Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 4
Depuis la soumission de presque toute la Galilée jusqu'au séjour de Vespasien à Alexandrie

CHAPITRE 9
Jérusalem est isolée de la Palestine. Vespasien apprend la mort de Néron. Simon, fils de Cioras, rejoint les brigands de Masada. l réunit une troupe contre les zélateurs. Il les repousse. Trahison de Jean l'Iduméen. Simon prend Hébron. Capture de la femme de Simon par les zélateurs. Guerre civile en Italie. Terreur à Jérusalem. Sédition parmi les zélateurs, que Simon attaque dans le Temple.

Jérusalem est isolée de la Palestine.

1. Cependant Vespasien, pour encercler Jérusalem, dressa des camps à Jéricho et à Adida[1] ; il y établit des garnisons prises dans l'armée romaine et dans les contingents des alliés. Il envoya à Gérasa[2] Lucius Annius avec un escadron de cavalerie et de nombreux fantassins. Celui-ci, ayant pris d'assaut la ville, tua mille jeunes gens, qui n'eurent pas le temps de fuir, réduisit en captivité leurs familles et autorisa les soldats à piller les biens des habitants, puis il incendia les maisons et marcha contre les bourgs voisins. Les citoyens robustes fuyaient, les faibles périssaient, et tout ce qui restait devenait la proie des flammes. Alors, comme la guerre s'étendait sur la montagne et la plaine entières, les habitants de Jérusalem n'en purent plus sortir ; car si les zélateurs tenaient en étroite surveillance ceux qui voulaient déserter, l'armée, répandue de toutes parts autour de la ville, s'opposait à la sortie de ceux qui n'étaient pas encore favorables aux Romains.

[1] Haditheh ? Voir Schürer, I1, p. 238.

[2] Jerash. Voir plus haut, III, 47.

Vespasien apprend la mort de Néron.

2. Vespasien venait de rentrer à Césarée et se préparait à marcher contre Jérusalem avec toutes ses forces, quand il apprit que Néron avait été mis à mort, après un règne de treize ans, huit mois et huit jours[3]. On sait comment ce prince se porta aux excès du pouvoir, après avoir confié la direction des affaires aux hommes les plus scélérats, à Nymphidius et à Tigellinus, indignes affranchis ; comment tous ses gardes l'abandonnèrent, quand ses favoris ourdirent une conjuration : on sait sa fuite dans les faubourgs, avec quatre de ses affranchis restés fidèles, et son suicide ; les châtiments infligés peu de temps après à ceux qui l'avaient renversé ; la fin de la guerre des Gaules ; les circonstances qui tirent désigner comme empereur et ramenèrent Galba d'Espagne à Rome, l'accusation d'avarice lancée par les soldats contre ce prince, son assassinat perpétré par trahison au milieu même du forum romain et l'élévation d'Othon à l'empire ; sa campagne contre les généraux de Vitellius, et sa perte ; ensuite les troubles du principat de Vitellius, la bataille livrée autour du Capitole, le rôle d'Antonius Primus et de Mucianus, qui, ayant anéanti Vitellius et ses légions de Germanie, étouffèrent la guerre civile. J'ai écarté le récit détaillé de tous ces événements, parce qu'ils sont devenus fastidieux pour tous et que nombre de Grecs et de Romains ont écrit cette histoire ; mais pour conserver l'enchaînement des faits et éviter le défaut d'une narration discontinue, je note sommairement chacun d'eux.
Tout d'abord, Vespasien différa l'expédition contre Jérusalem, attendant avec impatience à qui passerait le pouvoir après Néron ; ensuite il apprit que Galba était empereur, et, comme celui-ci ne lui avait encore adressé aucune instruction relative à la guerre, il n'entreprit rien, mais lui envoya son fils Titus pour le saluer et recevoir ses ordres au sujet des Juifs. Pour les mêmes raisons, le roi Agrippa s'embarqua en même temps que Titus, afin d'aller trouver Galba. On était en hiver, et tandis qu'ils naviguaient sur des vaisseaux de guerre le long de la cote d'Achaïe, Galba fut tué après un règne de sept mois et d'un nombre égal de jours. Othon, qui faisait valoir ses droits, prit le pouvoir. Agrippa n'en résolut pas moins de se rendre à Rome, sans se laisser effrayer par la révolution ; au contraire, Titus, par une inspiration divine, passa de Grèce en Syrie et rejoignit en toute hâte son père à Césarée.
Ces chefs, que l'état de l'Empire tenait en suspens, comme si une tempête le bouleversait, négligeaient la campagne contre les Juifs, et les craintes qu'ils concevaient pour leur patrie leur faisaient juger inopportun de poursuivre la guerre contre des étrangers.

