Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 6
Depuis l'achèvement des travaux romains jusqu'à la prise de la ville

CHAPITRE 8
Préparatifs romains contre la ville haute. Pourparlers avec les Iduméens. Livraison des trésors du Temple. Attaque de la ville haute. Victoire décisive des Romains.

Préparatifs romains contre la ville haute.

1. Cependant César, voyant l'impossibilité de détruire, sans le secours des terrasses, la ville haute, qui était très escarpée, distribua la tâche à son armée le 20 du mois de Loos[1]. Le transport du bois était difficile, comme je l'ai dit[2], parce que tout le pays, à cent stades autour de la ville, avait été dénudé pour la construction des précédentes terrasses. Les nouveaux ouvrages des quatre légions s'élevaient à l'ouest de la ville, en face du Palais royal ; les auxiliaires et le reste des troupes travaillaient aux retranchements du côté du Xyste, du pont et de la tour de Simon, que celui-ci avait construite pour lui servir de citadelle, dans sa lutte contre Jean.

[1] 8 septembre 70.

[2] Plus haut, II, 7.

Pourparlers avec les Iduméens.

2. En ces jours-là, les chefs des Iduméens s'assemblèrent en secret et délibérèrent s'ils devaient se livrer ; ils envoyèrent cinq messagers à Titus, pour le supplier de leur engager sa foi. Comme il espérait qu'après la défection des Iduméens, dont l'action avait été considérable dans la guerre, les tyrans, eux aussi, se livreraient, il leur accorda, non sans difficulté, la vie sauve et leur renvoya les messagers. Cependant Simon apprit que les Iduméens se préparaient à passer à l'ennemi ; il mit aussitôt à mort les cinq qui étaient allés trouver Titus, arrêta et emprisonna les chefs, dont le plus illustre était Jacob, fils de Sosas. Il ne laissa pas sans surveillance la foule des Iduméens, réduite à l'impuissance après la perte de ses chefs, et envoya sur les remparts des gardes plus vigilants. Mais ces gardes ne purent pas s'opposer aux défections ; si le nombre des tués fut considérable, celui des fugitifs le fut beaucoup plus. Les Romains les accueillirent tous, Titus, par clémence et au mépris de ses ordres antérieurs[3], les soldats eux-mêmes par lassitude du meurtre et espérance de profit. Ils ne gardaient que les citoyens, mais vendaient le reste avec les femmes et les enfants, chacun, d'ailleurs, à très bas prix, vu la masse des individus à vendre et la rareté des acheteurs. Bien qu'il eût défendu aux transfuges, par la voix du héraut, de se présenter seuls, afin de leur faire amener aussi leurs familles, Titus les accueillit cependant sans cette condition : mais il nomma des commissaires pour distinguer parmi eux ceux qui étaient dignes de châtiment. Le nombre de ceux qu'on vendit fut immense quant aux citoyens, plus de quarante mille s'échappèrent ; César leur permit de s'établir où ils voudraient.

[3] Plus haut, VI, 3.

Livraison des trésors du Temple.

3. Pendant ces mêmes journées, un des prêtres, nommé Jésus, fils de Thebouthi, ayant reçu sous serment de César l'assurance de la vie sauve, à condition de livrer quelques objets des trésors sacrés, sortit et fit passer au-dessus du mur du Temple deux candélabres semblables à ceux du sanctuaire, des tables, des cratères, des coupes, tous objets d'or solide et très massifs ; il livra aussi les voiles, les vêtements des grands-prêtres garnis de pierres précieuses et beaucoup d'autres objets destinés au culte. Phinéas, le garde du trésor du Temple, fut pris aussi ; il étala les tuniques et les ceintures des grands-prêtres, une grande quantité de pourpre et d'écarlate tenue en réserve pour réparer le voile du Temple, et en outre beaucoup de cinnamome, de cannelle et d'autres aromates qu'on mélangeait et brûlait tous les jours en l'honneur de Dieu. Il donna encore aux Romains beaucoup d'autres objets précieux et des ornements sacrés en grand nombre. Cela lui fit accorder, bien qu'il eût été pris de force, le pardon réservé aux transfuges.

Attaque de la ville haute.

