Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 2
Depuis la mort d'Hérode jusqu'au début de l'insurrection (4 av. J.-C. – 66 ap. J.-C.)

CHAPITRE 9
Testament de Salomé. Fondations d'Antipas et de Philippe. Pilate procurateur. Affaires des enseignes et de l'aqueduc. Agrippa à Rome ; il est emprisonné par Tibère. Avènement de Caligula. Agrippa roi ; fin de Philippe et d'Antipas.

Testament de Salomé. Fondations d'Antipas et de Philippe.

1.[1] Quand l'ethnarchie d'Archélaüs eut été réduite en province[2], les autres princes, Philippe et Hérode, surnommé Antipas, continuèrent à gouverner leurs tétrarchies respectives ; quant à Salomé, en mourant[3] elle légua à Julie, femme d'Auguste, sa toparchie, avec Jamnia et les bois de palmiers de Phasaélis. Quand l'empire des Romains passa à Tibère, fils de Julie, après la mort d'Auguste, qui avait dirigé les affaires pendant cinquante sept ans, six mois et deux jours[4], Hérode (Antipas) et Philippe, maintenus dans leurs tétrarchies, fondèrent, celui-ci, près des sources du Jourdain, dans le district de Panéas, la ville de Césarée et, dans la Gaulanitide inférieure celle de Julias ; Hérode, en Galilée Tibériade et, dans la Pérée, une cité qui prit aussi le nom de Julie[5].

[1] Section 1 = Ant., XVIII, § 27-28 ; 31-33 ; 36.

[2] 4/5 ap. J.-C.

[3] D'après Ant., XVIII, 31, Salomé mourut sous le procurateur Ambivius (10-13 ap. J. C.). Aux localités léguées par elle à Livie ce texte ajoute la ville d'Archélaïs.

[4] On ne comprend pas ce chiffre (qui est également donné Ant., XVIII, 32). En comptant, de la mort de César (15 mars 44 av.) jusqu'à celle d'Auguste (19 août 14 ap. J.-C.), on obtient 57 ans, 5 mois et 4 jours. En comptant de l'ouverture du testament de César (17 mars), comme le propose Gardthausen (Augstus und seine Ziet, II, 856), le nombre des jours devient exact, mais celui des mois reste toujours faux. Peut-être le texte copié par Josèphe donnait-il les nombres en chiffres, et le chiffre E (5) aura été lu F (6).

[5] La Julias de Gaulanitide, l'ancienne Bethsaïda (à l'E. du Jourdain et du lac) a reçu non nom, d'après Ant., XVIII, 28, en l'honneur de Julie, fille d'Auguste (exilée 2 av. J.-C.), Schürer en conclut que sa fondation est antérieure à cette date. La Julias de Perée portait le nom de l'impératrice Livie (Ant., XVIII, 27), devenue Julia par l'adoption testamentaire d'Auguste ; cette ville est plus ordinairement appelée Livias, nom qu'elle a dû recevoir à sa fondation.

Pilate procurateur. Affaires des enseignes et de l'aqueduc.

2.[6] Pilate, que Tibère envoya comme procurateur en Judée, introduisit nuitamment à Jérusalem, couvertes d'un voile, les effigies de César, qu'on nomme enseignes[7]. Le jour venu, ce spectacle excita parmi les Juifs un grand tumulte : les habitants présents furent frappés de stupeur, voyant là une violation de leurs lois, qui ne permettent d'élever aucune image dans leur ville ; l'indignation des gens de la ville se communiqua au peuple de la campagne, qui accourut de toutes parts. Les Juifs s'ameutèrent autour de Pilate, à Césarée, pour le supplier de retirer les enseignes de Jérusalem et de maintenir les lois de leurs ancêtres. Comme Pilate refusait, ils se couchèrent autour de sa maison et y restèrent prosternés, sans mouvement, pendant cinq jours entiers et cinq nuits.

[6] Sections 2 et 3 = Ant., XVIII. § 35 ; 55-59. Le gouvernement de Pilate se place de 26 à 36 ap. J.-C.

[7] Expression impropre. Ant., XVIII, 55, dit plus exactement : les bustes de César, plantés sur les enseignes.

3. Le jour qui suivit, Pilate s'assit sur son tribunal dans le grand stade et convoqua le peuple sous prétexte de lui répondre : là, il donna aux soldats en armes le signal convenu de cerner les Juifs. Quand ils virent la troupe massée autour d'eux sur trois rangs, les Juifs restèrent muets devant ce spectacle imprévu. Pilate, après avoir déclaré qu'il les ferait égorger s'ils ne recevaient pas les images de César, fit signe aux soldats de tirer leurs épées. Mais les Juifs, comme d'un commun accord, se jetèrent à terre en rangs serrés et tendirent le cou, se déclarant près à mourir plutôt que de violer la loi. Frappé d'étonnement devant un zèle religieux aussi ardent, Pilate donna l'ordre de retirer aussitôt les enseignes de Jérusalem.