[3] Exactement 13 ans, 7 mois et 28 jours.

Simon, fils de Cioras, rejoint les brigands de Masada.

3. Mais une autre guerre menaçait maintenant Jérusalem. Il y avait un certain Simon, fils de Cioras[4], natif de Gérasa. Cet adolescent, inférieur en ruse à Jean, qui dominait déjà dans la cité, le surpassait par la vigueur et l'audace ; chassé pour cette raison même par le grand-prêtre Ananos de la toparchie de l'Acrabatène[5] qu'il administrait, il s'était joint aux brigands qui occupaient Masada. Tout d'abord il leur fut suspect ; ils lui permirent seulement de s'établir à l'étage inférieur de la forteresse, avec les femmes qu'il avait amenées, tandis qu'eux-mêmes occupaient l'étage supérieur. Ensuite, la ressemblance de son caractère avec le leur et la confiance qu'il leur inspirait le firent associer à leurs incursions de pillage : il sortit avec eux et ravagea en leur compagnie les environs de Masada. Toutefois, malgré ses exhortations, il ne pouvait les entraîner à de plus grandes entreprises ; car les brigands, accoutumés à vivre dans la forteresse, n'osaient s'éloigner longtemps de leur tanière. Mais lui, qui aspirait à la tyrannie et rêvait de grands desseins, dès qu'il eut appris la mort d'Ananos, s'enfuit dans la montagne, annonçant par la voix du héraut que les esclaves seraient libres et que les hommes libres recevraient des récompenses. Ainsi il réunit autour de lui tous les malfaiteurs de la région.

[4] Il est question de ce personnage plus haut, II, 521 et 652.

[5] Toparchie d'Akrabatla, à 13 kil. au sud-est de Nablus. Schürer, II4, p. 228).

Il réunit une troupe contre les zélateurs.

4. Quand ses troupes devinrent nombreuses, il fit des courses parmi les bourgs de la montagne ; puis, de nouveaux partisans affluant sans cesse, il s'enhardit jusqu'à descendre dans la plaine. Comme il devenait redoutable aux cités, de nombreux Juifs de qualité furent séduits, pour leur malheur, par sa puissance et par la facilité de ses succès. Bientôt ce ne fut plus seulement une armée d'esclaves et de brigands, mais on y vit un nombre assez considérable de citoyens qui lui obéissaient comme à un roi. Dès lors, il fit des incursions dans la toparchie de l'Acrabatène et jusqu'aux confins de la Grande Idumée. Dans un bourg nommé Naïn[6], il éleva une muraille et en fit une forteresse pour sa sûreté ; dans le vallon de Phérété[7], il élargit de nombreuses cavernes et en trouva d'autres toutes préparées, qu'il transforma en dépôts de ses trésors, en magasins pour son butin. Il y accumula aussi les récoltes enlevées et y logea la plus grande partie de ses soldats. Son but était clair : c'était contre Jérusalem qu'il exerçait sa troupe et multipliait ses préparatifs.

[6] On ne sait où il était.

[7] Khurbet Farah ?

Il les repousse.