4. Les terrasses furent achevées en dix-huit jours. Le 7 du mois de Gorpiée[4], les Romains amenèrent leurs machines. Alors, parmi les factieux, les uns, désespérant désormais du salut de la ville, évacuèrent le rempart pour se retirer dans Acra ; les autres se cachèrent dans les souterrains ; beaucoup, prenant leur place de combat contre le mur, cherchaient à repousser ceux qui amenaient les hélépoles. Les Romains avaient sur eux l'avantage de la force et du nombre ; surtout, ils luttaient avec allégresse contre des adversaires découragés et affaiblis. Quand une partie de la muraille fut détruite et que plusieurs tours, battues par les hélépoles, eurent été entamées par les béliers, les défenseurs s'enfuirent aussitôt et les tyrans eux-mêmes furent envahis par une crainte que justifiait la gravité de la situation[5]. En effet, avant l'escalade de la brèche, ils étaient plongés dans la torpeur et ne se décidaient qu'à fuir ; on pouvait les voir abattus et tremblants, eux qui naguère étaient si féroces et fiers de leurs sacrilèges ; ce changement, même chez de pareils scélérats, excitait la pitié. Ils songèrent bien à s'élancer à la course vers le mur de circonvallation des Romains, à en chasser les postes, à se frayer un chemin et sortir ; mais ils n'apercevaient nulle part ceux qui, auparavant, leur étaient fidèles et qui venaient de prendre la fuite dans diverses directions. Des gens arrivaient, en courant, annoncer soit que tout le mur de l'ouest avait cédé, soit que les Romains l'avaient déjà franchi et les recherchaient ; d'autres, les yeux égarés par la peur, déclaraient qu'ils apercevaient les ennemis au sommet des tours. Alors ils tombèrent la face contre terre, se lamentant sur leur folie et, comme si leurs nerfs avaient été coupés, étaient incapables de fuir. C'est en cela surtout qu'on pouvait reconnaître et le pouvoir de Dieu sur les impies et la fortune des Romains ; car les tyrans avaient eux-mêmes renoncé à leur sécurité, en descendant volontairement des tours, où la violence n'eût jamais pu avoir raison d'eux, où la faim seule les eût réduits. De leur côté, les Romains, qui avaient rencontré tant de difficultés autour des murailles plus faibles, prirent, par un don de la Fortune, celles qui pouvaient défier leurs machines ; car les trois tours dont nous avons parlé plus haut[6] étaient plus fortes que tout engin de siège.

[4] 25 septembre 70.

[5] Le texte porte : « Une crainte plus grande que la nécessite » (a needlessy serious alarm, Thackeray). Cela ne donne pas un sens raisonnable ; une négation a pu tomber avant σφοδρότερου.

[6] Liv. V, IV, 3.

Victoire décisive des Romains.

5. Après les avoir quittées, ou plutôt après que Dieu les en eut chassés, ces Juifs s'enfuirent aussitôt dans la vallée que domine la fontaine de Siloé ; puis, s'étant remis un peu de leur frayeur, ils s'élancèrent contre le mur d'enceinte en cet endroit. Mais leur audace n'était pas à la hauteur des circonstances, car leurs forces avaient été éprouvées par la crainte et le malheur ; les postes romains les repoussèrent et, dispersés ça et là, ils s'enfoncèrent dans les souterrains.
Maîtres des murailles, les Romains dressèrent leurs enseignes sur les tours et célébrèrent cette victoire avec de bruyants cris d'allégresse. La fin de cette guerre avait été pour eux bien moins difficile que le début ; ils avaient donc peine à croire qu'ils eussent escaladé le dernier rempart sans effusion de sang, vraiment étonnés de ne voir aucun ennemi devant eux. Ils se répandirent, l'épée en main, dans les ruelles, massacrant en foule ceux qu'ils pouvaient rejoindre, brûlant les maisons avec tous ceux qui s'y étaient réfugiés. Plus d'une fois, en pénétrant dans les demeures pour les piller, ils y trouvaient des familles entières étendues mortes et des chambres remplies de cadavres que la faim avait entassés là. A cette vue, frappés d'horreur, ils sortaient les mains vides. Cependant, s'ils avaient pitié de ceux qui étaient morts ainsi, ils n'avaient pas les mêmes sentiments à l'égard des vivants. Perçant de leurs glaives ceux qu'ils rencontraient, ils obstruaient les ruelles de cadavres, inondaient de sang toute la ville, au point que ces torrents éteignirent plus d'un incendie. Les massacreurs s'arrêtèrent vers le soir ; dans la nuit, le feu redoubla d'intensité et le huitième jour du mois de Gorpiée[7] éclaira Jérusalem toute en flammes. Cette ville avait, pendant le siège, souffert tant de calamités que si, depuis sa fondation, elle avait connu autant de prospérité, elle eût été assurément très enviable ; or, elle n'avait mérité de si grandes infortunes que pour avoir produit la génération d'hommes qui fut l'instrument de sa ruine.

[7] 26 septembre 70.

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