Vie - Flavius Josèphe

CHAPITRE XLIV

Les choses étant en cet état Jonathas, et ses collègues arrivèrent dans la province, et comme ils n'osaient m'attaquer ouvertement ils tâchèrent de me surprendre, et pour cela ils m'écrivirent une lettre dont voici les propres paroles :

« Jonathas et ses collègues envoyés par ceux de Jérusalem, à Joseph, salut. Les principaux de la ville de Jérusalem ayant eu avis que Jean de Gischala vous a dressé diverses embûches, nous ont envoyés pour lui en faire de sévères réprimandes, et lui ordonner d'obéir exactement à l'avenir à tout ce que vous lui commanderez. Mais parce que nous désirons conférer avec vous pour pourvoir selon votre avis à toutes choses, nous vous prions de nous venir promptement trouver avec peu de suite, à cause que ce bourg est trop petit pour loger grand nombre de soldats. »

Cette lettre leur faisait espérer que si je les allais trouver désarmé ils pourraient sans peine m'arrêter ; ou que si j'y allais avec des troupes, ils me feraient déclarer rebelles. Un jeune cavalier fort résolu et qui avait autrefois servi le roi fut chargé de cette lettre, et arriva à la seconde heure de la nuit lorsque j'étais à table avec mes amis plus particuliers et les principaux des Galiléens. Un de mes gens m'ayant dit qu'un cavalier Juif était venu, je lui commandai de le faire entrer. Il ne salua personne, et me dit seulement en me rendant la lettre : « Voici ce que vous écrivent les députés de Jérusalem. » Rendez-leur promptement réponse : car il faut que je retourne les trouver. Ceux qui étaient à table avec moi admirèrent l'insolence de ce soldat, mais je le priai de s'asseoir et de souper avec nous. Il le refusa ; et alors tenant toujours la lettre en ma main sans l'ouvrir, je continuai à entretenir mes amis de diverses choses. Peu de temps après je leur donnai le bonsoir, retins seulement quatre de ceux à qui je me confiais le plus, et dis que l'on apportât du vin. Alors sans que personne s'en aperçût j'ouvris la lettre, et ayant vu ce qu'elle contenait, je la repliai et la retins toujours à ma main comme si je ne l'eusse point ouverte. Je commandai ensuite de donner à ce soldat vingt drachmes pour la peine de son voyage. Il les reçut et m'en remercia : ce qui me faisant voir qu'il aimait l'argent et qu'ainsi il ne serait pas difficile de le gagner, je lui dis : « Si vous voulez boire avec nous je vous donnerai une drachme pour chaque verre de vin que vous boirez. » Il accepta la condition, et but tant afin de gagner davantage qu'il s'enivra. Alors ne lui étant plus possible de cacher son secret, il ne fut pas besoin de l'interroger pour lui faire dire qu'on m'avait dressé des embûches, et que j'avais été condamné à perdre la vie. Ainsi étant informé du dessein de ceux qui l'avaient envoyé, je leur répondis en cette sorte.

« Joseph à Jonathas et à ses collègues salut. J'ai d'autant plus de joie d'apprendre que vous êtes arrivés en bonne santé en Galilée, que cela me donnera le moyen de remettre entre vos mains le soin des affaires de cette province, et de satisfaire au désir que j'ai depuis si longtemps de m'en retourner à Jérusalem. Ainsi j'irais vous trouver à Xalon et beaucoup plus loin, quand même vous ne me le manderiez pas. Mais vous me pardonnerez bien si je ne le puis faire maintenant, parce que je suis obligé de demeurer à Chabolon pour observer Placide et l'empêcher de faire une irruption dans la Galilée. Il est donc beaucoup plus à propos que vous veniez ici après que vous aurez reçu ma réponse, ainsi que je vous en supplie. »

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