Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 1
Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167–4 av. J.-C)

CHAPITRE 21
Reconstruction par Hérode du Temple de Jérusalem : palais royal, tour Antonia. Fondation de Sébasté. Temple du Paneion. Constructions diverses en l'honneur d'Auguste. Port de Césarée. Jeux de Césarée. Fondation d'Agrippium (Anthédon), Antipatris, Cypros, Phasaëlis. Les deux Hérodium. Libéralités à des villes étrangères. Jeux olympiques. Portrait d'Hérode.


Maquette du Temple d'Hérode (Musée d'Israël).

Reconstruction par Hérode du Temple de Jérusalem : palais royal, tour Antonia.

1.[1] Ce fut donc dans la quinzième année de son règne[2] qu'il fit rebâtir le Temple et renouveler les fortifications de l'espace environnant, porté au double de son étendue primitive. Ce fut une entreprise extrêmement coûteuse et d'une magnificence sans égale, comme l'attestent les grands portiques élevés autour du Temple et la citadelle qui le flanqua au nord : les portiques furent reconstruits de fond en comble, la citadelle restaurée avec une somptuosité digne d'un palais royal ; Hérode lui donna le nom d'Antonia, en l'honneur d'Antoine. Son propre palais, qu'il fit construire dans la partie haute de la ville, comprenait deux appartements très vastes et magnifiques, avec lesquels le Temple même ne pouvait soutenir la comparaison ; il les appela du nom de ses amis, l'un Césaréum, l'autre Agrippium.

[1] Section 1 Ant., XV, 11 et Ant., XV, 9, 3, § 318.

[2] La dix-huitième (20/19 av. J.-C.) d'après Ant., § 380, indication qui paraît préférable. La date est celle du commencement des travaux.

Fondation de Sébasté.

2.[3] D'ailleurs, il ne se contenta pas d'attacher à des palais le nom et la mémoire de ses protecteurs ; sa générosité s'exprima par la création de cités entières. Dans le pays de Samarie, il entoura une ville d'une magnifique enceinte de vingt stades, y introduisit six mille colons et leur attribua un territoire très fertile ; au centre de cette fondation, il éleva un très grand temple dédié a l'empereur, l'entoura d'un enclos réservé de un stade et demi[4] et nomma la ville Sébasté. Les habitants reçurent une constitution privilégiée.

[3] Section 2 Ant., XV, 8, 5, § 296-298 ; mais le texte de Guerre donne des détails nouveaux. Date : 25 av. J.-C.

[4] Les mss. (sauf Lugd.) ont ici τριῶν ἡμισταδίων : dans le passage parallèle (Ant. XV, § 298), τριῶν ἥμισυ σταδίων. Le sens ne paraît pas douteux, malgré les traducteurs ; un témenos d'un rayon de un stade était déjà considérable.

Temple du Paneion.

3.[5] Quand plus tard l'empereur lui fit présent de nouveaux territoires, Hérode lui dédia là aussi un temple de marbre blanc près des sources du Jourdain, au lieu appelé Paneion. Une montagne y dresse son sommet à une immense hauteur[6] et ouvre dans la cavité de son flanc un antre obscur, où plonge jusqu'à une profondeur inaccessible un précipice escarpé ; une masse d'eau tranquille y est enfermée, si énorme qu'on a vainement essayé par des sondages d'atteindre le fond. De cet antre au pied de la montagne, jaillissent extérieurement les sources qui, suivant l'opinion de plusieurs, donnent naissance au Jourdain ; nous en parlerons avec plus de précision dans la suite.

[5] Section 3 Ant., XV, 10, 3, § 363-364 (moins détaillé).

[6] Le mont Hermon 2 860 mètres.

Constructions diverses en l'honneur d'Auguste.

4.[7] A Jéricho encore, entre la citadelle de Cypros[8] et l'ancien palais, le roi fit construire de nouvelles habitations plus belles et mieux aménagées pour la réception des hôtes ; il leur donna le nom de ces mêmes amis[9]. En un mot, il n'y eut pas dans son royaume un lieu approprié où il ne laissât quelque marque d'hommage envers César. Après avoir rempli de temples son propre territoire, il fit déborder sur la province entière sa dévotion à l'empereur et fonda des temples de César dans plusieurs cités.

[7] Section 4. Pas de parallèle exact dans Ant. (Pour les Caesarea provinciaux, Cf. cependant Ant., XV, § 328 suiv.).