5. Alors les zélateurs, qui craignaient ses desseins secrets et qui voulaient prévenir cette puissance croissante opposée à la leur, sortirent en grand nombre, les armes à la main. Simon marche à leur rencontre, en fait un grand carnage et chasse vers la ville ceux qui restent. Mais comme il n'avait pas encore une entière confiance dans ses forces, il recula devant un assaut et entreprit d'abord de soumettre l'Idumée. Avec vingt mille fantassins, il envahit les frontières de ce pays. Mais les gouverneurs de l'Idumée rassemblent en toute hâte les hommes les plus propres à porter les armes, au nombre d'environ vingt-cinq mille, laissèrent la masse de leurs concitoyens défendre leurs biens contre les incursions possibles des sicaires de Masada et attendirent Simon sur la frontière. Le combat s'engagea et dura toute la journée ; on ne put savoir qui était vainqueur ou vaincu. Simon se retira à Naïn, tandis que les Iduméens rejoignaient leurs foyers. Mais peu de temps après, Simon revint avec des troupes plus nombreuses et envahit leur territoire ; il campa dans un bourg du nom de Thécoué[8] et envoya auprès de la garnison d'Hérodion[9], qui était dans le voisinage, un de ses compagnons, Eléazar, pour persuader aux défenseurs de livrer leurs remparts. Les sentinelles le reçurent avec empressement, ignorant la raison pour laquelle il venait ; mais quand il eut parlé de reddition, les soldats, tirant leurs épées, le poursuivirent, et Eléazar, n'ayant pas d'endroit où fuir, se jeta du haut de la muraille dans le vallon qu'elle dominait. Il mourut sur le coup, et les Iduméens, qui appréhendaient la force de Simon, jugèrent opportun de faire reconnaître l'armée ennemie avant de se mesurer avec elle.

[8] Patrie d'Amos, à 6 milles romains au sud de Bethléhem, auj. Tekua.

[9] El Fureidis, où fut enseveli Hérode.

Trahison de Jean l'Iduméen.

6. Jacob, un des chefs, s'offrit volontiers pour remplir cette mission, avec le dessein de trahir. Il partit donc du bourg d'Alouros[10], où se concentrait alors l'armée des Iduméens, et fut trouver Simon. D'abord, il s'engage à lui livrer sa patrie, moyennant la promesse, confirmée par serments, qu'il continuerait toujours à jouir d'honneurs ; il promit lui-même que son concours assurerait la sujétion de toute l'Idumée. Reçu par Simon avec bienveillance et exalté par de brillantes promesses, il commença, quand il fut retourné parmi les siens, par exagérer mensongèrement l'effectif de l'armée de Simon ; ensuite, accueillant auprès de lui les officiers et, par petits groupes, tous les soldats, il leur persuadait de recevoir Simon et de lui livrer sans combat le commandement. En même temps qu'il exécutait ces desseins, il faisait appeler Simon par des messagers et lui promettait de disperser les troupes des Iduméens, en quoi il tint parole. Car, comme l'armée ennemie approchait, il sauta le premier sur un cheval et s'enfuit avec ceux qu'il avait gagnés. L'effroi s'empare de toute la multitude ; avant d'engager le combat, tous se débandent et se retirent chacun dans ses foyers.

[10] Hulhul, au nord d'Hébron.

Simon prend Hébron.

7. Simon entra donc en Idumée sans avoir versé de sang, contre son attente ; il commença par attaquer à l'improviste la petite ville de Hébron, où il fit un butin considérable et pilla d'abondantes récoltes. Suivant les récits des habitants du pays, Hébron n'est pas seulement la plus ancienne des villes de cette province, mais elle surpasse en antiquité la cité égyptienne de Memphis ; on lui attribue deux mille trois cents ans de date[11]. On raconte aussi qu'elle fut le séjour d'Abraham, l'ancêtre des Juifs, après sa migration de Mésopotamie ; c'est de là que ses fils partirent pour descendre en Égypte. On montre encore dans cette petite ville leurs tombeaux, d'un très beau marbre et d'un travail délicat[12]. A six stades de Hébron on voit aussi un térébinthe gigantesque[13], et l'on prétend que cet arbre subsiste à cette place depuis la fondation de la ville. Simon partit de là pour parcourir toute l'Idumée ; non content de ravager les bourgades et les villes, il dévastait encore la campagne. Outre son infanterie régulière, quarante mille hommes le suivaient, en sorte que cette multitude ne trouvait pas de vivres en quantité suffisante. Ces besoins étaient aggravés par sa cruauté, sa fureur contre la nation, et cela explique comment l'Idumée fut dévastée de fond en comble. De même que toute une forêt peut être dépouillée par un passage de sauterelles, le pays que l'armée de Simon laissait derrière elle n'était plus qu'un désert. Les soldats brûlaient, détruisaient ; toutes les productions du sol étaient anéanties, soit foulées aux pieds, soit consommées comme nourriture. La marche de ces hommes rendait la terre cultivée plus dure que la lande stérile. En un mot, aucun vestige de ce qui avait été n'était épargné par les ravageurs.

