'Hérode.

6. Cependant l'échanson (Pacoros) envoyé contre Hérode s'ingéniait à l'attirer par ruse hors du palais, pour s'emparer de lui comme il en avait reçu l'ordre. Hérode, qui dès l'abord se défiait des Barbares, avait encore appris que des lettres, qui lui donnaient avis de leur complot, étaient tombées aux mains des ennemis ; il se refusait donc à sortir, malgré les assurances spécieuses de Pacoros, qui le pressait d'aller à la rencontre de ses messagers ; car les lettres, disait-il, n'avaient pas été prises par les ennemis, elles ne parlaient pas de trahison, mais elles devaient le renseigner sur tout ce qu'avait fait Phasaël. Mais Hérode avait appris d'une autre source la captivité de son frère, et Mariamme, la fille d'Hyrcan[10], la plus avisée des femmes, se rendit près de lui, pour le supplier de ne pas sortir ni de se fier aux Barbares, qui déjà machinaient ouvertement sa perte.

[10] Lapsus pour « petite-fille ». Dans Ant., § 351, il est bien question de la fille d'Hyrcan, mais c'est Alexandra (ἧς ἐγγεγύητο τὴν παῖδα), non Mariamme ; cette dernière version est plus vraisemblable.

7. Pendant que Pacoros et ses complices délibéraient encore comment ils exécuteraient secrètement leur complot, car il n'était pas possible de triompher ouvertement d'un homme aussi avisé, Hérode prit les devants, et, accompagné des personnes qui lui étaient les plus proches, partit de nuit, à l'insu des ennemis, pour l'Idumée. Les Parthes, s'étant aperçus de sa fuite, se lancèrent à sa poursuite. Hérode mit en route sa mère, ses sœurs[11], sa fiancée, avec la mère de sa fiancée et son plus jeune frère[12] ; lui-même avec ses serviteurs, par d'habiles dispositions, repoussa les Barbares, en tua un grand nombre dans leurs diverses attaques et gagna ainsi la forteresse de Masada.

[11] Le texte a ici ἀδελφούς, mais Ant. § 353 donne ἀδελφήν, que préfère Alrich. Nous traduisons la leçon du Niese, τὰς ἀδελφάς.

[12] Le plus jeune frère d'Hérode, non de Mariamme (qui n'en avait qu'un).

8. Il trouva dans cette fuite les Juifs plus incommodes que les Barbares, car ils le harcelèrent continuellement, et à soixante stades de Jérusalem lui présentèrent même le combat, qui dura assez longtemps. Hérode fut vainqueur et en tua beaucoup ; plus tard, en souvenir de sa victoire, il fonda une ville en ce lieu, l'orna de palais somptueux, y éleva une très forte citadelle et l'appela de son propre nom Hérodion. Cependant, au cours de sa fuite, il voyait chaque jour un grand nombre de partisans se joindre à lui. Arrivé à Thrésa, en Idumée, son frère Joseph le rejoignit et lui conseilla de se décharger de la plupart de ses compagnons, car Masada ne pouvait recevoir une telle multitude ; ils étaient, en effet, plus de neuf mille. Hérode se rangea à cet avis et dispersa à travers l'Idumée, après leur avoir donné un viatique, les hommes plus encombrants qu'utiles puis, gardant auprès de lui les plus robustes et les plus chéris, il se jeta dans la place. Après y avoir laissé huit cents hommes pour garder les femmes et des vivres suffisants pour soutenir un siège, lui-même gagna à marches forcées Pétra, en Arabie.

Restauration d'Antigone. Mort de Phasaël.

9. Cependant les Parthes, restés à Jérusalem, se livrèrent au pillage ; ils envahirent les maisons des fugitifs et le palais, n'épargnant que les richesses d'Hyrcan, qui ne dépassaient pas trois cents talents ; ils ne trouvèrent pas chez les autres autant qu'ils espéraient, car Hérode, perçant depuis longtemps la perfidie des Barbares, avait fait transporter en Idumée ses trésors les plus précieux, et chacun de ses amis en avait fait autant. Après le pillage, l'insolence des Parthes dépassa toute mesure : ils déchaînèrent sur tout le pays les horreurs de la guerre, sans l'avoir déclarée. Ils ruinèrent de fond en comble la ville de Marisa, et, non contents d'établir Antigone sur le trône, ils livrèrent à ses outrages Phasaël et Hyrcan enchaînés. Antigone, quand Hyrcan se jeta à ses pieds, lui déchira lui-même les oreilles avec ses dents[13], pour empêcher que jamais, même si une révolution lui rendait la liberté[14], il pût recouvrer le sacerdoce suprême ; car nul ne peut être grand-prêtre s'il n'est exempt de tout défaut corporel.

[13] Ce détail atroce et suspect manque dans Ant., § 366.

[14] Nous lisons avec Niese μηδὲ λυθείς (latin : ne solutus quidem), au lieu de la leçon des mss. μηδὲ αὖθις.

10. Quant à Phasaël, son courage rendit vaine la cruauté du roi, car il la prévint en se brisant la tête contre une pierre, n'ayant à sa disposition ni ses bras ni un fer. Il mourut ainsi en héros, se montrant le digne frère d'Hérode et fit ressortir la bassesse d'Hyrcan : fin digne des actions qui avaient rempli sa vie. D'après une autre version, Phasaël se serait remis de sa blessure, mais un médecin envoyé par Antigone, sous prétexte de le soigner, appliqua sur la plaie des médicaments toxiques et le fit ainsi périr. Quelque récit qu'on préfère, la cause de la mort n'en est pas moins glorieuse. On dit encore qu'avant d'expirer, il apprit d'une femme qu'Hérode s'était sauvé. « Maintenant, dit-il, je partirai avec joie, puisque je laisse vivant un vengeur pour punir mes ennemis ».

11. Ainsi mourut Phasaël. Les Parthes, quoique déçus dans leur plus vif désir, celui de ravir des femmes, n'en installèrent pas moins Antigone comme maître à Jérusalem, et emmenèrent Hyrcan prisonnier en Parthyène.

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