[8] Elle avait été bâtie par Hérode en l'honneur de sa mère, cf. infra XXI, 9.

[9] César (Auguste) et Agrippa.

Port de Césarée.

5.[10] Il remarqua parmi les cités du littoral une ville appelée Tour de Straton, alors en pleine décadence, mais qu'une situation favorable recommandait à sa libéralité. Il la reconstruisit tout entière en pierre blanche, l'orna des palais les plus magnifiques et y déploya plus que partout ailleurs la naturelle grandeur de son génie. Tout le littoral entre Dora et Joppé, à égale distance desquelles se trouve cette ville, est dépourvu de ports : aussi tous les navigateurs qui longent la Phénicie pour se rendre en Égypte jetaient-ils l'ancre au large sous la menace du vent du sud-ouest ; car, même quand il souffle modérément, le flot se soulève à une telle hauteur contre les falaises que son reflux entretient à une grande distance la fureur de la mer. Le roi, par sa prodigue magnificence, triompha de la nature, construisit un port plus grand que le Pirée et pratiqua dans ses recoins d'autres mouillages profonds.

[10] Sections 5-7 (construction de Césarée) Ant., XV, 9, 6.

6. Bien que le terrain contrariât tous ses projets, il combattit si bien les obstacles, qu'il garantit contre les attaques de la mer la solidité de ses constructions, tout en leur donnant une beauté qui éloignait toute idée de difficulté. En effet, après avoir mesuré pour le port la superficie que nous avons indiquée, il fit immerger dans la mer, jusqu'à une profondeur de vingt brasses, des blocs de pierre dont la plupart mesuraient cinquante pieds de longueur, neuf de hauteur et dix de largeur[11] ; quelques-uns même étaient plus grands encore. Quand le fond eut été ainsi comblé, il dressa sur ces assises, au-dessus de l'eau, un môle large de deux cents pieds : la moitié, cent pieds, servait à recevoir l'assaut des vagues, — d'où son nom de « brise-lames » — le reste soutenait un mur de pierre, qui faisait tout le tour du port ; de ce mur surgissaient, de distance en distance, de hautes tours dont la plus grande et la plus magnifique fut appelée Drusion, du nom du beau-fils de l'empereur.

[11] 18 selon Ant., § 334.

7. Il ménagea dans le mur un grand nombre de chambres voûtées, où s'abritaient les marins qui venaient jeter l'ancre : toute la terrasse circulaire, courant devant ces arcades, formait un large promenoir pour ceux qui débarquaient. L'entrée du port s'ouvrait au nord, car, dans ces parages, c'est le vent du nord qui est, de tous, le plus favorable. Dans la passe on voyait de chaque côté trois colosses, étayés sur des colonnes ; ceux que les navires entrants avaient à bâbord s'élevaient sur une tour massive, ceux à tribord sur deux blocs de pierre dressés et reliés entre eux, dont la hauteur dépassait celle de la tour vis-à-vis. Adjoignant au port on voyait des édifices construits eux aussi en pierre blanche, et c'était vers le port que convergeaient les rues de la ville, tracées à des intervalles égaux les unes des autres. En face de l'entrée du port s'élevait sur une éminence le temple d'Auguste[12], remarquable par sa beauté et sa grandeur ; il renfermait une statue colossale de l'empereur, qui ne le cédait point à celle du Zeus d'Olympie dont elle était inspirée, et une statue de Rome, semblable à celle d'Héra, à Argos. Hérode dédia la ville à la province, le port à ceux qui naviguaient dans ces parages, à César la gloire de cette fondation ; aussi donna-t-il à la cité le nom de Césarée.

[12] Plus exactement : de Rome et d'Auguste cf. Suétone, Aug., 52.

Jeux de Césarée. Fondation d'Agrippium (Anthédon), Antipatris, Cypros, Phasaëlis.

8.[13] Le reste des constructions, l'amphithéâtre, le théâtre, les places publiques, furent dignes du nom de cette ville. Hérode y institua aussi des jeux quinquennaux[14], également dénommés d'après l'empereur ; il les inaugura lui-même, dans la 192e Olympiade[15], en proposant des prix magnifiques : non seulement les vainqueurs, mais encore ceux qui venaient au second et au troisième rang prenaient part aux largesses royales. Il releva encore Anthédon, ville du littoral, qui avait été ruinée au cours des guerres, et lui donna le nom d'Agrippium[16] ; dans l'excès de son affection pour Agrippa, il fit graver le nom de ce même ami sur la porte qu'il éleva dans le Temple[17].