[11] Nombres, XIII, 22 : « Hébron a été bâtie sept ans avant Tanis d'Egypte. »

[12] Au-dessous, dit-on, de la mosquée actuelle.

[13] Genèse, XIII, 18 ; XIV, 13.

Capture de la femme de Simon par les zélateurs.

8. Ces événements excitèrent l'ardeur des zélateurs, qui appréhendèrent, à la vérité, d'engager contre lui, Simon, une lutte ouverte, mais tendirent une embuscade dans les défilés et saisirent la femme de Simon avec un grand nombre de ses serviteurs. Joyeux comme s'ils avaient fait prisonnier Simon lui-même, ils retournèrent à la ville, espérant que celui-ci ne tarderait pas à déposer les armes et à les supplier de lui rendre sa femme. Mais, au lieu de la pitié, ce fut la rage que cet enlèvement lui inspira ; il s'approcha des murs de Jérusalem et, comme une bête blessée qui ne s'est pas vengée sur l'auteur de sa blessure, il tourna son ressentiment contre tous ceux qu'il rencontrait. Quiconque s'avançait hors des portes pour cueillir des légumes ou ramasser du bois mort, hommes désarmés ou vieillards, il les prenait, les torturait et les massacrait ; dans l'excès de sa fureur, peu s'en fallut qu'il ne goûtât à la chair de ses victimes. Il y en eut beaucoup dont il coupa les mains et qu'il renvoya ainsi, pour effrayer ses ennemis et pour soulever le peuple contre ceux qui étaient responsables de ses maux. Il ordonnait à ses victimes de dire que Simon jurait par Dieu, témoin de toutes choses, de pratiquer une brèche dans la muraille, si on ne lui rendait aussitôt sa femme ; il ferait subir un pareil traitement à tous les habitants de la ville, sans épargner aucun âge et sans distinguer entre les innocents et les coupables. Sous ces menaces, le peuple et même les zélateurs, frappés de terreur, lui renvoyèrent sa femme : alors seulement il s'adoucit un peu, et interrompit le cours de ses massacres.

Guerre civile en Italie.

9. Ce n'est pas seulement en Judée que régnaient la sédition et la guerre civile, mais encore en Italie. Galba avait été massacré au milieu même du forum romain, et Othon désigné pour l'empire, était en guerre avec Vitellius, qui prétendait à la même dignité et qu'avaient élu les légions de Germanie. Dans le combat qu'il livra à Bédriaque en Gaule[14], contre Valens et Caecina, généraux de Vitellius, Othon fut vainqueur le premier jour ; mais le second jour, l'armée de Vitellius remporta la victoire ; après un affreux carnage, Othon se tua de sa propre main à Brixellum[15], où il apprit la défaite ; il avait occupé le pouvoir pendant trois mois et deux jours. Son armée passa aux généraux de Vitellius, qui descendit lui-même vers Rome avec toutes ses forces.
En ce temps-là, Vespasien quitta Césarée, le cinq du mois de Oaisios[16], et marcha contre les régions de la Judée encore insoumises. Gagnant les collines, il occupa les deux toparchies de la Gophnitide[17] et de l'Acrabétène[18], ensuite il prit les bourgades de Bethela et d'Ephraim[19] où il laissa des garnisons. Puis il chevaucha avec sa cavalerie vers Jérusalem ; en route, il tua beaucoup de monde et fit un grand nombre de prisonniers, De son côté, Céréalis[20], un de ses généraux, avec une partie des cavaliers et des fantassins, ravageait l'Idumée supérieure ; il prit d'assaut et incendia Caphétra, qui prétendait mériter le nom de ville[21] ; arrivé devant une autre bourgade, appelée Charabis[22], il en fit le siège. Mais les murailles étaient fortes, et Céréalis s'attendait à y perdre du temps, lorsque les défenseurs ouvrirent soudain les portes et vinrent en suppliants se livrer à lui. Céréalis, après leur soumission, marcha vers Hébron, autre ville très ancienne, située comme je l'ai dit. dans la région montagneuse à une faible distance de Jérusalem. Il y entre de vive force, met à mort toute la jeunesse et incendie la ville. Le pays entier était déjà soumis à l'exception d'Hérodion, de Masada et de Machaeron, dont les brigands s'étaient emparés ; les Romains se proposèrent alors Jérusalem pour seul objectif.