4.[8] Un peu plus tard il souleva une nouvelle émeute en épuisant, pour la construction d'un aqueduc, le trésor sacré qu'on appelle Korbónas[9] ; l'eau fut emmenée d'une distance de 400 stades[10]. A cette nouvelle, le peuple s'indigna : il se répandit en vociférant autour du tribunal de Pilate, qui se trouvait alors à Jérusalem. Celui-ci, prévoyant la sédition, avait pris soin de mêler à la multitude une troupe de soldats armés, mais vêtus d'habits civils, et, tout en leur défendant de faire usage du glaive, leur ordonna de frapper les manifestants avec des gourdins. Du haut de son tribunal il donna un signe convenu. Les Juifs périrent en grand nombre, les uns sous les coups, d'autres en s'écrasant mutuellement dans la fuite. La multitude, stupéfiée par ce massacre, retomba dans le silence.

[8] Section 4 = Ant., XVIII, § 60-62.

[9] Ce passage est avec Matthieu XXVII, 6, le seul texte où le Trésor du Temple soit désigné sous le nom de Κορβονᾶς (du mot korban = tabou, consacré).

[10] 200 stades d'après Ant., § 60 (300 d'après Eusèbe, H. E. II, 6). On a voulu concilier ces données en prétendant que la Guerre a en vue tout l'aqueduc restauré par Pilate (depuis le Ouadi Aroub), tandis que les Ant. ne visent que la partie inférieure, depuis les « étangs de Salomon ». Cf. Schürer. I4, 490.

Agrippa à Rome ; il est emprisonné par Tibère.

5.[11] Sur ces entrefaites. Agrippa, fils de cet Aristobule que son père Hérode avait mis à mort, se rendit auprès de Tibère pour accuser le tétrarque Hérode (Antipas). L'empereur n'ayant pas accueilli l'accusation, Agrippa resta à Rome pour faire sa cour aux gens considérables et tout particulièrement à Gaius, fils de Germanicus, qui vivait encore en simple particulier. Un jour qu'il le recevait à souper, Agrippa, après force compliments de toute espèce, leva les bras au ciel et exprima publiquement le voeu de voir bientôt Gaius maître du monde, par le décès de Tibère. Un des domestiques d'Agrippa[12] rapporta ce mot à Tibère ; l'empereur, plein de colère, fit enfermer Agrippa dans une prison, où il le garda avec rigueur pendant six mois jusqu'à sa propre mort, qui survint après un règne de vingt-deux ans, six mois et trois jours[13].

[11] Section 5 = Ant., XVIII, § 161-223, récit très détaillé, mais où il n'est pas question d'une accusation portée par Agrippa contre Antipas. Le voyage et l'incarcération d'Agrippa se placent en 36 ap. J.-C.

[12] Son cocher Eutychos (Ant., 179 suiv.). Le propos, d'après Ant., 168, fut tenu non pas à souper, mais en voiture.

[13] D'après Ant., § 224&sp;: 22 ans, 5 mois et 3 jours (mais la traduction latine donne 6 mois). Les deux indications, provenant évidemment de la même source (ici encore le chiffre F est devenu E), sont d'ailleurs inexactes : Tibère a commencé à régner le 19 août 14 (mort d'Auguste) et est mort le 16 mars 37 (le 26 selon Dion), donc il a régné 22 ans, 6 mois et 22 jours.

Avènement de Caligula. Agrippa roi ; fin de Philippe et d'Antipas.

6.[14] Gaius, proclamé César, délivra Agrippa et lui donna, avec le titre de roi, la tétrarchie de Philippe, qui venait de mourir[15]. Quand il eut pris possession de son royaume[16], Agrippa excita la jalousie et l'ambition du tétrarque Hérode. C'était surtout Hérodias, femme de ce tétrarque, qui poussait celui-ci à espérer la royauté ; elle lui reprochait sa mollesse et prétendait que son refus d'aller trouver César empêchait son avancement. Puisque César avait fait un roi d'Agrippa, qui était un simple particulier, hésiterait-il à donner le même titre à un tétrarque ? Cédant à ces sollicitations, Hérode se rendit auprès de Gaius, qui le punit de sa cupidité en l'exilant en Espagne[17], car Agrippa l'avait suivi[18] pour l'accuser. Gaius joignit encore à la tétrarchie d'Agrippa celle de son rival. Hérode mourut en Espagne, où sa femme avait partagé son exil.

[14] Section 6 = Ant., XVIII, § 237&sp;; 240-256.

[15] Agrippa devint roi peu après mars 37. Philippe était mort en 34 ; pendant trois ans ses Etats furent rattachés au territoire provincial.

[16] An 38-9 ap. J.-C.

[17] Les mss. ont tous Σπανίαν Ἰσπανίαν. D'après Ant., § 252, Hérode fut exilé à Lyon en Gaule (ce qui ne nous autorise pas à corriger Σπανίαν en Γαλλίαν avec Niese). On a voulu concilier ces données contradictoires en supposant qu'il s'agit de Lugdunum Convenarum (Comminges) dans les Pyrénées !

[18] D'après Ant., 247 suiv., Agrippa ne vint pas lui-même, mais envoya son affranchi Fortunatus.

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