[13] Section 8, Ant., XVI, 5, 1, § 136-138. — Mais la fin de la section (Il releva encore Anthédon) n'a pas de parallèle dans les Antiquités, quoi qu'en disent les éditeurs.

[14] C'est-à-dire célébrés tous les quatre ans.

[15] Plus exactement, la 3e année de cette Olympiade, 10 av. J.-C.

[16] Agrippias, d'après Ant., XIII, § 357.

[17] De Jérusalem. Le Temple d'Hérode comportait de nombreuses portes, les unes donnant accès à la cour extérieure, les autres à la cour intérieure ; on ignore de quelle porte il s'agit ici.

9.[18] Hérode, qui aimait ses parents autant que fils au monde, consacra à la mémoire de son père une cité dont il choisit l'emplacement dans la plus belle plaine de son royaume, abondante en cours d'eau et en arbres ; il lui donna le nom d'Antipatris. Au-dessus de Jéricho, il entoura de murailles un lieu remarquable par sa forte position et sa beauté et l'appela Cypros du nom de sa mère. Celui de son frère Phasaël fut attribué à un tour de Jérusalem, dont nous dirons dans la suite la structure et la somptueuse grandeur. Il nomma encore Phasaëlis une autre ville qu'il fonda dans la vallée, au nord de Jéricho.

[18] Section 9 Ant., XVI, 5, 2.

Les deux Hérodium.

10.[19] Ayant ainsi transmis à l'immortalité ses parents et ses amis, il n'oublia pas le souci de sa propre mémoire. C'est ainsi qu'il renouvela les fortifications d'une place située dans la montagne, du côté de l'Arabie, et l'appela de son propre nom, Hérodium. Une colline artificielle en forme de mamelon, à soixante stades de Jérusalem, reçut le même nom, mais fut embellie avec plus de recherche. Hérode entoura le sommet de la colline d'une couronne de tours rondes et accumula dans l'enceinte les palais les plus somptueux : non seulement l'aspect des constructions, à l'intérieur, était superbe, mais les richesses étaient répandues à profusion sur les murs extérieurs, les créneaux et les toits. Il fit venir à grands frais de loin des eaux abondantes et assura l'accès du palais par un escalier de deux cents degrés de marbre d'une blancheur éclatante, car la colline était assez haute et tout entière faite de main d'homme. Au pied du coteau, il bâtit un autre palais pouvant abriter un mobilier et recevoir ses amis. Par la plénitude des ressources, cette enceinte fortifiée paraissait être une ville par ses dimensions, c'était un simple palais.

[19] Section 10 Ant., XV, 9, 4, § 323-325. Le premier Hérodium, sur la frontière d'Arabie, parait être mentionné Ant., XVI, § 14. Le site en est inconnu ; l'identité avec Machérous, proposée par Schlatter, est sans vraisemblance.

Libéralités à des villes étrangères. Jeux olympiques.

11.[20] Après tant de fondations, il témoigna encore sa générosité à un grand nombre de villes étrangères. Il construisit, en effet, des gymnases à Tripolis, à Damas et à Ptolémaïs, une muraille à Byblos, des exèdres, des portiques, des temples et des marchés à Béryte et à Tyr, des théâtres à Sidon et à Damas ; à Laodicée sur mer, un aqueduc ; à Ascalon, des bains, de somptueuses fontaines, des colonnades admirables pour la beauté et les dimensions ; d'autres cités furent embellies de parcs et de prairies. Beaucoup de villes, comme si elles eussent été associées à son royaume, reçurent de lui des territoires ; d'autres, comme Cos, obtinrent des gymnasiarchies annuelles à perpétuité, assurées par des rentes constituées, afin de n'être jamais privées de cet honneur. Il distribua du blé à tous ceux qui en avaient besoin ; il fournit aux Rhodiens à diverses reprises[21] de fortes sommes destinées à des constructions navales, et quand leur Pythion fut incendié, il le fit reconstruire plus magnifiquement à ses frais. Faut-il rappeler ses présents aux Lyciens[22] et aux Samiens, et des marques de générosité qu'il répandit dans l'Ionie entière suivant les besoins de chacun ? Les Athéniens, les Lacédémoniens, les habitants de Nicopolis, de Pergame en Mysie, ne sont-ils pas comblés des offrandes d'Hérode ? Et la grande rue d'Antioche de Syrie, qu'on évitait à cause de la boue, n'est-ce pas lui qui l'a pavée en marbre poli sur une longueur de vingt stades, lui qui l'a ornée d'un portique de même longueur pour abriter les promeneurs contre la pluie ?