[14] Bebriac ou Bedriac, entre Vérone et Crémone.

[15] Brescello près de Parme.

[16] 23 juin 68.

[17] Gophna, auj. Juphna, sur la route de Jérusalem à Nablous.

[18] Voir plus haut, IV, 504.

[19] Beitin et El Tayibeh.

[20] Sur ce personnage, voir plus haut, III, 310.

[21] On ne sait où était Caphétra.

[22] Ou Capharabis, également inconnue.

Terreur à Jérusalem.

10. Dès que Simon eut recouvré sa femme des mains des zélateurs, il se retourna encore contre les restes de l'Idumée : ses courses incessantes sur ce territoire obligèrent la foule des habitants à chercher refuge à Jérusalem. Il les suivit lui-même jusqu'à cette ville et, cernant de nouveau les remparts, se mit à tuer tous les travailleurs qui s'aventuraient dans la campagne et tombaient entre ses mains. Hors des murs, Simon était pour le peuple un plus terrible fléau que les Romains ; à l'intérieur, les zélateurs étaient plus cruels que les Romains et que Simon. Parmi ceux-ci, la troupe des Galiléens se distinguait par la faculté d'innover dans le crime et par l'audace ; car c'étaient eux qui avaient élevé Jean au pouvoir ; et lui, pour les payer à son tour de l'autorité qu'il avait acquise, permettait à chacun d'agir à sa guise. Insatiables de pillage, ils perquisitionnaient dans les maisons des riches ; le meurtre des hommes, le viol des femmes étaient leurs jeux ; en même temps qu'ils s'abreuvaient de sang, ils dévoraient en débauches le produit de leurs vols. On les voyait outrager impunément la nature, et pour cela arranger leurs cheveux avec art, revêtir des vêtements féminins, s'inonder de parfums, se farder les yeux pour rehausser leur teint. Non seulement ils empruntaient la parure, mais ils imitaient même le sexe des femmes, imaginant, dans leur lubricité, toutes sortes de voluptés défendues : ils se vautraient dans la ville comme dans un lieu de prostitution et la souillaient tout entière de leurs impuretés. Sous l'aspect et l'accoutrement de femmes, ils avaient des mains meurtrières ; leur démarche était molle, mais, s'élançant tout à coup, ils se transformaient en combattants, et tirant leur glaive de dessous leurs fins manteaux de couleur, ils transperçaient celui qu'ils rencontraient. Ceux qui fuyaient Jean tombaient sur Simon, plus meurtrier encore, et si l'on échappait au tyran qui régnait à l'intérieur des murs, on était égorgé par celui qui commandait devant les portes. Mais il était impossible, vu que toute voie de sortie était coupée, de passer du côté des Romains.

Sédition parmi les zélateurs, que Simon attaque dans le Temple.

