Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 2
Depuis la mort d'Hérode jusqu'au début de l'insurrection (4 av. J.-C. – 66 ap. J.-C.)

CHAPITRE 13
Caractère de Néron. Accroissement des États d'Agrippa. Félix et les brigands. Sicaires et faux prophètes. Le prophète égyptien. Nouveaux brigandages. Désordres à Césarée.

Caractère de Néron.

1. Tous les défis que Néron lança à la fortune, quand l'excès de prospérité et de richesse eut égaré la tête, la manière dont il fit périr son frère, sa femme et sa mère, premières victimes d'une cruauté qu'il reporta ensuite sur les plus nobles personnages, enfin la démence qui l'entraîna sur la scène et sur le théâtre, tous ces faits, devenus si rebattus, je les laisserai de côté, et je me bornerai à raconter ce qui, de son temps, s'est passé chez les Juifs.

Accroissement des États d'Agrippa. Félix et les brigands.

2.[1] Il donna donc le royaume de la Petite Arménie à Aristobule, fils d'Hérode de Chalcis ; il agrandit celui d'Agrippa le jeune de quatre villes avec leurs toparchies : Abila et Julias dans la Pérée, Tarichées et Tibériade en Galilée[2] ; il nomma[3] Félix procurateur du reste de la Judée. Celui-ci s'empara du chef de brigands, Eléazar[4], qui depuis vingt ans ravageait le pays, ainsi que d'un grand nombre de ses compagnons, et il les envoya à Rome ; quant aux brigands qu'il fit mettre en croix et aux indigènes, convaincus de complicité, qu'il châtia, le nombre en fut infini.

[1] Section 2 = Ant., XX. 158-161.

[2] Ant., 159, ne nomme pas Abila, qui n'est pas la ville du Liban, ni celle de la Décapole (Tell Abil), mais probablement une petite ville voisine du Jourdain, non loin de Jéricho, au territoire planté de palmiers (Ant., IV, 176 ; Bell., IV, 438). Contra, Schürer, II4, 163. Julias est, bien entendu, la ville de Pérée mentionnée supra, IX, 1 (Livias).

[3] Plus exactement : il confirma (supra, XIII, 8).

[4] Eléazar, fils de Dinaeos, supra. XII, 4.

Sicaires et faux prophètes.

3.[5] Quand il eut ainsi purgé la contrée, une autre espèce de brigands surgit dans Jérusalem : c'étaient ceux qu'on appelait sicaires[6] parce qu'ils assassinaient en plein jour au milieu même de la ville. Ils se mêlaient surtout à la foule dans les fêtes, cachant sous leurs vêtements de courts poignards, dont ils frappaient leurs ennemis ; puis, quand la victime était tombée, le meurtrier s'associait bruyamment à l'indignation de la foule, inspirant ainsi une confiance qui le rendait insaisissable. Ils égorgèrent d'abord le grand prêtre Jonathas, et beaucoup d'autres après lui : chaque jour amenait son meurtre. La crainte était pire encore que le mal ; chacun, comme à la guerre, attendait la mort à chaque moment. On surveillait de loin ses ennemis, on ne se fiait même pas aux amis que l'on voyait s'avancer vers soi ; mais on avait beau multiplier les soupçons et les défiances, le poignard faisait son œuvre, tant les assassins étaient prompts et habiles à se cacher.

[5] Section 3 = Ant., XX, 163-166 ; 186-187. Dans le récit des Antiquités le meurtre de Jonathas est attribué aux machinations de Félix.

[6] Du latin sica, poignard recourbé comme le sabre perse, selon Ant., XX, 186. Mais le mot sicarius signifiait depuis longtemps assassin (cf. la Lex Cornelia de sicariis, sous Sylla). Le mot a souvent dans la Mishna ce sens général.

4.[7] Il se forma encore une autre troupe de scélérats, dont les bras étaient plus purs, mais les sentiments plus impies, et qui contribuèrent autant que les assassins à ruiner la prospérité de la ville. Des individus vagabonds et fourbes, qui ne cherchaient que changements et révolutions sous le masque de l'inspiration divine, poussaient la multitude à un délire furieux et l'entraînaient au désert, où Dieu, disaient-ils, devait leur montrer les signes de la liberté prochaine[8]. Comme on pouvait voir là les premiers germes d'une révolte. Félix envoya contre ces égarés des cavaliers et des fantassins pesamment armés et en tailla en pièces un très grand nombre.

[7] Section 4 = Ant., XX, 167-168.

[8] Il est fait allusion à ces faux prophètes, qui veulent montrer Dieu dans le désert, dans Matthieu, XXIV, 26 (ce qui précise la date de cet évangile).