[20] Section 11 Ant. XVI, 5, 3, § 146-148. Pour les présents d'Hérode à Samos, cf. XVI, § 24. Le texte de Guerre est ici plus complet et parait reproduire littéralement un développement oratoire de Nicolas.

[21] Nous lisons avec Destinon πολλὰ au lieu de πολλαχοῦ.

[22] Destinon propose Χίοις au lieu de Λυκίοις parce qu'il est question ailleurs Ant. XVI, § 18 et suiv. de différentes libéralités d'Hérode envers Chios.

12.[23] Tous ces dons, dira-t-on, n'intéressaient que chacun des peuples particuliers ainsi gratifiés ; les largesses qu'il fit aux Eléens ne sont pas seulement un présent commun à la Grèce entière, mais à tout l'univers où se répand la gloire des jeux olympiques. En voyant ces jeux déchus par l'absence de ressources et cet unique reste de l'ancienne Grèce tombant en ruine, non seulement il se laissa nommer agonothète pour la période quinquennale qui commençait au moment où, faisant voile vers Rome[24], il passa par là, mais il constitua encore, au profit de la fête, des revenus perpétuels qui devaient à jamais conserver sa mémoire parmi les agonothètes futurs[25]. Je n'en finirais pas de passer en revue les dettes et les impôts qu'il pris à sa charge ; c'est ainsi qu'il allégea les contributions annuelles des habitants de Phasélis[26], de Balanéa[27], des petites villes de Cilicie. Il dut souvent mettre un frein à sa générosité, par crainte d'exciter l'envie et de paraître poursuivre un but trop ambitieux en faisant plus de bien aux villes que leurs propres maîtres.

[23] Section 12, Ant., XVI, 5, 3, § 149. La fin de la section (Je n'en finirais pas...) n'a pas de parallèle.

[24] Il ne s'agit sûrement pas (comme le croit Kohout) du premier voyage d'Hérode à Rome, mais du second (12 av. J.-C.) ou du troisième, dont la date est incertaine. Cf. Schürer, I3, p. 373.

[25] Nous lisons ὡς μηδέποτ' ἀγωνοθετοῦντας (Naber : ἀγωνοθετοῦσιν; mss. ἀγωνοθετοῦσαν) τὴν αὐτοῦ μνήμην ἀπολιπεῖν (Niese; mss. : ἐπιλιπεῖν). Mais le texte est incertain. Dans le texte parallèle des Ant., XVI, § 119, il est question d'une agonothésie perpétuelle qui lut fut conférée par les Eléens.

[26] Il faut lire ainsi avec le Laurentianus et Niese : les autres manuscrits ont Φασαηλίταις. Il y avait bien une ville de ce nom supra, XXI, 9, mais en Palestine, et ici il est question uniquement de villes étrangères. Phasélis est en Lycie.

[27] Sur la côte syrienne, entre Laodicée et Aradus.

Portrait d'Hérode.

13[28]. Il était servi par une constitution physique en rapport avec son génie. Il excella toujours à la chasse, où il se distingua surtout par son expérience de cavalier : en un seul jour il terrassa quarante bêtes sauvages, car le pays nourrit des sangliers, et foisonne surtout de cerfs et d'ânes sauvages. Il fut aussi un soldat irrésistible. Souvent, dans les exercices du corps, il frappa d'étonnement les spectateurs à le voir jeter le javelot si juste et tirer de l'arc avec tant de précision. Mais outre les avantages de l'esprit et du corps, il eut encore pour lui la bonne fortune : il fut rarement battu à la guerre ; ses échecs ne furent-ils pas de sa faute, mais dus à la trahison, ou à l'ardeur téméraire de ses soldats.

[28] Section 13. Pas de parallèle dans les Antiquités. Pour la « chance » d'Hérode, cf. cependant Ant, XVII, § 191.

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