11. Cependant l'armée conspirait contre Jean. Tous les Iduméens qui s'y trouvaient firent sécession et se soulevèrent contre le tyran, tant par jalousie de sa puissance que par haine de sa cruauté. Ils en vinrent aux mains, tuèrent beaucoup de zélateurs et repoussèrent le reste dans le palais qu'avait construit Grapté, parente d'Iza[23], roi des Adiabéniens. Les Iduméens se ruent à l'assaut de cet édifice, en chassent les zélateurs qu'ils refoulent dans le Temple et se mettent à piller le trésor de Jean. Celui-ci habitait, en effet, ce palais et y avait déposé le butin de la tyrannie. Entre temps, la multitude des zélateurs, dispersée dans la ville, se réunit au Temple, auprès des fugitifs, et Jean se prépara à les lancer contre le peuple et les Iduméens. Ceux-ci, étant plus exercés à la guerre, craignaient moins une attaque de leurs adversaires qu'un accès de fureur ; ils pouvaient se glisser la nuit hors du Temple et mettre le feu à la ville. Ils allèrent donc délibérer avec les grands-prêtres sur le moyen de s'opposer à pareille tentative. Mais Dieu tourna leurs décisions à leur propre ruine ; le remède qu'ils imaginèrent pour leur salut fut pire que n'eût été leur perte. Pour renverser Jean, ils résolurent d'accueillir Simon et d'appeler parmi eux, à force de supplications, un second tyran. La décision fut suivie d'effet ; ils envoyèrent à Simon le grand-prêtre Mathias, et prièrent d'entrer dans leurs murs celui qu'ils avaient tant redouté. Leur requête était appuyée par les émigrés de Jérusalem qui, fuyant les zélateurs, cédaient cependant au regret d'abandonner leurs maisons et leurs biens. Simon accepta avec hauteur la tyrannie et fit son entrée dans la ville comme s'il devait la débarrasser des zélateurs, salué par le peuple du nom de sauveur et de protecteur. Une fois qu'il y eut pénétré avec ses troupes, il ne songea qu'à exercer sa puissance et considéra comme ses ennemis tant ceux qui l'avaient appelé que ceux contre qui on l'appelait.

[23] Iza ou Izabès : voir Antiq. 17 et suiv. On ne sait rien de Grapté.

12. C'est ainsi que Simon devint maître de Jérusalem, la troisième année de la guerre, au mois de Xanthikos[24]. Jean et la foule des zélateurs se voyaient donc enfermés dans l'enceinte du Temple ; ils avaient d'ailleurs perdu tout ce qu'ils possédaient dans la cité, car les partisans de Simon pillèrent aussitôt leurs biens. Alors ils désespérèrent de leur salut. Simon, avec le concours du peuple, donna l'assaut au Temple, mais les zélateurs, placés sur les portiques et près des créneaux, repoussaient les attaques. Les soldats de Simon tombèrent en grand nombre, et l'on emporta beaucoup de blessés ; car les zélateurs, dans cette position forte et élevée, pouvaient tancer avec facilité des traits qui portaient. Ayant l'avantage du lieu, ils l'accrurent encore en construisant quatre très grandes tours pour lancer les projectiles de plus haut. Elles se dressaient, l'une à l'angle nord-est, la seconde au-dessus du Xyste[25], la troisième dans un autre angle, vis-à-vis la ville basse ; la quatrième dominait le sommet des Pastophories[26], où, suivant la coutume, se tient un des prêtres, pour annoncer le soir, au son de la trompette, le commencement du sabbat et, le lendemain soir, par le même moyen, la fin de la fête, appelant ainsi le peuple à l'arrêt ou à la reprise du travail. Sur ces tours ils placèrent, de distance en distance, des catapultes et des onagres, des archers et des frondeurs, Simon se montra dès lors plus timide dans ses attaques, car la plupart de ses hommes faiblissaient ; pourtant l'avantage du nombre lui permit de se maintenir, bien que les projectiles des machines, portant à une grande distance, tuassent un grand nombre de ses soldats.

[24] Avril-mai 69.

[25] Voir plus haut, II, 344.

[26] On appelait ainsi les chambrettes réservées aux prêtres ou servant de magasins. Elles étaient placées sous les toits.

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