Le prophète égyptien.

5.[9] Plus funeste encore aux Juifs fut le faux prophète égyptien. Il parut, sous ce nom, dans le pays, un charlatan qui s'attribuait l'autorité d'un prophète et qui sut rassembler autour de lui trente mille dupes[10]. Il les amena du désert, par un circuit, jusqu'à la montagne dite des Oliviers ; de là, il était capable de marcher sur Jérusalem et de s'en emparer de force, après avoir vaincu la garnison romaine, puis d'y régner en tyran sur le peuple avec l'appui des satellites qui l'accompagnaient dans son invasion. Cependant, Félix devança l'attaque en marchant à sa rencontre avec la grosse infanterie romaine ; tout le peuple prit part à la défense. Dans le combat qui s'engagea, l'Égyptien prit la fuite avec quelques compagnons ; beaucoup d'autres furent tués ou faits prisonniers ; le reste de la foule se dispersa et chacun alla se cacher chez soi.

[9] Section 5 = Ant., XX, 169-172.

[10] Ce chiffre manque dans Ant. D'après les Actes des apôtres, XXI, 38, l'Egyptien n'avait que 4.000 sectaires. Comme Paul, à la Pentecôte 58, fut pris pour cet aventurier, l'affaire se place peu avant cette date.

Nouveaux brigandages.

6.[11] A peine ce mouvement réprimé, l'inflammation, comme dans un corps malade, reparut sur un autre point. Les imposteurs et les brigands se réunirent pour entraîner à la défection et appeler à la liberté un grand nombre de Juifs, menaçant de mort ceux qui se soumettaient à la domination romaine et déclarant qu'ils supprimeraient de force ceux qui acceptaient volontairement la servitude. Répartis par bandes dans le pays, ils pillaient les maisons des principaux citoyens, tuaient les propriétaires et incendiaient les bourgades. Toute la Judée fut remplie de leur frénésie, et de jour en jour cette guerre sévissait plus violente.

[11] Section 6 = Ant., XX, 172 (abrégé).

Désordres à Césarée.

7.[12] D'autres désordres se produisirent à Césarée, où les Juifs, mêlés à la population, se prirent de querelle avec les Syriens qui habitaient cette ville. Les Juifs prétendaient que Césarée devait leur appartenir, alléguant la nationalité juive de son fondateur, le roi Hérode : leurs adversaires maintenaient que, en admettant que le fondateur fût Juif, la ville même était grecque, car si Hérode avait voulu l'attribuer aux Juifs, il n'y aurait pas érigé des statues et des temples[13]. Telle était l'origine de leur dispute. Bientôt la rivalité alla jusqu'à la lutte armée : tous les jours, les plus hardis de l'un et de l'autre camp couraient au combat ; ni les anciens de la communauté juive n'étaient capables de retenir leurs propres partisans, ni les Grecs ne voulaient subir l'humiliation de céder aux Juifs. Ces derniers l'emportaient par la richesse et la vigueur corporelle, les Grecs tiraient avantage de l'appui des gens de guerre : car les Romains levaient en Syrie la plupart des troupes chargées de garder cette région, et en conséquence les soldats de la garnison étaient toujours prêts à secourir leurs compatriotes[14]. Cependant les gouverneurs n'avaient jamais négligé de réprimer ces troubles : toujours en arrêtaient les plus ardents et les punissaient du fouet et de la prison. Mais les souffrances des prisonniers, loin d'inspirer à leurs amis hésitation ou crainte, les excitaient encore davantage à la sédition. Un jour que les Juifs l'avaient emporté, Félix s'avança au milieu de la place publique et leur commanda sur un ton de menace de se retirer : comme ils n'obéissaient pas, il lança contre eux les soldats, en tua un grand nombre et laissa piller leurs biens. Voyant que la sédition continuait, Félix choisit des notables, appartenant aux deux partis et les envoya à Néron comme députés pour discuter devant lui leurs droits respectifs[15].

[12] Section 7 = Ant., XX, 173-178.

[13] Ant., 173, donne un argument tout différent : lorsque la ville s'appelait Tour de Straton, elle ne renfermait pas un habitant juif.

[14] Il s'agit, bien entendu, des troupes auxiliaires, qui formaient alors seules la garnison normale de la Judée : ala des Sébasténiens, cohortes de Césaréens et de Sébasténiens, etc. Cf. Schürer, I4, 461.

[15] Les Antiquités ne parlent pas de cette députation ordonnée par Félix. L'affaire se place en 59-60. Cf. Schürer, I4, 578.

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